Décision du commissaire no 1278
Commissioner’s Decision #1278
SUJET : F01, O00, B22
TOPIC: F01, O00, B22
Demande no : 583,049
Application No. : 583,049
RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DU COMMISSAIRE
D.C. 1278 Demande no 583,049
Antériorité (F01)
Évidence (O00)
Étayage insuffisant (B22)
La demande visait des compositions renfermant des cellules souches hématopoïétiques cryoconservées obtenues à partir de sang néonatal ou fœtal humain, les utilisations thérapeutiques de ces compositions pour la reconstitution hématopoïétique (p. ex. traitement de remplacement de la moelle osseuse) et des méthodes permettant d’obtenir de telles compositions. Par ailleurs, la demande visait des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou foetales humaines dans lesquelles une séquence génique hétérologue avait été incorporée de façon stable ainsi que les utilisations thérapeutiques similaires des compositions renfermant de telles cellules. L’examinateur a refusé toutes les revendications de la demande. Il a conclu que certaines revendications étaient antériorisées par l’état antérieur de la technique, que certaines revendications étaient évidentes à la lumière de l’état antérieur de la technique et que les autres revendications n’étaient pas fondées sur la description. La Commission s’est dite d’accord avec l’examinateur sur les questions de l’antériorité et de l’étayage, mais non pas sur la question de l’évidence. La Commission a donc recommandé de donner à la demanderesse la possibilité de supprimer les revendications considérées comme antériorisées ou non fondées sur la description, recommandation qui a été acceptée par la commissaire, à défaut de quoi elle recommandait le rejet de la demande en entier.
BUREAU DES BREVETS DU CANADA
DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS
La demande de brevet no 583,049 ayant été refusée en application du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets, la demanderesse a demandé la révision de la « décision finale » de l’examinateur. La Commission d’appel des brevets et la commissaire aux brevets ont donc examiné la décision de l’examinateur. Voici les conclusions de la Commission et la décision de la commissaire.
Agent de la demanderesse :
Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.
50, rue O’Connor, bureau 1500
Ottawa (Ontario)
K1P 6L2
INTRODUCTION
[1] La décision en l’espèce porte sur une demande présentée à la commissaire aux brevets afin qu’elle revoie la décision finale de l’examinateur relativement à la demande de brevet no 583,049.
[2] La demanderesse et successeur en titre est PharmaStem Therapeutics Inc. Les inventeurs sont Edward A. Boyse, Hal E. Broxmeyer et Gordon W. Douglas, et l’invention est intitulée « Isolation and Preservation of Fetal and Neonatal Hematopoietic Stem and Progenitor Cells of the Blood » (Isolement et conservation de cellules souches et de cellules progénitrices hématopoïétiques fœtales et néonatales du sang).
[3] La demande vise des compositions renfermant des cellules souches hématopoïétiques cryoconservées obtenues à partir de sang néonatal ou fœtal humain, les utilisations thérapeutiques de ces compositions pour la reconstitution hématopoïétique (p. ex. traitement de remplacement de la moelle osseuse) et des méthodes permettant d’obtenir de telles compositions. Par ailleurs, la demande vise des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines dans lesquelles une séquence génique hétérologue a été incorporée de façon stable ainsi que les utilisations thérapeutiques similaires des compositions renfermant de telles cellules.
CONTEXTE
[4] Au titre des renseignements généraux, la demande indique que les cellules souches hématopoïétiques sont des cellules pluripotentes très primitives qui peuvent produire des cellules progénitrices hématopoïétiques. Les cellules progénitrices sont plus spécialisées que les cellules souches et sont elles‑mêmes capables de produire des cellules précurseurs qui finissent par se différencier en cellules spécialisées morphologiquement et fonctionnellement distinctes présentes dans le sang entier, tels les globules rouges et divers types de globules blancs. Les cellules souches et les cellules progénitrices ne peuvent être distinguées sur le plan morphologique, et on utilise, pour les définir, des attributs fonctionnels. Les cellules souches ont une très grande capacité de s’auto-renouveler de façon à fournir un pool constant de cellules, alors que les cellules progénitrices ont une capacité limitée, voire nulle, d’auto‑renouvellement.
[5] La demande précise que le sang fœtal et le sang néonatal (sang de cordon) humains sont une excellente source de cellules progénitrices et de cellules souches hématopoïétiques et qu’ils pourraient remplacer d’autres sources telles que la moelle osseuse et le sang périphérique. À cette fin, les cellules progénitrices et les cellules souches hématopoïétiques du sang fœtal et du sang néonatal peuvent être prélevées, cryoconservées et utilisées par la suite pour reconstituer le système hématopoïétique ou le système immunitaire d’un sujet et, ainsi, traiter des maladies et des affections diverses, telles la leucémie et l’anémie.
HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
[6] La demande en litige a été déposée le 14 novembre 1988, et la demanderesse a été informée le 29 novembre 1994 que sa demande avait été jugée acceptable. Cependant, dans une lettre datée du 20 janvier 1995, la demanderesse a été informée par la commissaire aux brevets intérimaire que la demande n’était pas acceptable et que l’approbation avait été retirée.
[7] Le traitement de la demande a repris et l’examinateur saisi de la demande a présenté sa décision finale le 21 juin 2002, décision dans laquelle il refusait les 82 revendications alors en instance. Les revendications 1 à 5 et 12 à 20 ont été refusées pour absence de nouveauté, et les revendications 21 à 45 et 57 à 66, au motif d’évidence; les deux motifs de refus étaient fondés sur une divulgation antérieure (en 1983) faite dans une revue médicale par le Dr Kenichi Koike. Les revendications 6 à 11, 46 à 56 et 67 à 82 ont été refusées pour absence d’étayage.
[8] Le 23 décembre 2002, la demanderesse a répondu à la décision finale et a présenté une nouvelle série de 81 revendications. Dans les nouvelles revendications présentées, la revendication 44 a été annulée et le terme « cellule progénitrice » a été supprimé des revendications 6 à 11, 57, 62, 67 et 79. Le numéro des revendications et les revendications dépendantes ont été modifiés en conséquence. La demanderesse a soutenu que les nouvelles revendications présentées répondaient aux objections soulevées dans la décision finale et a demandé que sa demande soit reconsidérée favorablement.
[9] De l’avis de l’examinateur, la réponse de la demanderesse à la décision finale ne répondait pas aux objections soulevées dans la décision finale. Par conséquent, la demanderesse a demandé une audience devant la Commission d’appel des brevets et un examen par la commissaire aux brevets. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 5 janvier 2005, la demanderesse était représentée par M. David Aitken et Mme Stephanie White, du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt. Étaient également présents des représentants du cabinet d’avocats de la demanderesse aux États‑Unis : Mme Adriane Antler et M. Bill Thomann, tous deux du cabinet Jones Day. Le Dr Axel Zander, hématologiste et oncologue, a témoigné à titre d’expert pour la demanderesse. Le Bureau des brevets était représenté par M. Daniel Bégin, examinateur saisi de la demande.
[10] Lors de l’audience, la Commission a entendu d’autres observations de la part du représentant de la demanderesse, M. David Aitken, ainsi que de l’expert témoignant pour la demanderesse, le Dr Axel Zander. M. Aitken a résumé l’essence de l’invention, a examiné les revendications indépendantes, a formulé des commentaires sur les poursuites dans d’autres juridictions et a présenté la jurisprudence canadienne qui, selon lui, était pertinente. Il convient de souligner l’attention portée par M. Aitken et le Dr Zander à une décision rendue par une Chambre de recours technique de l’Office européen des brevets confirmant une décision prise par la division d’opposition de révoquer le brevet européen correspondant.
[11] M. John Cavar était membre de la Commission au moment de l’audience, mais il a pris sa retraite de la fonction publique avant que les recommandations de la Commission à la commissaire soient arrêtées définitivement. Il n’a donc pas pu les signer. Toutefois, il est au courant de ces recommandations et y souscrit.
QUESTIONS EN LITIGE
[12] Pour l’examen des revendications présentées dans la décision finale, la Commission se doit de répondre à trois questions :
1) Les revendications 1 à 5 et 12 à 20 sont‑elles antériorisées?
2) Les revendications 21 à 44 et 56 à 65 sont‑elles évidentes?
3) Les revendications 6 à 11, 45 à 55 et 66 à 81 sont‑elles suffisamment étayées?
CONCLUSIONS
[13] Pour les motifs présentés ci‑après, la Commission conclut que :
1) les revendications 1 à 5 et 12 à 20 sont dépourvues de nouveauté;
2) les revendications 21 à 44 et 56 à 65 ne sont pas évidentes;
3) les revendications 6 à 11, 45 à 55 et 66 à 81 ne sont pas suffisamment étayées.
RAISONNEMENT
QUESTION 1 : ANTÉRIORITÉ
[14] La première question à laquelle doit répondre la Commission est de savoir si les revendications 1 à 5 et 12 à 20 sont antériorisées. La revendication 1 se lit comme suit :
[Traduction]
1. Une composition thérapeutique cryoconservée renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte; et une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules.
Thèse de l’examinateur
[15] Lorsqu’il a rejeté les revendications 1 à 5 et 12 à 20 pour absence de nouveauté, l’examinateur s’est appuyé sur un article antérieur publié par le Dr Kenichi Koike dans une revue médicale (Acta. Paediatr. Japan, vol. 25, p. 275-283, 1983 – ci‑après « Koike »). Dans sa décision finale, l’examinateur a déclaré ce qui suit :
[Traduction] Koike divulgue le prélèvement de sang de cordon, l’isolement de la fraction mononucléaire du sang de cordon par centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque, son lavage dans le milieu McCoy 5A, le mélange de 1 ml d’une suspension cellulaire avec du DMSO à 10 % et du FBS à 10 %. L’attention de la demanderesse se porte particulièrement sur la page 281, où il est indiqué que « les résultats selon lesquels le sang de cordon renferme de nombreuses cellules pluripotentes et cellules progénitrices voisines comparables aux cellules de la moelle osseuse permettent de croire que les cellules et les organes hématopoïétiques fœtaux pourraient être utiles comme sources de cellules progénitrices hématopoïétiques pour la greffe de moelle ».
Koike divulgue l’objet des revendications 1 à 5 et 12 à 20 [auparavant les revendications 1, 16 et 28].
