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                    BUREAU DES BREVETS DU CANADA

 

                  DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

La demande de brevet n o 529,362 ayant été rejetée en application du paragraphe 47(2) des

Règles sur les brevets, le demandeur a demandé la révision de la décision finale de

l'examinatrice. La Commission d'appel des brevets et le Commissaire aux brevets ont donc

examiné le rejet. Voici les conclusions de la Commission et la décision du Commissaire.

 

Agent du demandeur

 

Goudreau Gage Dubuc & Martineau Walker

3400, La Tour de la Bourse

Case postale 242, Place Victoria

Montréal (Québec)

H4Z 1E9

 

La présente décision porte sur la requête présentée au Commissaire aux brevets, lui

enjoignant de réviser la décision finale de l'examinatrice relativement à la demande de brevet

n o 529,362 (classe 195-1.105), qui avait été déposée le 10 février 1987 pour une invention

intitulée [TRADUCTION] «NOUVEAU RÉTROVIRUS POUVANT CAUSER LE SIDA,

MOYENS ET MÉTHODES DE DÉTECTION IN VITRO». Les inventeurs sont Luc

Montagnier, Solange Chamaret, Denise Guetard, Marc Alizon, François Clavel, Mireille

Guyader, Pierre Sonigo, Françoise Brun-Vezinet, Marianne Rey, Christine Rouzioux et

Christine Katlama et la demande a été cédée à l'Institut Pasteur. L'examinatrice compétente

a rendu la décision finale le 8 octobre 1993, rejetant les revendications 11 à 34, 40, 43 à 54

et 70 et déclarant implicitement que les revendications 1 à 10, 35 à 39, 41, 42, 55 à 69 et 71

à 73 étaient admissibles.

 

Le 8 avril 1994, le demandeur a répondu en demandant une révision par le Commissaire aux

brevets ainsi qu'une audience devant la Commission d'appel des brevets. Le

18 janvier 1995, une audience a donc eu lieu et le demandeur était alors représenté par

Denise Huberdeau, Danielle Banerman et Stéphane Drouin. Les D rs Isaac Ho et

Linda Brewer représentaient la Direction de l'examen des brevets et la Commission était

composée de M. Peter Davies, président, et des D rs Michael Howarth et Effat Maher,

membres.

 

Comme on l'explique dans l'abrégé, la demande concerne une nouvelle classe de rétrovirus

nommée VIH-2 ainsi que des antigènes produits au moyen de ce virus, soit les protéines p12,

p16, p26 et la glycoprotéine gp140, et des compositions immunogènes contenant ces

antigènes et plus particulièrement la glycoprotéine gp140. Ces antigènes servent à déterminer

in vitro l'existence possible de certaines formes de SIDA chez l'humain. La demande a

également trait à l'application de séquences d'ADN clonées, produites à partir de l'ARN du

VIH-2, comme sondes dans des trousses diagnostiques.

 

Dans sa décision finale, l'examinatrice a rejeté les revendications 11 à 16, 21, 34, 40, 47,

52, 53, 54 et 70 de la demande aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets,

parce qu'elles étaient indéterminées et n'étaient pas appuyées par la divulgation.

L'examinatrice a également rejeté les revendications 11 à 33 et 43 à 51 en application du

paragraphe 39(1) de la Loi.

 

Dans sa réponse datée du 8 avril 1994, le demandeur a soumis à la Commission un nouvel

ensemble de revendications composé des revendications 1 à 93 et, le 17 janvier 1995, juste

avant l'audience, un autre groupe de revendications comportant des modifications mineures,

principalement des remaniements de texte, à l'égard des revendications précédemment

soumises. Étant donné que les revendications déposées le 17 janvier 1995 sont semblables à

celles qui ont été soumises le 8 avril 1994, la Commission a décidé de tenir compte du

ne voit aucune raison pour laquelle l'examinatrice ne pourrait examiner le premier groupe de

revendications à la fin de l'instance.

