Commissioner’s Decision # 1283
Décision du commissaire n° 1283
TOPIC: B00, C00
SUJET : B00, C00
Application No.: 605,669
Demande n° : 605,669
RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE LA COMMISSAIRE
D.C. 1283 .... Demande n° 605,669
Étayage insuffisant (C00), Imprécision (B00)
La demande porte sur un polypeptide de sous‑unité du complexe de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline. Les revendications relatives aux acides nucléiques codant le polypeptide et les revendications relatives aux anticorps présentant une immunoréactivité au polypeptide ont été rejetées par l’examinateur, car elles ont été jugées insuffisamment étayées selon le paragraphe 174(2) des Règles et imprécises contrairement au paragraphe 34(2) de la Loi. Le demandeur a plaidé que les revendications fournissaient tous les moyens nécessaires, qu’une personne versée dans l’art pouvait obtenir les produits revendiqués en utilisant des méthodes classiques et que les revendications délimitaient avec précision la portée du monopole proposé. La Commission, qui s’est appuyée sur le paragraphe 34(1) de la Loi dans son analyse, a jugé que pour être conforme à ce paragraphe, l’objet revendiqué devrait être soutenu par la fourniture des moyens nécessaires et être adéquatement décrit. La Commission a jugé que les acides nucléiques revendiqués n’étaient ni soutenus par la fourniture des moyens nécessaires ni décrits, mais que les anticorps revendiqués, de façon générale, l’étaient. Cependant, une revendication propre à un anticorps monoclonal, bien que soutenue par la fourniture des moyens nécessaires, a été considérée comme insuffisamment décrite. La Commission a jugé que les revendications relatives aux acides nucléiques étaient conformes au paragraphe 34(2) de la Loi, mais que les revendications relatives aux anticorps ne l’étaient pas, car les anticorps étaient définis en fonction d’un polypeptide cible mal défini. La Commission a recommandé, conformément à l’alinéa 31c) des Règles, de donner au demandeur la possibilité de corriger les revendications par l’annulation et la modification de celles‑ci en fonction de ses conclusions, à défaut de quoi elle recommanderait le rejet de la demande en entier. La commissaire aux brevets a souscrit à cette recommandation et le demandeur en a été informé.
BUREAU DES BREVETS DU CANADA
DÉCISION DE LA COMMISSAIRE AUX BREVETS
La demande de brevet n° 605,669 ayant été rejetée en vertu du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets, le demandeur a demandé la révision de la décision finale de l’examinateur. Le rejet a donc été examiné par la Commission d’appel des brevets et la commissaire aux brevets. Les conclusions de la Commission et la décision de la commissaire sont les suivantes :
Agent pour le demandeur :
Fetherstonhaugh & Co.
Case postale 2999, Succ. D
Ottawa (Ontario)
K1P 5Y6
I. INTRODUCTION
[1] La présente décision porte sur une demande de révision par la commissaire aux brevets de la décision finale de l’examinateur sur la demande de brevet 605,669.
[2] Le demandeur est le Central Sydney Area Health Service. L’inventeur est Robert C. Baxter et l’invention est intitulée « SOUS-UNITÉ LABILE AUX ACIDES D’UN COMPLEXE PROTÉIQUE DE LIAISON DU FACTEUR DE CROISSANCE ANALOGUE À L’INSULINE ».
II. LE CONTEXTE
a) La technologie
[3] Au titre des renseignements généraux, la demande enseigne que les peptides de la famille des facteurs de croissance analogues à l’insuline (IGF) sont semblables à l’insuline sur le plan de la structure et de la fonction, entraînant une variété d’effets biologiques tels que la stimulation de la synthèse du glycogène et la stimulation de la différenciation cellulaire. Contrairement à la plupart des hormones, les IGF sont associés à une ou plusieurs protéines de liaison dans l’appareil circulatoire. L’une de ces protéines est une protéine stable en milieu acide qui a un poids moléculaire de 53 kilodaltons (Kd). Cette classe comprend d’autres protéines de liaison IGF stables en milieu acide qui ont différents poids moléculaires.
[4] L’objet de la demande se rapporte essentiellement à une sous‑unité protéique labile aux acides de l’IGF qui lie et stabilise un complexe constitué de l’IGF et de la protéine stable en milieu acide de 53 Kd susmentionnée (aussi appelée « BP‑53 »).
[5] La demande contient des revendications relatives à un polypeptide de la sous‑unité labile aux acides (ALS), à des compositions pharmaceutiques contenant l’ALS, à des méthodes de purification de l’ALS, à des méthodes de détection de l’ALS, à une séquence d’acides nucléiques codant l’ALS, à des anticorps capables de se lier à l’ALS et à des objets connexes.
b) Historique de l’instruction
[6] La demande a été déposée le 14 juillet 1989 et l’examinateur chargé de la demande a rendu une décision finale le 20 mars 1998 dans laquelle les revendications 19 à 34 qui étaient alors en instance dans la demande ont été rejetées apparemment pour étayage insuffisant selon le paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets. La décision finale se terminait en indiquant que les composés visés par les revendications ne sont pas décrits distinctement et en termes explicites comme l’exige le paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets dans sa version antérieure au 1er octobre 1989.
[7] Le 21 septembre 1998, le demandeur, dans sa réponse à la décision finale, a plaidé que les revendications dans le dossier ne pouvaient être rejetées pour les motifs indiqués par l’examinateur. Il n’a présenté aucune nouvelle revendication.
[8] De l’avis de l’examinateur, la réponse du demandeur à la décision finale ne surmontait pas les objections soulevées dans la décision finale. Conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, le demandeur a demandé une audience devant la Commission d’appel des brevets et la révision par la commissaire aux brevets. L’audience a été tenue le 8 novembre 2007. Le demandeur y était représenté par Joy Morrow, Catherine Eckenswiller et David Schwartz du cabinet Fetherstonhaugh & Co. Le Bureau des brevets était représenté par Daniel Bégin, chef de section et Mike De Vouge, l’examinateur maintenant responsable de la demande.
[9] À l’audience, la Commission a entendu des observations orales additionnelles des représentants du demandeur. Les observations orales étaient accompagnées d’observations écrites correspondantes et de deux affidavits.
c) Les revendications en litige
[10] Les revendications en litige sont les suivantes :
[traduction]
19. Séquence d’acides nucléiques recombinants codant la sous‑unité labile aux acides (ALS) du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF).
20. Séquence d’acides nucléiques recombinants conforme à la revendication 19, où ladite sous‑unité labile aux acides (ALS) porte la séquence partielle d’acides aminés N‑terminale suivante :
Gly
Asp Pro Gly Thr Pro Gly Glu Ala Glu Gly Pro Ala Cys Pro Ala Ala Cys
Ala
où le premier acide aminé peut être Gly ou Ala.
21. Vecteur d’expression contenant la séquence d’ADN décrite à la revendication 20.
22. Cellule hôte, procaryote ou eucaryote, qui est transformée par le vecteur d’expression décrit à la revendication 21.
23. Séquence d’acides nucléiques recombinants décrite à la séquence 19 qui est de l’ADNc.
24. Sous‑unité labile aux acides (ALS) produite par la cellule hôte décrite à la revendication 22.
25. Anticorps réactif capable de se lier à la sous‑unité labile aux acides (ALS) de la protéine de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF).
26. Anticorps réactif conforme à la revendication 25 qui est un anticorps monoclonal ou polyclonal.
27. Anticorps réactif conforme à la revendication 25 ou 26 contenant un ou plusieurs groupes de marqueurs.
28. Anticorps réactif conforme à la revendication 27, où le groupe de marqueurs est tiré de groupes fluorescents, d’enzymes ou de groupes colloïdaux.
29. Isolat d’acides nucléiques qui porte une séquence d’acides nucléiques codant la séquence :
Gly
Asp Pro Gly Thr Pro Gly Glu Ala Glu Gly Pro Ala Cys Pro Ala Ala Cys
Ala
où le premier acide aminé peut être Gly ou Ala.
30. Isolat d’acides nucléiques qui porte une séquence d’acides nucléiques codant les résidus de séquence 1‑5, 2‑7, 5‑9, 7‑11, 8‑14,11‑15,13‑17,3‑9, 2‑8, 4‑10, 6‑12, 8‑14, 10‑16, 12‑18, 1‑6, 3‑9, 5‑11, 7‑13, 9‑15, 11‑17, 4‑9, 6‑11, 8‑13,10‑15 ou 12‑17 de la sous‑unité labile aux acides (ALS), où les résidus des acides aminés de la sous‑unité labile aux acides (ALS) sont numérotés à partir de l’extrémité N‑terminale de la séquence d’acides aminés telle qu’elle est définie dans la revendication 1.
31. Isolat d’acides nucléiques décrit à la revendication 29 comprenant en outre un vecteur réplicable.
32. Isolat d’acides nucléiques décrit à la revendication 30 comprenant en outre un vecteur réplicable.
33. Isolat d’acides nucléiques décrit à la revendication 29 comprenant en outre une séquence d’acides nucléiques codant un signal de sécrétion lié à l’extrémité 5' de l’acide nucléique codant la séquence :
Gly
Asp Pro Gly Thr Pro Gly Glu Ala Glu Gly Pro Ala Cys Pro Ala Ala Cys Ala
Ala
où le premier acide aminé peut être Gly ou Ala.
34. Cellule hôte transformée avec l’isolat visé par l’une ou l’autre des revendications 29 à 33.
[11] À l’audience, les représentants du demandeur ont indiqué que la revendication 19 serait supprimée et qu’elle n’était plus en litige.
d) Les questions
[12] Compte tenu des revendications au dossier au moment de la décision finale, la Commission doit revoir l’instruction et décider si les revendications 20 à 34 sont étayées de façon insuffisante à l’encontre du paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets et si elles définissent l’objet revendiqué distinctement et en termes explicites comme le prévoit le paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets.
III. LA POSITION DE L’EXAMINATEUR ET DU DEMANDEUR
a) La position de l’examinateur
[13] L’examinateur a indiqué notamment ce qui suit dans la décision finale :
[traduction]
Les revendications 19 à 34, concernant les acides nucléiques, les vecteurs d’expression, les cellules hôtes transformées et les anticorps réactifs, ne sont pas étayées par la divulgation et ne sont pas conformes au paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets. Le demandeur a seulement isolé et purifié partiellement l’ALS. Le demandeur n’a pas préparé les acides nucléiques, les vecteurs, la cellule transformée ou les anticorps et il n’a donc pas droit de revendiquer ces produits.
Le demandeur a fait valoir que les méthodes existant pour la préparation des produits définis dans les revendications sont bien connues des personnes versées dans l’art. Le demandeur consultera la décision du commissaire n° 1206 (ayant pour objet le brevet canadien 1,338,323, délivré le 14 mai 1996), qui traitait de la question de l’étayage de revendications relatives à des anticorps monoclonaux et à des hybridomes qui n’avaient pas été préparés, mais que le demandeur considérait comme prévisibles. La décision indique : « le demandeur ne démontre pas au moyen d’exemples ou d’énoncés généraux les étapes qu’il a suivies pour produire les hybridomes qui sécrètent les anticorps monoclonaux pouvant se fixer uniquement à l’antigène spécifique. Si un hybridome et un anticorps monoclonal relatifs à certains antigènes avaient été préparés, il aurait été possible de juger admissibles d’autres hybridomes et anticorps monoclonaux revendiqués, mais non préparés, ou préparés mais non testés, compte tenu du principe de la « prédiction valable ». En l’espèce, la divulgation ne renferme aucun renseignement sur un anticorps monoclonal, de sorte qu’il n’existe aucun élément pouvant étayer une prédiction valable. » Les revendications relatives à des hybridomes et à des anticorps monoclonaux dans la demande ont été rejetées par le commissaire.
On peut établir une distinction entre la présente demande et la demande qui a abouti à l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets (1979), 42 C.P.R. (2d) 161, dans laquelle la totalité de l’objet revendiqué avait été divulgué et ce qui était prédit était que la totalité de l’objet divulgué serait utile sur la base de similarités de structure entre ces composés qui avaient été divulgués mais qui n’avaient pas été fabriqués et ceux qui avaient été divulgués, fabriqués et testés. La Cour suprême n’a pas statué dans l’arrêt Monsanto que des produits qui n’avaient pas été divulgués et qui ne pouvaient donc avoir été décrits étaient brevetables.
. . .
S’il n’est pas nécessaire de donner pour chaque revendication d’une demande une liste complète d’exemples, il doit néanmoins y avoir une divulgation complète de l’objet revendiqué. Le demandeur n’a pas enseigné les étapes nécessaires pour arriver à produire les acides nucléiques, les vecteurs, les cellules transformées ou les anticorps. Le demandeur revendique des composés espérés dont il n’a pas démontré qu’on peut arriver à les produire ou à les utiliser. Les composés visés par les revendications 19 à 34 ne sont pas décrits « distinctement et en termes explicites » comme l’exige le paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets dans sa version antérieure au 1er octobre 1989 et ne sont donc pas admissibles.
b) La réponse et les observations du demandeur
[14] Les arguments du demandeur en faveur de la brevetabilité de l’objet revendiqué se composent des éléments suivants :
(i) une réponse écrite à la décision finale, accompagnée de deux décisions de tribunaux américains, d’une copie d’une page de revendications provenant d’une demande de brevet correspondante aux États-Unis, d’une copie d’un article scientifique et d’une copie de certaines pages d’un manuel de laboratoire;
(ii) les observations orales présentées à l’audience;
(iii) les observations écrites présentées à l’audience;
(iv) les affidavits de deux experts scientifiques.
(i) La réponse à la décision finale
[15] En réponse à la décision finale, le demandeur avance notamment l’argument suivant en ce qui concerne le rejet des revendications par l’examinateur :
[traduction]
La présente affaire peut se ramener à la question de savoir si la divulgation est suffisante en ce qui concerne les revendications relatives (A) aux anticorps; et (B) aux séquences d’acides nucléiques.
(A) Revendications 25 à 28 relatives aux anticorps
La citation de Goding mentionnée à la page 10 est une description détaillée très connue de la manière dont les anticorps monoclonaux et même les anticorps polyclonaux peuvent être produits. La page titre et les pages du contenu ont été jointes en annexe, et nous croyons que l’examinateur pourra constater qu’à la lumière de l’enseignement du mémoire descriptif, une personne versée dans l’art n’aurait manifestement eu aucun mal à produire des anticorps tant monoclonaux que polyclonaux conformément à l’enseignement du mémoire descriptif à la date de dépôt de la demande.
En ce qui concerne la description d’exemples précis de production d’anticorps, nous renvoyons l’examinateur à la page 18, lignes 10 à 21, qui expliquent la production d’un antisérum polyclonal dirigé contre 100 μg de l’ALS purifiée. Cet antisérum a été utilisé avec succès dans des dosages radioimmunologiques, notamment de la façon décrite à la page 18.
L’exemple figurant à la page 18 établit clairement la production d’anticorps et l’utilité à la date de l’invention.
