Décision du Commissaire no 1209
SUJET : K11
Demande no 532,566 (classe 167-192)
D.C. 1209
RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DU COMMISSAIRE
D.C. 1209 .... Demande no 532,566 (K11)
Revendications rejetées au motif qu’elles visent des méthodes de traitement médical
La demande renfermait des revendications visant des méthodes destinées à empêcher la grossesse chez les mammifères par l’administration d’une hormone de libération de l’hormone lutéinisante (LH-RH). Les revendications ont été rejetées par l’examinateur au motif qu’elles visaient des méthodes de traitement médical. La Commission a recommandé que le rejet soit annulé, étant donné qu’il ne s’agit pas de méthodes de traitement médical au sens strict, telles que les conçoivent les tribunaux.
BUREAU CANADIEN DES BREVETS
DÉCISION DU COMMISSAIRE DES BREVETS
La demande de brevet no 532,566 ayant été rejetée en vertu du paragraphe 47(2) des Règles sur les brevets, le demandeur a réclamé que la décision finale de l’examinateur soit révisée. Le rejet a été examiné par la Commission d’appel des brevets et par le Commissaire des brevets. Les conclusions de la Commission et la décision du Commissaire s’énoncent ainsi :
Agent du demandeur
Gowling, Strathy & Henderson
C.P. 466, terminus postal A
Ottawa (Ontario)
K1N 8S3
La présente décision fait suite à une requête du demandeur qui souhaite faire réviser par le Commissaire des brevets la décision finale rendue par l’examinateur à l’égard de la demande de brevet no 532,566 (classe 167-192), déposée le 20 mars 1987. Le demandeur est The General Hospital Corporation, cessionnaire de l’inventeur William F. Crowley Jr., et l’invention porte comme titre : «ADMINISTRATION CONTINUE D'UNE COMPOSITION D’HORMONE DE LIBÉRATION DE L’HORMONE LUTÉINISANTE EN ASSOCIATION AVEC L’ADMINISTRATION D’UNE HORMONE STÉROÏDE SEXUELLE, À DES FINS CONTRACEPTIVES». L’examinateur responsable a rendu, le 22 avril 1992, une décision finale par laquelle il rejetait les revendications 8 à 13, et le demandeur a réclamé, le 6 octobre 1992, que le rejet soit réexaminé par le Commissaire des brevets.
L’invention vise un système d'administration et une méthode servant à prévenir la grossesse chez les mammifères, par l’administration d’une composition d'hormone de libération de l’hormone lutéinisante (LH-RH). La méthode consiste à administrer pendant toute la phase folliculaire du cycle menstruel, à compter du déclenchement des menstruations, une composition de LH‑RH et des doses de phénolstéroïde suffisantes pour combattre les effets secondaires qui peuvent survenir au cours d’un traitement prolongé à la LH‑RH. Après la phase folliculaire, pendant toute la durée de la phase lutéale, on administre le mélange de LH-RH et de phénolstéroïde administré pendant la phase folliculaire, en y ajoutant une dose physiologique d’une hormone stéroïde progestative.
La demande renferme treize revendications relatives à un système d’administration visant à prévenir la grossesse chez les mammifères et à une méthode de prévention de la grossesse chez les mammifères. Le demandeur a également proposé, dans sa réponse à la décision finale, d’inclure dans la demande les revendications 14 à 19 portant sur l'administration d'une dose efficace d’une composition d’hormone de libération de l’hormone lutéinisante et d’une dose efficace d’un phénolstéroïde pour prévenir la grossesse chez les mammifères.
Dans sa décision finale, l’examinateur a rejeté les revendications 8 à 13, au motif qu’elles visaient des matières non brevetables, soit des méthodes de traitement médical. Il précisait dans ses motifs :
Le rejet des revendications 8 à 13 est confirmé. Les revendications 1 à 7 sont admissibles.
Le demandeur conclut sa longue argumentation en disant que la méthode proposée ne vise assurément pas à guérir, à atténuer ou à prévenir la maladie, ni à rétablir la santé. Le Bureau prétend que la méthode en question inclut une méthode de prévention de la maladie. Cette méthode est employée non seulement pour prévenir les grossesses non désirées au sens ordinaire, mais aussi pour prévenir les grossesses qui causent des dommages physiques. Cette caractéristique est nettement du domaine de la médecine préventive.
La revendication 8, qui est représentative des revendications rejetées, est formulée ainsi :
8. Une méthode de prévention de la grossesse chez les mammifères, consistant :
a) à administrer, par voie d’un système d’administration, une dose efficace d’une composition d’hormone de libération de l’hormone lutéinisante (LH-RH) et d’une dose efficace d’un phénolstéroïde pendant la phase folliculaire du cycle menstruel, à compter du déclenchement des menstruations normales; et
b) à remplacer ce système d’administration à la fin de la phase folliculaire par un second système d’administration consistant à administrer une composition d’hormone de libération de l’hormone lutéinisante (LH-RH), une dose efficace d’un phénolstéroïde et une dose efficace d’une hormone stéroïde progestative pendant la phase lutéale du cycle menstruel, jusqu’au déclenchement des menstruations normales.
