Décision du commissaire n° 1229
Commissioner's Decision #1229
SUJET: J-10
TOPIC: J-10
Demande n° 2,085,116
(Classification internationale: G06F-007/556)
Application No: 2,085,116
(International Classification:G06F-007/556)
D.C. n° 1229
SOMMAIRE DE LA DÉCISION DU COMMISSAIRE
D.C. n°1229 Demande n° 2,085,116
Objet non brevetable
L’examinateur a rejeté la demande sur le fondement de l’article 2 et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets au motif que l’invention revendiquée n’est qu’un ordinateur à vocation universelle programmé pour calculer des logarithmes. La Commission a décidé que la demande divulgue et revendique un appareil conçu spécifiquement pour exécuter la nouvelle méthode de la demanderesse pour le calcul des logarithmes.
La demande a été renvoyée à l’examinateur pour qu’il en poursuive l’instruction.
BUREAU CANADIEN DES BREVETS
DÉCISION DU COMMISSAIRE
La demande de brevet n° 2,085,116 ayant été rejetée en vertu de la règle 47(2) du Règlement sur les brevets, la demanderesse a demandé la révision de la décision finale de l’examinateur. Le rejet a ensuite été examiné par la Commission d’appel des brevets et par le commissaire. Les conclusions de la Commission et la décision du commissaire ont la teneur suivante :
Représentant de la demanderesse
Gowling Strathy and Henderson
C.P. 466, Succursale D
Ottawa (Ontario)
K1P 1C3
Il s’agit d’une demande de révision par le commissaire de la décision finale de l’examinateur datée du 11 janvier 1995 et portant sur la demande de brevet n° 2,085,116 (classification internationale G06F-007/556) déposée le 17 juin 1991 et intitulée « DISPOSITIF POUR ÉVALUER LES LOGARITHMES ». La demanderesse est Motorola Inc., cessionnaire de l’inventeur Brett L. Lindsley. Dans la décision finale, l’examinateur a rejeté toutes les revendications de la demande, ainsi que la demande au complet, pour absence d’objet brevetable sur le fondement de l’article 2 et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Une audience a eu lieu le 26 novembre 1997; la demanderesse était alors représentée par M. Gary O’Neil, de Gowling, Strathy & Henderson.
La demande porte sur un appareil qui traite une valeur d’entrée pour produire à sa sortie la valeur logarithmique de cette valeur d’entrée, dans une base de logarithme donnée. La figure 1A donnée ci-dessous présente un schéma fonctionnel de la réalisation dans un matériel informatique de l’invention.
La revendication 1 est ainsi conçue :
[TRADUCTION] Un appareil servant à traiter une valeur d’entrée pour produire à sa sortie la valeur logarithmique de cette valeur d’entrée dans une base de logarithme donnée, cet appareil comportant :
A) un dispositif de modification qui réagit à l’introduction de la valeur d’entrée pour produire une valeur d’approximation, cette valeur d’approximation étant sélectionnée dans un ensemble de valeurs prédéterminé qui constitue un groupe de valeurs prédéterminées par des algorithmes d’arrondissement sélectionnés;
B) un premier dispositif générateur de fonctions comportant une mémoire morte (ROM), qui est couplé au dispositif de modification et qui utilise la valeur d’approximation pour déterminer une première valeur intermédiaire;
C) un dispositif générateur d’erreurs couplé au dispositif de modification, qui réagit à l’introduction de la valeur d’entrée et utilise celle-ci ainsi que la valeur d’approximation pour engendrer une valeur d’erreur, ce dispositif générateur d’erreurs comportant au moins :
1) un premier dispositif de division couplé au dispositif de modification, qui réagit à l’introduction de la valeur d’entrée et utilise celle-ci ainsi que la valeur d’approximation pour obtenir un premier quotient de la valeur d’entrée et de la valeur d’approximation; et
2) un dispositif de soustraction couplé au premier dispositif de division, qui utilise le premier quotient pour déterminer la valeur d’erreur, cette valeur d’erreur étant substantiellement égale à la différence entre le premier quotient et le nombre un;
D) un dispositif évaluateur de corrections couplé au dispositif générateur d’erreurs, qui utilise la valeur d’erreur pour déterminer une valeur de correction; et
E) un dispositif combinateur couplé au premier dispositif générateur de fonctions, qui utilise la première valeur intermédiaire et la valeur de correction pour obtenir la valeur de sortie logarithmique, ce dispositif combinateur couplé au premier dispositif générateur de fonctions et au dispositif évaluateur de corrections comportant de plus :
1) un second dispositif d’addition couplé au premier dispositif générateur de fonctions et au dispositif évaluateur de corrections, qui sert à déterminer une troisième somme de la valeur de correction et de la première valeur intermédiaire;
2) un quatrième dispositif générateur de fonctions qui réagit à la base désirée de la valeur de sortie logarithmique pour déterminer une troisième valeur logarithmique, cette troisième valeur logarithmique étant substantiellement le logarithme naturel de la base désirée de la valeur de sortie logarithmique; et
3) un second dispositif de division couplé au second dispositif d’addition et au quatrième dispositif générateur de fonctions, qui sert à déterminer un second quotient de la troisième somme et de la troisième valeur logarithmique, ce second quotient de la troisième somme et de la troisième valeur logarithmique étant substantiellement la valeur de sortie logarithmique ayant la base désirée.