Le demandeur soutient respectueusement que l’état de la technique à la date de dépôt au Canada était tel qu’une personne versée dans l’art pouvait, sans faire appel à la faculté inventive, préparer non seulement des anticorps polyclonaux (ainsi qu’il est décrit à la page 18; voir ci‑dessus), mais aussi des anticorps monoclonaux capables de se lier à la sous‑unité labile aux acides (ALS) du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF). La description montre clairement la préparation de l’ALS, et l’examinateur, en jugeant la revendication 1 acceptable, semble l’approuver. La question qui se pose est de savoir si les revendications relatives aux anticorps monoclonaux sont étayées ou non, compte tenu de la préparation de l’ALS et des affirmations figurant dans la description mentionnée ci‑dessus, qui va de la page 9, ligne 33 à la page 10, ligne 19.
L’examinateur se fonde sur la décision du commissaire n° 1206 pour rejeter les revendications 25 à 28. Le demandeur affirme respectueusement que la décision du commissaire est viciée pour plusieurs raisons.
. . .
Dans la citation de Goding figurant à la page 10, on reconnaît à la page 59 du chapitre intitulé « Production of Monoclonal Antibodies » que « la technologie de la production des hybridomes est maintenant solidement établie ». Cette affirmation appuie la prétention du demandeur selon laquelle la description est bel et bien suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de produire des anticorps monoclonaux sans faire appel à la faculté inventive.
. . .
L’erreur dans le raisonnement scientifique du commissaire [dans la décision Pasteur] est manifeste. Une personne versée dans l’art sait qu’elle peut raisonnablement s’attendre à produire un anticorps monoclonal contre un antigène précis, mais qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’un anticorps monoclonal donne un « remède ». De nombreux antigènes monoclonaux différents peuvent être produits contre cet antigène. L’évaluation d’un ou plusieurs anticorps comme « remède » nécessite une étape supplémentaire, dont le produit n’est visé par aucune des revendications 25 à 28.
Une autre erreur dans le raisonnement scientifique du commissaire dans la décision n° 1206 est sa conclusion selon laquelle « la description que le demandeur donne des anticorps monoclonaux, soit des éléments qui neutralisent les antigènes ou qui se fixent sur ceux‑ci, n’est pas considérée comme une description précise. » Par définition, tout anticorps est hautement spécifique. Les anticorps sont couramment classés en fonction de leur spécificité antigénique.
. . .
Compte tenu de ce qui précède, la reconnaissance par l’examinateur citée dans la décision du commissaire « qu’une fois obtenu un antigène donné, il est possible de préparer un hybridome et un anticorps monoclonal par des techniques bien connues » devrait permettre de conclure que les anticorps monoclonaux et les hybridomes servent à fabriquer et à purifier l’antigène.
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(B) Revendications relatives aux acides nucléiques, aux vecteurs et aux cellules hôtes qui les contiennent (revendications 19 à 24 et 29 à 34)
En ce qui concerne l’objection de l’examinateur à l’égard des autres revendications relatives aux acides nucléiques recombinants, aux vecteurs d’expression et aux cellules hôtes qui contiennent ces acides nucléiques et les isolats d’acides nucléiques (revendications 19 à 23 et 29 à 34), le demandeur est d’avis que le mémoire descriptif donne à une personne versée dans l’art tous les éléments nécessaires pour mettre en oeuvre l’invention revendiquée, compte tenu de l’état des connaissances dans le domaine à la date de priorité de la demande.
Le demandeur est d’avis que le mémoire descriptif enseignait pour la première fois l’isolation du peptide ALS et qu’il fournissait de l’information sur la séquence d’acides aminés de ce polypeptide.
Les techniques recombinantes étaient bien connues au moment du dépôt de la demande et elles sont exposées de façon générale aux pages 11 à 13. Compte tenu du peptide ALS et de la présente divulgation, un artisan versé dans l’art pourrait facilement obtenir les acides nucléiques revendiqués. Cela est démontré par la pièce A ci‑jointe (Leong et al.), qui confirme que l’obtention de l’ADNc revendiqué, des vecteurs et des cellules hôtes transformées est normale après l’isolation de la protéine.
La pièce A [copie de Leong et al., Molec. Endocrinol., 1992, volume 6, pages 870‑876] montre la séquence complète d’un vecteur utilisé pour exprimer l’ALS. La pièce A ne vise qu’à confirmer que l’expression de l’ALS a bel et bien été effectuée, après le dépôt de la présente demande. La pièce A ne vise d’aucune façon à ajouter de l’information au mémoire descriptif. Le demandeur est d’avis que le vecteur peut être mis au point à partir des directives figurant dans le mémoire descriptif. La pièce A confirme les affirmations de la demande selon lesquelles un vecteur peut être mis au point pour produire l’ALS. Le demandeur souligne qu’aucun élément de preuve n’a été présenté qui puisse mettre en question les affirmations figurant dans la demande. Cependant, le demandeur a confirmé les affirmations figurant dans la demande avec la pièce A ci‑jointe.
Ainsi qu’il a été mentionné ci‑dessus, le mémoire descriptif enseigne, pour la première fois, l’isolation du peptide ALS et il donne de l’information sur la séquence d’acides aminés de ce polypeptide à l’exemple 3 de la page 26. À la page 26, lignes 19 à 21, le demandeur déclare :
« Cette séquence d’acides aminés ne présente aucune homologie évidente avec d’autres récepteurs ou d’autres protéines IGF. »
Une personne versée dans l’art détenant le mémoire descriptif possède l’ALS, sous sa forme pure, les méthodes de purification de l’ALS décrites dans les exemples ainsi que les méthodes d’évaluation de l’utilité de l’ALS et des 18 premiers résidus d’acides aminés de l’ALS. Cette personne n’a pas besoin de faire appel à la faculté inventive ni à une expérimentation excessive pour obtenir a) la séquence complète d’acides aminés et, par codage inverse, les séquences nucléotidiques alternatives codant toutes l’ALS ou b) l’ADN complémentaire de l’ARN messager codant l’ALS décrit aux pages 11 à 13. L’inventeur a fourni dans le mémoire descriptif des directives claires indiquant aux personnes versées dans l’art, telles qu’un assistant technique, comment mettre en oeuvre l’invention, et cela suffit.
(ii) Les observations écrites
[16] À l’audience, le demandeur a présenté à la Commission un mémoire exposant d’autres motifs pour lesquels, à son avis, les revendications étaient conformes à la Loi et aux Règles. Il y écrit notamment :
[traduction]
Le demandeur signale que la décision Institut Pasteur, décision du commissaire aux brevets, ne change pas le droit établi concernant la suffisance de la description tel qu’il a été formulé par la Cour suprême du Canada dans l’interprétation du paragraphe 34(1). Cette disposition, essentiellement, demande à l’inventeur « En quoi consiste votre invention? Comment fonctionne‑t‑elle? » [citation de l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] R.C.S. 504, à la page 520]. Une divulgation qui ne permet pas à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention est invalide « parce que non suffisamment décrite » [citation de l’arrêt Pioneer Hi‑Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, paragraphe 29]
. . .
Le demandeur soutient que la Cour suprême, dans son exposé de ce qu’exige la suffisance du mémoire descriptif, a dit clairement que le mémoire descriptif doit décrire l’invention. La Cour suprême n’a pas dit qu’une invention doit être matériellement exécutée avant qu’on puisse la breveter. Cela n’est pas exigé pour la conformité au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets et le demandeur prétend que toute interprétation de la décision Institut Pasteur dans ce sens est simplement erronée.
. . .
Le demandeur attire l’attention de la commissaire sur le rappel de la jurisprudence canadienne concernant la suffisance de la description pour le brevet, présenté ci-dessus, et signale respectueusement que l’examinateur a commis une erreur en appliquant un critère incorrect. En particulier, l’examinateur a pris la position que les acides nucléiques, les vecteurs et les cellules hôtes ne pouvaient être revendiqués au motif qu’ils n’avaient pas été préparés au moment de la demande. Comme le demandeur l’a indiqué ci-dessus, le critère correct en ce qui concerne la suffisance de la description pour le brevet, tel qu’il a été confirmé par la Cour suprême du Canada, est de savoir si le mémoire descriptif décrit l’invention, et non si l’invention a été exécutée. Par conséquent, l’examinateur a omis d’examiner la question de savoir si l’invention avait été décrite de manière adéquate, refusant plutôt les revendications au motif que les réalisations n’avaient pas été exécutées.
. . .
Le demandeur affirme respectueusement qu’en date du 15 juillet 1988, date de priorité la plus ancienne de la présente demande, compte tenu de l’information figurant dans le mémoire descriptif, de l’état de la technique et du manuel Maniatis largement disponible, les personnes versées dans l’art auraient facilement pu obtenir une séquence nucléotidique codant un polypeptide ALS contenant la séquence d’acides aminés N‑terminale décrite à la revendication 20. De plus, étant donné la disponibilité généralisée de la technologie à la date de priorité, aucune expérimentation excessive n’aurait été nécessaire pour obtenir cette séquence nucléotidique.
. . .
Ainsi qu’il a été mentionné ci‑dessus, la demande de brevet en litige dans la décision Institut Pasteur se rapportait à la découverte d’une nouvelle classe de rétrovirus VIH (VIH‑2). Les inventeurs n’avaient pas décrit la purification ni le séquençage des protéines VIH‑2 et ils n’avaient pas non plus donné de directives pour exécuter de telles procédures. De plus, les inventeurs n’avaient ni mis au point d’anticorps (polyclonaux ou monoclonaux) dirigés contre les protéines VIH‑2 ni fourni d’information sur les protocoles à suivre pour le faire.
. . .
Le demandeur reconnaît que dans la décision Institut Pasteur, il était loisible au commissaire aux brevets de conclure que la description de la demande de brevet lui ayant été présentée ne fournissait pas suffisamment de moyens pour la production d’anticorps monoclonaux dirigés contre les antigènes protéiques du virus VIH‑2. Il s’agissait d’une conclusion de fait du commissaire fondée sur le contenu de la demande de brevet et de la preuve qui lui avait été présentée. Cependant, le demandeur soutient respectueusement que, dans la présente demande, les inventeurs ont fourni une divulgation suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de produire des anticorps réactifs à l’ALS. Plus particulièrement, le demandeur signale que le mémoire descriptif du brevet décrit un antigène bien caractérisé, qui comprend la séquence d’acides aminés N‑terminale. De plus, les inventeurs ont décrit la production d’un anticorps polyclonal contre l’ALS, qui est un anticorps réactif en soi en plus d’être un précurseur important d’un anticorps monoclonal. [Caractères gras dans l’original.]
[17] Certains autres extraits des observations écrites du demandeur sont cités ci-dessous.
(iii) Les affidavits des experts scientifiques
[18] L’auteur du premier affidavit présenté pour le demandeur est M. Charles Roberts, expert dans le domaine de la biochimie et de la biologie moléculaire. Les extraits les plus pertinents de son affidavit sont présentés et discutés ci-dessous dans la section Analyse .
[19] L’auteur du deuxième affidavit présenté pour le demandeur est M. James W. Goding, expert en immunologie et auteur de Monoclonal Antibodies: Principles and Practice (deuxième édition, 1986, Academic Press)[Goding], l’un des traités cités dans la Demande de brevet de l’Institut Pasteur (1995), 76 C.P.R. (3d) 206, décision du commissaire n°1206 [Pasteur]. Les extraits les plus pertinents de son affidavit sont aussi présentés et discutés ci-dessous dans la section Analyse.
IV. LE CADRE JURIDIQUE
a) Les dispositions législatives
[20] La demande a été déposée le 1er octobre 1989 et, en vertu de l’article 78.1 de la Loi sur les brevets, est régie par la Loi sur les brevets dans sa version antérieure à cette date et par l’article 38.1 de la Loi dans sa version actuelle. Par conséquent, sauf indication contraire, les renvois à la Loi sur les brevets dans le présent document sont des renvois à la Loi dans sa version antérieure au 1er octobre 1989.
[21] Contrairement à la position prise par demandeur dans ses observations écrites à la Commission, la présente demande est aussi clairement régie par le paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets dans sa version à la date de la décision finale puisqu’il se trouve dans la Partie V des Règles sous le titre « Demandes déposées avant le 1er octobre 1989 ».
[22] Le paragraphe 174(2) des Règles se trouve sous le titre « Forme et contenu de la demande » et dispose : « Chaque revendication se fonde entièrement sur la description ».
[23] Étant donné qu’un règlement est une forme de législation par délégation qui ne peut avoir d’effet en dehors de la loi habilitante, il faut lire le paragraphe 174(2) des Règles en parallèle avec le paragraphe 34(1) de la Loi qui est ainsi conçu :
(1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :
a) décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur;
b) expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;
c) s’il s’agit d’une machine, en explique le principe et la meilleure manière dont il a conçu l’application de ce principe;
d) s’il s’agit d’un procédé, explique la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention d’autres inventions;
e) indique particulièrement et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention.
[24] On trouve un complément distinct du paragraphe 34(1) de la Loi dans le paragraphe 34(2), qui est ainsi conçu :
(2) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif.
[25] Étant donné que la présente demande porte sur des matières biologiques, l’article 38.1 de la Loi dans sa version actuelle peut entrer en jeu. Cet article est applicable en vertu de l’article 78.1 de la Loi sur les brevets et est ainsi conçu :
(1) Lorsque le mémoire descriptif mentionne le dépôt d’un échantillon de matières biologiques et que ce dépôt est fait conformément aux règlements, l’échantillon est réputé faire partie du mémoire, et il en est tenu compte, dans la mesure où les conditions visées au paragraphe 27(3) [auparavant le paragraphe 34(1)] ne peuvent être autrement remplies, pour la détermination de la conformité du mémoire à ce paragraphe.
Absence de présomption
(2) Il est entendu que pareille mention n’a pas pour effet de faire du dépôt de l’échantillon une condition à remplir aux termes du paragraphe 27(3).
[26] Le dépôt de matières biologiques doit se faire au plus tard à la date de dépôt : article 184 des Règles sur les brevets.
b) La jurisprudence
(i) Le paragraphe 174(2) des Règles
[27] Les tribunaux n’ont guère eu à interpréter le paragraphe 174(2) des Règles ou l’un des textes équivalents, p. ex., l’article 25 des Règles dans sa version antérieure au 1er octobre 1989, le paragraphe 138(2) des Règles à l’égard des demandes déposées dans la période commençant le 1er octobre 1989 et se terminant le 30 septembre 1996 ou l’article 84 des Règles à l’égard des demandes déposées le 1er octobre 1996 ou par la suite. Toutefois, dans l’affaire Demande de CIBA (1974), décision du commissaire n° 208, la Commission, après avoir noté qu’il se peut qu’une seule phrase dans la divulgation fournisse un fondement suffisant justifiant les revendications de certaines inventions, a dit que le principe primordial était que l’inventeur ne peut revendiquer valablement ce qu’il n’a pas décrit (citant la décision Radio Corporation of America c. Raytheon Manufacturing Co. (1957), [1956‑1960] R.C. de l’É. 98, paragraphe 28, 27 C.P.R. 1), et la Commission a poursuivi en examinant la question de savoir si l’invention avait été suffisamment décrite comme l’exigeait la Loi [à l’époque, l’article 35 de la Loi sur les brevets; le paragraphe 34(1) pour les besoins actuels] et comme l’a exprimé la jurisprudence. Cette approche a également été suivie par la Commission dans l’affaire Pasteur lorsqu’elle se demande si les revendications relatives aux anticorps monoclonaux et aux hybridomes étaient « étayées ».