 

Soutenant que les revendications 11 à 29 et 55 à 66 (auparavant les revendications 11 à 33 et 43

à 51) ne devraient pas être rejetées aux. termes du paragraphe 39(1) de la Loi, le demandeur a

mentionné que les revendications concernaient des composés utilisés comme agents

diagnostiques plutôt que comme médicaments et n'étaient donc pas visés par la disposition

législative. La Commission reconnaît que cet argument est convaincant et recommande que le

rejet fondé sur ces motifs soit retiré. De plus, après avoir examiné les revendications déposées

le 8 avril 1994, la Commission est d'avis que les revendications 1 à 60, 67 à 83 et 86 à 93 ne

sont pas visées par les objections de l'examinatrice et que seules les revendications 61 à 66, 84

et 85 demeurent touchées. En conséquence, les plaidoiries à l'audience ont porté uniquement

sur ces dernières revendications.

 

Par suite d'une discussion tenue au cours de l'audience, le demandeur a déposé, le 10 février

1985, des modifications aux revendications 61 à 66 qui ont eu pour effet d'éliminer, de l'avis

de la Commission, les obstacles que l'examinatrice a invoqués à l'appui de son objection. En

conséquence, la Commission recommande que les revendications modifiées soient acceptées à

titre de revendications admissibles.

 

Les seules revendications visées par le rejet sont donc les revendications 84 et 85, qui sont

examinées ci-après et dont le texte est le suivant:

 

   Revendication 84    L'anticorps d'après l'une ou l'autre des revendications 78 à

                         83, lequel anticorps est qualifié de monoclonal.

 

   Revendication 85    L'hybridome sécrétant l'anticorps monoclonal d'après la

                         revendication 84.

 

Dans la décision finale, l'examinatrice a rejeté la revendication 53 (maintenant la revendication

84) concernant un anticorps monoclonal et la revendication 70 (maintenant la revendication 85)

concernant l'hybridome qui sécrète les anticorps monoclonaux et déclaré ce qui suit:

 

L'objection aux revendications 53 et 70 (auparavant 49 et 66, respectivement),

fondée sur l'absence de renseignements précis étayant la divulgation, est

confirmée. Le demandeur n'a préparé ni hybridomes, ni anticorps monoclonaux.

Le demandeur allègue que la production d'anticorps monoclonaux est une suite

logique de l'invention présumée et ajoute que, dans la préparation des anticorps

monoclonaux, l'aspect majeur de l'invention réside dans l'obtention des antigènes

auxquels se fixent ces anticorps. Le demandeur fait valoir que, pour étayer sa

présentation par des renseignements précis, il suffit simplement d'y inclure une

description de la préparation d'hybridomes et d'anticorps monoclonaux par des

méthodes courantes.

 

L'examinatrice convient qu'une fois obtenu un antigène donné, il est possible de

préparer un hybridome et un anticorps monoclonal par des techniques bien

connues. Toutefois, si la voie suivie pour obtenir l'anticorps monoclonal peut être

claire, la nature du produit n'en est pas pour autant évidente. En fait, si elle

 l'était, le produit ne serait pas une invention. Un produit ne peut être à la fois de nature évidente

 et considéré comme une invention. Le demandeur n'a produit ni hybridome, ni anticorps

 monoclonal. Le demandeur revendique la paternité d'un produit dont il ne peut décrire la structure

 ni les propriétés physiques ou chimiques. En réalité, il fait miroiter la possibilité d'obtenir des

 produits et ne donne qu'une description de leur activité biologique ou de leur utilité. La

 divulgation qui accompagne toute demande de brevet est formulée à l'intention d'une personne

 versée dans l'art dont relève l'invention et doit être rédigée de manière que cette personne puisse

 utiliser l'invention avec le même succès que l'inventeur. Le demandeur n'ayant pas démontré qu'il

 a réussi à produire des hybridomes ou des anticorps monoclonaux, il n'appuie pas de façon

 satisfaisante ses affirmations au sujet de ces produits.