Dans sa décision finale, l’examinateur a rejeté toutes les revendications, ainsi que la demande elle-même, en disant notamment :
[TRADUCTION] Le rejet de toutes les revendications ainsi que du reste de la demande est confirmé au motif de l’absence d’objet brevetable sur le fondement de l’article 2 et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.
L’application enseigne une technique mathématique pour l’évaluation des logarithmes.
Ce qui est revendiqué, c’est un appareil de calcul qui ne comporte pas de caractéristiques nouvelles, car il ne réalise que des fonctions particulières d’un ordinateur à vocation universelle avec le but de calculer des logarithmes.
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L’appareil revendiqué ne fait que résoudre des formules mathématiques qui sont assimilées à « de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques ».
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La demanderesse et l’examinateur sont d’accord au sujet de la déclaration donnée à la page 13 de la divulgation : « il est clair que la présente invention peut être réalisée entièrement en logiciel » (on trouve d’autres mentions de réalisations en logiciel aux pages 1 et 4 de la divulgation).
En d’autres termes, l’appareil de calcul spécialisé revendiqué n’est pas entièrement pertinent par rapport à l’invention alléguée et un ordinateur à vocation universelle exécutant un logiciel spécifique serait une solution de remplacement à cet égard.
Dans sa réponse à la décision finale, la demanderesse passe en revue de façon détaillée l’évolution du droit concernant la brevetabilité des inventions reliées à l’ordinateur tel qu’il ressort des décisions de divers tribunaux américains. Il a été relevé que la seule décision de la jurisprudence canadienne portant sur les inventions reliées à l’ordinateur, l’arrêt Schlumberger c. Commissaire des brevets, 56 C.P.R. 2d (p. 204), n’est pas pertinente dans la présente affaire.
La demanderesse a notamment fait valoir :
[TRADUCTION] L’examinateur cite la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Schlumberger c. Commissaire des brevets, 56 C.P.R. 2d (p. 204) et semble s’appuyer sur celle-ci. Ainsi qu’il sera exposé de façon plus détaillée, cette décision doit être considérée comme non pertinente en l’espèce en ce qu’elle ne porte que sur la question de la brevetabilité d’un programme informatique en soi.
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.... La première et jusqu’à maintenant la seule décision qui puisse nous servir de guide dans ce domaine est l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Schlumberger Canada Ltd. c. Commissaire des brevets, (56 C.P.R.) (2d) 204. La demande dans l’affaire Schlumberger portait d’abord sur la production de données utiles à l’exploration géologique. Selon ce procédé, les mesures d’entrée provenant des trous de forage étaient enregistrées sur des bandes magnétiques, puis transmises à un ordinateur programmé selon les formules mathématiques prévues. L’ordinateur convertissait ces informations en informations utiles sous forme de graphiques, figures ou tableaux qui pouvaient être lus par les géologues.