(ii) Le paragraphe 34(1) de la Loi
[28] L’équivalent du paragraphe 34(1) a été interprété dans la décision Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306 aux pages 316 et 317 [Minerals Separation] comme exigeant ce qui suit :
[traduction] Les divulgations d’un mémoire descriptif doivent décrire deux choses : l’invention et le fonctionnement ou l’utilisation de l’invention ainsi que l’a conçue l’inventeur et relativement à chacune, la description doit être exacte et complète. L’objectif sous-jacent à cette exigence est qu’à l’expiration du monopole, le public, ne disposant que du mémoire descriptif, sera en mesure d’utiliser efficacement l’invention de la même manière que l’inventeur au moment de sa demande. La description doit être correcte, ce qui signifie qu’elle doit être à la fois claire et précise. Elle doit être dénuée de toute obscurité ou ambiguïté évitables et être aussi simple et aussi distinctive que le permet la difficulté de la description. Elle ne doit pas comporter de déclarations erronées ou fallacieuses destinées à tromper ou à induire en erreur les personnes auxquelles elle est destinée, et ne pas rendre difficile à ces personnes, sans essai et expérimentation, la compréhension du mode d’application de l’invention. Elle ne doit pas, par exemple, prescrire l’emploi de méthodes facultatives de mise en oeuvre lorsqu’une seule est praticable, même si des personnes versées dans l’art en question seraient susceptibles de choisir la méthode praticable. La description de l’invention doit également être complète, ce qui signifie que sa portée doit être définie de sorte qu’aucun élément non décrit ne puisse être validement revendiqué. La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l’invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d’une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l’échec, ces avertissements doivent être présents. De plus, l’inventeur doit agir dans la plus absolue bonne foi et donner tous les renseignements qu’il connaît pour mettre en oeuvre l’invention de façon à obtenir le mieux possible le résultat qu’il a conçu. [Non souligné dans l’original.]
[29] Ces commentaires sont confirmés par ceux de la Cour suprême dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] R.C.S. 504, paragraphe 27, 6 C.P.R. (2d) 146 [Consolboard] :
Le paragraphe [34(1)] cherche à répondre aux questions suivantes : « En quoi consiste votre invention? Comment fonctionne-t-elle? » Quant à chacune de ces questions, la description doit être exacte et complète de sorte que, comme l’exprime le président Thorson dans Minerals Separation North American Corporation c. Noranda Mines, Limited. . . [Non souligné dans l’original.]
[30] Dans l’arrêt Consolboard, aux paragraphes 22 et 23, on trouve également les observations suivantes :
L’article 36 de la Loi sur les brevets est le pivot de tout le système des brevets. La description de l’invention qui y est faite est la raison pour laquelle l’inventeur obtient un monopole sur l’invention pour un certain nombre d’années. Comme le souligne Fox dans Canadian Patent Law and Practice (4e éd.), à la page 163, l’octroi d’un brevet est une sorte de marché entre l’inventeur d’une part et Sa Majesté, agissant pour le public, d’autre part. L’octroi a deux considérations : [TRADUCTION] « la première, c’est qu’il doit y avoir une invention nouvelle et utile, la seconde, l’inventeur doit, en contrepartie de l’octroi du brevet, fournir au public une description adéquate de l’invention comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole. » La description dont parle Fox est celle qui est exigée par l’art. 36 de la Loi sur les brevets.
On ne peut dire que la rédaction de l’art. 36 est heureuse. Elle donne l’impression d’être un brassage d’idées glanées au hasard plutôt qu’un effort pour énoncer, de façon concise et précise, un ou des principes directeurs. C’est peut-être explicable parce que l’article est le fruit de modifications successives au cours des années. Ce texte ne se prête tout simplement pas à une interprétation serrée et littérale. Il est et on doit le lire comme un énoncé du législateur, en termes généraux, de ce que le demandeur doit révéler à la face du monde avant d’être autorisé à obtenir la concession d’un monopole en vertu d’un brevet.
[31] Dans un arrêt portant sur un objet biologique, Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Commissaire aux brevets, [1989] 1 R.C.S. 1623, paragraphe 27, 25 C.P.R. (3d) 257 [Pioneer Hi-Bred], la Cour suprême a formulé des commentaires favorables sur l’arrêt Consolboard et la décision Minerals Separation et a ajouté :
La divulgation joue également un rôle important en ce qu’elle permet de retracer les étapes suivies et de distinguer entre la découverte d’un principe théorique ou d’un produit se trouvant dans la nature et l’invention qui requiert une activité humaine quant à son développement... Le mémoire descriptif facilitera ainsi le travail de l’examinateur et du commissaire des brevets ainsi que la tâche des tribunaux d’appel.
[32] L’arrêt Pioneer Hi-Bred (paragraphes 31 et 32) établit également le principe que les méthodes exposées dans le mémoire descriptif pour obtenir un produit biologique - dans cette affaire, une variété végétale obtenue par croisement - doivent permettre à une personne versée dans l’art d’arriver à l’invention revendiquée sans autres instructions et que l’invention ne doit pas être une découverte « par hasard ». Les faits de cette affaire indiquaient que l’inventeur avait employé « des techniques de sélection contrôlées particulières » et qu’une personne versée dans l’art ne pouvait découvrir les étapes suivies qu’empiriquement.
[33] Des décisions Minerals Separation, Consolboard et Pioneer Hi-Bred nous retenons que, fondamentalement, la conformité au paragraphe 34(1) exige que le mémoire descriptif fournisse deux choses fondamentales : (i) une description écrite de l’invention revendiquée, et (ii) une description fournissant les moyens nécessaires pour réaliser l’invention, ou du moins savoir comment l’invention pourrait être réalisée. À l’égard de chacune de ces exigences, il doit y avoir un respect correct et complet; [traduction] « Le fardeau de la divulgation que [le paragraphe 34(1)] impose à l’inventeur est lourd et astreignant » : Radio Corporation of America c. Raytheon Manufacturing Co. (précité). Il doit y avoir un degré d’assurance que l’inventeur a respecté sa part du marché et a payé son « prix » en divulgations : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, paragraphe 37, [2002] 4 R.C.S. 153, 21 C.P.R. (4th) 499. Un mémoire descriptif correct et complet facilite aussi le travail de l’examinateur et du commissaire.
[34] S’agissant des exigences du paragraphe 34(1), la Cour, dans la décision Ernest Scragg & Sons Ltd. c. Leesona Corp., [1964] R.C. de l’É. 649, paragraphe 209, a indiqué :
[traduction] Il est de droit constant que le mémoire descriptif n’est pas insuffisant du fait qu’un ouvrier habile ayant des compétences moyennes dans le domaine auquel se rapporte l’invention peut avoir à faire des essais ou des expériences pour obtenir le résultat de l’invention, à condition que ces essais ou expériences ne constituent pas en eux-mêmes des inventions et que l’ouvrier habile puisse obtenir le résultat souhaité en suivant l’enseignement du mémoire descriptif. Le mémoire descriptif est suffisant s’il met à sa disposition les moyens nécessaires pour réaliser l’invention et que des instructions suffisantes lui sont données pour lui permettre de savoir quels essais ou expériences il peut avoir à faire et comment les faire.
[35] Toutefois, dans la décision Di Fiore c. Tardi (1952), 16 C.P.R. 18 (C. de l’É.), il a été jugé que :
[traduction] Si un mémoire descriptif à lui seul ne met pas à la disposition d’une personne versée dans l’art auquel il se rapporte les moyens nécessaires pour utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur lui-même, sans que ce résultat soit laissé au hasard d’une expérience réussie, le mémoire descriptif est insuffisant pour satisfaire aux exigences du paragraphe 35(1) de la Loi [maintenant le paragraphe 27(3)] et le brevet tombe. [Non souligné dans l’original.]
[36] Par conséquent, il faut trouver un équilibre entre la reconnaissance des compétences de l’ouvrier habile et la reconnaissance des déficiences d’un mémoire descriptif.
[37] Sur ce point, la décision Pasteur (précitée) est particulièrement pertinente; elle portait sur la question de l’étayage insuffisant de revendications particulières d’anticorps monoclonaux anti-VIH-2 et de cellules hybridomes les produisant. Dans cette affaire, le mémoire descriptif ne comportait ni une description complète des anticorps monoclonaux revendiqués ni la méthode de leur production. La Commission a notamment fait observer :
La Commission doit donc se demander si le mémoire descriptif renferme une description exacteet complète de la préparation et des propriétés de l’hybridome et des anticorps monoclonauxvisés par les revendications 84 et 85 et si cette description est formulée en des termes clairs etconcis qui permettent à toute personne versée dans l’art de fabriquer et d’utiliser l’objet del’invention, conformément au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, dont le libellé est lesuivant. . .
La Commission ne trouve aucune précision concernant l’hybridome visé par la revendication 85 ou la façon de le produire, que ce soit dans les extraits précités ou dans l’ensemble de la description. Aucune description précise des anticorps monoclonaux visés par la revendication 84 ou de leur mode de production n’est divulguée. La seule indication à ce sujet est la mention de la possibilité de les produire [traduction] « par les techniques classiques ». Le seul enseignement technique précis est l’identité des antigènes. La description et l’identification des antigènes ne fournissent pas d’explications au sujet de l’hybridome ou des anticorps monoclonaux ni de directives suffisamment détaillées sur la façon de produire les anticorps. [Non souligné dans l’original.]
[38] La Commission a conclu :
De l’avis de la Commission, les hybridomes et les anticorps monoclonaux visés par les revendications 84 et 85 ne sont pas décrits dans la présente divulgation ni ne peuvent être produits à l’aide de celle-ci conformément aux exigences du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets. [Non souligné dans l’original.]
[39] Nous en concluons que, dans l’affaire Pasteur, la Commission a jugé que le mémoire descriptif était déficient par rapport tant à l’exigence d’une description écrite qu’à celle de la fourniture des moyens nécessaires. En fin de compte, on a octroyé au demandeur un brevet avec des revendications génériques d’un anticorps qui reconnaissait spécifiquement un antigène VIH-2.
[40] Une décision pertinente plus récente, Demande d’Alonso (2006), décision du commissaire n° 1269 [Alonso], se rapportait à la question de l’étayage de revendications larges qui embrassaient de nombreux types différents d’anticorps monoclonaux anti-tumeur. Dans cette affaire, l’examinatrice avait prétendu que les revendications devraient être limitées au seul anticorps monoclonal qui avait été effectivement déposé. La Commission a conclu :
Au paragraphe 38.1de la Loi, il est question du dépôt d’un échantillon de matières biologiques qui doit faire partie du mémoire et il doit en être tenu compte lorsqu’on détermine si le paragraphe 34(1) de la Loi a été respecté. Un dépôt peut donc être utilisé pour compléter la description écrite de l’invention lorsqu’on ne peut se conformer aux exigences du paragraphe 34(1) de la Loi par des mots seulement.
Dans la présente demande, le demandeur a divulgué une méthode censément nouvelle de préparation d’hybridomes humains-humains sécrétant des anticorps monoclonaux. Cinquante-six exemples sont fournis où des hybridomes sont préparés conformément à la méthode. On décrit chaque hybridome en indiquant les cellules tumorales et les splénocytes qui sont mélangés ensemble, une lignée de fusion et une classe d’anticorps monoclonaux sécrétés. Chaque exemple mentionne que l’anticorps réagit contre un antigène de surface idiotypique. Chaque type de cellules tumorales énumérées à la revendication 7 est utilisé au moins dans un des exemples.
La Commission estime que le demandeur a décrit ses hybridomes et leur méthode de préparation de façon suffisamment détaillée pour qu’une personne versée dans l’art puisse appliquer l’invention sans référence à un dépôt de matières biologiques. La Commission ne reconnaît pas que les revendications 10 et 11 ont une portée plus large que le contenu de la description et qu’elles doivent être limitées à [l’hybridome particulier déposé]. [Non souligné dans l’original.]
[41] Par conséquent, à condition qu’elles soient bien étayées, il n’y a pas d’exigence stricte que les revendications soient limitées aux hybridomes produisant des anticorps monoclonaux qui avaient été déposées ou que les revendications soient limitées à des anticorps monoclonaux particuliers. Fait important, la décision confirme l’idée qu’un dépôt peut être pris en compte lorsqu’on ne peut donner une description complète d’une invention revendiquée avec des mots seulement. Toutefois, la référence à un dépôt n’est pas destinée à remplacer la description écrite de l’invention, mais à lui servir de complément.
[42] Dans l’affaire Demande de Yeda Research & Development Co. (2007), 59 C.P.R. (4th) 464, décision du commissaire n° 1273 [Yeda R & D], nous voyons un scénario semblable se dérouler à l’égard d’une revendication relative à une protéine de liaison du facteur de nécrose des tumeurs préparée au moyen d’un recombinant ainsi que d’une revendication relative à une molécule d’ADN codant la protéine. Dans cette affaire, la demande décrivait une protéine isolée et la caractérisait au moyen d’une structure partielle. La demande décrivait également les techniques, qui étaient connues, qu’on pourrait éventuellement utiliser pour isoler et caractériser une molécule d’ADN codant la protéine. La Commission a conclu :
Dans la présente demande, la Commission juge que la demanderesse, ou une personne versée dans l’art, aurait été capable d’utiliser la séquence d’acides aminés codant un fragment de la TBP-II en tant qu’outil pour obtenir éventuellement une séquence de nucléotides codant la TBP-II et, par conséquent, les produits définis aux revendications 21 à 23, qui seraient utilisés dans le procédé de la revendication 24. Cependant, la demande ne divulgue pas la séquence de nucléotides qui forme la base des revendications. Elle décrit plutôt une voie ou un procédé à suivre pour obtenir une telle séquence et invite essentiellement les autres à suivre cette voie pour isoler la séquence. À cet égard, la demande est semblable à la demande « Pasteur ». La Commission estime qu’il n’y a pas eu « divulgation régulière » de la séquence de nucléotides codant la TBP-II et que, par conséquent, il n’y a pas étayage suffisant pour les produits et les procédés définis aux revendications 21 à 24. Selon le système des brevets, il faut divulguer une invention en échange des droits conférés par un brevet. [Souligné dans l’original.]
[43] De cette décision, nous concluons que la Commission jugeait que le mémoire descriptif dans cette demande était déficient principalement à l’égard de l’exigence d’une description écrite, la Commission ne semblant pas avoir de difficulté à accepter que le mémoire descriptif donnait une description de la façon dont une personne versée dans l’art procéderait pour obtenir le produit d’ADN voulu.