 

 La Commission doit donc se demander si le mémoire descriptif renferme une description exacte

 et complète de la préparation et des propriétés de l'hybridome et des anticorps monoclonaux

 visés par les revendications 84 et 85 et si cette description est formulée en des termes clairs et

 concis qui permettent à toute personne versée dans l'art de fabriquer et d'utiliser l'objet de

 l'invention, conformément au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, dont le libellé est le

 suivant:

 

 Dans le mémoire descriptif, le demandeur:

 

 a) décrit d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que

 les a conçues l'inventeur;

 

 b) expose clairement les diverses phases d'un procédé, ou le mode de construction, de

 confection, de composition ou d'utilisation d'une machine, d'un objet manufacturé ou d'un

 composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute

 personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui

 s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'objet de l'invention;

 

c) s'il s'agit d'une machine, en explique le principe et la meilleure manière dont il a conçu

 l'application de ce principe;

 

d) s'il s'agit d'un procédé, explique la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du

 procédé, de façon à distinguer l'invention d'autres inventions;

 

e) indique particulièrement et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la

 combinaison qu'il réclame comme son invention.

 (non souligné dans l'original)

 

 Dans la présente affaire, la question qui se pose au sujet de l'alinéa 34(1)a) est celle de savoir

 si la description écrite de l'application fournit suffisamment de renseignements pour permettre à

 toute personne versée dans l'art de produire et de caractériser les anticorps monoclonaux

 concernés et les hybridomes qui les sécrètent. De l'avis de la Commission, la seule indication

 donnée au sujet de la préparation des éléments des revendications 84 et 85 dans le mémoire

 descriptif est celle qui figure à la page 50 de la divulgation:

 

 [TRADUCTION] ...Elle (l'invention) a également trait aux anticorps monoclonaux qu'on peut

 produire par les techniques classiques, anticorps exerçant chacun leur action plus spécifiquement

 contre les diverses protéines du VIH-2.

      Ces anticorps polyclonaux ou monoclonaux servent dans diverses applications.

 Essentiellement, mentionnons leur utilité pour la neutralisation des protéines qui leur

 correspondent, voire pour l'inhibition de l'infectivité du virus entier. Ils peuvent aussi être

 utilisés, par exemple, pour mettre en évidence la présence d'antigènes viraux dans des

 préparations biologiques ou dans des techniques de purification des protéines et (ou) des

 glycoprotéines qui leur correspondent, notamment, dans la chromatographie d'affinité sur colonne.

 

 La Commission ne trouve aucune précision concernant l'hybridome visé par la revendication 85

 ou la façon de le produire, que ce soit dans les extraits précités ou dans l'ensemble de la

 description. Aucune description précise des anticorps monoclonaux visés par la revendication

 84 ou de leur mode de production n'est divulguée. La seule indication à ce sujet est la mention

 de la possibilité de les produire [TRADUCTION] «par les techniques classiques», Le seul

 enseignement technique précis est l'identité des antigènes. La description et l'identification des

 antigènes ne fournissent pas d'explications au sujet de l'hybridome ou des anticorps

 monoclonaux ni de directives suffisamment détaillées sur la façon de produire les anticorps.

 

 La description que le demandeur donne des anticorps monoclonaux, soit des éléments qui

 neutralisent les antigènes ou qui se fixent sur ceux-ci, n'est pas considérée comme une

 description précise. Le mot anticorps renvoie à une substance qui agit contre un corps, en

 l'occurrence, l'antigène, et le neutralise. L'anticorps doit se fixer à un antigène donné, faute de

 quoi il ne pourra être appelé anticorps. L'anticorps est présumé avoir pour propriété de se fixer

 à l'antigène, parce qu'il est considéré à l'avance comme un anticorps pour celui-ci. La

 description du demandeur repose sur une hypothèse non justifiée qui tient pour avérés les

 réalisations devant être accomplies et les éléments devant être étayés par le mémoire descriptif.