La demanderesse soutient que la citation relative à Koike devrait être retirée parce que la méthode d’isolement divulguée ne permet pas inévitablement d’obtenir une composition renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir du sang et présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain. La demanderesse renvoie à ses propres données, c.‑à‑d. celles concernant l’échantillon CB‑90 (p. 69-73 du tableau III) et, dans une moindre mesure, les échantillons CB‑12, CB‑25, CB‑28, CB‑30 et CB‑38, pour démontrer que la récupération de cellules souches viables après la centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque n’était pas certaine. La demanderesse applique par la suite par extrapolation ses propres données à l’expérience publiée par Koike et conclut qu’étant donné que Koike utilisait également la séparation au moyen du Ficoll‑Hypaque, sa méthode ne serait pas inévitablement une méthode utile donnant une composition utile.
L’examinateur ne peut être d’accord avec la prémisse de la demanderesse selon laquelle une citation, pour être valide, doit démontrer que toutes les compositions divulguées doivent être comprises dans les revendications de la demanderesse. Selon lui, s’il est jugé scientifiquement valable qu’un procédé donné permet d’obtenir une composition qui possède les attributs revendiqués, une telle citation est valide. L’examinateur aimerait souligner qu’avec les quelque 100 échantillons soumis pour la demande en l’espèce (soit plus de 95 % des échantillons), la récupération de cellules souches viables était considérée comme réussie même après séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque. L’objection de l’examinateur est donc maintenue.
Thèse de la demanderesse
[16] La Commission note qu’en réponse à la décision finale, et au cours de l’audience, la demanderesse a insisté pour dire qu’on ne peut raisonnablement conclure à la présence de cellules souches viables qu’en ayant recours à des tests fonctionnels et qu’une personne versée dans l’art ne peut raisonnablement conclure que des cellules souches viables sont nécessairement présentes dans tout échantillon soumis à des manipulations in vitro (c.‑à‑d. la séparation sur gradient de Ficoll-Hypaque).
[17] Dans sa réponse datée du 23 décembre 2002, la demanderesse avance notamment l’argument suivant en ce qui concerne le refus par l’examinateur des revendications 1 à 5 et 12 à 20 au motif d’absence de nouveauté :
[Traduction] Les revendications 1 à 5 et 12 à 20 concernent une composition thérapeutique cryoconservée renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte; une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules; et des méthodes pour obtenir une telle composition. La demanderesse note que le terme « reconstitution hématopoïétique », conformément à son usage dans la demande en litige, désigne la reconstitution complète et de longue durée de multiples lignées hématopoïétiques in vivo (voir le mémoire descriptif, page 9, lignes 17‑18, 28‑34; page 24, lignes 17‑22), c.‑à‑d. la greffe de cellules souches hématopoïétiques ainsi que la croissance et la différenciation de ces dernières de façon qu’elles reconstituent les populations sanguines.
. . .
Koike divulgue le test pour évaluer la viabilité de plusieurs types de cellules progénitrices dans les échantillons cryoconservés de moelle osseuse et de sang de cordon. À la page 276, il indique que les échantillons de sang de cordon ont été prélevés, soumis à une séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque, puis congelés. Après leur décongélation, les échantillons ont été soumis à des tests visant à évaluer la présence de certains types de cellules progénitrices par leur capacité à former des colonies in vitro. Koike n’antériorise pas les revendications en litige, parce que la méthode d’isolement divulguée ne permet pas inévitablement d’obtenir une composition renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang et présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain, à laquelle est ajoutée une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules. Par ailleurs, Koike n’enseigne ni ne suggère de moyen pour déterminer si les cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte.
Comme l’indique la réponse présentée le 28 mai 2001, la centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque est le procédé de séparation divulgué par Kioke [sic] auquel les échantillons de sang de cordon sont soumis avant l’ajout de l’agent de cryoconservation. Les données du mémoire descriptif en l’espèce, comme le montrent, par exemple, les données concernant l’échantillon de sang de cordon CB‑90 (pages 69‑73; tableau III), prouvent que la récupération de cellules souches viables après la centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque n’est pas certaine. Dans l’échantillon CB‑90, aucune cellule progénitrice multipotentielle (CFU‑GEMM) n’a été récupérée après centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque, et comme les cellules souches sont communément considérées comme présentes en quantité inférieure aux cellules progénitrices, la personne versée dans l’art ne peut que conclure qu’aucune cellule souche n’a été récupérée dans cet échantillon. En plus de l’échantillon CB‑90, on peut mentionner, par exemple, l’échantillon CB‑25 (page 70; tableau III), sur lequel le test d’évaluation des cellules progénitrices n’a pas même été effectué en raison de la quantité trop faible de cellules récupérées; les échantillons CB‑12 et CB‑44 (pages 69‑70; tableau III), dans lesquels la viabilité cellulaire et/ou le nombre de cellules récupérées étaient trop faibles pour qu’on effectue le test d’évaluation des cellules progénitrices; les échantillons CB‑28 et CB‑30 (page 70; tableau III), dans lesquels aucune cellule progénitrice n’a été détectée; et l’échantillon CB‑38 (page 70; tableau III), dans lequel on a noté une agglutination des cellules et une hémolyse. Comme donnée supplémentaire pour confirmer que la récupération de cellules souches ne peut être considérée comme certaine après la centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque, un article publié par Apperley (août 1994, Bone Marrow Transplantation 14:187‑196) divulgue au moins un échantillon de sang de cordon dans lequel aucune cellule BFU‑E (type de cellule progénitrice érythrocytaire) n’a été détectée, et cela avant toute procédure de séparation, même si plus de 108 cellules nucléées étaient présentes dans l’échantillon.
. . .
En outre, les publications dans le domaine fournissent d’autres données à l’appui. Comme il est indiqué au paragraphe 15 de la deuxième déclaration du Dr Hal E. Broxmeyer déposée le 20 juillet 1994 relativement au réexamen du brevet américain correspondant no 5,004,681 (« la deuxième déclaration de Broxmeyer »), l’article publié par Abboud et coll. en 1992 dans Exp. Hematol. 20:1043‑1047 (joint à la deuxième déclaration de Broxmeyer en tant que pièce C) montre aussi qu’après la démonstration d’une perte substantielle de cellules progénitrices hématopoïétiques par suite de la séparation par centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque, on s’attend raisonnablement à ce que des quantités substantielles de cellules souches hématopoïétiques soient aussi perdues. En effet, trois experts, les Drs Boyse, Bernstein et Broxmeyer, estiment dans leurs déclarations que l’extrapolation de la perte de cellules souches d’après la perte de cellules progénitrices est justifiée (voir la déclaration de Boyse, ¶ 14; la première déclaration de Bernstein, ¶ 12; la deuxième déclaration de Broxmeyer, ¶ 26). Ces données prouvent que l’utilisation d’une méthode de séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque (la méthode divulguée par Koike) ne permet pas inévitablement de récupérer des cellules souches viables.
Les données décrites ci‑dessus au tableau III du mémoire descriptif en cause et dans Apperley sont analogues à d’autres données du même mémoire descriptif qui montrent que les étapes de séparation et de lavage des cellules telles qu’elles sont divulguées par Koike sont connues pour causer des pertes substantielles de cellules progénitrices du sang de cordon (déclaration de Boyse, ¶ 15; première déclaration de Broxmeyer, 9, 11‑15). La deuxième déclaration de Broxmeyer et la déclaration du Dr Giao Hangoc déposée le 20 juillet 1994 relativement au réexamen du brevet américain correspondant no 5,004,681 (la « déclaration de Hangoc ») présentent d’autres preuves de la perte de cellules souches et de cellules progénitrices hématopoïétiques lors de la centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque et du lavage. La preuve présentée dans la deuxième déclaration de Broxmeyer et la déclaration de Hangoc démontrent que la centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque et le lavage provoquent une perte substantielle de cellules progénitrices hématopoïétiques, et cela, que la centrifugation s’effectue à 4 ◦C ou à la température ambiante. Les preuves à l’appui dont il est question en l’espèce ne sont pas seulement les données du mémoire descriptif, mais également de nombreux articles publiés par des tiers (voir les pièces C à K de la deuxième déclaration de Broxmeyer et leur examen en l’espèce).
Par ailleurs, la preuve présentée par la demanderesse montre que 1) le contenu en cellules souches varie considérablement d’un échantillon de sang de cordon à un autre, et un échantillon de sang de cordon donné pourrait ne renfermer que peu de cellules souches, voire aucune, et ce, même avant la séparation des cellules; 2) la sensibilité des cellules, et la sensibilité différente des divers types de cellules et même des cellules de diverses sources, aux procédures de séparation et de lavage, de même que la perte de cellules qui se produit en raison du délai entre le prélèvement et la séparation, empêchent de conclure que des cellules souches viables étaient nécessairement présentes dans la fraction sanguine combinée à l’agent de cryoconservation selon la méthode divulguée par Koike; 3) la sensibilité des cellules, et la sensibilité différente des divers types de cellules et même des cellules souches provenant de diverses sources, à la cryoconservation empêchent de conclure que des cellules souches viables étaient nécessairement présentes dans la fraction sanguine cryoconservée selon la méthode divulguée par Koike; et 4) on ne peut raisonnablement conclure à la présence de cellules souches viables qu’à l’aide de tests fonctionnels; en l’absence de tels tests, la personne versée dans l’art ne peut raisonnablement conclure que des cellules souches viables sont nécessairement présentes dans tout échantillon soumis à des manipulations in vitro. Vu la grande variabilité attendue du contenu en cellules souches et la perte attendue de cellules souches durant les manipulations in vitro, il est toujours possible qu’aucune cellule souche ne soit récupérée dans un échantillon de sang de cordon donné soumis à une centrifugation sur gradient de Ficoll‑Hypaque et à un lavage.
De plus, l’imprécision et le manque de détails en ce qui concerne les procédures de séparation et de lavage divulguées par Koike empêchent aussi de conclure que de telles procédures permettent inévitablement de récupérer une multitude de cellules souches viables auxquelles est ajouté un agent de cryoconservation et excluent toute possibilité de reproduire avec fiabilité et exactitude ces procédures sans, de façon inadmissible, « combler les vides » au moyen de connaissances ultérieures ou de connaissances non divulguées dans Koike afin de choisir les variables des procédures. [Notes de bas de page omises]
Antériorité : principaux juridiques
[18] La demande en litige a été déposée avant le 1er octobre 1989 et, selon l’article 78.1 de la Loi sur les brevets, est régie par cette Loi telle qu’elle existait juste avant cette date, ainsi que par la partie V des Règles sur les brevets telles qu’elles existaient à la date de la décision finale.