(iii) La date pertinente pour apprécier la conformité au paragraphe 34(1) de la Loi
[44] Ainsi qu’il est indiqué ci-dessous dans la section Analyse, nous ne pensons pas que la question de la date pertinente pour apprécier la conformité au paragraphe 34(1) à l’égard de l’exigence de fourniture des moyens nécessaires est cruciale pour nos conclusions dans la présente affaire. Toutefois, à l’égard de l’exigence d’une description écrite au paragraphe 34(1), nous ne pouvons accepter la position du demandeur.
[45] À l’audience et dans ses observations écrites correspondantes, le demandeur a beaucoup insisté sur le point que la date pertinente pour apprécier la conformité au paragraphe 34(1) de la Loi est la date où le brevet est finalement octroyé. Le demandeur a présenté les observations suivantes :
[traduction] Néanmoins, il est très important de noter que, pour une demande de brevet canadienne déposée avant le 1er octobre 1989, la date à laquelle il faut se conformer au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets est la date à laquelle le brevet est octroyé. Voir l’arrêt AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.).
La question a été récemment discutée de manière approfondie dans la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2005), 43 C.P.R. (4th) 161, confirmée par (2006), 46 CP.R. (4th) 401 :
[262] Dans l’affaire AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. [1995] A.C.F. no 744, au paragraphe 23, 61 C.P.R. (3d) 417, la Cour d’appel fédérale était appelée à déterminer la date à laquelle devait être évaluée la suffisance de la divulgation. Le juge de première instance avait retenu la date de priorité – c’est-à-dire la date du dépôt du brevet américain correspondant – plutôt que la date à laquelle le brevet canadien avait été délivré. Pour conclure que le juge de première instance avait commis une erreur à cet égard, la Cour d’appel fédérale a statué que c’est la date de délivrance du brevet et non la date de priorité qu’il faut retenir pour évaluer le caractère suffisant de la divulgation.
[267] Je reconnais que le fait d’utiliser la date de délivrance du brevet pour évaluer la suffisance de la divulgation du brevet 206 a, dans ces conditions, pour effet de permettre à Schering d’obtenir un monopole en échange d’une contrepartie insuffisante et de profiter ensuite de l’évolution de l’état des connaissances publiques alors que la demande est encore en instance.
[268] Il semble toutefois que l’arrêt AlliedSignal représente l’état actuel du droit canadien sur la question. En conséquence, comme la présumée invention contenue dans le brevet 206 pourrait être mise en pratique, sur le fondement des connaissances générales que posséderait une personne versée dans l’art en 2001, Apotex n’a pas réussi à me persuader que le brevet 206 est invalide parce qu’il ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 34(1) de l’ancienne Loi sur les brevets.
Il est clairement établi en droit que, dans la présente demande, déposée avant le 1er octobre 1989, le mémoire descriptif ne doit être conforme au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets qu’à la date où la demande donne lieu à la délivrance du brevet. Le demandeur soutient qu’il n’y a aucun doute, qu’en date d’aujourd’hui, la préparation des acides nucléiques codant une protéine partiellement séquencée, les vecteurs d’expression comprenant les acides nucléiques, les cellules transformées avec les vecteurs et les anticorps polyclonaux et monoclonaux à un antigène visé sont tous devenus monnaie courante, dans les capacités d’une personne possédant des compétences ordinaires dans le domaine. [Caractères gras dans l’original.]
[46] En réponse à ces observations, nous notons que l’arrêt AlliedSignal n’a pas expressément renversé la jurisprudence antérieure selon laquelle la date de dépôt est la date pertinente. Cette jurisprudence comprend les décisions De Forest Phonofilm of Canada Ltd. c. Famous Players Canadian Corp., [1931] R.C. de l’É. 27, paragraphe 19, et American Cyanamid Co. c. Charles E. Frosst & Co., [1965] 2 R.C. de l’É. 355, paragraphe 228, 47 C.P.R. 215. Des décisions d’autres pays postérieures à l’arrêt AlliedSignal qui correspondent plus étroitement aux faits de la présente affaire indiquent aussi que la date de dépôt est la date pertinente : voir les arrêts Biogen Inc. c. Medeva PLC (1996), [1997] R.P.C. 1, à la page 54 (H.L.), et Chiron Corp. c. Genentech Inc. (2004), 70 U.S.P.Q.2d 1321, aux pages 1325 et 1326 (Fed. Cir.), 363 F.3d 1247.
[47] Compte tenu de ce qui précède, nous ne sommes pas convaincus que la question est bien réglée en ce qui concerne l’exigence de mise à disposition des moyens nécessaires au paragraphe 34(1).
[48] Nous notons aussi que l’arrêt AlliedSignal n’a pas statué expressément sur la date pertinente pour l’exigence de la description écrite du paragraphe 34(1). À cet égard, nous n’acceptons pas l’arrêt AlliedSignal comme établissant le principe qu’on peut remédier à une déficience de la description écrite sur la base de ce qui est connu aujourd’hui. Dire que la date pertinente pour apprécier le respect de l’exigence d’une description écrite est le jour où le brevet est effectivement délivré va à l’encontre de toute l’économie de la Loi sur les brevets. Si la date pertinente pour donner une description écrite d’une invention était la date de délivrance du brevet, le public n’obtiendrait rien qui vaille en contrepartie du monopole qu’il doit subir.
[49] En outre, nous notons qu’on trouve dans la Loi sur les brevets plusieurs indications qui donnent à penser que la date pertinente pour apprécier la conformité au paragraphe 27(3) [auparavant le paragraphe 34(1)] est la date de dépôt.
[50] L’article 38.1 de la Loi indique que les dépôts d’échantillons de matières biologiques peuvent être pris en compte dans l’appréciation de la conformité au paragraphe 27(3) à l’égard d’inventions biotechnologiques, mais les articles 104, 160 et 184 des Règles sur les brevets prévoient que les dépôts doivent être faits au plus tard à la date de dépôt, sans quoi ils ne peuvent être pris en compte. Donc, dans le cas d’une invention qui fait appel à un dépôt d’échantillons de matières biologiques pour satisfaire aux exigences d’une description écrite et/ou de fourniture des moyens nécessaires prévues au paragraphe 27(3), il est clairement établi dans la loi que la date pertinente est la date de dépôt.
[51] Le paragraphe 38.2(2) de la Loi dispose que le mémoire descriptif ne peut être modifié pour ajouter des éléments qui ne peuvent raisonnablement s’inférer de celui-ci ou des dessins faisant partie de la demande, ce qui signifie qu’aucune nouvelle description écrite ne peut être ajoutée, notamment des descriptions de renseignements cruciaux sur la structure, comme une séquence complète d’acides aminés, découverts après le dépôt.
[52] Conscients que le paragraphe 34(1) se trouve au coeur de tout le régime des brevets, nous rejetons donc l’idée que le demandeur puisse obtenir un monopole sur une chose qu’il n’a pas décrite au moment du dépôt en renvoyant à une description de l’invention qu’il ne fournira au public que plus tard.
(iv) La jurisprudence étrangère pertinente par rapport au paragraphe 34(1)
[53] L’examinateur et le demandeur ont tous deux cité diverses décisions des États-Unis au soutien de leur position.
[54] Par exemple, dans la décision finale, l’examinateur a cité l’arrêt Fiers v. Sugano (1993), 25 U.S.P.Q.2d 1601–1607 (Fed. Cir.), comme établissant le principe qu’une molécule chimique (en l’espèce, un acide nucléique codant l’interféron bêta de fibroplastes humains) exige plus qu’une conception de la molécule; ce qu’il faut, c’est une description écrite précise de la molécule, par exemple par sa structure, par une formule, par son nom chimique ou par ses propriétés physiques, non le simple souhait ou plan d’obtenir la molécule revendiquée.
[55] Dans ses observations écrites, le demandeur a cité l’arrêt Noelle v. Lederman (2004), 69 U.S.P.Q.2d 1508 (Fed. Cir.), comme établissant le principe que le demandeur, dans la mesure où il peut donner une description complète d’un antigène, que ce soit pas sa structure, par son nom chimique ou par ses propriétés physiques, ou en déposant l’antigène auprès d’une autorité de dépôt publique, peut revendiquer un anticorps, notamment un anticorps monoclonal, par son affinité de liaison avec l’antigène décrit.
[56] Certes, les décisions des États-Unis ne font pas autorité au Canada, mais nous comprenons qu’elles peuvent être éclairantes, surtout que la formulation du paragraphe 34(1) a été empruntée, à l’origine, de l’article équivalent de la loi américaine. Toutefois, nous n’avons pu tirer sans difficulté que deux conclusions après avoir examiné la pratique aux États‑Unis. Premièrement, nous notons que la pratique aux États-Unis, sur la base de nombreuses décisions, reconnaît que le premier paragraphe de l’article 35 U.S.C. 112 prévoit l’exigence d’une description écrite et une exigence distincte de fourniture des moyens nécessaires : United States Patent and Trademark Office, Manual of Patent Examination Procedure, Section 2161. Deuxièmement, il est manifeste que, dans la pratique américaine, un mémoire descriptif peut être considéré comme fournissant les moyens nécessaires sans décrire l’invention et vice-versa.
[57] À part le droit des États-Unis, nous notons aussi que le lord juge Hoffman, dans l’arrêt Synthon BV v. SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, a formulé les observations suivantes au paragraphe 28 :
[traduction] Il est très important de se rappeler que la divulgation et la fourniture des moyens nécessaires sont des notions distinctes, qu’il faut satisfaire à chacune d’elles et que chacune comporte ses propres règles.
[58] Cette décision du Royaume-Uni confirme ainsi l’existence des deux mêmes notions juridiques distinctes, la divulgation [description écrite] et la fourniture des moyens nécessaires, qui doivent chacune être examinées pour apprécier la suffisance.
(v) Le paragraphe 34(2) de la Loi
[59] Si nous passons aux indications sur le paragraphe 34(2) de la Loi, nous notons les observations suivantes faites dans la décision Minerals Separation (à la page 352) :
[traduction] En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.
[60] Dans la décision Yeda R & D, la Commission, en invoquant la décision Minerals Separation, a aussi examiné le rejet, sur le fondement du paragraphe 27(4) (l’ancien paragraphe 34(2)) de la Loi), d’une revendication relative à une protéine de liaison du facteur de nécrose des tumeurs qui était définie en fonction de sa structure partielle et de sa fonction. Dans cette affaire, la Commission n’a pas critiqué la formulation de la revendication et a conclu : « la Commission comprend clairement ce que la demanderesse tente de protéger ». Elle reconnaissait ainsi que la fonction d’« avis public » que jouent les revendications avait été remplie : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, paragraphe 42, (2001) 9 C.P.R. (4th) 129.
V. ANALYSE ET CONCLUSIONS
[61] Bien que les revendications 19 à 34 semblent avoir été rejetées pour les mêmes motifs, elles se rapportent à deux types de matière technique : les molécules d’acide nucléique (revendications 19 à 24 et 29 à 34) et les anticorps (revendications 25 à 28). Comme chaque type de matière présente ses propres questions techniques, nous traiterons séparément chaque groupe de revendications.
[62] Il se pose donc un certain nombre de questions particulières relatives aux acides nucléiques qu’il faut traiter : la conformité des revendications relatives aux acides nucléiques au paragraphe 34(2); la conformité des revendications relatives aux acides nucléiques à l’exigence de fourniture des moyens nécessaires prévue au paragraphe 34(1) et la conformité des revendications relatives aux acides nucléiques à l’exigence d’une description écrite prévue au paragraphe 34(1). Ces mêmes questions particulières seront également traitées dans cet ordre à l’égard des revendications relatives aux anticorps.
[63] Puisque le demandeur a indiqué à l’audience que la revendication 19 sera supprimée, nous procéderons à l’analyse sur le fondement que cette revendication n’est pas en litige et qu’elle sera supprimée. Nous ne tiendrons pas compte de cette revendication.
a) Conformité des revendications relatives aux acides nucléiques au paragraphe 34(2) de la Loi
[64] La dernière phrase de la décision finale porte que [traduction] « les composés visés par les revendications 19 à 34 ne sont pas décrits “distinctement et en termes explicites” comme le prévoit le paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets dans sa version antérieure au 1er octobre 1989 et ne sont donc pas admissibles ». Bien que cette déficience ne soit mentionnée qu’en passant dans la décision finale et que le demandeur, sur la base d’autres commentaires de l’examinateur, ait supposé qu’il s’agissait d’une déficience par rapport au paragraphe 34(1), nous commencerons néanmoins par traiter la déficience par rapport au paragraphe 34(2) avant de passer à la question plus substantielle de la conformité au paragraphe 174(2) des Règles et au paragraphe 34(1) de la Loi. Nous procéderons de même dans notre analyse des revendications relatives aux anticorps.
[65] Les revendications 20, 29 et 30 sont représentatives des revendications relatives aux acides nucléiques rejetées dans la décision finale et qui sont encore contestées. Ces revendications sont reproduites ci-dessous:
[traduction]
20. Séquence d’acides nucléiques recombinants conforme à la revendication 19, où ladite sous‑unité labile aux acides (ALS) porte la séquence partielle d’acides aminés N‑terminale suivante :
Gly
Asp Pro Gly Thr Pro Gly Glu Ala Glu Gly Pro Ala Cys Pro Ala Ala Cys
Ala
où le premier acide aminé peut être Gly ou Ala.
29. Isolat d’acides nucléiques qui porte une séquence d’acides nucléiques codant la séquence :
Gly
Asp Pro Gly Thr Pro Gly Glu Ala Glu Gly Pro Ala Cys Pro Ala Ala Cys
Ala
où le premier acide aminé peut être Gly ou Ala.
30. Isolat d’acides nucléiques qui porte une séquence d’acides nucléiques codant les résidus de séquence 1‑5, 2‑7, 5‑9, 7‑11, 8‑14,11‑15,13‑17,3‑9, 2‑8, 4‑10, 6‑12, 8‑14, 10‑16, 12‑18, 1‑6, 3‑9, 5‑11, 7‑13, 9‑15, 11‑17, 4‑9, 6‑11, 8‑13,10‑15 ou 12‑17 de la sous‑unité labile aux acides (ALS), où les résidus des acides aminés de la sous‑unité labile aux acides (ALS) sont numérotés à partir de l’extrémité N‑terminale de la séquence d’acides aminés telle qu’elle est définie dans la revendication 1.
[66] S’agissant d’abord de la revendication 20, nous notons que la revendication fait mention d’une « séquence d’acides nucléiques recombinants » codant la « sous‑unité labile aux acides (ALS) du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF) » qui est caractérisée par la séquence partielle d’acides aminés N‑terminale indiquée dans la revendication.