 

 Selon l'alinéa 34(1)b), le mémoire descriptif doit présenter l'invention dans des termes clairs,

 concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont elle relève

 de confectionner et d'utiliser l'objet de l'invention avec le même succès que l'inventeur. Dans

 l'arrêt R. C.A. Photophone, Ld. v. Gaumont-British Picture Corporation, Ld. and British

 Acoustic Films, Ld. (1936) 53 R.P.C. 167, le lord juge Romer a dit ce qui suit à la page 195 :

 

[TRADUCTION] ... Il appartient au titulaire de brevet d'indiquer clairement dans sa

 revendication la portée du monopole qu'il vise afin de ne laisser aucun doute dans l'esprit des

 personnes versées dans l'art au sujet des activités qui leur sont interdites pendant la durée du

 brevet. S'il omet de le faire, son brevet deviendra une nuisance publique. Il lui incombe

 également de décrire au moins une façon, et celle qu'il connaît le mieux, de réaliser son invention

 afin que les personnes versées dans l'art puissent à leur tour utiliser l'invention lorsque le

 monopole prendra fin. C'est la contrepartie qu'il doit payer pour le monopole qu'il détient.

 

Le demandeur a fait valoir qu'à la date du dépôt de la demande, la préparation d'hybridomes et

d'anticorps monoclonaux pour des antigènes était une technique courante. Dans sa réponse du 8

avril 1994, le demandeur expose cet argument comme suit à la page 18:

 

[TRADUCTION) Comme le signale l'examinatrice dans la décision finale, le VIH-2 et ses

antigènes constituent l'aspect fondamental de l'invention. Une fois les antigènes identifiés et

caractérisés, on présume que:

 

1) le mode de préparation des anticorps monoclonaux est simple pour les personnes versées

dans l'art et que

 

2) les anticorps obtenus posséderont les propriétés immunogènes voulues.

 

   Comme on le dit à la page 50 du mémoire descriptif, pour obtenir des anticorps, on

injecte à un animal (habituellement, un lapin, un cochon d'Inde ou un mouton) une substance

immunogène (comme un antigène du VIH-2) afin de déclencher la production d'anticorps

polyclonaux. On peut alors obtenir des anticorps monoclonaux par les techniques classiques. En

quoi consistait une technique classique de production d'anticorps monoclonaux le 22 janvier 1986,

date d'antériorité de la demande? Il pouvait s'agir, par exemple, de la technique suivante : des

cellules de myélome sont fusionnées avec des lymphocytes des animaux immunisés produisant des

anticorps contre l'immunogène administré. Les cellules hybrides ainsi obtenues sont injectées dans

la cavité péritonéale d'hôtes syngéniques, ce qui donne lieu à la formation de tumeurs

(hybridomes) qui sécrètent dans le sérum ou dans le liquide ascitique des anticorps monoclonaux

en grandes quantités. Cette technique était très connue des personnes versées dans l'art bien avant

le 22 janvier 1986, date d'antériorité, comme on le démontre ci-après.

 

Le demandeur a ensuite présenté un bref aperçu de l'état actuel de la technique liée à la

production d'hybridomes et d'anticorps monoclonaux en commençant par les travaux exécutés

par Kohler et Milstein en 1975.

 

La Commission reconnaît que la méthode de production des anticorps monoclonaux pour

différents antigènes était connue dans le domaine à cette date; cependant, l'application de ces

méthodes à un nouvel antigène représente un nouveau procédé nécessitant un nouveau protocole

pour produire les hybridomes sécréteurs et les nouveaux anticorps monoclonaux spécifiques à

l'antigène.

 

Dans un article intitulé «Antibody Production By Hybridomas», Journal of Immunological

Methods, Volume 39, page 286 (1980), James W. Goding fait le commentaire suivant sur ce

genre de travaux:

 

[TRADUCTION) ...Il importe de souligner que la production, l'analyse, le clonage

et la caractérisation des anticorps monoclonaux ne sont pas chose simple. On

ne peut entreprendre une telle démarche sans avoir compris qu'elle

représente plusieurs mois d'un travail assez soutenu en laboratoire.