[19] La décision finale n’indique pas la législation pertinente aux termes de laquelle les revendications sont jugées antériorisées. Toutefois, vu la date de dépôt de la demande en litige et la date de publication de l’état de la technique cité, la disposition législative qui permet d’évaluer l’antériorité est l’alinéa 27(1)b) de la Loi sur les brevets telle qu’elle existait juste avant le 1er octobre 1989; cet alinéa se lit comme suit :
27.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas :
a) . . .
b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci‑après mentionnée;
[20] Un principe juridiquement reconnu en matière d’antériorité a été établi dans l’arrêt
Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, p. 297 (C.A.F.), infirmant (1984), 78 C.P.R. (2d) 1 (1re inst.), dans lequel le juge Hugessen déclarait ceci :
Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.
Conclusions
[21] Considérant les principes juridiques, et pour les motifs qui suivent, la Commission conclut que les revendications 1 à 5 et 12 à 20 sont dépourvues de nouveauté étant donné que toutes leurs caractéristiques essentielles sont présentées de façon explicite ou implicite dans Koike. Ce dernier fournit tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée, et une personne versée dans l’art qui prendrait connaissance des instructions de Koike arriverait infailliblement à l’invention revendiquée.
Analyse
[22] La Commission doit d’abord déterminer les limites de l’invention revendiquée en comparant certaines caractéristiques présentées à la revendication 1 avec les enseignements de la description; après cela, la question des enseignements de l’état antérieur de la technique pourra être considérée. Compte tenu des principes juridiques qui s’appliquent, si l’état antérieur de la technique divulgue une chose sur laquelle porte la revendication, il y a antériorité.
[23] La revendication 1 se lit comme suit :
[Traduction]
1. Une composition thérapeutique cryoconservée renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte; et une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules.
[24] Selon la Commission, les caractéristiques essentielles qui figurent à la revendication 1 et méritent une attention particulière sont les suivantes :
1) l’expression [Traduction] « composition [...] renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta »;
2) le terme [Traduction] « thérapeutique »;
3) l’expression [Traduction] « en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte ».
[25] En ce qui concerne la première expression, il est clair que la revendication 1 peut être raisonnablement interprétée comme visant du sang de cordon entier, ou soumis à une séparation, renfermant des cellules souches (ainsi que des cellules progénitrices); la présence de cellules souches étant indirectement établie au moyen d’un test visant à évaluer la présence de cellules progénitrices aussi observées dans de telles compositions. L’article 5.1.3 de la description indique que, bien que le sang de cordon entier soit préférable, les compositions visées par la revendication 1 pourraient aussi être enrichies de cellules souches et de cellules progénitrices. Il est indiqué à l’article 5.1.3.1 (page 38, lignes 7‑14) qu’une méthode d’enrichissement consiste à séparer le sang de cordon entier par centrifugation sur gradient de Ficoll-Hypaque de façon à obtenir une fraction de faible densité qui renferme à la fois des cellules souches et des cellules progénitrices. L’article 5.4.2 (page 50, lignes 16‑22) et l’article 6.2 indiquent que des tests in vitro d’évaluation des cellules progénitrices étaient utilisés pour mesurer la présence de cellules souches dans les fractions de faible densité obtenues par séparation de sang de cordon entier sur gradient de Ficoll-Hypaque.
[26] En ce qui a trait au terme « thérapeutique » et à l’expression « en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte », la Commission comprend que ces caractéristiques ne sont que des qualifications fonctionnelles, ou des allusions aux propriétés inhérentes des compositions revendiquées. Par conséquent, pour qu’une composition soit visée par la revendication 1, il n’est pas absolument nécessaire qu’il soit reconnu, ou indiqué explicitement, qu’elle renferme une quantité suffisante de cellules souches pour permettre la reconstitution hématopoïétique; il est suffisant qu’une composition renferme de façon inhérente et simplement assez de cellules souches pour permettre d’obtenir ce résultat souhaité.
[27] Pour ce qui est du nombre de cellules souches suffisant pour produire le résultat souhaité, la description indique à la page 42, aux lignes 11 à 23, qu’en théorie, une seule cellule souche est nécessaire pour permettre la reconstitution hématopoïétique, mais elle précise que dans des conditions cliniques, plus d’une cellule est généralement nécessaire. À l’article 6.8, intitulé « CALCULATIONS OF THE RECONSTITUTING POTENTIAL OF CORD BLOOD » (Calculs du potentiel de reconstitution du sang de cordon), il est mentionné ce qui suit à la page 97, aux lignes 14 à 29 :
[Traduction] L’analyse qui suit démontre que les échantillons individuels de sang de cordon (tels qu’ils sont décrits à l’article 6.1) renferment assez de cellules souches et de cellules progénitrices hématopoïétiques pour reconstituer le système hématopoïétique d’un individu.
Un examen des rapports publiés indique que le nombre de CFU-GM infusées pour la reconstitution autologue de la moelle osseuse chez des patients humains peut être utilisé de façon fiable comme indicateur du succès potentiel de la reconstitution hématopoïétique. Si l’on normalise les données publiées selon le poids du patient et qu’on présume qu’un patient pèse 150 livres (67,5 kilogrammes), on peut déterminer que le nombre de CFU-GM nécessaire à la réussite de la reconstitution hématopoïétique au moyen de cellules autologues de moelle osseuse varie de 2 à 425 x 104, une repopulation plus rapide étant observée lorsque le nombre dépasse 10 x 104 CFU-GM. [Citations omises]
[28] Mis à part les nombres absolus de cellules souches, à d’autres endroits, la description renvoie aux volumes de sang néonatal entier qui pourrait être utilisé pour la reconstitution. Il est par exemple mentionné ce qui suit à l’article 5.1.1.1, page 27, lignes 2 à 6 :
[Traduction] Les renseignements qui suivent laissent croire qu’une quantité aussi faible que 50 ml de sang de cordon renferme une quantité suffisante des cellules appropriées pour reconstituer le système hématopoïétique d’un adulte, et il est possible qu’une quantité encore plus petite de sang de cordon puisse avoir le même effet.
[29] Toutefois, ce passage et d’autres semblables sont peu utiles pour déterminer les limites précises de la revendication 1, car elles concernent des compositions obtenues à partir de sang de cordon entier, c’est‑à‑dire d’un échantillon soumis à une séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque. En conséquence, bien que la revendication 1 oriente globalement le lecteur vers les éventuels résultats souhaités, il reste que ni la revendication 1 ni le mémoire description ne fournissent d’indications numériques précises concernant le nombre de cellules souches hématopoïétiques obtenues à partir de sang néonatal ou placentaire qui sont requises pour obtenir le résultat souhaité.
[30] Fait important, au‑delà de l’analyse à portée très étroite qui précède, et au‑delà de la question de savoir si une composition renferme ou non un nombre suffisant de cellules souches pour permettre directement la reconstitution – interprétation de la revendication 1 qui semble aller dans le sens de tous les arguments de la demanderesse – il reste à répondre à la question plus vaste de savoir si la revendication 1 vise des compositions qui renferment un nombre suffisant de cellules souches pour permettre ultérieurement la reconstitution, p. ex. par multiplication post-décongélation des cellules souches présentes dans un échantillon cryoconservé. Cette interprétation plus vaste est corroborée par la mention au préambule de la revendication 1 d’une « composition thérapeutique cryoconservée », ce qui implique que la composition revendiquée existe à l’état congelé jusqu’à ce qu’elle soit utilisée pour un traitement; donc, la composition congelée visée par la revendication 1 n’est pas immédiatement et directement utilisée pour la reconstitution étant donné qu’elle doit d’abord à tout le moins être décongelée.
[31] Dans la même veine, le mémoire descriptif mentionne ce qui suit à l’article 5.1.3.2 , intitulé « IN VITRO CULTURES OF HEMATOPOIETIC STEM AND PROGENITOR CELLS » [Cultures in vitro de cellules souches et de cellules progénitrices hématopoïétiques]), page 43, lignes 4 à 6 : « Une procédure optionnelle (avant ou après la cryoconservation) consiste à effectuer une multiplication des cellules souches et des cellules progénitrices hématopoïétiques in vitro » (voir aussi l’article 5.1.3, à la page 36, précité). De même, l’article 6.9 donne des renseignements sur les conditions de culture in vitro des cellules souches et des cellules progénitrices hématopoïétiques (« IN VITRO CULTURE CONDITIONS FOR HEMATOPOIETIC STEM AND PROGENITOR CELLS »).
[32] À la lumière de ces enseignements, il est évident que la revendication 1 vise une composition qui renferme au moins une quantité suffisante de cellules souches pour permettre simplement l’augmentation in vitro du nombre de ces cellules, ce qui permet indirectement une reconstitution hématopoïétique ultérieure. Ainsi, il est clair que le nombre de cellules souches qui doit être présent dans une composition visée par la revendication 1 est beaucoup plus faible que le nombre qui serait nécessaire si la composition était utilisée directement pour la reconstitution. La Commission est d’avis qu’un échantillon de sang de cordon soumis à une séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque renferme assez de cellules souches pour permettre à tout le moins la multiplication in vitro de ces cellules et que, par conséquent, il a une valeur thérapeutique inhérente.
[33] Pour résumer son interprétation de la revendication 1, la Commission estime que la revendication vise raisonnablement un produit en soi qui peut se composer de sang de cordon soumis à une séparation sur gradient de Ficoll-Hypaque et d’un agent de cryoconservation.
[34] Si l’on examine maintenant les divulgations de l’état antérieur de la technique et la question de savoir si Koike divulgue ou non une chose visée par la revendication 1, on note que Koike s’intéresse à la reconstitution hématopoïétique chez l’humain et divulgue le traitement d’échantillons de sang de cordon humain (dont on savait qu’ils contiennent des cellules souches hématopoïétiques) par purification sur gradient de Ficoll-Hypaque suivie d’une cryoconservation. Des tests in vitro pour évaluer les cellules progénitrices viables, tests semblables à ceux utilisés dans la demande en l’espèce, ont été effectués avant et après la décongélation des échantillons purifiés et ont révélé la présence d’un nombre important de ces cellules. Comme c’est le cas avec la demande en l’espèce, une personne versée dans l’art considérerait la présence de cellules progénitrices viables comme un indicateur indirect de la présence de cellules souches dans les compositions cryoconservées divulguées par Koike. De plus, sous le titre « Method of Freezing » (Méthode de congélation), Koike mentionne la présence d’un nombre total appréciable de cellules mononucléaires de sang de cordon dans ses échantillons cryoconservés et divulgue effectivement au tableau 2 que des cellules progénitrices CFU-GM viables ont été détectées dans les échantillons décongelés et que leurs nombres étaient comparables à ceux observés dans les échantillons traités de la même façon dans la demande en litige (voir le tableau V).