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Il est tout à fait évident, sur la base de ce qui précède, que la présente affaire est diamétralement opposée, en ce qui concerne les faits, à l’affaire Schlumberger citée plus haut, dans laquelle on cherchait à obtenir la protection pour une méthode d’utilisation d’un ordinateur d’une manière déterminée en vue d’accomplir certains calculs mathématiques, le résultat final consistant simplement en nombres utiles pour permettre à des géologues qualifiés de prendre certaines décisions. À l’opposé de l’affaire Schlumberger, la présente demande décrit et revendique un appareil qui, considéré comme un tout, est nouveau et utile, ainsi que l’exige l’article 2, et qui n’est pas un « simple principe scientifique ou conception théorique », pour reprendre les termes du paragraphe 27(3). Les revendications de la demanderesse ne font pas obstacle à l’utilisation par d’autres d’une forme quelconque de programme ou d’algorithme en soi; elles cherchent seulement à faire obstacle à l’utilisation du dispositif exposé dans les revendications.
La Commission doit donc décider si l’invention de la demanderesse est brevetable selon l’article 2 et le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.
Le terme « invention » reçoit, à l’article 2 de la Loi sur les brevets, la définition suivante :
Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.
Le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets était, au moment de la décision finale, ainsi conçu :
Il ne peut être délivré de brevet pour une invention dont l’objet est illicite, non plus que pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.
La Commission a revu l’ensemble de la demande pour déterminer ce qui a été découvert. Selon la divulgation de la demanderesse, l’invention alléguée porte sur une méthode et un appareil permettant de traiter une valeur d’entrée pour obtenir une valeur de sortie logarithmique, ayant la base désirée. Au cours de l’instruction, la demande a été modifiée pour retirer du titre le mot « méthode » et toutes les revendications se rapportent à un appareil.
Au terme de cet examen, la Commission a décidé que la demanderesse a découvert une méthode de manipulation des nombres pour arriver au nombre désiré, a converti cette méthode en une série d’étapes et a finalement mis au point un dispositif permettant de réaliser cette série d’étapes.
Une méthode qui ne fait rien qu’exposer les étapes nécessaires pour résoudre un problème mathématique n’est pas brevetable.
La revendication d’un appareil qui consiste exclusivement en une série d’énoncés dispositif et fonction est habituellement considérée comme n’étant rien de plus qu’une revendication de méthode « déguisée » et si la méthode elle-même n’est pas brevetable, ce type d’appareil n’est pas non plus brevetable.
Comme le montre la formulation de la revendication 1, l’appareil divulgué et revendiqué dans la demande est plus que simplement une série d’énoncés dispositif et fonction. Il comprend, dans la section B), un dispositif générateur de fonctions qui se compose d’une mémoire morte, couplée à un dispositif de modification. Il s’agit là d’un élément spécifique de matériel informatique et, en tant que telle, cette revendication est nécessairement limitée à une configuration spécifique d’au moins un élément physique ainsi que de certains éléments qui sont ordinairement des composantes ordinaires d’un ordinateur bien connu, programmés pour exécuter les fonctions désirées.
La Commission a conclu que la demanderesse a inventé un appareil qui est spécifiquement adapté à exécuter la méthode de manipulation des nombres qu’elle a élaborée. Ce dispositif, s’il contient beaucoup d’énoncés dispositif et fonction, comprend aussi au moins une pièce spécifique de matériel informatique qui est un élément physique réel. En conséquence, la Commission croit que les revendications de la demande ne portent pas que sur un simple principe scientifique ou conception théorique. La demanderesse ne cherche pas à empêcher d’autres personnes d’utiliser la méthode elle-même, mais à empêcher d’autres personnes d’utiliser le dispositif spécifique qui est revendiqué.
En résumé, la Commission recommande que le rejet de toutes les revendications et de la demande elle-même soit retiré et que la demande soit renvoyée à l’examinateur pour la poursuite de l’instruction.
P.J. Davies, M. Howarth, M. Wilson,
président membre membre
J’accepte les conclusions et la recommandation de la Commission d’appel des brevets. En conséquence, je renvoie la demande à l’examinateur pour la poursuite de l’instruction conformément à la présente décision.
S. Batchelor
Commissaire aux brevets
Hull (Québec),
le 3 novembre 1998