 

Les principes généraux de la physiologie et de la biochimie des antigènes, des anticorps, des

hybridomes et des anticorps monoclonaux sont expliqués dans l'ouvrage intitulé «Monoclonal

Antibodies», qui a été rédigé par Karol Sikora et Howard M. Smedley et publié en 1984 par les

Blackwell Scientific Publications (page 3):

[TRADUCTION) Bon nombre de molécules peuvent donner lieu à une réponse immunitaire,

autrement dit sont des antigènes. Chaque molécule a une forme unique. C'est cette forme qui

confere sa spécificité à la réaction antigène-anticorps. A l'évidence, les molécules de grande taille

et de structure complexe peuvent comporter plusieurs régions différentes : à chacune de ces

régions correspond un anticorps. Ces régions sont les déterminants antigéniques, ou épitopes. Une

molécule antigénique donnée peut comporter plusieurs épitopes Les antigènes de petite taille, par

contre, ne possèdent parfois qu'un épitope. L'interaction anticorps-antigène est la combinaison de

deux molécules de forme complémentaire. La forme de l'antigène est déterminée par la structure

tridimensionnelle de la molécule. Toutes les immunoglobulines (anticorps) ont une structure de

base semblable composée de deux chaînes lourdes et de deux chaînes légères liées par des ponts

disulfure.

 

(Un épitope antigénique se fixe au site de liaison situé entre la partie N terminale d'une paire de

chaînes légère et lourde).

 

A la page 8 du même ouvrage, les auteurs signalent que:

 

[TRADUCTION] Même si les techniques de fusion décrites auparavant permettent de produire en

quantités infinies des anticorps d'une spécificité définie, il est important de savoir dès l'abord que

pour chaque anticorps possédant les caractéristiques voulues qu'on réussit à produire, bien des

fusions auront échoué ou donné des produits monoclonaux sans intérêt. La production d'un seul

anticorps monoclonal utile nécessite de nombreuses heures de travail en laboratoire. Certaines des

raisons expliquant cet état de choses sont évidentes. Premièrement, la notion d'anticorps

monoclonal «utile» est arbitraire et dépend de la fonction que le chercheur veut obtenir... Il est

donc important que le chercheur ait déterminé quelles propriétés il recherche avant de décider si

les anticorps obtenus sont utiles ou non. De plus, bon nombre des antigènes contre lesquels les

anticorps recherchés doivent agir n'ont qu'un faible pouvoir immunogène. Ainsi, comme le

système immunitaire de l'animal réagit peu à l'immunogène, l'incidence d'anticorps monoclonaux

appropriés est faible, ce qui accroît la charge de travail.

 

La consultation de l'ouvrage de Goding, intitulé «Monoclonal Antibodies : Principles and

Practices» (deuxième édition, 1986, Academic Press), nous permet de nous faire une idée de

l'état de la technique à l'époque de la présentation de la demande (1987). A la page 281, il est

question de la création d'anticorps classiques (polyclonaux):

 

[TRADUCTION] La production d'anticorps monoclonaux demande beaucoup de travail. Il faut

mettre au point une épreuve de sélection avant l'étape de la fusion et faire des centaines, voire des

milliers, de tests avant d'immortaliser le clone tant recherché. A elle seule, la culture des cellules

demande beaucoup de travail et de temps. Par comparaison, la préparation d'anticorps avec, pour

tout matériel, un antigène, un lapin et une seringue peut sembler une prouesse technologique!

Dans bien des cas, les anticorps classiques font très bien l'affaire et le but visé est atteint au prix

d'un moindre effort.

 

A la page 3, Goding ajoute:

 

[TRADUCTION] Ce serait une erreur de croire que les anticorps monoclonaux en viendront à

remplacer complètement les outils de la sérologie classique. La production d'anticorps

monoclonaux exige beaucoup de travail et une grande détermination. L'effort à fournir n'est

souvent pas justifié. Heureusement, une grande variété d'anticorps monoclonaux sont maintenant

commercialisés.

 

...Par ailleurs, j'ai tenté de signaler les idées fausses qui circulent dans la littérature et j'ai aussi

relevé des cas où les méthodes décrites dans les publications ne sont pas fiables.

 ..L'immunochimie a aussi une tradition orale : un nombre étonnant de connaissances clés sont

 peu accessibles à ceux pour qui la littérature spécialisée est la seule d'information. J'ai inclus

 certains de ces éléments, lorsque la chose m'a paru indiquée; dans bien des cas, je n'ai trouvé

 aucune source à citer.