[35] Après avoir comparé la portée de la revendication 1 aux divulgations de Koike, la Commission conclut que la revendication a une portée telle qu’elle inclut les compositions de Koike renfermant des cellules souches en nombre suffisant pour permettre à tout le moins une reconstitution hématopoïétique indirecte après décongélation, compositions qui ont donc une valeur thérapeutique inhérente.
[36] En réponse à la décision finale, la demanderesse a renvoyé à des données concernant quelques échantillons de son propre tableau III pour appuyer l’idée que la récupération de cellules souches à partir d’une préparation purifiée sur gradient de Ficoll‑Hypaque est incertaine étant donné que peu de cellules progénitrices viables ont été observées dans certains échantillons. Comme l’a souligné l’examinateur, la grande majorité des échantillons du tableau III renfermaient des cellules progénitrices viables, et donc probablement aussi des cellules souches viables. Si l’on se rappelle que le but de Koike et celui de la demande en litige est de récupérer des cellules viables, la Commission se demande pourquoi l’une ou l’autre de ces divulgations enseigneraient clairement à la personne versée dans l’art comment obtenir des compositions qui, à toutes fins pratiques, ne renferment pas de cellules viables. Considéré dans son ensemble, le mémoire descriptif enseigne comment récupérer des cellules progénitrices viables, et donc des cellules souches viables. De même, Koike enseigne lui aussi comment récupérer des cellules progénitrices viables, et donc, de façon inhérente, des cellules souches viables. Une personne versée dans l’art apprend de Koike et arrive infailliblement à produire une composition qui renferme de façon inhérente de cellules souches et qui sera inévitablement visée par la revendication 1.
[37] Dans sa réponse à la décision finale et lors de l’audience, la demanderesse a aussi soutenu qu’on ne peut raisonnablement conclure à la présence de cellules souches viables qu’en ayant recours à des tests fonctionnels et qu’une personne versée dans l’art ne peut raisonnablement conclure que des cellules souches viables sont nécessairement présentes dans tout échantillon soumis à des manipulations in vitro (p. ex. séparation sur gradient de Ficoll-Hypaque). Toutefois, à la lumière des propres enseignements de la demanderesse, il semble qu’après avoir lu le mémoire descriptif de la demanderesse, une personne versée dans l’art saurait qu’un échantillon de sang de cordon soumis à une séparation sur gradient de Ficoll-Hypaque contient des cellules souches. De même, après avoir lu Koike, une personne versée dans l’art arriverait à la même conclusion. Bien qu’on puisse prétendre, comme l’a fait la demanderesse d’après les quelques déclarations présentées, qu’un échantillon de sang de cordon soumis à une purification sur gradient de Ficoll-Hypaque et à un lavage pourrait perdre des cellules souches, il n’y a aucune raison valable de conclure immédiatement que toutes les cellules souches seraient perdues. Le sang de cordon entier pourrait être une réalisation privilégiée de la revendication 1, mais cette dernière ne comporte aucune limite de ce type. Par ailleurs, il a été noté que la demanderesse n’a jamais prétendu que les compositions cellulaires de Koike ne contenaient pas de cellules souches.
[38] La Commission souscrit donc à l’évaluation de l’examinateur selon laquelle la conclusion voulant que les compositions de Koike renferment de façon inhérente des cellules souches est scientifiquement valable. Il n’est pas raisonnable de rejeter Koike et de dire qu’il n’existe pas de preuve directe et démontrable de l’existence de cellules souches dans ses compositions parce que la demanderesse a pris la liberté d’utiliser des tests in vitro similaires comme indicateur indirect de la présence de cellules souches dans ses propres compositions préparées à l’aide d’un gradient de Ficoll-Hypaque. Par conséquent, la Commission estime que Koike a effectivement divulgué une composition renfermant « des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables », c’est‑à‑dire une préparation de sang de cordon soumis à une séparation sur gradient de Ficoll-Hypaque, étant donné que Koike et le mémoire descriptif en cause divulguent la même source de sang, laquelle était connue dans l’art comme une source de cellules souches, les mêmes méthodes de séparation, des méthodes de cryoconservation équivalentes et des méthodes de test équivalentes.
[39] Donc, pour conclure sur la question de l’antériorité, la Commission estime que toutes les caractéristiques de la revendication 1, qu’elles soient explicites ou implicites, étaient présentes dans la publication antérieure de Koike. En outre, Koike renferme tous les renseignements dont une personne versée dans l’art aurait besoin, en pratique, pour produire une composition cryoconservée qui serait visée par la revendication 1, et une personne versée dans l’art qui se conformerait aux instructions de Koike arriverait infailliblement à l’invention revendiquée.
[40] La Commission constate que les revendications dépendantes nos 2 à 5 et les revendications de méthodes nos 12 à 20 ne mentionnent aucune caractéristique suffisante pour distinguer l’invention revendiquée des compositions de Koike. Par conséquent, elle estime qu’elles sont elles aussi antériorisées.
QUESTION 2 : ÉVIDENCE
[41] La prochaine question sur laquelle a dû se pencher la Commission est de savoir si les revendications 21 à 45 et 57 à 66 sont évidentes eu égard à Koike. Les revendications 21, 22, 44, 56, 61, 63 et 65 sont des revendications indépendantes qui sont considérées évidentes eu égard à Koike :
[Traduction]
21. Une composition renfermant des cellules souches néonatales ou fœtales humaines cryoconservées viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte, et une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules en vue de leur utilisation dans une méthode de reconstitution hématopoïétique ou immunitaire chez un humain adulte. [Non souligné dans l’original]
22. Une composition renfermant des cellules souches néonatales ou fœtales humaines cryoconservées viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte, et une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules en vue de leur utilisation dans une méthode de traitement d’une maladie ou d’une affection chez un humain adulte. [Non souligné dans l’original]
44. L’utilisation d’une composition renfermant une multitude de cellules souches hématopoïétiques humaines ou fœtales viables obtenues à partir de sang pour la fabrication d’un médicament destiné à la reconstitution hématopoïétique ou immunitaire. [Non souligné dans l’original]
56. Une composition renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines cryoconservées obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte, et une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules en vue de leur utilisation dans une méthode de reconstitution hématopoïétique ou immunitaire chez un humain adulte. [Non souligné dans l’original]
61. L’utilisation d’une composition renfermant une multitude de cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang pour la fabrication d’un médicament destiné à la reconstitution hématopoïétique ou immunitaire, médicament dans lequel les cellules ont déjà été cryoconservées. [Non souligné dans l’original]
63. Une composition renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables en vue de leur utilisation dans une méthode de reconstitution hématopoïétique ou immunitaire chez un humain adulte et dans laquelle les cellules souches sont des cellules filles des cellules obtenues par la méthode visée par la revendication 12. [Non souligné dans l’original]
65. Une composition obtenue par la méthode visée à la revendication 12 en vue de son utilisation dans une méthode de traitement d’une maladie ou d’une affection chez un humain adulte. [Non souligné dans l’original]
Thèse de l’examinateur
[42] L’examinateur a refusé les revendications 21 à 44 et 56 à 65 au motif d’évidence eu égard à Koike et a déclaré ce qui suit :
[Traduction] La demanderesse soutient que Koike ne divulgue que le test de viabilité de certaines cellules progénitrices hématopoïétiques (c.‑à‑d. les cellules progénitrices pluripotentes précoces et non pas les cellules souches hématopoïétiques) dans des échantillons cryoconservés de moelle osseuse et de sang de cordon. La demanderesse affirme de plus (avec la déclaration du Dr Bernstein) que les cellules détectées par Koike sont des cellules progénitrices, et non pas des cellules souches, et que les tests de formation de colonies in vitro n’ont pas permis de détecter la présence de cellules souches capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique de longue durée chez l’humain. De plus, la demanderesse déclare que Koike a simplement émis l’hypothèse que le sang de cordon pourrait être utilisé comme source de cellules souches hématopoïétiques pour la restauration de la fonction de la moelle osseuse.
Avec tout le respect qu’il lui doit, l’examinateur n’est pas d’accord avec la demanderesse à ce sujet. Premièrement, le fait que la présence de cellules souches a été déduite de la présence de cellules progénitrices ne constitue en aucune façon une démonstration qu’aucune cellule souche n’était présente dans la préparation de Koike; en fait, cette déduction était courante au moment de l’invention [voir la page 97 de la demande en litige, selon laquelle « un examen des rapports publiés indique que le nombre de CFU‑GM (cellules progénitrices hématopoïétiques) infusées pour la reconstitution autologue de la moelle osseuse chez les patients humains peut être considéré comme un indicateur du potentiel de réussite de la reconstitution hématopoïétique »]. Deuxièmement, l’examinateur ne considère pas que Koike, dans le dernier paragraphe, à la page 281, a simplement émis l’hypothèse que le sang de cordon pourrait être utilisé comme source de cellules souches hématopoïétiques pour la restauration de la fonction de la moelle osseuse. L’examinateur croit au contraire que la publication de Koike devrait être considérée comme un tout et que la déclaration au dernier paragraphe (page 281) constitue en fait une prédiction valable [que le sang de cordon serait une bonne source de cellules souches hématopoïétiques capables de restaurer la fonction de la moelle osseuse].
L’examinateur estime donc que les compositions de Koike renferment bel et bien des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta et que l’utilisation de ces compositions pour le traitement de pathologies définies dans les revendications susmentionnées découle naturellement des enseignements de Koike.
Thèse de la demanderesse
[43] Dans sa réponse datée du 23 décembre 2002, la demanderesse a abordé la question de l’évidence et a notamment déclaré ce qui suit :
[Traduction] La demanderesse affirme respectueusement que Koike divulgue le test de viabilité de certaines cellules progénitrices hématopoïétiques dans des échantillons cryoconservés de moelle osseuse et de sang de cordon. Les échantillons de sang de cordon ont été prélevés, puis soumis à une séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque; par la suite, certains échantillons ne renfermant que 2‑5 x 106 mononucléaires ont été congelés. Après avoir été décongelés, les échantillons ont été soumis à un test visant à déterminer la viabilité des cellules progénitrices par leur capacité à former des colonies in vitro. Koike a effectué des tests pour les cellules progénitrices CFU‑GM, BFU‑E et CFU‑E, qui sont des cellules progénitrices pluripotentes précoces, et non pas pour les cellules souches hématopoïétiques (voir le mémoire descriptif de la page 17, ligne 7, à la page 18, ligne 9). Comme on peut clairement s’en rendre compte à la lecture des définitions des cellules souches et des cellules progénitrices qui figurent dans la demande en l’espèce (voir le brevet en litige, article 2.1), les cellules détectées par Koike sont des cellules progénitrices, et non pas des cellules souches (voir aussi la deuxième déclaration de Bernstein, ¶ 9). De plus, le Dr Bernstein précise au ¶ 30 de la deuxième déclaration que le test de formation de colonies in vitro ne permet pas de détecter la présence de cellules souches capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique de longue durée chez l’humain. Au dernier paragraphe, à la page 281 (paragraphe qui débute à la colonne 1 et se termine à la colonne 2), Koike émet simplement l’hypothèse que le sang de cordon pourrait être utilisé comme source de cellules souches hématopoïétiques pour la restauration de la fonction de la moelle osseuse.