[67] Selon le domaine de l’invention, [traduction] « l’invention concerne un polypeptide auparavant inconnu et non caractérisé, ci‑après appelé sous‑unité labile aux acides (ALS) du complexe de protéines de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF) ». Le terme « ALS » est utilisé de nombreuses fois dans la description, par exemple du début de la page 5, ligne 12 à la page 7, ligne 26 :
[traduction]
- « La présente invention concerne l’ALS, un polypeptide qui lie et stabilise in vivo un complexe constitué de l’IGF et de sa protéine de liaison stable en milieu acide BP‑53 » (page 5, lignes 12 à 15);
- « L’ALS porte de préférence la séquence partielle d’acides aminés N‑terminale suivante . . . » (page 6, lignes 28 et 29);
- « L’ALS est fonctionnellement défini comme un polypeptide labile aux acides qui est capable de se lier ou de s’associer à des complexes formés par la liaison ou l’association de l’IGF avec la protéine de liaison stable en milieu acide BP‑53 définie ci‑dessus » (page 7, lignes 4 à 7);
- « L’ALS peut être caractérisé par :
i) sa labilité aux acides, c’est‑à‑dire qu’il est instable si le pH est inférieur à 4;
ii) sa liaison à la protéine de liaison de l’IGF stable en milieu acide qui est occupée par l’IGF;
iii) son poids moléculaire approximatif se situant entre 80 Kd et 115 Kd, tel qu’il est mesuré par la méthode SDS‑PAGE » (page 7, lignes 16 à 22). [Non souligné dans l’original.]
[68] À partir de cette description, nous concluons que certaines des caractéristiques employées pour décrire le polypeptide ALS ne sont que des préférences, par exemple en ce qui concerne la séquence d’acides aminés N‑terminale et le poids moléculaire. Par conséquent, nous comprenons que le terme « ALS » utilisé seul englobe littéralement tout polypeptide présentant la fonctionnalité déclarée.
[69] Il importe de noter que la séquence d’acides aminés décrite à la revendication 20 joue un rôle critique dans la distinction du polypeptide ALS visé par la revendication d’autres types de polypeptides, car la séquence N‑terminale ne présente [traduction] « aucune homologie évidente avec d’autres récepteurs ou d’autres protéines IGF » (page 26, lignes 20 et 21).
[70] Une personne versée dans l’art comprendrait que l’expression « séquence d’acides nucléiques recombinants » implique que la séquence d’acides nucléiques de la revendication était, ou pouvait être, préparée ou obtenue au moyen de techniques communément utilisées en biologie moléculaire ou en ingénierie génétique comme celles qui sont exposées dans l’ouvrage Molecular Cloning: A Laboratory Manual, Cold Spring Harbour Laboratory, New York, 1992, Maniatis et. al. (cité à la page 11, ligne 5 de la description [Maniatis]).
[71] Puisque la revendication emploie le terme « séquence », il pourrait exister un fondement marginal à la prétention selon laquelle la revendication est ambiguë en ce qu’elle vise à tort les « renseignements sur la séquence d’information » par opposition à l’objet véritable, c’est-à-dire un composé chimique. Toutefois, nous poursuivrons l’analyse sur la base de la supposition raisonnable que le terme « séquence » aurait été compris par une personne versée dans l’art comme ayant le sens de « molécule à séquences » ou simplement de « molécule ». Ainsi, la revendication suppose la fourniture d’une « structure de séquences nucléotidiques » d’une molécule d’acide nucléique, et non simplement une molécule d’acide nucléique ayant la capacité inhérente de coder un polypeptide ALS.
[72] Compte tenu de ce qui précède, une personne versée dans l’art comprendrait que l’objet que le « demandeur considère comme nouve[au] et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » est une famille de molécules d’acide nucléique qui peuvent être préparées au moyen de techniques de recombinaison et qui codent un polypeptide qui lie et stabilise in vivo un complexe constitué de l’IGF et de la protéine de liaison stable en milieu acide BP-53, et qui comprend au minimum la (les) séquence(s) partielle(s) d’acides aminés N-terminale(s) indiquée(s) dans la revendication 20. C’est par le moyen de ces « choses ou combinaisons » que le demandeur exprime distinctement et en termes explicites ce sur quoi il compte obtenir un monopole.
[73] En l’espèce, nous concluons que le sens des termes et des limitations employés dans la revendication 20 à l’égard du polypeptide ALS serait compris par une personne versée dans l’art. Il ne semble pas y avoir de raison de croire qu’une personne versée dans l’art ne serait pas capable de comprendre le sens de la formulation de la revendication ou sa portée. Tout comme dans l’affaire Yeda R & D, nous trouvons un polypeptide défini par la structure partielle et la fonction. Il semble que l’extension de la revendication 20 à une séquence d’acides nucléiques recombinants qui code un polypeptide ALS serait aussi clairement comprise par une personne versée dans l’art.
[74] S’agissant des revendications 29 et 30, nous notons qu’elles sont plus larges que la revendication 20. Dans le cas de la revendication 29, il n’y a aucune mention d’un polypeptide de l’« ALS ». Dans le cas de la revendication 30, on y mentionne des fragments peptidiques de la séquence N-terminale de l’ALS. Dans le cas de la revendication 29, il semble y avoir une suppression de la limitation fonctionnelle découlant du terme « ALS » et, dans le cas de la revendication 30, il semble y avoir une suppression d’une limitation structurale, c’est-à-dire de l’exigence de la séquence complète d’acides aminés N-terminale qui est exprimée dans la revendication 20. Néanmoins, il nous faut encore conclure que les revendications 29 et 30 sont précises à l’égard du polypeptide et indiquent clairement à une personne versée dans l’art ce que le demandeur considère comme son invention, en bonne partie par la présence dans ces revendications des caractéristiques structurales qui ont été indiquées comme distinctives.
[75] Par comparaison avec la revendication 20, les revendications 29 et 30 mentionnent aussi un « isolat d’acides nucléiques qui porte une séquence d’acides nucléiques codant . . . » . Sur le fondement de cette terminologie, on peut raisonnablement interpréter les revendications comme signifiant qu’elles portent sur un « isolat d’acides nucléiques qui porte une partie qui est elle-même capable de coder un polypeptide comprenant au moins les peptides mentionnés dans la revendication ». Les revendications embrassent donc un isolat, comme un clone, un plasmide ou un vecteur, qui possède une capacité inhérente de coder un polypeptide ALS complet. À la différence de la revendication 20, il n’est pas nécessaire que les revendications comprennent une indication explicite de la structure ou de la séquence nucléotidique de la partie qui code pour un polypeptide ALS complet.
[76] Avant de laisser la question de la conformité au paragraphe 34(2), il importe de comprendre que, dans la présente affaire, les revendications 29 et 30, interprétées raisonnablement et de façon large, embrassent un genre de molécules d’acide nucléique dont le membre le plus désirable est une molécule d’acide nucléique qui est capable de coder la séquence entière d’acides aminés d’un polypeptide ALS complet. Un polypeptide ALS complet aurait une longueur d’environ 800 à 1 100 acides aminés si l’estimation de son poids moléculaire faite par le demandeur est correcte. De même, nous dirions que la revendication 20 embrasse une molécule d’acide nucléique qui comporte une séquence nucléotidique codant un polypeptide ALS complet.
b) Non-conformité des revendications relatives aux acides nucléiques au paragraphe 174(2) des Règles et au paragraphe 34(1) de la Loi
[77] Le principal motif de rejet des revendications relatives aux acides nucléiques consiste dans la non-conformité au paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets, ce qui implique nécessairement que les revendications ne sont pas non plus conformes au paragraphe 34(1) de la Loi. D’ailleurs, la décision finale et la réponse et les observations du demandeur traitent presque exclusivement de ces questions.
[78] L’examinateur et le demandeur s’intéressent surtout à la question de l’étayage d’une revendication relative à une molécule d’acide nucléique codant un polypeptide ALS complet. Donc, la principale question que nous devons trancher, formulée de façon plus précise, consiste à savoir si la divulgation d’un polypeptide ALS fournit un étayage suffisant à des revendications relatives à des molécules d’acide nucléique qui sont capables de coder un polypeptide ALS complet.
(i) Non-conformité des revendications relatives aux acides nucléiques à l’exigence de fourniture des moyens nécessaires prévue au paragraphe 34(1) de la Loi
[79] Nous avons glané dans le mémoire descriptif l’information ci‑dessous concernant l’ALS :
i) l’ALS est un type de polypeptide fonctionnellement défini comme un polypeptide labile aux acides qui est capable de se lier ou de s’associer à des complexes formés par la liaison ou l’association de l’IGF avec la protéine de liaison stable en milieu acide BP‑53;
ii) la description divulgue de l’information sur la séquence N‑terminale d’un polypeptide ALS;
iii) la taille d’une molécule de l’ALS est estimée entre 80 Kd et 115 Kd;
iv) un polypeptide ALS a apparemment été purifié et (partiellement) caractérisé dans une mesure jugée adéquate pour permettre des revendications se rapportant aux polypeptides ALS en soi.
[80] Le lecteur est renvoyé au manuel Maniatis, qui expose les méthodes proposées considérées comme utiles pour obtenir une molécule recombinante d’ADNc de l’ALS (page 11, deuxième paragraphe). En gros, ces méthodes renvoient à des techniques couramment utilisées dans l’art, telles que l’extraction d’ARNm, la synthèse d’ADNc, le sous‑clonage, le criblage et d’autres manipulations.
[81] L’une des méthodes proposées, notamment, décrit l’insertion d’ADNc dans un vecteur d’expression suivie d’un criblage fondé sur la réaction du polypeptide ALS exprimé à un anticorps dirigé contre le polypeptide purifié (page 11, lignes 25 à 29). Un tel anticorps est illustré et décrit à la page 18, lignes 10 à 12. Par conséquent, la demande appuie l’utilisation d’un réactif par une personne versée dans l’art dans le but de cloner ou d’obtenir une molécule d’acide nucléique codant l’ALS. La capacité de l’anticorps de réagir spécifiquement à un produit d’expression de l’ALS dans un essai de criblage reste indéterminée, car la demande ne fournit aucune donnée concernant la possibilité de réactivité croisée de l’anticorps avec d’autres protéines.
[82] Une autre méthode proposée (la méthode des « sondes dégénérées »), décrite dans la demande à la page 11, lignes 19 à 23, repose sur [traduction] « des oligonucléotides spécifiques fondés sur la séquence d’acides aminés N‑terminale de l’ALS mentionnée précédemment » pour le criblage d’une bibliothèque d’ADNc ou d’une bibliothèque de lambda offerte sur le marché. Si on donnait à une personne versée dans l’art une séquence d’acides aminés, elle pourrait facilement déduire et décrire la séquence d’acides nucléiques qui la code simplement en effectuant une traduction inverse de la séquence d’acides aminés. Par conséquent, il est facile de décrire et de fabriquer un oligonucléotide codant en tout ou en partie l’extrémité N‑terminale du polypeptide ALS. Rappelons que la demande appuie un autre type de réactif qui pourrait être utilisé pour tenter de cloner ou d’obtenir un acide nucléique codant un polypeptide ALS (p. ex., un acide nucléique codant l’extrémité N‑terminale du polypeptide ALS). En raison de la dégénérescence de la séquence, la question de savoir si une séquence d’acides nucléiques ou un oligonucléotide donné se lierait exclusivement à un acide nucléique cible dans le cadre d’un essai de criblage est toutefois moins claire. Cependant, la lecture de l’ensemble du mémoire descriptif et de la demande du demandeur permet de comprendre que c’est une molécule d’acide nucléique beaucoup plus grande codant un polypeptide ALS complet qui est le type de molécule d’acide nucléique le plus fortement cherché parmi ceux visés par les revendications.
[83] En ce qui concerne la fourniture des moyens nécessaires, le demandeur a adopté la position qui peut se résumer par renvoi au paragraphe qui débute à la page 7 et se termine à la page 8 des observations écrites présentées à la Commission lors de l’audience :
[traduction] Le demandeur affirme respectueusement qu’en date du 15 juillet 1988, date de priorité la plus ancienne de la présente demande, compte tenu de l’information figurant dans le mémoire descriptif, de l’état de la technique et du manuel largement disponible, les personnes versées dans l’art auraient facilement pu obtenir une séquence nucléotidique codant un polypeptide ALS contenant une séquence d’acides aminés N‑terminale correspondant à la revendication 20. De plus, étant donné la disponibilité généralisée de la technologie à la date de priorité, aucune expérimentation excessive n’aurait été nécessaire pour obtenir cette séquence nucléotidique.
[84] Au soutien de sa position, le demandeur a déposé un affidavit du Dr Charles Roberts, expert en biochimie et en molécules. Nous avons examiné l’affidavit, plus particulièrement les paragraphes 10, 15 et 21 à 23, qui contiennent l’information suivante :
[traduction] 10. En date de 1988, deux approches générales étaient largement connues et utilisées par les microbiologistes pour la construction de sondes. La première méthode consistait en une synthèse d’un mélange d’oligonucléotides courts représentant différentes séquences de sonde qui, en raison de la dégénérescence, pourraient coder la même séquence d’acides aminés. Ces collectes étaient appelées « sondes dégénérées ». La seconde méthode consistait en une synthèse d’une sonde unique d’oligonucléotides longs, appelée sonde « guessmer », plus longue mais moins dégénérée. La séquence « guessmer » était fondée sur l’information existant au sujet des codons qui étaient les plus couramment utilisés pour des acides aminés en particulier. Cette approche était justifiée par le fait que même si une sonde unique présentait des incompatibilités avec la séquence cible authentique, elle représentait une amélioration en raison de sa longueur et de sa stabilité accrues par rapport à celles des sondes dégénérées, plus courtes. Il était pratique courante en date du 15 juillet 1988 d’utiliser des sondes à ADN fondées sur l’une ou l’autre des méthodes (sondes dégénérées et sondes « guessmer ») pour isoler des acides nucléiques et des bibliothèques d’ADN génomique et d’ADNc.
15. Compte tenu de l’état de la technique en biologie moléculaire en date du 15 juillet 1988, une personne versée dans l’art aurait disposé d’un fondement factuel solide pour prédire qu’à partir d’une séquence polypeptidique connue, l’ADNc ou l’ADN génomique codant la séquence polypeptidique pouvait être isolé en utilisant la technique de l’hybridation de l’ADN. Une personne versée dans l’art aurait aussi disposé d’un fondement factuel solide pour prédire que l’ADN isolé pouvait être utilisé dans la production d’un vecteur et la transformation d’une cellule hôte au moyen de techniques largement diffusées dans des manuels et des guides bien connus.
21. Le fait que la conception, la synthèse et l’utilisation de sondes à ADN de type « guessmer » dans le but d’isoler des acides nucléiques codant des protéines étaient des techniques connues et utilisées bien avant le 15 juillet 1988 est étayé par au moins les publications suivantes, dont des copies sont jointes comme pièces 2, 3, 10 et 11.
22. À la lumière de l’information fournie dans la demande de brevet, à savoir que la séquence N‑terminale de l’ALS était connue en date de 1988, une personne versée dans l’art aurait pu mettre au point une sonde pouvant détecter un clone ADNc de l’ALS, même en présence d’autres séquences de sonde apparentées, mais non exactement complémentaires.