 

 A la page 59, dans le chapitre intitulé «Production of Monoclonal Antibodies», Goding écrit:

 

 [TRADUCTION] La technologie de la production des hybridomes est maintenant solidement

 établie, mais elle comprend un grand nombre d'étapes qui peuvent toutes être réalisées de bien des

 manières différentes. La diversité des méthodes décrites dans les publications est due tant à la

 nature des problèmes biologiques à résoudre qu'à l'expérience acquise auparavant. Les méthodes

 sont aussi plus ou moins pratiques, rapides, fiables ou coûteuses; cependant, comme, en fin de

 compte, aucune approche n'est supérieure à tous points de vue, chaque chercheur doit choisir ses

 méthodes parmi celles qu'il trouve dans les publications et les adapter à ses besoins. Cette

 démarche devrait être d'autant plus simple qu'on est au fait des variables et des compromis à

 prendre en considération.

 

 Il appert clairement des remarques précitées de Goding qu'une personne versée dans l'art doit

 créer un protocole précis pour produire les hybridomes et les anticorps monoclonaux spécifiques

 à chacun des antigènes. Pour y parvenir, cette personne ne pourra se fier uniquement aux

 articles et ouvrages publiés dans le domaine ou aux «techniques classiques», car un certain

 nombre de connaissances clés sont peu accessibles à partir de cette seule source d'information.

 Si la préparation des anticorps monoclonaux spécifiques aux antigènes était courante et

 prévisible, tous les anticorps monoclonaux relatifs aux antigènes seraient évidents et la science

 de l'immunologie produirait régulièrement toutes sortes de remèdes. Ce n'est certainement pas

 le cas.

 

 La Commission est d'accord avec la décision qui a été rendue aux États-Unis dans l'affaire Ex

 Parte Old 229 USPQ 197 (Bd. Pat. App. 1985), où les commentaires suivants figurent à la

 page 200:

 

[TRADUCTION] ...La technique de l'hybridome est bien connue, mais ses résultats sont

 nettement imprévisibles. C'est une technique empirique et une personne qui n'est pas

 particulièrement versée dans la pratique de cet art ne peut dire quels anticorps seront obtenus et

 quels antigènes de surface ces anticorps reconnaîtront. Le seul moyen d'être vraiment fixé sur la

 nature des anticorps monoclonaux est de procéder à l'exécution des diverses étapes : il ne saurait

 donc être question de présumer les résultats «escomptés».

 

 Au cours de l'audience, le demandeur a déposé deux documents publiés, soit «Two Neutralizing

 Domains in the V3 Region in the Envelope Glycoprotein gp125 of HIV Type 2», qui a été rédigé

 par Ewa Björling et al et publié par The American Association of Immunologists en 1994, et

 «Multiple Antigenic Epitopes Expressed on gag Proteins, p26 and p15, of a Human

 Immunodeficiency Virus (HIV) Type 2 as Defined with a Library of Monoclonal Antibodies», qui

 a été rédigé par Hiroyoshi Komatsu et al et publié en 1990 dans Aids Research and Human

 Retroviruses, volume 6, n o 7, par Mary Ann Liebert, Inc., Publishers. Selon le demandeur, ces

 documents renvoient à la préparation d'anticorps monoclonaux à l'aide des antigènes en

 question, ce qui prouve que la production de l'hybridome et des anticorps monoclonaux

constitue une méthode courante, de sorte que les revendications 84 et 85 ne peuvent être

rejetées au motif que les renseignements divulgués sont incomplets.

 

De l'avis de la Commission, le demandeur ne peut invoquer des travaux publiés après le dépôt

de ses revendications pour justifier celles-ci. Ainsi qu'il en a été décidé dans l'affaire

américaine Re Glass, 181 USPQ 31 (C.C.P. A. 1974), les renseignements devant étayer la

revendication sont évalués à la date du dépôt de la demande et le demandeur ne peut utiliser des

ouvrages publiés après cette date pour combler le vide de l'enseignement en ce qui a trait à la

façon de fabriquer et d'utiliser l'invention présumée. De plus, la Commission est d'accord avec

la décision rendue dans l'affaire américaine Gould v. Quigg, 3 USPQ2d 1302 (Fed. Cir. 1987),

selon laquelle il est possible d'utiliser les ouvrages publiés après le dépôt pour prouver que

l'invention décrite dans la demande déposée était utilisable.