La demanderesse argue respectueusement que rien dans la divulgation de Koike ne laisse croire ni ne permet de s’attendre raisonnablement à l’obtention de la composition cryoconservée renfermant des cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir de sang de cordon ombilical ou de sang de placenta prélevé chez un seul humain au moment de sa naissance et dans laquelle les dites cellules sont présentes en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique d’un humain adulte; et une quantité d’agent de cryoconservation suffisante pour la cryoconservation des dites cellules. De plus, rien dans Koike ne permet de s’attendre raisonnablement au succès de l’utilisation de cellules souches et/ou de cellules progénitrices hématopoïétiques néonatales ou fœtales pour la reconstitution hématopoïétique ou immunitaire ou pour le traitement d’une maladie ou d’une affection chez un humain adulte.
Premièrement, il existait des enseignements clairs dans la technique qui auraient amené un artisan versé dans l’art à éviter la cryoconservation d’une source fœtale ou néonatale potentielle de cellules souches capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique (cellules souches hématopoïétiques pluripotentes, ou CSHP). Par exemple, il était connu que les CSHP isolées de diverses sources avaient une sensibilité différente à la cryoconservation et que les CSHP provenant de certaines sources (p. ex. du foie fœtal ou du thymus fœtal) semblaient être détruites par la cryoconservation.
. . .
Deuxièmement, pour déterminer si une source tissulaire particulière renferme des cellules souches qui sont capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique chez un humain et qui sont présentes en quantité suffisante pour ce faire – lorsqu’il n’a pas été confirmé auparavant in vivo que les cellules souches de cette source sont capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique – le seul moyen est d’administrer les cellules à un patient et d’évaluer si une reconstitution hématopoïétique se produit. Au moment où l’invention a été réalisée, il n’existait aucun test in vitro qui permettait de détecter les cellules souches hématopoïétiques pluripotentes, qui peuvent reconstituer le système hématopoïétique d’un humain.
Troisièmement, les tests de formation de colonies in vitro utilisés par Koike au moment où l’invention a été réalisée n’étaient pas reconnus comme des indicateurs de la présence de cellules souches (CSHP) capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique (c.‑à‑d. une reconstitution de longue durée des populations de la moelle osseuse). Par exemple, il était connu que les cellules formant des colonies in vitro étaient distinctes et physiquement séparables des cellules souches capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique (voir la deuxième déclaration de Bernstein, ¶ 9 à 21, sur laquelle l’examinateur est invité à s’attarder).
Quatrièmement, comme l’explique le Dr Bernstein dans sa deuxième déclaration, ¶ 30, les connaissances courantes dans l’art l’auraient plutôt incité, comme toute personne versée dans l’art, à croire que le sang néonatal ou fœtal humain normal ne serait probablement pas utile pour la reconstitution hématopoïétique. Comme l’indique le Dr Bernstein (¶ 30) :
. . .
Rien ne laisse croire dans Koike que des cellules souches capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique chez un humain sont présentes, et encore moins en quantité suffisante, dans le sang néonatal ou fœtal humain; rien ne permet non plus de s’attendre raisonnablement à l’obtention d’une composition (avec un agent de cryoconservation exogène) qui contienne assez de cellules souches pour la reconstitution hématopoïétique chez un humain. De plus, comme il a déjà été expliqué, Koike n’a pas cryoconservé une quantité suffisante de cellules souches pour effectuer une reconstitution hématopoïétique chez un humain adulte.
En conséquence, Koike, seul ou combiné à toute autre référence déjà citée par l’examinateur, ne rend évident aucun objet revendiqué de l’invention.
En outre, la demanderesse propose de mentionner à l’examinateur que les enseignements de Koike ne rendent pas évidentes les compositions revendiquées, car 1) même si l’on présume, aux fins de la discussion, que des cellules souches capables d’effectuer une reconstitution hématopoïétique étaient présentes, pour qu’une personne versée dans l’art au moment où l’invention a été réalisée s’attende à ce que la composition revendiquée soit utile pour la reconstitution hématopoïétique, cette personne aurait cru que des quantités suffisantes de cellules souches ayant une capacité de reconstitution hématopoïétique devaient être présentes dans un échantillon de cellules sanguines néonatales ou fœtales humaines provenant d’un seul nouveau‑né ou fœtus humain (et donc présentes dans un seul échantillon), et rien ne laissait croire dans l’état antérieur de la technique que de telles quantités étaient présentes et/ou pouvaient être obtenues dans un seul échantillon; 2) si l’on présume, aux fins de la discussion, que l’idée de l’invention était suggérée, les inquiétudes relativement à la contamination par des cellules maternelles et à la réaction du greffon contre l’hôte auraient fait en sorte qu’on ne se serait attendu à aucune utilité.
. . .
De plus, les publications dont il est fait mention aux pages 24 à 31 de la réponse de la demanderesse déposée le 20 décembre 1996 témoignent du scepticisme initial ainsi que des doutes sérieux émis par les experts du domaine après la première publication par les présents inventeurs divulguant l’invention revendiquée en l’espèce. Ces références montrent de façon chronologique la transition de la pensée dans la technique, passant du scepticisme à l’incertitude, puis à la reconnaissance de l’utilité de l’invention revendiquée, reconnaissance accompagnée de suggestions quant à l’utilisation de l’invention, puis de la reproduction de celle‑ci; cette transition est survenue au fur et à mesure que des publications dans le domaine ont graduellement démontré de façon irréfutable, par l’utilisation thérapeutique réussie in vivo, l’utilité des compositions revendiquées pour la reconstitution hématopoïétique chez l’humain.
Ces références expliquent encore davantage les raisons susmentionnées pour lesquelles une personne versée dans l’art ne se serait pas raisonnablement attendue à l’utilité des cellules sanguines néonatales ou fœtales humaines pour la reconstitution hématopoïétique ni ne l’aurait prédite à la lumière des enseignements de Koike. [Notes de bas de page omises]
Évidence : principes juridiques
[44] La Loi sur les brevets, telle qu’elle existait juste avant le 1er octobre 1989, ne renferme aucune disposition explicite selon laquelle l’invention ne doit pas être évidente. Néanmoins, le principe de la non‑évidence est considéré comme implicite dans la signification du terme « invention » et est depuis longtemps considéré par les tribunaux comme une exigence fondamentale pour la brevetabilité.
[45] Dans l’arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (précité, p. 294), le juge Hugessen a établi le principe suivant en matière d’évidence :
Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
Conclusions
[46] En s’appuyant sur ce principe, et pour les motifs qui suivent, la Commission est d’avis que les revendications 21 à 44 et 56 à 65 ne sont pas évidentes eu égard à Koike.
Analyse
[47] Dans la décision finale, les revendications 21 à 44 et 56 à 65 ne sont pas considérées comme antériorisées. Par conséquent, il est implicitement reconnu qu’il existe une distinction entre Koike et l’objet revendiqué. Comme il a déjà été souligné, et contrairement à la revendication 1, il est évident que les revendications indépendantes jugées évidentes comportent une limite d’utilisation inhérente et explicite. De plus, vu la conclusion de la Commission relative à l’antériorité, il est clair qu’une composition (p. ex. un échantillon de sang de cordon, ou même de sang néonatal ou placentaire entier, soumis à une séparation sur gradient de Ficoll‑Hypaque) qui est visée par les revendications est ancienne. En conséquence, les revendications en question sont considérées comme étant liées au nouvel usage d’un ancien produit.
[48] En l’espèce, l’utilité revendiquée des compositions est une utilité clinique ou médicale liée principalement à la reconstitution hématopoïétique ou immunitaire. La nouvelle utilité est fondée, en partie, sur des expériences de cryoconservation in vitro qui valident une méthode d’application pratique de l’idée d’utiliser une composition renfermant des cellules souches hématopoïétiques obtenues à partir de sang de cordon humain comme produit cliniquement utile de remplacement de la moelle osseuse en vue de la reconstitution hématopoïétique. Les expériences de cryoconservation indiquaient que des cellules souches viables pouvaient être récupérées à partir du sang de cordon en quantité suffisante pour permettre la reconstitution hématopoïétique. Fait important, à l’article 6.11, la demande en litige divulgue également des expériences in vivo réussies dans lesquelles on a administré à des souris ayant reçu une dose létale de rayonnement du sang néonatal à des fins de traitement de reconstitution. Les volumes de sang infusés aux souris durant ces expériences sont comparables, par rapport à la masse d’un sujet, à ceux qu’il est possible d’obtenir, selon la divulgation, à partir de sang de cordon ombilical d’un seul humain. L’article 6.12 de la demande établit un protocole thérapeutique faisant appel à du sang de cordon cryoconservé, protocole qui a été appliqué chez un humain. Le protocole n’est donc pas un exemple hypothétique et fournit des indications techniques valables à une personne versée dans l’art, et ce, même si aucun résultat positif de cet exemple n’est divulgué.
[49] Les revendications ont été refusées eu égard à Koike, qui divulgue des compositions obtenues à partir de sang de cordon humain. De façon très similaire à la demande en l’espèce, Koike divulgue aussi des expériences de cryoconservation réussies qui se traduisent par la présence d’un nombre important de cellules souches viables dans les échantillons décongelés des compositions, résultat qui semble de bon augure pour les utilisations thérapeutiques de telles compositions. Koike conclut en suggérant que [Traduction] « les cellules ou organes hématopoïétiques fœtaux pourraient constituer une des sources utiles de cellules progénitrices hématopoïétiques pour la greffe de moelle osseuse », ce qui, aux termes de la décision finale, permet de prédire l’utilisation revendiquée.