La Commission a donc à déterminer si les revendications 8 à 13 visent des méthodes de traitement médical, donc des matières non brevetables.
Le demandeur a fait valoir que l’examinateur a omis de tenir compte de trois choses lorsqu’il a rendu sa décision : 1o du jugement rendu par la Cour suprême dans Tennessee‑Eastman c. Commissaire des brevets [1974] R.C.S. 111; 2o du fait que, ce qu’il faut considérer, c’est l’usage principal du produit, conformément à ce qui a été établi dans le jugement Burton Parsons Inc. c. Hewlett-Packard Ltd. [1976] 1 R.C.S. 555; et 3o du fait que, même si la grossesse peut avoir des conséquences fâcheuses en raison d’une maladie préexistante, elle n’est pas en elle‑même une maladie.
Dans son premier argument, le demandeur affirme que la Cour suprême a établi dans Tennessee‑Eastman qu’un moyen de contraception n’est pas une méthode de traitement médical au sens strict et qu’il est donc brevetable. Dans Tennessee‑Eastman, la Cour suprême s’est penchée sur la brevetabilité d’une méthode consistant à réunir les bords de plaies ou d’incisions à l’aide de composés adhésifs spéciaux. Dans son analyse, la Cour a pris en considération le jugement rendu au Royaume‑Uni dans Re : Schering A.G.’s Application (1971) R.P.C. 337, qui portait sur une méthode contraceptive utilisant la gestagène, c’est‑à‑dire une méthode semblable à la méthode exposée dans la présente demande. La Cour a signalé à la page 121, relativement au jugement Schering :
On peut remarquer que dans le dernier arrêt publié qui a été porté à notre attention, Re Schering A.G.'s Application [1971] R.P.C. 337, une cause concernant une méthode contraceptive par la gestagène, le Patents Appeal Tribunal a conclu (à la p. 345) :
[TRADUCTION] Cependant, bien qu'il semble, après un examen minutieux de la question, qu'en vertu de la présente Loi il faille exclure les brevets couvrant un traitement médical au sens strict, les revendications faisant l'objet de la demande ne paraissent pas s'insérer dans cette interdiction et, la loi étant ce qu'elle est aujourd'hui, il faudrait, au moins à ce stade de notre jugement, leur permettre de suivre leur cours. Comme la Divisional Court de la Queen's Bench Division l'a clairement établi dans Swift's Application (1962) R.P.C. 37, le Bureau et le Patents Appeal Tribunal
ne tranchent pas à ce stade la question de la «brevetabilité effective», selon l'expression utilisée dans cette affaire‑là, et sauf s'il y a, sans aucun doute raisonnable, absence de revendication d'un mode de fabrication ou si la demande est manifestement injustifiable, ils ont le devoir de faire droit à la revendication. Les demandeurs auront ensuite l'occasion en temps et lieu, le cas échéant, de faire trancher par la High Court la question de la «brevetabilité effective».
(J'ai mis des mots en italique.)
Bien que la Commission n’accepte pas entièrement l’argument du demandeur selon lequel la Cour suprême a clairement établi que les moyens de contraception ne sont pas des méthodes de traitement médical au sens strict, elle reconnaît toutefois que la citation pourrait du moins indiquer l'opinion probable de la Cour sur la brevetabilité de pareilles revendications.
Le demandeur a également mentionné que le Commissaire des brevets a suivi ce raisonnement de la Cour suprême dans la Décision du Commissaire no 1119 (Goldenberg), où il est dit, à la page 12 :
Nous estimons que la Cour suprême, dans l'affaire Tennessee‑Eastman, a voulu, en citant l'affaire Schering, insister sur le fait que les brevets visant un traitement médical au sens strict doivent être exclus en vertu de la Loi sur les brevets.
Dans cette affaire, l’invention visait une méthode de détection de tumeurs dans l'organisme humain, qui consistait à injecter certains anticorps radiomarqués ayant une forte activité spécifique et une spécificité élevée à l’égard des cellules cancéreuses, puis à utiliser un détecteur de radioactivité pour déterminer l’emplacement des tumeurs avant le traitement. La recommandation de la Commission, que le Commissaire a acceptée, portait que le rejet des méthodes au motif qu’elles visaient un traitement médical devait être annulé, étant donné que ces méthodes n’étaient pas considérées comme étant des méthodes de traitement médical au sens strict.
Comme il ressort clairement de ce qui précède que les méthodes de traitement médical au sens strict, c’est‑à‑dire les méthodes qui visent la prévention ou la guérison d’états pathologiques, ne sont pas brevetables, la question qui se pose alors est de savoir si les moyens de contraception sont des méthodes de traitement au sens strict. Certains éléments des présentes revendications pourraient permettre de considérer les méthodes en cause comme étant des méthodes de traitement médical. Ainsi, elles supposent l’administration à une femme de substances chimiques sous surveillance médicale, lesquelles substances agissent sur le fonctionnement de l’organisme en prévenant la grossesse. Par ailleurs, comme le demandeur le fait remarquer, la grossesse est un
état naturel et non une maladie, si bien qu’un moyen de contraception ne devrait pas être considéré comme une méthode de traitement médical, puisqu’aucun état pathologique n’est traité.