23. En fait, les procédures déclarées ultérieurement dans la demande de brevet seraient efficaces pour isoler un clone ADNc de l’ALS. Dans un article publié en 1992 (Leong et al., Molec. Endocrinol. 6:870), « Leong », dont une copie est jointe comme pièce 12, on décrit le clonage d’un ADNc codant l’ALS humain au moyen des mêmes techniques que celles décrites dans la demande de brevet. Leong explique comment quatre sondes à ADN ont été mises au point, chacune correspondant à un peptide ALS différent. Leong n’a pas utilisé de sondes à ADN dégénérées. Leong a plutôt conçu et synthétisé une sonde « guessmer » pour chacun des quatre peptides. Compte tenu du fait que Leong a indiqué que deux des quatre sondes à ADN étaient efficaces, une personne versée dans l’art s’attendrait à ce que l’utilisation de sondes correspondant, par exemple, au peptide N‑terminal obtienne le même succès.
[85] L’affidavit indique donc qu’au moment du dépôt de la demande, il existait deux méthodes de clonage largement répandues qui auraient été connues d’une personne versée dans l’art, en l’occurrence la méthode des sondes dégénérées et la méthode des sondes « guessmer ».
[86] Ainsi qu’il est indiqué ci‑dessus au paragraphe 82, la méthode des sondes dégénérées est décrite dans la demande à la page 11, lignes 19 à 23. La méthode des sondes dégénérées est aussi décrite dans le manuel Maniatis.
[87] La méthode des sondes « guessmer » n’est pas expressément mentionnée dans la demande. Cependant, comme nos conclusions ci‑dessous ne tournent pas entièrement autour de l’omission, nous ne voyons pas nécessairement cette omission en soi comme une irrégularité fatale. Cela ne veut pas dire que l’omission de dire quoi que ce soit au sujet de la méthode des sondes « guessmer » n’a aucune conséquence. Nous considérons la méthode des sondes « guessmer » comme une méthode de rechange à celle des sondes dégénérées; selon l’auteur de l’affidavit, les deux méthodes auraient été bien connues d’une personne versée dans l’art, même si elles n’étaient pas énoncées de façon explicite dans le mémoire descriptif. Ainsi qu’il est qu’expliqué ci‑dessous, ce sont les instructions données dans le mémoire descriptif et le choix, par une personne versée dans l’art, d’une méthode par rapport à l’autre et les conséquences de ce choix qui sont critiques. De même, nous ne considérons pas comme déterminante la question de la date pertinente pour évaluer la suffisance du mémoire descriptif , car les deux méthodes étaient vraisemblablement bien connues, diffusées et acceptées, et elles auraient été comprises par une personne versée dans l’art, même à la date de dépôt de la demande.
[88] La réponse à la décision finale et l’affidavit de Roberts renvoient toutes deux à l’article de Leong (Leong et al., Molec. Endocrinol., 1992, volume 6, pages 870-876) pour étayer la position selon laquelle le mémoire descriptif est suffisant. Le premier paragraphe de la section portant sur les résultats et l’analyse contient la divulgation suivante :
[traduction] Les données sur les séquences d’acides aminés internes et aminoterminales (tableau 1) sont tirées d’ALS purifiées à partir de sérum humain. Les clones initiaux codant l’ALS ont été isolés à partir d’amorces oligo(dT) ou aléatoires de bibliothèques d’ADNc constituées d’ARNm de foie humain. Les données portant sur quatre sondes oligonucléotidiques dérivées de séquences d’acides aminés ont été utilisées pour cribler ces bibliothèques dans des conditions de faible stringence. Les clones positifs ont été hybridés avec des sondes issues des fragments trypsiques T16 et T25, avec des correspondances de 14 bases consécutives. Les sondes basées sur l’extrémité N‑terminale et sur le fragment T64 ne se sont pas hybridées, car les codons de ces régions sont moins souvent utilisés. [Non souligné dans l’original.]
[89] À partir de la divulgation de l’article de Leong, nous comprenons :
i) qu’il existe de l’information supplémentaire sur la séquence d’acides aminés interne du polypeptide ALS et que cette information n’est pas divulguée dans la demande de brevet;
ii) que la méthode des sondes « guessmer » a été utilisée pour isoler une séquence d’acides nucléiques codant le polypeptide ALS;
iii) que l’information sur la séquence d’acides aminés interne a été utilisée pour mettre au point trois sondes « guessmer », dont deux ont ensuite permis de cloner avec succès une séquence d’acides nucléiques codant le polypeptide ALS;
iv) qu’une quatrième sonde « guessmer » faisant appel à la même information divulguée dans la demande de brevet au sujet de la séquence d’acides aminés N‑terminale n’a pas permis de cloner une séquence d’acides nucléiques codant le polypeptide ALS;
v) que l’article de Leong a été soumis pour publication en décembre 1991, soit longtemps après la date de dépôt de la demande de brevet;
vi) que l’article de Leong a été rédigé conjointement avec l’inventeur de la présente demande;
vii) que l’article divulgue en fait une séquence complète d’acides nucléiques codant un polypeptide ALS complet.
[90] À notre avis, ces faits ne concordent pas avec les énoncés de l’affidavit. Plus précisément, nous ne voyons pas comment le mémoire descriptif déposé divulguait les « mêmes techniques » et sondes que celles ultérieurement suivies et utilisées par Leong et al. et nous ne voyons pas non plus d’information équivalente sur la séquence d’acides aminés interne de l’ALS dans le mémoire descriptif. La demande divulgue plutôt de l’information sur une séquence d’acides aminés N‑terminale et une indication qu’elle pourrait être utilisée pour préparer une ou plusieurs sondes dégénérées qui pourraient à leur tour être utilisées pour cloner une molécule d’acide nucléique capable de coder le polypeptide ALS. Le mémoire descriptif enseigne plutôt une méthode de clonage fondée sur la réaction du polypeptide ALS exprimé à un anticorps dirigé contre le polypeptide purifié.
[91] S’il est vrai qu’une personne versée dans l’art se serait attendue à obtenir du succès avec la méthode des sondes dégénérées, comme l’indique l’affidavit, il n’est pas clair, aux yeux de la Commission, pourquoi on n’a pas approfondi cette méthode; après tout, l’information nécessaire sur la séquence d’acides aminés N‑terminale était déjà disponible et il n’aurait vraisemblablement pas été nécessaire de mener de nouvelles expériences pour mettre au jour de l’information sur la séquence d’acides aminés interne. Nous sommes également préoccupés par le clonage fondé sur l’expression et le criblage faisant appel à un anticorps anti‑ALS. Aucune des méthodes explicitement mentionnées dans le mémoire descriptif n’a été suivie avec succès, que ce soit au moment du dépôt de la demande ou par la suite par Leong et al.
[92] Contrairement à la situation dans l’affaire Yeda R & D, la Commission n’est pas convaincue que le demandeur, ou une personne versée dans l’art, aurait été capable d’utiliser la séquence d’acides aminés N‑terminale du polypeptide ALS comme un outil pour obtenir une séquence nucléotidique capable de coder l’ALS. Contrairement au principe établi dans la décision Minerals Separation, le mémoire descriptif amène une personne versée dans l’art à utiliser la méthode des sondes dégénérées, alors qu’une méthode de rechange – non explicitement mentionnée dans le mémoire descriptif et reposant sur de l’information cruciale sur les séquences non exposée dans le mémoire descriptif – a fini par être utilisée avec succès. En l’espèce, il existe des preuves de succès et d’échec, en l’occurrence l’article de Leong, selon lesquelles : a) il manque dans le mémoire descriptif une description écrite de l’information sur la séquence d’acides aminés interne qui a fini par être utilisée avec succès pour obtenir une molécule d’acide nucléique capable de coder un polypeptide ALS; et b) une méthode faisant appel à l’information sur la séquence d’acides aminés N‑terminale présentée dans le mémoire descriptif s’est soldée par un échec.
[93] Le raisonnement exposé ci‑dessus s’applique tant à la revendication 20 qu’aux revendications 29 et 30, car la première étape de la mise au point d’une molécule d’acide nucléique définie par une séquence à la revendication 20 consiste à obtenir un isolat ou un clone conformément à la revendication 29 ou 30 et à séquencer la portion codant le polypeptide ALS.
[94] L’effet cumulatif de ce qui précède nous amène à conclure que le mémoire descriptif ne permettrait pas à une personne versée dans l’art d’obtenir un acide nucléique capable de coder le polypeptide ALS, ni aujourd’hui ni à la date de dépôt, et nous ne voyons pas cela comme une simple question de routine pour une personne versée dans l’art.
(ii) Non-conformité des revendications relatives aux acides nucléiques à l’exigence de description écrite prévue au paragraphe 34(1) de la Loi
[95] S’agissant de la suffisance du mémoire descriptif, le demandeur a pris une position, fondée sur un certain nombre de décisions, que l’on peut résumer en renvoyant au dernier paragraphe de la page 6 et au premier paragraphe de la page 7 des observations écrites présentées à la Commission à l’audience :
[traduction] Le demandeur soutient que la Cour suprême, en énonçant les exigences de suffisance du mémoire descriptif, a dit clairement que le mémoire descriptif doit décrire l’invention. La Cour suprême n’a pas dit qu’une invention doit avoir été exécutée matériellement avant qu’elle puisse être brevetée. Il ne s’agit pas là d’une exigence pour la conformité au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets et le demandeur fait valoir que toute interprétation de la décision Institut Pasteur dans ce sens est simplement erronée.
Revendications relatives aux acides nucléiques, aux vecteurs et aux cellules hôtes
L’examinateur a dit dans la décision finale :
[traduction] « Le demandeur a seulement isolé et purifié partiellement l’ALS. Le demandeur n’a pas préparé les acides nucléiques, les vecteurs, la cellule transformée ou les anticorps et il n’a donc pas droit de revendiquer ces produits. »
Le demandeur attire l’attention de la commissaire sur le rappel de la jurisprudence canadienne concernant la suffisance de la description pour le brevet, présenté ci-dessus, et signale respectueusement que l’examinateur a commis une erreur en appliquant un critère incorrect. En particulier, l’examinateur a pris la position que les acides nucléiques, les vecteurs et les cellules hôtes ne pouvaient être revendiqués au motif qu’ils n’avaient pas été préparés au moment de la demande. Comme le demandeur l’a indiqué ci-dessus, le critère correct de la suffisance de la description pour le brevet, tel qu’il a été confirmé par la Cour suprême du Canada, est de savoir si le mémoire descriptif décrit l’invention, et non si l’invention a été exécutée. Par conséquent, l’examinateur a omis d’examiner la question de savoir si l’invention avait été décrite de manière adéquate, refusant plutôt les revendications au motif que les réalisations n’avaient pas été exécutées.
[96] Le demandeur établit ainsi une distinction entre l’exécution réelle de l’invention et une description de l’invention. Selon le demandeur, l’examinateur, en rejetant les revendications, a fait une mauvaise application de la loi et a exigé à tort que le mémoire descriptif présente l’exécution matérielle de l’invention avant qu’elle puisse être brevetée. Sur ce point, nous convenons avec le demandeur que la conformité au paragraphe 34(1) de la Loi n’exige pas nécessairement l’exécution matérielle de l’invention. Comme le demandeur l’a souligné avec raison, l’exigence consiste en ce que le mémoire descriptif décrive l’invention revendiquée. Toutefois, la conception d’une invention sans une description valable de celle-ci ne satisfait pas aux exigences de la loi, malgré l’indication de méthodes qui pourraient éventuellement être utilisées pour exécuter l’invention. [traduction] « Il ne suffit pas de dire qu’une idée nous est venue à l’esprit; il faut au moins avoir donné à cette idée une forme définie et pratique avant de pouvoir dire qu’un procédé a été inventé » : The Permutit Company c. Borrowman (1926), 43 R.P.C. 356 (C.P.).
[97] Pour donner plus que l’idée d’un genre de molécules d’acide nucléique codant le polypeptide ALS, le mémoire descriptif doit fournir une description écrite de la séquence complète d’acides aminés du polypeptide ALS; la séquence complète d’acides aminés qui représente réellement – en raison de la connaissance du code génétique par une personne versée dans l’art – une description complète de la famille des molécules d’acide nucléique capables de la coder.
[98] Par conséquent, la Commission estime que la liste non exhaustive de considérations factuelles ci‑dessous est utile pour déterminer si le mémoire descriptif fournit une description écrite adéquate d’une molécule d’acide nucléique capable de coder un polypeptide complet :
i) Existe‑t‑il une plus qu’une simple description générale du polypeptide, notamment une description d’une séquence complète d’acides aminés du polypeptide qui équivaut essentiellement, en vertu du code génétique, à une description du genre complet des molécules d’acide nucléique capables de coder le polypeptide?
ii) Est‑ce que le demandeur était en possession matérielle d’une molécule d’acide nucléique capable de coder le polypeptide, et si oui, est‑ce que le mémoire descriptif indique la séquence de cette molécule d’acide nucléique?
iii) Est‑ce que le mémoire descriptif décrit une molécule d’acide nucléique « isolée » (c.‑à‑d. un clone, tel qu’un plasmide ou un vecteur) capable de coder le polypeptide?
iv) Est‑ce que le demandeur était en mesure de fournir un dépôt d’un clone capable de coder le polypeptide?
v) Est‑ce que le dépôt de matières biologiques a été fait avant la date de dépôt?
[99] Les points i) et/ou ii) sont cruciaux dans les cas où une revendication, comme la revendication 20, repose sur la structure (c.‑à‑d. la séquence nucléotidique) d’une molécule d’acide nucléique capable de coder le polypeptide. Dans le cas d’une revendication comme la revendication 29 ou 30, qui vise simplement une molécule d’acide nucléique isolée qui a la capacité inhérente de coder le polypeptide, un ou plusieurs des points peuvent entrer en jeu.
[100] Dans la présente affaire, il est appert que :
i) le mémoire descriptif ne divulgue pas une séquence complète d’acides aminés d’un polypeptide ALS, élément qui a été fourni pour la première fois seulement par Leong et al. après la date de dépôt de la demande;
ii) le mémoire descriptif n’indique pas que le demandeur était en possession matérielle d’un acide nucléique capable de coder le polypeptide ALS ni n’expose la séquence nucléotidique d’une molécule d’acide nucléique de ce genre;
iii) le mémoire descriptif ne décrit pas une molécule d’acide nucléique « isolée » (p. ex. un clone) capable de coder un polypeptide ALS entier;
iv) le demandeur n’était pas en mesure de fournir un dépôt d’une molécule d’acide nucléique isolée (p. ex. un clone) capable de coder un polypeptide ALS entier;
v) aucun dépôt d’un clone capable de coder un clone de polypeptide ALS n’a été effectué avant la date de dépôt.