[50] Cependant, Koike ne divulgue aucun type d’expérience in vivo qui amènerait une personne versée dans l’art à passer du laboratoire à la clinique. Par ailleurs, Koike ne fournit aucune indication ni orientation cliniques à une personne versée dans l’art sur la façon d’effectuer une reconstitution hématopoïétique réussie. La Commission note que les inventeurs de la demande en l’espèce ont adapté des protocoles connus utilisés chez des modèles souris qui datent de 1977 (voir l’article 6.11) afin d’obtenir certaines de leurs données in vivo. Il est permis de présumer que Koike aurait pu avoir accès à de tels protocoles et les utiliser pour pousser plus loin ses résultats de laboratoire, ce qu’il n’a apparemment pas fait. Il semble aussi qu’au moins six années se sont écoulées entre les travaux de Koike et le dépôt de la demande en l’espèce. Pendant cette période, il apparaît à la Commission que comme les seuls travaux cités sont ceux de Koike, personne n’a réussi à poursuivre ces travaux en vue de l’utilisation thérapeutique des compositions obtenues à partir de sang de cordon humain, ni même tenté de le faire, et cela malgré le fait que des indices positifs auraient pu laisser entrevoir une utilité thérapeutique.
[51] En plus du principe classique en matière d’évidence établi dans Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (précité), la Commission s’est aussi appuyée sur un certain nombre d’autres décisions pertinentes.
[52] Dans l’arrêt Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp & Paper Mills Ltd., [1929] 1 D.L.R. 209, p. 216 (C.P.), infirmant [1928] 1 D.L.R. 313 (C.S.C.), confirmant [1926] 3 D.L.R. 902 (C. de l’É.), lord Dunedin, parlant au nom du Conseil privé, a fait une observation simple concernant une solution présumée évidente au problème de coincement des doigts dans des machines à fabriquer du papier :
La première observation évidente, c’est que s’il ne fallait pas d’invention, il était très étrange qu’on ait laissé les gens continuer de se coincer les doigts depuis 35 ans.
[53] Dans la décision Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius and Bruning c. Halocarbon (Ontario) Ltd. (1979), 42 C.P.R. (2d) 145, p. 155 (C.S.C.), infirmant (1976), 28 C.P.R. (2d) 63 (C.A.F), infirmant (1974), 15 C.P.R. (2d) 105 (1re inst.), la Cour Suprême a déclaré ce qui suit :
Très peu d’inventions sont des découvertes imprévues. En pratique, tous les travaux de recherches suivent l’orientation donnée par l’état de la technique. Dans ces conditions et avec l’avantage du recul, il y aurait presque toujours moyen de dire qu’il n’y a aucun esprit inventif dans les nouveaux perfectionnements parce que chacun peut alors voir comment les réalisations antérieures montraient la voie.
[54] Finalement, la Commission prend note des commentaires formulés par le juge Lederman dans l’arrêt Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, p. 80-81 (C. Ont. (Div. gén.)), conf. (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A. Ont.) :
Aussi, même si on s’imaginerait normalement que le laboratoire de cette personne mythique est plein d’éprouvettes et de boîtes de Pétri mythiques et qu’elle passe sa vie en expérimentations, aucune recherche de cette nature n’est prise en compte aux fins de l’application du critère juridique. Toute logique qu’ait pu paraître à une personne effectivement versée dans l’art à cette époque, en fonction de l’état des connaissances, de mener certaines expérimentations, cela n’est pas permis au technicien mythique versé dans l’art. Ce chercheur mythique ne peut posséder un esprit de recherche ou de réflexion qui le conduirait ultimement à la solution, mais on attend plutôt de lui qu’il s’exclame instantanément et spontanément, sans plus, « Je connais déjà la réponse et elle est évidente ». Pas plus qu’il ne convient de dire qu’il y avait des indications importantes qui guidaient l’expert mythique vers la solution ou des indices suffisants pour que l’invention « vaille la peine d’être tentée ».
[55] Si l’invention revendiquée en l’espèce est évidente eu égard à Koike, la Commission ne voit pas clairement pourquoi on aurait laissé souffrir pendant six autres années des patients qui avaient besoin d’une reconstitution hématopoïétique et qui auraient pu bénéficier des avantages de l’invention revendiquée, ni pourquoi une personne versée dans l’art serait conduite directement et sans difficulté à l’invention revendiquée si les enseignements de Koike montraient la voie. Bien que Koike ait pu montrer la voie et contribuer à la technique, il reste que ses enseignements renferment des lacunes importantes qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas été capable de combler sans procéder à d’autres expérimentations indues.
[56] Par conséquent, la Commission estime que les revendications indépendantes 21, 22, 44, 56, 61, 63 et 65 ne sont pas évidentes eu égard à Koike seul et, par extension, que les revendications dépendantes 23 à 43, 57 à 60, 62 et 64 ne sont pas non plus évidentes.
QUESTION 3 : ÉTAYAGE
[57] La dernière question à examiner est de savoir si les revendications 6 à 11, 45 à 55 et 66 à 81 sont suffisamment étayées selon le paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets.
[58] Les revendications considérées comme non fondées sur la description concernent généralement des cellules souches hématopoïétiques obtenues à partir de sang néonatal ou fœtal humain dans lesquelles est incorporée de façon stable une séquence génique hétérologue utilisée dans le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain. Les revendications représentatives sont les suivantes :
[Traduction]
6. Une cellule souche hématopoïétique néonatale ou fœtale humaine in vitro obtenue à partir du sang et dans laquelle est incorporée de façon stable une séquence génique hétérologue utilisée dans le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain, la dite cellule étant capable de produire une cellule fille qui exprime la séquence génique hétérologue.
45. Une composition renfermant une multitude de cellules souches hématopoïétiques humaines ou fœtales viables obtenues à partir du sang et qui contiennent une séquence génique hétérologue utilisée dans le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain, la dite séquence étant incorporée de façon stable et pouvant s’exprimer chez les cellules filles produites par les cellules souches, en vue d’une utilisation dans une méthode de reconstitution hématopoïétique ou immunitaire chez l’humain.
66. Une composition renfermant une cellule souche hématopoïétique néonatale ou fœtale humaine obtenue à partir du sang et dans laquelle est incorporée de façon stable une séquence génique hétérologue utilisée dans le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain, la dite cellule étant capable de produire une cellule fille qui exprime la séquence génique hétérologue, en vue d’une utilisation dans une méthode de traitement ou de prévention d’une maladie ou d’une affection chez un patient humain.
79. Une composition renfermant une multitude de cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines viables obtenues à partir du sang et qui contiennent une séquence génique hétérologue utilisée dans le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain, la dite séquence étant incorporée de façon stable et pouvant s’exprimer chez les cellules filles produites par les cellules souches.
81. La méthode décrite à la revendication 12 à laquelle s’ajoute la transformation stable de cellules souches décongelées, au moyen d’une séquence génique hétérologue utilisée dans le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain, la dite séquence génique hétérologue pouvant être exprimée par les cellules filles des cellules souches.
Thèse de l’examinateur
[59] En ce qui concerne la question de l’étayage, l’examinateur a déclaré ce qui suit :
[Traduction] Les revendications 6 à 11, 46 à 56 et 67 à 82 [auparavant les revendications 10 à 15, 59 à 69 et 83 à 97] ne sont pas conformes au paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets parce qu’elles ne sont pas fondées sur la description.
La demanderesse a soutenu qu’à la lumière des réussites ultérieures (1995‑1996, c.‑à‑d. sept ou huit ans après le dépôt de la demande en litige) des méthodes revendiquées et de la thérapie génique au moyen de cellules souches hématopoïétiques néonatales ou fœtales humaines obtenues à partir du sang, l’utilité de l’invention revendiquée était valablement établie et que, par conséquent, les revendications susmentionnées ne devraient pas être refusées.
L’examinateur convient que l’utilité [prospective] des cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées était valablement établie au moment de l’invention, mais le refus des revendications mentionnées ne repose pas sur l’absence d’utilité [prospective], mais plutôt sur l’étayage insuffisant à l’égard de l’objet revendiqué.
La demanderesse n’a préparé aucune cellule souche ni cellule progénitrice hématopoïétique néonatale ou fœtale humaine transformée obtenue à partir du sang. Elle ne revendique en fait qu’une utilisation ou des compositions espérées qui n’ont été décrites qu’en termes d’attributs souhaités. La description d’une demande de brevet s’adresse à une personne versée dans l’art dont l’invention relève et doit être rédigée de façon que cette personne puisse mettre en pratique l’invention. La demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait réussi à transformer aucune des cellules souches/cellules progénitrices présentes dans du sang fœtal ou néonatal et a été encore moins en mesure de démontrer l’efficacité de ces cellules dans la thérapie génique. Elle n’a donc pas étayé suffisamment les revendications susmentionnées. La demanderesse est respectueusement renvoyée à une décision du commissaire (Institut Pasteur, dans Canadian Patent Reporter 76 C.P.R. (3d) p. 206-218) pour pouvoir mieux comprendre la question. Par ailleurs, il vaut la peine de noter que la demande en cause peut être distinguée de la demande de laquelle a découlé la décision Monsanto (Monsanto Co. c. Commissaire aux brevets (1979) 42 C.P.R. (2d) 161), dans laquelle tout l’objet revendiqué était divulgué et ce qui était prédit était que tout l’objet divulgué aurait une utilité d’après des similitudes structurales, étant donné que certains des composés revendiqués avaient été mis à l’essai et s’étaient avérés utiles. Dans la demande en litige, la demanderesse essaie de revendiquer des compositions renfermant des cellules souches/cellules progénitrices néonatales ou fœtales transformées obtenues à partir du sang ainsi que leur utilisation, mais elle n’a divulgué aucune de ces cellules souches/cellules progénitrices transformées et ne peut pas les décrire explicitement et sans ambiguïté. La demanderesse fonde ses revendications sur une prédiction qu’elle pourrait obtenir ces produits en se servant de techniques bien connues et que les produits obtenus seraient utiles. Toutefois, dans l’affaire Monsanto, la Cour suprême n’a pas estimé que des produits qui n’étaient pas divulgués ni ne pouvaient être décrits pouvaient être revendiqués.
Thèse de la demanderesse
[60] La réponse de la demanderesse, datée du 23 décembre 2002, tentait de résoudre la question de l’étayage. À ce sujet, la demanderesse a fait valoir ceci :
[Traduction] L’examinateur soutient que la description souffre d’un étayage insuffisant à l’égard de l’objet revendiqué et, à l’appui de cette objection, renvoie à la décision du commissaire dans l’affaire Institut Pasteur (76 C.P.R. (3d) p. 206‑218). La demanderesse soutient respectueusement que, contrairement au mémoire descriptif en cause dans l’affaire Institut Pasteur, le présent mémoire descriptif décrit les étapes utilisées avec succès pour produire les cellules souches recombinantes revendiquées et ainsi que leur utilisation revendiquée, c’est donc dire que le mémoire descriptif fournit une orientation suffisante pour permettre à un travailleur versé dans l’art de fabriquer et d’utiliser l’invention revendiquée. En particulier, la demanderesse renvoie respectueusement l’examinateur aux articles 2, 5.6 et 5.6.5 du mémoire descriptif, dans lequel sont décrites des méthodes précises pour transformer les molécules d’acide nucléique recombinantes dans les cellules, y compris les cellules souches, et leur utilisation pour la reconstitution hématopoïétique et le traitement ou la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain.