L’examinateur a de plus affirmé que, même si une méthode contraceptive peut avoir un effet bénéfique en empêchant une grossesse qui risque d'être dommageable, elle doit néanmoins être considérée comme une méthode de traitement médical. Mais la Commission accepte l’argument du demandeur selon lequel il faut considérer l’usage principal de l’invention pour déterminer si celle‑ci est brevetable [voir le jugement Burton Parsons Chemicals Inc. et al. c. Hewlett‑Packard (Canada) Ltd. et al. [1976] 1 R.C.S. 555, dans lequel le juge Pigeon a précisé, à la page 570 :
Je crois qu'il serait superflu de trancher cette question car je suis d'accord avec la conclusion du juge de première instance que cette crème n'est pas «destinée à la médication» au sens de l'art. 41. La jurisprudence portant sur la signification de cette expression a récemment été examinée dans Tennessee Eastman c. Le commissaire des brevets [1974] R.C.S. 111. On a statué que cela comprend les substances destinées à un emploi chirurgical. Je n'ai aucun doute qu'une crème conductrice est susceptible d'être utilisée chaque fois que des électrodes sont placées sur la peau durant une intervention chirurgicale. Cependant, rien dans la preuve ne vient appuyer la conclusion que c'est l'utilisation principale de ce produit. Il est clair que cette crème sert principalement à la prise d'électrocardiogrammes lors d'examens routiniers, et non pas nécessairement ou principalement au traitement des maladies. Il est évidemment assez difficile de dire exactement ce qui constitue un médicament et ce qui ne constitue qu'un produit susceptible d'être utilisé à l'occasion de traitements médicaux. En l'espèce cependant, c'était à Hewlett‑Parker de prouver que le produit est un médicament. La preuve n'a pas convaincu le juge de première instance que tel est le cas et je ne vois aucune raison de modifier sa conclusion.
La Commission a examiné cette affaire et elle en est venue à la conclusion que les méthodes de contraception ne sont pas des méthodes de traitement médical au sens strict, conformément à ce qui a été déterminé dans l’arrêt Tennessee‑Eastman, et qu’elles devraient donc être jugées admissibles. Pour tirer cette conclusion, la Commission a tenu compte du critère qui est imposé au Commissaire par l’article 40 de la Loi sur les brevets et est commenté à la page 1119 de Monsanto Co. c. Commissaire des brevets [1979] 2 R.C.S. 1108 :
[...] Comme il s'agit‑là d'une question de connaissance générale chez les savants, une personne compétente se rendra facilement compte que si un brevet ne vise que quelques‑unes des substances qui produisent le résultat désiré, elle n'a qu'à en préparer une autre qui aura les mêmes propriétés. Le rapport de la Commission indique qu'elle est consciente de cela. Cependant elle ne donne aucune indication des motifs pour lesquels elle n'était pas convaincue de la validité de la prédiction d'utilité du champ entier visé par la revendication 9. Une preuve sous forme d'affidavits fondés sur des principes scientifiques a été soumise, elle ne conteste pas ces principes, mais dit seulement : «Nous ne sommes pas convaincus que cela soit suffisant». À mon avis, cela ne suffit pas, car si on l'acceptait, le droit d'appel deviendrait illusoire. À cet égard, il importe de noter que le texte de l'art. 42 de la Loi sur les brevets est le suivant :
42. Chaque fois que le commissaire s'est assuré que le demandeur n'est pas fondé en droit à obtenir la concession d'un brevet, il doit rejeter la demande et, par lettre recommandée, adressée au demandeur ou à son agent enregistré, notifier à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet.
J'ai souligné en droit pour faire ressortir que ce n'est pas une question de discrétion : le commissaire doit justifier tout refus. Comme l'a déclaré le juge en chef Duff dans l'arrêt Vanity Fair Silk Mills c. Commissaire des brevets [1939] R.C.S. 245 (à la p. 246) :
[TRADUCTION] «Il ne fait aucun doute que le commissaire des brevets ne doit pas rejeter une demande de brevet à moins qu'elle ne soit clairement dépourvue de fondement valable...»
En d’autres termes, la Commission considère que le demandeur n’est pas empêché en droit de faire des revendications concernant une méthode de contraception par administration des substances décrites dans la demande.
La Commission recommande donc que le rejet des revendications 8 à 13 soit annulé, que les revendications 14 à 19 soient intégrées à la demande et que la demande soit retournée à l’examinateur pour qu'il la poursuive en conformité avec ces recommandations.
P.J. Davies M. Howarth
Président par intérim Membre
Je souscris aux recommandations de la Commission et je retourne la demande à l’examinateur pour qu'il la poursuive en conformité avec les recommandations de la Commission.
S. Batchelor
Commissaire aux brevets
Hull (Québec),
le 28 octobre 1996