[101] À la lumière de ces faits, nous concluons que le mémoire descriptif ne fournit pas une description écrite adéquate de l’objet de la revendication 20 ni des revendications 29 et 30.
c) Non‑conformité des revendications relatives aux anticorps au paragraphe 34(2) de la Loi
[102] Nous examinerons maintenant le deuxième groupe de revendications, relatives aux anticorps. Nous déterminerons d’abord si les revendications sont précises comme l’exige le paragraphe 34(2). Les revendications relatives aux anticorps sont les suivantes :
[traduction]
25. Anticorps réactif capable de se lier à la sous‑unité labile aux acides (ALS) de la protéine de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF).
26. Anticorps réactif conforme à la revendication 25 qui est un anticorps monoclonal ou polyclonal.
27. Anticorps réactif conforme à la revendication 25 ou 26 contenant un ou plusieurs groupes de marqueurs.
28. Anticorps réactif conforme à la revendication 27, où le groupe de marqueurs est tiré de groupes fluorescents, d’enzymes ou de groupes colloïdaux.
[103] Premièrement, on ne voit pas tout à fait clairement quels composés sont visés dans la décision finale lorsqu’il y est dit :
[traduction] Les composés visés par les revendications 19 à 34 ne sont pas décrits « distinctement et en termes explicites » comme le prévoit le paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets dans sa version antérieure au 1er octobre 1989 et ne sont donc pas admissibles. ».
[104] On peut s’interroger : le composé de la revendication 25 dont on dit qu’il est mal défini est‑il l’anticorps ou le polypeptide ALS?
[105] Bien que le demandeur soit [traduction] « le maître de ses revendications, dans les limites de la portée de son invention, et autorisé à les rédiger en termes assez larges pour assurer la protection voulue » (Riddell c. Patrick Harrison & Co. (1957), [1956‑60] R.C. de l’É., paragraphe 213, 28 C.P.R. 85) et qu’il n’y ait pas d’exigence stricte que le demandeur définisse son invention en incluant une structure chimique complète, il existe une exigence stricte selon laquelle la portée des revendications doit être clairement délimitée de façon que [traduction] « le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque » : Minerals Separation (précitée).
[106] Dans la présente affaire, on peut soutenir que la revendication 25 est imprécise puisqu’elle définit la portée de la protection recherchée en renvoyant à deux types de molécule, un anticorps et un polypeptide ALS, qui ont été chacun définis selon une fonction et selon une structure très générale. Les termes « anticorps » et « polypeptide » eux-mêmes décrivent des classes de composés ayant des structures définies largement. L’anticorps de la revendication 25 est encore défini en fonction de sa réactivité avec un polypeptide ALS. Le terme « ALS » est défini dans son sens raisonnable le plus large comme [traduction] « un polypeptide labile aux acides qui est capable de se lier ou de s’associer à des complexes formés par la liaison ou l’association de l’IGF avec la protéine de liaison stable en milieu acide BP‑53 définie ci‑dessus » (page 7, lignes 4 à 7 de la description).
[107] La formulation fonctionnelle (c’est-à-dire « capable de se lier ... à ») de la revendication à l’égard de l’« anticorps » est nécessaire puisqu’il était impossible de donner des descriptions structurales de tous les anticorps trouvés, par exemple, dans un mélange polyclonal et puisqu’une telle formulation était généralement acceptée en biotechnologie à l’époque du dépôt. Toutefois, la formulation fonctionnelle employée implicitement pour définir le polypeptide ALS pose davantage de difficultés. C’est-à-dire que la revendication 25, dans sa forme actuelle, ne comporte pas la structure de séquence d’acides aminés N-terminale dont il est reconnu dans la description qu’elle constitue une caractéristique distinctive du polypeptide ALS (page 26, lignes 20 et 21 de la description) et dont on indique aussi, en contradiction manifeste, qu’elle constitue simplement une caractéristique structurale privilégiée (page 6, lignes 28 et 29 de la description). La revendication ne comporte pas non plus de renvoi explicite aux autres propriétés du polypeptide ALS comme le poids moléculaire et l’instabilité en milieu acide.
[108] On ne peut dire que la définition de la portée de la revendication 25 par la mention de deux molécules prévenait le public d’une manière équitable, puisque le public affronterait la tâche déraisonnable premièrement de déterminer si un polypeptide donné correspond à la formulation fonctionnelle large implicite dans la revendication, et deuxièmement de décider comment le polypeptide interagit, ou non, avec un anticorps donné. En l’espèce, une revendication relative à un anticorps réactif à un polypeptide ALS serait précise à condition de définir de façon adéquate le polypeptide ALS puisqu’une personne versée dans l’art serait capable de déterminer si un anticorps est visé par la revendication en effectuant une réaction courante de liaison avec le polypeptide. Une revendication rédigée de cette façon assurerait une protection équitable du breveté et une prévisibilité raisonnable pour le public : Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, paragraphe 41, 9 C.P.R. (4th) 168.
[109] Nous nous empressons d’ajouter que, mise à part la question de l’imprécision de la revendication 25, la portée de la revendication à l’égard du polypeptide ALS est beaucoup plus large que la portée de la revendication 1 qui vise le polypeptide ALS en soi. Puisqu’un anticorps est souvent défini de façon cruciale, du moins en partie, en fonction de ses propriétés de liaison avec un polypeptide, il est important de veiller à ce que le polypeptide d’une revendication relative à un anticorps ait une portée correspondant à celle du même polypeptide faisant l’objet de la revendication relative au polypeptide en soi.
[110] Puisque la question de fond dans la présente affaire est la question de l’étayage des anticorps, et puisque ni l’examinateur ni le demandeur n’ont traité à fond les questions de la portée et de la précision des revendications relatives aux anticorps à l’égard d’un polypeptide ALS, nous nous proposons de résoudre ces questions en exigeant du demandeur, conformément à l’alinéa 31c) des Règles sur les brevets, qu’il définisse le polypeptide ALS par renvoi à la revendication 1, c’est-à-dire en ajoutant à la fin de la revendication 25 les mots « tel qu’il est défini dans la revendication 1 ». Une telle modification ne semblerait pas soulever de nouvelles questions et, selon la façon dont nous comprenons le motif de fond du rejet, elle donnerait aux revendications une forme assez claire pour qu’elles soient accordées, sauf la question de l’étayage des revendications relatives aux anticorps que nous traiterons ensuite.
[111] Le seul autre commentaire qu’il nous reste sur la clarté des revendications relatives aux
anticorps consiste à noter que le demandeur, lorsqu’on l’a interrogé sur ce point à l’audience, n’a pas indiqué que le terme [traduction] « anticorps réactif » tel qu’il est employé dans les revendications visait à suggérer quelque chose de plus que simplement [traduction] « molécule d’anticorps » ou même simplement [traduction] « anticorps ». Nous sommes donc convaincus, dans ce cas, que la terminologie ne contrevenait pas au paragraphe 34(2) de la Loi.
d) Non-conformité des revendications relatives aux anticorps au paragraphe 174(2) des Règles et au paragraphe 34(1) de la Loi
(i) Revendications relatives à un anticorps en général et à un anticorps polyclonal
[112] La revendication 25 est générique; elle renvoie à un « anticorps réactif » capable de se lier à l’ALS. Cette revendication présente une forme semblable à celle des revendications accordées dans l’arrêt Pasteur. La revendication est pleinement étayée par la description de méthodes classiques généralement employées pour fabriquer des « anticorps », par la description d’un antisérum anti‑ALS réel (page 18, lignes 10 à 21) et par une description adéquate d’un polypeptide ALS.
[113] Dans les faits, l’antisérum peut être considéré comme un « pool » générique constitué de milliers d’anticorps particuliers de plusieurs isotypes (p. ex. IgG, IgM, IgA) – une forme de « soupe », ou famille, de nombreux anticorps apparentés où chaque membre se lie à un déterminant antigénique, ou épitope, spécifique porté par le polypeptide ALS. Par conséquent, l’antisérum est adéquatement représentatif de la famille entière des anticorps capables de se lier à un polypeptide ALS.
[114] En outre, même en l’absence de description d’un antisérum anti‑ALS réel, il serait raisonnable de s’attendre à ce que le polypeptide ALS soit immunogène et il est compris implicitement que le polypeptide ALS porte de nombreux épitopes. Le polypeptide ALS – ayant été défini adéquatement, bien que non par sa structure primaire complète détaillée – représente donc un ensemble de tous les épitopes possibles, mais non nécessairement d’un épitope en particulier. Une description écrite adéquate du polypeptide ALS, au sens général du terme, fournit donc une description écrite adéquate de son ou de ses partenaires de liaison génériques ou polyclonaux.
[115] Nous en concluons que l’anticorps générique décrit à la revendication 25 et l’anticorps polyclonal décrit à la revendication 26 sont soutenus par la fourniture des moyens nécessaires et sont adéquatement décrits.
[116] La revendication 26 semble être la plus litigieuse, car elle renvoie expressément, de façon subsidiaire, à un anticorps monoclonal. Les revendications 27 et 28 n’ont pas été analysées par l’examinateur ni par le demandeur. La question qui se pose est de savoir si l’anticorps monoclonal anti‑ALS est étayé par des renseignements précis.
(ii) Conformité des revendications relatives aux anticorps monoclonaux à l’exigence de fourniture de moyens nécessaires prévue au paragraphe 34(1) de la Loi
[117] En ce qui concerne la question de la fourniture des moyens nécessaires, l’examinateur et le demandeur se sont tous deux reportés à la décision Pasteur; l’examinateur l’a suivie, et le demandeur a contesté sa valeur de précédent.
[118] En ce qui concerne la décision Pasteur, le demandeur a notamment dit, dans les observations écrites :
[traduction] la demande de brevet en litige dans la décision Institut Pasteur se rapportait à la découverte d’une nouvelle classe de rétrovirus VIH (VIH‑2). Les inventeurs n’ont pas décrit la purification ni le séquençage des protéines VIH‑2 et ils n’ont pas non plus donné de directives pour exécuter de telles procédures. De plus, les inventeurs n’ont pas mis au point d’anticorps (polyclonaux ou monoclonaux) dirigés contre les protéines VIH‑2 ni fourni d’information sur les protocoles à suivre pour le faire.
. . .
Le demandeur reconnaît que, dans l’affaire Institut Pasteur, il était loisible au Commissaire aux brevets de conclure que la production d’anticorps monoclonaux dirigés contre les antigènes protéiques du virus VIH‑2 n’était pas suffisamment soutenue par la fourniture des moyens nécessaires dans la description de la demande de brevet lui ayant été présentée. Il s’agissait d’une conclusion de fait du commissaire sur le fondement du contenu de la demande de brevet et de la preuve qui lui avait été présentée. Cependant, le demandeur affirme respectueusement que, dans la présente demande, les inventeurs ont fourni une divulgation suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de produire des anticorps réactifs à l’ALS. Plus particulièrement, le demandeur signale que le mémoire descriptif du brevet décrit un antigène bien caractérisé, qui comprend la séquence d’acides aminés N‑terminale. De plus, les inventeurs ont décrit la production d’un anticorps polyclonal contre l’ALS, qui est un anticorps réactif en soi en plus d’être un précurseur important d’un anticorps monoclonal.
À l’appui de ses arguments, le demandeur attire l’attention [de la Commission] sur l’affidavit du professeur James Goding ci‑joint. Le professeur Goding est l’auteur qui a été cité et approuvé par le commissaire dans la décision Institut Pasteur.
[119] Cela nous amène au témoignage convaincant du professeur Goding, qui a notamment déclaré dans son affidavit :
[traduction] La décision du commissaire n° 1206 ne saisit pas le sens des énoncés que j’ai faits dans mon article et dans mes livres. D’abord, le passage selon lequel la production d’un anticorps monoclonal n’est « pas chose simple » est cité. Lorsque j’ai écrit cette phrase, je souhaitais aviser le lecteur que la production d’anticorps monoclonaux nécessite du travail en laboratoire, tandis qu’un anticorps polyclonal peut être produit assez facilement chez un animal. Cependant, il est inexact de dire qu’une personne compétente ne s’attendrait pas à fabriquer avec succès des anticorps monoclonaux si elle suivait les protocoles bien établis. C’est inexact et, en fait, mon livre et plusieurs autres publications détaillent de façon précise des techniques convenables qui peuvent être utilisées pour préparer des anticorps monoclonaux. Dans les cas où un antigène bien caractérisé était utilisé, à l’époque de la parution de mon livre (1986), on se serait attendu à ce qu’un anticorps monoclonal contre un antigène immunisant puisse être préparé au moyen de techniques bien établies.
Plus précisément, je n’appuie pas la thèse voulant qu’une personne en possession d’une protéine suffisamment purifiée ne s’attendrait pas à pouvoir produire des anticorps monoclonaux au moyen des techniques décrites dans la deuxième version de mon manuel, et décrites au paragraphe 4 ci‑dessus. Si mes écrits sont cités à l’appui de cette thèse, c’est à tort. [Non souligné dans l’original.]
[120] Le professeur Goding a aussi commenté la présente demande en indiquant :
[traduction]
J’ai examiné la décision n° 1206 du commissaire aux brevets du Canada, sur laquelle l’examinateur s’est fondé pour justifier son refus de permettre une revendication relative à des anticorps. J’ai remarqué que le brevet canadien 1,338,323, visé par la décision n° 1206, se distinguait de la demande de brevet d’au moins deux façons importantes. Premièrement, à la différence de la demande de brevet, il ne fournit pas d’antigène bien caractérisé. Ensuite, il ne renvoie la personne versée dans l’art à aucune élément de l’état de la technique qui pourrait fournir des détails au sujet des « techniques traditionnelles » de fabrication des anticorps monoclonaux. Mon livre n’est jamais mentionné dans le brevet canadien 1,338,323.
. . .
La demande de brevet décrit un ALS hautement purifié portant une séquence N‑terminale connue. En 1988, une personne travaillant dans le domaine de l’immunologie aurait certainement pu prédire qu’un anticorps réactif, tel qu’un anticorps monoclonal, capable de se lier à l’ALS aurait pu être fabriqué au moyen de techniques de laboratoire standard largement connues et disponibles à l’époque. Ainsi qu’il est démontré par mon article et mes livres, les techniques nécessaires pour fabriquer de tels anticorps monoclonaux étaient bien documentées et largement diffusées.
[121] À la lumière de ce témoignage, il semble qu’on se heurte à des difficultés si l’on invoque la décision Pasteur pour affirmer qu’un mémoire descriptif est déficient en raison de l’absence de fourniture de moyens nécessaires parce que la production d’anticorps monoclonaux n’était pas une méthode bien établie ou simplement parce qu’il n’expose aucun protocole proposé détaillé pour la production d’un anticorps monoclonal contre un antigène donné. Par conséquent, la valeur de précédent de la décision Pasteur a été réduite en ce qui concerne ses conclusions au sujet de l’exigence de fourniture de moyens nécessaires prévue au paragraphe 34(1). À ce jour, l’arrêt Pasteur a eu valeur de précédent servant de guide pour les demandeurs et les examinateurs de brevet : Recueil des pratiques du Bureau des brevets, paragraphe 21.07. Cependant, le Commissaire n’est pas lié par la pratique antérieure (DBC Marine Safety Systems Ltd. c. La commissaire aux brevets, 2007 CF 1142, paragraphe 43) et, compte tenu des faits et de la preuve ayant été présentés, on ne peut suivre de façon rigide la décision Pasteur et s’appuyer sur cette décision pour affirmer qu’une revendication relative à un anticorps monoclonal ne fournit pas les moyens nécessaires simplement parce que la demande n’établit pas de protocole détaillé ou que les méthodes de fabrication d’un anticorps monoclonal sont imprévisibles.