À l’article 2.4, aux pages 14 à 16, des références sont examinées concernant des systèmes très efficaces de transfert génique pour les cellules, y compris les cellules souches et les cellules progénitrices hématopoïétiques, dont des vecteurs viraux (p. ex. rétrovirus, adénovirus, papovavirus et virus de la vaccine) et des méthodes de transfert génique médiées par l’ADN (p. ex. techniques faisant appel à la précipitation au CaPO4, au DEAE‑dextrane, à la microinjection, aux liposomes, au transfert de chromosomes et à la transfection). Par ailleurs, il est mentionné que des vecteurs rétroviraux recombinants ont été beaucoup utilisés sur le plan expérimental pour transduire des cellules souches et des cellules progénitrices hématopoïétiques.
À l’article 2.4, il est également indiqué que le gène de l’hypoxanthine phosphoribosyl transférase s’était exprimé avec succès chez des souris après le transfert, par un vecteur rétroviral, de cellules souches hématopoïétiques isolées de la moelle osseuse, et que tant le gène de la dihydrofolate réductase que celui de la globine humaine s’étaient exprimés avec succès chez des souris après transfection, au moyen de CaPO4, de cellules souches hématopoïétiques murines.
À l’article 5.6.5, aux pages 61à 64, on indique comment effectuer une reconstitution hématopoïétique ou comment traiter ou prévenir une maladie ou une affection au moyen de cellules souches hématopoïétiques recombinantes, c.‑à‑d. des cellules souches dans lesquelles a été incorporé de façon stable un gène hétérologue pouvant s’exprimer dans les cellules filles. Par exemple, à la page 62, le mémoire descriptif divulgue que des patients dont les cellules hématopoïétiques ne possèdent pas un gène ou renferment un gène mutant peuvent faire l’objet d’une reconstitution au moyen de cellules souches ou de cellules progénitrices néonatales dans lesquelles est incorporé un équivalent fonctionnel du gène manquant ou mutant.
À la page 62, le mémoire descriptif enseigne aussi que des patients infectés par un microorganisme pathogène peuvent aussi être traités au moyen de cellules souches hématopoïétiques recombinantes renfermant un gène hétérologue qui, lorsqu’il s’exprime, atténue les symptômes de la maladie, est toxique pour le pathogène ou perturbe le cycle vital de ce dernier. En outre, à la page 63, le mémoire descriptif montre qu’on peut utiliser des cellules souches hématopoïétiques recombinantes pour traiter une maladie ou une affection de la façon suivante : on modifie des cellules souches ou des cellules progénitrices recombinantes de façon qu’elles expriment une séquence anti‑sens de l’acide nucléique d’un pathogène. Comme l’explique le mémoire descriptif à la page 63, aux lignes 10 à 23 :
Une telle séquence, qui est complémentaire de l’ARN ou de l’ADN du pathogène, peut s’hybrider à cet ARN ou ADN et l’inactiver, ce qui inhibe la fonction ou l’expression de l’acide nucléique et perturbe le cycle vital du pathogène. À titre d’exemple, des cellules hématopoïétiques néonatales recombinantes peuvent être utilisées dans le traitement du sida, maladie causée par le VIH, virus qui, semble‑t‑il, infecte les lymphocytes T4+ (Dagleish et coll., 1984, Nature 312:763‑766; Klatzmann et coll., 1984, Nature 312:767‑768). Des cellules souches et des cellules progénitrices néonatales recombinantes qui expriment un acide nucléique anti‑sens complémentaire d’une région critique (p. ex. répétition terminale longue ou séquence de la polymérase) du génome du VIH (Wain‑Hobson et coll., 1985, Cell 40:9‑17) peuvent être utilisées pour la reconstitution hématopoïétique en vue du traitement du sida.
Par ailleurs, le tableau 11, qui figure aux pages 53 à 56 du mémoire descriptif, renferme un certain nombre d’exemples de maladies, dont des maladies génétiques et des maladies causées par une infection par un pathogène, qui pourraient être traitées au moyen de la reconstitution hématopoïétique par des cellules souches hématopoïétiques recombinantes.
De plus, au paragraphe qui débute à la page 63 et se termine à la page 64, le mémoire descriptif fournit certains exemples de méthodes qui permettent d’introduire des gènes étrangers à l’intérieur de cellules, méthodes qui peuvent aussi être employées pour introduire un gène étranger dans des cellules souches hématopoïétiques aux fins de la thérapie génique. Ces méthodes comprennent notamment le transfert de chromosomes (fusion cellulaire, transfert génique à médiation chromosomique, transfert génique à médiation microcellulaire, etc.), des méthodes physiques (transfection, fusion par sphéroplaste, microinjection, électroporation, vecteur liposomique, etc.) et le transfert par des vecteurs viraux (p. ex. virus à ADN recombinant, virus à ARN recombinant).
À la lumière de ce qui précède, la demanderesse soutient respectueusement que les revendications 6 à 11, 46 à 56 et 67 à 82 se fondent sur la description. Elle demande respectueusement le retrait de cette objection.
Étayage : principes juridiques
[61] Le paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets précise ceci : « Chaque revendication se fonde entièrement sur la description. »
[62] Bien que, dans sa décision finale, l’examinateur n’en fasse pas explicitement mention, la question de l’étayage fait aussi partie des exigences du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets telle qu’elle existait tout juste avant le 1er octobre 1989; le paragraphe se lit comme suit :
34. (1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :
a) décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur;
b) expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;
. . .
(d) s’il s’agit d’un procédé, explique la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention d’autres inventions;
. . .
[63] En ce qui concerne l’étayage des revendications à l’égard d’inventions biologiques, la Commission s’appuie sur les conclusions de la Commission d’appel des brevets, telle qu’elle existait alors, et sur la décision du commissaire aux brevets qui a suivi dans l’affaire Institut Pasteur (1995), 76 C.P.R. (3d) 206 [Pasteur], laquelle propose que la description doive décrire clairement et précisément l’objet revendiqué de façon qu’une personne versée dans l’art puisse fabriquer et utiliser l’invention sans expérimentation indue. À la page 215 de la décision, on peut lire ceci :
En l’espèce, la demanderesse ne démontre pas au moyen d’exemples ou d’énoncés généraux les étapes qu’elle a suivies pour produire des hybridomes qui sécrètent des anticorps monoclonaux pouvant se fixer uniquement à l’antigène spécifique. Si un hybridome et un anticorps monoclonal contre certains antigènes avaient été préparés, il aurait été possible de juger acceptables d’autres hybridomes et anticorps monoclonaux revendiqués, mais non préparés, ou préparés mais non testés, compte tenu du principe de la « prédiction valable ». En l’espèce, la divulgation ne contient aucun renseignement sur un anticorps monoclonal de sorte qu’il n’existe aucun élément pouvant étayer une prédiction valable.
La Commission arrive à la conclusion qu’il n’existe pas suffisamment de renseignements concernant la méthode fondamentale à utiliser et les modifications pouvant être apportées à la méthode de base à l’égard des antigènes spécifiques divulgués. Il est impossible de combler de telles lacunes en ce qui concerne les indications en renvoyant la personne versée dans l’art à des expériences effectuées au moyen de techniques classiques.
En résumé, la Commission estime également que la description ne comporte aucune référence ni description claires qui permettraient à une personne versée dans l’art de fabriquer l’invention et de l’utiliser sans expérimentations longues et considérables. La Commission conclut que dans la divulgation en l’espèce, les hybridomes et les anticorps monoclonaux visés par les revendications 84 et 85 ne sont pas décrits ou exposés d’une façon qui permette de les confectionner, les construire, les composer ou les utiliser, d’une façon conforme au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets.
[64] La Commission s’appuie aussi sur la décision rendue dans Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C.É. 306, p. 316-317, où les exigences générales de la description sont abordées :
Deux choses doivent être décrites dans les divulgations d’un mémoire descriptif, la première étant l’invention et l’autre étant son application ou exploitation telles que les a conçues l’inventeur et à l’égard desquelles la description doit être exacte et complète. Cette exigence a pour but de faire en sorte que, lorsque la période de validité du monopole aura expiré, le public pourra, à l’aide de ce simple mémoire descriptif, profiter de l’invention de la même façon que le pouvait l’inventeur au moment de sa demande. La description doit être exacte, ce qui signifie qu’elle doit être claire et précise. Elle ne doit comporter aucune obscurité ou ambiguïté évitables et doit être aussi simple et distincte que le permet la difficulté de description. Elle ne doit pas contenir des énoncés erronés ou trompeurs ayant pour objet d’induire en erreur ou de tromper les personnes auxquelles s’adresse le mémoire descriptif et d’en rendre l’exploitation difficile sans mise à l’essai. Par exemple, l’inventeur ne doit pas mentionner l’emploi d’autres procédés de mise en pratique si un seul peut s’appliquer en pratique, même si les personnes versées dans l’art auraient tendance à choisir le procédé pratique. La description de l’invention doit également être complète, ce qui signifie que sa portée doit être définie, car on ne peut rien revendiquer qui n’a pas été décrit dans la demande. La description doit également donner tous les renseignements qui sont nécessaires à l’application ou à l’exploitation de l’invention, sans qu’il faille procéder à des expériences, et les mises en garde nécessaires pour assurer le succès de l’entreprise doivent être données. En outre, l’inventeur doit agir en toute bonne foi et communiquer tous les renseignements dont il dispose et qui permettront la meilleure application possible de l’invention telle qu’il l’a conçue.
Conclusions
[65] À la lumière de ces décisions, et pour les motifs qui suivent, la Commission conclut que les revendications 6 à 11, 45 à 55 et 66 à 81 ne sont pas suffisamment étayées au sens du paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets.