 

Le demandeur demande également à la Commission de suivre par analogie la pratique reconnue

dans le domaine de la chimie. Voici comment il s'exprime à ce sujet â la page 23 de la réponse

datée du 8 avril 1994:

 

[TRADUCTION] Dans une demande de brevet concernant une invention dans le domaine de la

chimie, le demandeur fournit habituellement des commentaires générauz sur le type de composés

visé et donne des exemples précis de composés appartenant à la classe générique. Ce demandeur

peut décrire une façon de préparer des dérivés ou d'autres éléments bien différents des composés

spécifiques divulgués. Les revendications relatives à ces composés sont habituellement ajoutées et

autorisées par le Bureau des brevets. Ce genre de situation est tout à fait conforme à la décision

que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Monsanto c. Commissaire des brevets

(1979 2CPR 2d 161), où le juge Pigeon a formulé les commentaires suivants:

 

A mon avis, le commissaire ne peut refuser un brevet parce qu'un inventeur n'en a pas testé et

prouvé complètement tous les usages revendiqués. C'est ce qu'il a fait ici en refusant d accueillir

les revendications 9 et 16 dans la mesure où elles vont au-delà de ce qui a été testé et prouvé avant

le dépôt de la demande. Si les inventeurs ont revendiqué plus que ce qu'ils ont inventé et inclus

des substances dépourvues d'utilité leurs revendications pourront être contestées. Mais pour que

cette contestation réussisse, elle devra s appuyer sur une preuve d'inutilité. Pour l'instant, une

telle preuve n existe pas et il n y a aucune preuve que la prédiction d'utilité pour chaque composé

mentionné n est pas valable et raisonnable.

 

Et à la page 25:

 

[TRADUCTION] Selon la décision precitée de la Cour suprême, une «prédiction valable» est

fondée sur la capacité d'une personne versée dans l'art de prévoir les propriétés d'un produit visé

par une revendication. Le demandeur a prouvé que les techniques de production d'anticorps

monoclonaux sont devenues des outils généralement accessibles pour une personne versée dans le

domaine de la technologie des hybridomes, de la même façon que la préparation de composés

chimiques spécifiques à partir d'une formule générique fondée sur des procédés connus est

accessible pour la personne versée dans le domaine de la synthèse chimique.

 

Dans l'arrêt Monsanto que le demandeur a cité, la demande portait sur une catégorie de

composés chimiques qui empêchent la vulcanisation prématurée d'un caoutchouc diénique. Les

inventeurs ont donné la formule courante du noyau des substances et ont décrit différents

radicaux pouvant être utilisés dans la catégorie. Trois composés représentatifs ont été

divulgués, mais plusieurs autres composés qui étaient revendiqués ne l'ont pas été. Le mémoire

divulgués, mais plusieurs autres composés qui étaient revendiqués ne l'ont pas été. Le mémoire

descriptif renfermait une description précise de la préparation des trois composés, tandis que la

préparation des autres composés était décrite de façon générale au moyen d'une formule.

 

Dans l'affaire Monsanto, il a été reconnu que la divulgation renfermait suffisamment de

renseignements pour permettre à un chimiste compétent de préparer les composés à l'aide des

méthodes déjà connues de la science, mais il a été décidé que, étant donné que l'inventeur

n'avait pas préparé et testé tous les composés revendiqués, il n'était pas juste de dire qu'il avait

inventé tous ceux-ci. Cependant, la Cour suprême a jugé admissibles les revendications

rejetées, au motif qu'il n'y avait aucune preuve indiquant que les composés non préparés ou non

testés ne fonctionneraient pas, compte tenu des exemples divulgués à l'égard des composés

préparés et testés.