[122] Le témoignage du professeur Goding lui‑même ainsi que l’ensemble de l’information figurant dans son manuel indiquent que les étapes de base de la production d’un anticorps monoclonal étaient bien connues et fiables à la date de dépôt. Une personne versée dans l’art aurait raisonnablement pu s’attendre, en se fondant sur la théorie de la sélection clonale, à l’existence d’un anticorps réactif à quelque antigène donné que ce soit, puisque l’anticorps avait essentiellement déjà été fabriqué. Comme l’explique le professeur Goding dans son manuel (section 2.1, pages 5 et 6) :
[traduction] La théorie de la sélection clonale (Burnet, 1957) évitait toutes ces difficultés, car, selon cette théorie, chaque lymphocyte [une cellule du système immunitaire qui produit des anticorps] avait une spécificité unique aux récepteurs et, en conséquence, était préprogrammée pour produire un seul anticorps après la stimulation appropriée.
. . .
La théorie de la sélection clonale établit le cadre conceptuel de tout ce qui suit dans ce livre. [Non souligné dans l’original.]
[123] Par conséquent, le véritable fondement technologique de la production d’anticorps monoclonaux ne réside pas dans la fourniture d’instructions sur la fabrication d’un anticorps, mais plutôt dans la forme des méthodes pratiques qui pourraient être utilisées pour isoler et immortaliser des cellules productrices d’anticorps spécifiques. Ces méthodes pratiques peuvent nécessiter [traduction] « beaucoup de travail et un fort engagement » (Goding, chapitre 1, page 3) de la part d’une personne versée dans l’art, mais le succès, selon le professeur Goding, n’est pas essentiellement le fruit du hasard.
[124] Il importe néanmoins de préciser que la preuve présentée ne réduit pas la valeur de la décision Pasteur en ce qui concerne l’exigence de description écrite prévue au paragraphe 34(1), qui sera examinée séparément.
[125] La Commission estime que la liste non exhaustive de considérations factuelles ci‑dessous est utile pour déterminer si le mémoire descriptif permet de produire des anticorps monoclonaux capables de se lier à un polypeptide :
i) Existe‑t‑il une description du polypeptide et connaît‑on son immunogénicité réelle ou prévue (voir par exemple Goding, sous‑section 2.6.1, pages 28-29, pour une analyse des caractéristiques d’un antigène qui déterminent l’antigénicité)?
ii) Est‑ce que la portée d’une revendication relative à un anticorps concernant le polypeptide est appropriée?
iii) Quelle est la disponibilité et/ou la facilité de production du polypeptide?
iv) Est‑ce qu’un anticorps monoclonal a vraiment été préparé?
v) Est‑ce que des cas de succès ou d’échec ont été inscrits au dossier?
vi) Est‑ce qu’il existe au dossier des indications de nécessité d’une expérimentation excessive ou d’une adaptation indue des étapes de base connues de la préparation d’anticorps monoclonaux?
vii) Est‑ce qu’il existe au dossier des indications d’une non‑reproductibilité d’une méthode réelle ou proposée de préparation d’anticorps monoclonaux?
[126] En l’espèce, nous retenons les faits suivants :
i) le polypeptide ALS est un polypeptide de grande taille qui devrait raisonnablement porter de nombreux épitopes éventuels et qui, en fait, est immunogène (comme en témoigne la production réelle d’antisérum anti‑ALS à titre élevé décrite à la page 18, lignes 10 à 21);
ii) la modification proposée de la revendication 25 en vertu de l’alinéa 31c) des Règles rendra la portée de la revendication adéquate;
iii) le polypeptide ALS a été purifié et il a été décrit et caractérisé dans une mesure suffisante pour qu’on puisse le revendiquer en soi;
iv) aucun anticorps monoclonal n’a été préparé;
v) il n’existe aucune preuve de succès ni d’échec;
vi) il n’existe aucune indication de nécessité d’une expérimentation excessive;
vii) rien n’indique que la méthode proposée implicitement exposée dans le mémoire descriptif n’est pas reproductible.
[127] De plus, contrairement aux faits de l’affaire Pioneer Hi‑Bred, les faits et la preuve qui ont été présentés en l’espèce ne portent pas à croire qu’il faille utiliser des techniques uniques ni faire des tests empiriques pour découvrir les étapes en soi qui seraient nécessaires pour fabriquer un anticorps monoclonal dirigé contre un polypeptide ALS. L’aspect essentiel est l’identification et la description d’un polypeptide ALS, ce qui a été fourni en l’espèce.
[128] Compte tenu de l’effet cumulatif des faits et des observations du demandeur, nous estimons qu’il a été satisfait à l’exigence concernant la fourniture des moyens nécessaires prévue au paragraphe 34(1), même dès la date de dépôt de la demande, et ce malgré le fait qu’aucun anticorps monoclonal n’a été préparé. En conséquence, le rejet ne devrait pas être confirmé pour le seul motif qu’une personne versée dans l’art ne pourrait pas utiliser le polypeptide ALS comme un antigène dans la préparation d’un anticorps monoclonal dirigé contre celui‑ci. Cela ne veut pas dire qu’il sera satisfait à l’exigence de fourniture des moyens nécessaires dans tous les cas par la description d’un polypeptide et par l’exposé des méthodes connues; chaque cas sera examiné en fonction de son bien‑fondé.
(iii) Non-conformité des revendications relatives aux anticorps monoclonaux à l’exigence d’une description écrite prévue au paragraphe 34(1) de la Loi
[129] Le paragraphe 34(1) de la Loi remplit une fonction différente de celle du paragraphe 34(2) de la Loi. Le fait que la Commission s’accommode des déficiences de formulation dans une revendication relative à un anticorps monoclonal et permette l’emploi d’une formulation fonctionnelle pour aider à définir la portée du monopole pour l’application du paragraphe 34(2) ne devrait pas nécessairement être interprété comme une indication que l’on peut ne tenir aucun compte de l’exigence de fond d’une description écrite, prévue au paragraphe 34(1).
[130] Pour arriver à notre conclusion sur la description écrite des anticorps monoclonaux revendiqués, nous avons tenu compte d’un certain nombre de considérations en plus de la simple capacité du demandeur de rédiger une revendication qui décrit littéralement ce sur quoi il compte obtenir un monopole puisque la question cruciale est la conformité au paragraphe 34(1).
[131] Compte tenu du fait qu’il s’agit ici d’une question de description précise, il s’ensuit que, outre l’indication de pure forme de la fonctionnalité de liaison, une description précise d’un anticorps monoclonal pourrait être donnée au moyen d’une description des parties essentielles de chaque membre de la paire de liaison; p. ex., un paratope d’un anticorps monoclonal et/ou son épitope correspondant trouvé sur l’antigène. Les descriptions de paratopes et d’épitopes précis sont donc clairement des considérations valides, de la même façon qu’une description générale d’un polypeptide est une considération valide à l’égard d’une revendication relative à un anticorps générique, surtout que les technologies progressent et qu’il devient plus facile de donner des descriptions précises de paratopes et d’épitopes.
[132] Cela dit, nous sommes aussi conscients du fait qu’une description d’un membre d’une paire de liaison ne fournit pas nécessairement une description adéquate de son partenaire de liaison. Par exemple, en témoignent la découverte et la caractérisation par le demandeur d’un polypeptide ALS, puis sa présentation subséquente de la présente demande de brevet contenant des revendications relatives au polypeptide ALS lui-même malgré l’existence de ses partenaires de liaison BP53 et IGF, qui étaient eux-mêmes déjà connus et bien caractérisés. Le simple fait de réaliser que BP53 et l’IGF interagissent avec quelque autre polypeptide ne donnait pas droit au demandeur de revendiquer ce dernier polypeptide, à moins qu’il ait été décrit adéquatement en termes valables, par exemple en fonction de sa structure et/ou de ses propriétés physico-chimiques.
[133] La possession matérielle d’un anticorps monoclonal le fait indéniablement passer du monde hypothétique au monde réel et, pour reprendre l’opinion exprimée dans l’arrêt Pioneer Hi‑Bred, une telle indication facilite clairement le travail de l’examinateur et de la commissaire aux brevets. Une indication de possession matérielle garantit ainsi que le public a clairement reçu quelque chose de plus qu’une hypothèse en contrepartie du monopole à subir. C’est là une considération valide que nous voyons aussi en harmonie avec un passage clé de l’arrêt Consolboard, que nous reproduisons de nouveau :
L’article 36 de la Loi sur les brevets est le pivot de tout le système des brevets. La description de l’invention qui y est faite est la raison pour laquelle l’inventeur obtient un monopole sur l’invention pour un certain nombre d’années.
[134] Donc, la possession matérielle effective d’un hybridome produisant un anticorps monoclonal est aussi une considération valide, surtout que la Loi l’envisage expressément à l’article 38.1 et qu’un dépôt peut être utilisé pour compléter, mais non pour remplacer entièrement, la description écrite de l’invention lorsqu’il ne peut être satisfait aux exigences du paragraphe 34(1) de la Loi avec des mots seulement.
[135] Pour résumer, la Commission estime que la liste non exhaustive de considérations factuelles qui suit est utile pour déterminer si le mémoire descriptif donne une description écrite adéquate d’un anticorps monoclonal capable de se lier avec un polypeptide :
(i) Y a-t-il plus qu’une simple description générale du polypeptide, notamment une description explicite d’épitopes précis sur le polypeptide?
(ii) Y a-t-il une description d’un paratope d’un anticorps monoclonal?
(iii) Est‑ce que la portée d’une revendication relative à un anticorps concernant le polypeptide est appropriée?
(iv) Le demandeur avait-il la possession matérielle d’un anticorps monoclonal?
(v) Le demandeur était-il en mesure de fournir un dépôt d’un hybridome produisant un anticorps monoclonal au moment du dépôt?
[136] Bien que le mémoire descriptif donne une description détaillée de la séquence d’acides aminés N-terminale du polypeptide ALS, il n’enseigne pas clairement que la portion N‑terminale comprend un épitope réactif avec un anticorps monoclonal éventuel et ne revendique pas non plus un anticorps monoclonal réactif avec un épitope N‑terminal.
[137] La modification de la revendication 25 proposée en vertu de l’alinéa 31c) des Règles rendra la portée de la revendication appropriée.
[138] En résumé, nous estimons que :
(i) le mémoire descriptif ne donne ni une description plus détaillée d’un polypeptide ALS ni des descriptions explicites d’épitopes;
(ii) le mémoire descriptif ne donne pas une description précise d’un paratope d’un anticorps monoclonal;
(iii) après modification en application de l’alinéa 31c) des Règles, la portée de la revendication 25 sera appropriée;
(iv) le demandeur n’avait pas la possession matérielle d’un anticorps monoclonal;
(v) le demandeur n’était pas en mesure de fournir un dépôt d’un hybridome produisant un anticorps monoclonal au moment du dépôt.
[139] Il est également important de se rappeler que la Commission, sur la question précise de la description écrite adéquate des anticorps monoclonaux, a formulé dans la décision Pasteur les observations suivantes :
La Commission ne trouve aucune précision concernant l’hybridome visé par la revendication 85 ou la façon de le produire, que ce soit dans les extraits précités ou dans l’ensemble de la description. Aucune description précise des anticorps monoclonaux visés par la revendication 84 ou de leur mode de production n’est divulguée. La seule indication à ce sujet est la mention de la possibilité de les produire [traduction] « par les techniques classiques ». Le seul enseignement technique précis est l’identité des antigènes. La description et l’identification des antigènes ne fournissent pas d’explications au sujet de l’hybridome ou des anticorps monoclonaux ni de directives suffisamment détaillées sur la façon de produire les anticorps.[Non souligné dans l’original.]
[140] Nous ne trouvons rien dans la décision Pasteur au sujet de l’exigence d’une description écrite de la Loi qui entre en conflit avec les faits et la preuve dans la présente affaire et nous ne voyons donc pas la nécessité de ne pas suivre la décision Pasteur à cet égard.
[141] Tout compte fait, nous voyons donc des motifs raisonnables dans la décision finale de conclure que la présente demande n’est pas conforme à l’exigence d’une description écrite prévue au paragraphe 34(1) et recommandons que la décision finale soit confirmée pour ces motifs, mais seulement à l’égard de la revendication 26 dans la mesure où elle revendique les anticorps monoclonaux.
V. CONCLUSIONS
[142] En résumé, la Commission conclut :
(1) les revendications 20 à 24 et 29 à 34 sont conformes au paragraphe 34(2) de la Loi;
(2) les revendications 20 à 24 et 29 à 34 ne sont pas conformes au paragraphe 174(2) des Règles et au paragraphe 34(1) de la Loi;
(3) les revendications 25 à 28, dans leur forme actuelle, ne sont pas conformes au paragraphe 34(2) de la Loi;
(4) les revendications 25, 27 et 28 sont conformes au paragraphe 174(2) des Règles et au paragraphe 34(1) de la Loi;
(5) la revendication 26 n’est pas conforme au paragraphe 174(2) des Règles et au paragraphe 34(1) de la Loi puisqu’elle revendique un anticorps monoclonal qui n’a pas été décrit adéquatement.
[143] La Commission recommande que la commissaire :
(1) informe le demandeur, conformément à l’alinéa 31c) des Règles sur les brevets, que les modifications suivantes doivent être apportées pour que la demande soit conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets :
a) suppression des revendications 19 à 24 et 29 à 34;
b) modification de la revendication 25 par l’ajout à la fin des mots « tel qu’il a été défini dans la revendication 1 »;
c) suppression des mots « monoclonal ou » dans la revendication 26;
d) modification en conséquence de la numérotation des revendications et des revendications qui en dépendent;
(2) invite le demandeur à effectuer seulement les modifications susmentionnées dans un délai de trois mois à compter de la date de la décision de la commissaire;
(3) informe le demandeur que si les modifications susmentionnées, et ces seules modifications, ne sont pas effectuées dans le délai imparti, la commissaire entend rejeter la demande.
Ed MacLaurin Mark Couture Paul Fitzner
Membre Membre Membre
VII. DÉCISION DE LA COMMISSAIRE
[144] Je souscris aux conclusions et aux recommandations de la Commission d’appel des brevets. Par conséquent, j’invite le demandeur à apporter les modifications susmentionnées, et ces seules modifications, dans les trois mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends rejeter la demande.
Mary Carman
Commissaire aux brevets
Fait à Gatineau (Québec)
le 25 juin 2008