Analyse
[66] La Commission note que la revendication 6 vise un produit en soi, c’est‑à‑dire une cellule souche hématopoïétique génétiquement modifiée isolée de sang néonatal ou fœtal humain. Les revendications 45 et 66 visent des compositions renfermant des cellules souches hématopoïétiques dont l’usage prévu se limite intrinsèquement à des méthodes thérapeutiques; toutefois, les revendications n’indiquent pas explicitement la présence d’aucun autre composant dans les compositions. La revendication 79 vise une composition en soi qui renferme au moins une multitude de cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées; encore une fois, aucun autre composant de la composition n’est mentionné. La revendication 81 est une revendication à l’égard d’une méthode de modification génétique d’une cellule souche hématopoïétique décongelée. Fait important, toutes ces revendications indiquent que l’entité biologique porteuse de la séquence génique hétérologue pourrait minimalement, essentiellement et uniquement consister en cellules souches hématopoïétiques; rien n’indique dans les revendications que les produits renferment d’autres entités biologiques, c.‑à‑d. des cellules progénitrices hématopoïétiques.
[67] L’article 5.6.5 de la description constitue la description la plus claire et la plus précise de l’objet revendiqué par la demanderesse. Cet article renferme d’un bout à l’autre des référence ambiguës concernant tantôt des cellules souches et des cellules progénitrices génétiquement modifiées, tantôt des cellules souches ou des cellules progénitrices génétiquement modifiées. Il contient aussi des descriptions de méthodes qui concernent une étape de la fabrication d’une cellule souche génétiquement modifiée, c’est‑à‑dire celle qui consiste à insérer une séquence génique dans une cellule souche et/ou une cellule progénitrice. Cet article renferme aussi des indications selon lesquelles diverses maladies « peuvent être » traitées par la thérapie génique faisant appel à des cellules souches et à des cellules progénitrices recombinantes. Cependant, on n’y trouve aucune description claire et précise de méthodes qui pourraient être utilisées pour isoler uniquement les cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées ni aucune description claire et précise des cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées isolées revendiquées elles‑mêmes qui existent indépendamment des autres types de cellules, c.‑à‑d. indépendamment des cellules progénitrices. Il est noté que l’article 5.1.3.1 traite de méthodes de séparation des cellules souches et des cellules progénitrices. Toutefois, aucune méthode qui servirait à isoler uniquement les cellules souches hématopoïétiques n’est décrite. Il est impossible de combler ces lacunes en s’appuyant sur les connaissances communes que devrait posséder une personne versée dans l’art, car la modification génétique de cellules souches hématopoïétiques humaines isolées de sang néonatal ou placentaire n’était pas pratiquée régulièrement à l’époque. Bien que la documentation relative à l’invention dont il est question à l’article 2.4 porte sur diverses méthodes connues, l’état de la technique ne traite pas clairement et expressément de la modification génétique des cellules souches hématopoïétiques humaines seulement; au mieux, l’état de la technique au moment du dépôt de la demande décrivait la modification génétique de cellules souches/cellules progénitrices et de cellules de la moelle osseuse, c’est donc dire, d’un mélange de cellules.
[68] À ces problèmes s’ajoute le fait admis que la personne versée dans l’art ne disposait d’aucun test connu pour identifier facilement et directement une cellule souche hématopoïétique isolée de sang néonatal ou placentaire humain. À l’article 2.1, la description précise également que les cellules souches et les cellules progénitrices hématopoïétiques ne peuvent se distinguer sur le plan morphologique; elles ne peuvent se distinguer que sur le plan fonctionnel.
[69] Finalement, rien n’indique dans la description que la demanderesse, au moment du dépôt de la demande, était en possession d’une cellule souche génétiquement modifiée isolée obtenue à partir de sang néonatal ou placentaire humain. Par conséquent, il ne semble pas que la demanderesse soit capable de décrire les caractéristiques uniques et particulières d’une seule de ces cellules.
[70] Dans sa réponse à la décision finale, la demanderesse avance que la description est suffisante et qu’elle a réussi à produire des cellules souches recombinantes :
[Traduction] La demanderesse soutient respectueusement que, contrairement au mémoire descriptif en cause dans l’affaire Institut Pasteur, le présent mémoire descriptif décrit les étapes qui ont été utilisées avec succès pour produire les cellules souches recombinantes revendiquées ainsi que l’utilisation revendiquée de ces cellules, c.‑à.d. que le mémoire descriptif offre assez d’indications pour permettre au travailleur versé dans l’art de fabriquer et d’utiliser l’invention revendiquée. En particulier, la demanderesse renvoie respectueusement l’examinateur aux articles 2, 5.6 et 5.6.5 du présent mémoire descriptif, qui décrit des méthodes précises pour transformer les molécules d’acide nucléique recombinant dans des cellules, y compris les cellules souches, et leur utilisation pour la reconstitution hématopoïétique et pour le traitement et la prévention d’une maladie ou d’une affection chez l’humain. [Non souligné dans l’original]
[71] Néanmoins, il est clair que la description ne divulgue ni la préparation réussie des cellules souches recombinantes revendiquées ni aucune méthode précise qui pourrait être utilisée pour transformer une population de cellules composée exclusivement de cellules souches hématopoïétiques obtenues à partir de sang néonatal ou placentaire humain. Dans sa réponse, la demanderesse soutient également ceci :
[Traduction] À l’article 2.4, il est également indiqué que le gène de l’hypoxanthine phosphoribosyl transférase s’était exprimé avec succès chez des souris après le transfert, par un vecteur rétroviral, de cellules souches hématopoïétiques isolées de la moelle osseuse, et que tant le gène de la dihydrofolate réductase que celui de la globine humaine s’étaient exprimés avec succès chez des souris après transfection, au moyen de CaPO4, de cellules souches hématopoïétiques murines. [Non souligné dans l’original]
[72] Ces affirmations semblent être basées sur deux documents de référence mentionnés à l’article 2.4 : Miller et coll. (1984, Science 255:630) et Salser et coll. (1981, dans Organization and Expression of Globin Genes, Alan R. Liss Inc., New York, p. 313 à 334). La Commission note que Miller et coll. divulguent la transformation de cellules de moelle osseuse murines, c.-à-d. une population mixte de cellules, et non pas une cellule souche hématopoïétique humaine obtenue à partir de sang néonatal ou placentaire humain. De la même façon, les travaux de Salser et coll. concernent des cellules de moelle osseuse murines transformées. Bien que, dans les deux cas, les populations cellulaires de la moelle osseuse murine puissent de façon inhérente, renfermer une cellule souche, rien dans les deux documents cités en référence ne donnent d’indications à l’égard de compositions qui renferment au moins une cellule souche transformée. En conséquence, il appert que ces documents n’auraient qu’une utilité limitée pour une personne versée qui s’appuierait sur eux pour reproduire l’invention revendiquée.
[73] La réponse à la décision finale renvoie aussi à l’article 5.6.5, dans lequel il est dit qu’un certain nombre de maladies « pouvaient être traitées » à l’aide de cellules souches hématopoïétiques recombinantes. Toutefois, deux questions se posent ici : la première est de savoir si la personne versée dans l’art reçoit assez d’information et de directives pour obtenir une cellule souche hématopoïétique recombinante et, la deuxième, si la demanderesse a fourni ou non une description adéquate des cellules. Quant à savoir ce qu’une personne versée dans l’art pourrait faire avec de telles cellules, une fois qu’elle les aurait obtenues, il s’agit là d’une autre question.
[74] À la lumière de ce qui précède, la personne versée dans l’art ne saurait pas vraiment comment obtenir l’objet revendiqué sans effectuer d’autres expérimentations indues. La description ne fournit pas assez d’instructions ni d’orientations en ce qui concerne les méthodes qui pourraient être utilisées pour produire seulement des cellules souches génétiquement modifiées. Elle ne renferme pas non plus de description adéquate de la cellule souche hématopoïétique génétiquement modifiée en soi obtenue à partir de sang néonatal ou placentaire.
[75] De l’avis de la Commission, dans la cause en litige, la demanderesse ne fournit pas de description suffisante des méthodes revendiquées ni des produits revendiqués. En ce qui a trait aux produits revendiqués, contrairement à l’opinion de la demanderesse, la demande en litige s’apparente à celle de la décision dans Pasteur. En ce qui concerne les méthodes revendiquées, contrairement à la situation dans Pasteur, on ne peut pas même dire que la demande en litige s’appuie sur des techniques classiques.
[76] La Commission conclut donc que les revendications 6 à 11, 45 à 55 et 66 à 81 ne sont pas conformes au paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets.
CONCLUSIONS
[77] En résumé, la Commission conclut que :
1) les revendications 1 à 5 et 12 à 20 ne sont pas conformes à l’alinéa 27(1)b) de la Loi sur les brevets telle qu’elle existait tout juste avant le 1er octobre 1989;
2) les revendications 21 à 44 et 56 à 65 ne sont pas évidentes;
3) les revendications 6 à 11, 45 à 55 et 66 à 81 ne sont pas suffisamment étayées et ne sont pas conformes au paragraphe 174(2) des Règles sur les brevets.
[78] En ce qui concerne les revendications 63 à 65, la Commission note que ces revendications concernent l’objet défini à la revendication 12. Bien que la Commission ait conclu que cette revendication était antériorisée et devait être supprimée, elle estime que la demanderesse a réussi à écarter le seul motif de refus des revendications 63 à 65. Par conséquent, à des fins de clarté, l’objet défini à la revendication 12 doit être formellement intégré aux revendications 63 à 65.
[79] La Commission recommande que la commissaire :
1) informe la demanderesse, conformément à l’alinéa 31c) des Règles sur les brevets, que les modifications suivantes doivent être apportées pour que la demande soit conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets :
a) suppression des revendications 1 à 20, 45 à 55 et 66 à 81;
b) modification des revendications 63 à 65, qui renvoient à l’actuelle revendication 12, afin qu’y soit intégré explicitement et directement l’objet défini à l’actuelle revendication 12;
c) la renumérotation des revendications et la modification en conséquence des revendications dépendantes;
2) invite la demanderesse à effectuer les modifications susmentionnés, et seulement ces modifications, dans les trois (3) mois suivant la date de la décision de la commissaire;
3) informe la demanderesse que si les modifications susmentionnées, et seulement ces modifications, ne sont pas apportées dans le délai prévu, la commissaire entend rejeter la demande.
Michael Gillen Murray Wilson
Président Membre
DÉCISION DE LA COMMISSAIRE
[80] Je souscris aux conclusions et aux recommandations de la Commission d’appel des brevets. Par conséquent, j’invite la demanderesse à apporter les modifications susmentionnées, et uniquement ces modifications, dans les trois (3) mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends rejeter la demande.
Mary Carman
Commissaire aux brevets
Fait à Gatineau (Québec)
le 4 septembre 2007