 

Ainsi, dans l'arrêt Monsanto, 42 C.P.R.. (2d) 161, la Cour suprême a cité, à la page 175, le

jugement Olin Mathieson Chemical Corp. v. Biorex Laboratories Ltd., [1970] R.P.C. 157.

Dans cette affaire, le brevet portait sur la trifluorométhylphénothiazine et certains composés

connexes dont un petit nombre seulement avaient été testés. La question était celle de savoir si

l'inventeur devait être limité aux substances mêmes qu'il avait testées. A la page 193, le juge

Graham a défini la prédiction valable en ces termes:

 

[TRADUCTION] Où donc doit-on tracer la ligne entre une revendication qui va au-delà de l'objet

et une qui coïncide avec lui? A mon amis, sir Lionel a correctement tracé cette ligne lorsqu'il a

fort utilement déclaré, dans les termes cités plus haut, que cela dépend s'il est possible de faire

une prédiction valable. S'il est possible pour le breveté de faire une prédiction valable et de

formuler une revendication qui ne dépasse pas les limites à l'intérieur desquelles la prédiction

demeure valable, il en a alors le droit. Bien sûr, en agissant ainsi, il prend le risque qu'un

défendeur soit en mesure de démontrer que sa prédiction n'est pas valable ou que certains corps

compris dans les termes qu'il a utilisés sont inutiles ou anciens ou évidents ou qu'une promesse

quelconque qu'il a faite dans son mémoire descriptif est fausse sous un aspect important; mais si,

devant une contestation, il échappe à ce risque, sa revendication ne va pas au-delà de l'objet

révélé par la divulgation, elle est honnêtement fondée sur celle-ci sous cet aspect et elle est

valable.

(non souligné dans l'original)

 

Dans l'affaire qui nous occupe, le demandeur ne démontre pas au moyen d'exemples ou

d'énoncés généraux les étapes qu'il a suivies pour produire les hybridomes qui sécrètent les

anticorps monoclonaux pouvant se fixer uniquement à l'antigène spécifique. Si un hybridome et

un anticorps monoclonal relatifs à certains antigènes avaient été préparés, il aurait été possible

 

    de juger admissibles d'autres hybridomes et anticorps monoclonaux revendiqués, mais non

  préparés, ou préparés mais non testés, compte tenu du principe de la «prédiction valable». En

  l'espèce, la divulgation ne renferme aucun renseignement sur un anticorps monoclonal, de sorte

  qu'il n'existe aucun élément pouvant étayer une prédiction valable.

 

  La Commission arrive à la conclusion qu'il n'existe pas suffisamment de renseignements

  concernant la méthode fondamentale à utiliser et les modifications pouvant être apportées à la

  méthode de base à l'égard des antigènes spécifiques divulgués. Il n'est pas possible de corriger

  ces lacunes en renvoyant la personne versée dans l'art aux «techniques classiques».

 

  Bref, la Commission conclut que la description ne comprend aucun renvoi ou description clair

  permettant à la personne versée dans l'art de fabriquer et d'utiliser l'invention sans procéder

  elle-même à une expérimentation considérable qui demande beaucoup de temps. De l'avis de la

  Commission, les hybridomes et les anticorps monoclonaux visés par les revendications 84 et 85

  ne sont pas décrits dans la présente divulgation ni ne peuvent être produits à l'aide de celle-ci

  conformément aux exigences du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets. En conséquence, la

  Commission recommande que le rejet des revendications 84 et 85 par l'examinatrice soit

  confirmé.

 

  (signé)                  (signé)                   (signé)

  Peter J. Davies         Effat Maher              Michael Howarth

  Président intérimaire   Membre                   Membre

 

  Je souscris aux conclusions et aux recommandations de la Commission. Je suis d'avis que le

  demandeur n'est pas autorisé en droit à obtenir un brevet contenant les revendications 84 et 85

  et je refuse donc d'accorder un brevet contenant ces revendications dans la présente demande.

 

 M. Leesti

  Commissaire aux brevets

 

Fait à Hull (Québec),

  le 11 décembre 1995

 

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