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            DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

Article 2: Méthode d'accélération du renouvellement naturel des cellules.

 

La méthode permettant d'améliorer la capacité du corps humain d'accroître le renouvel-

lement des cellules dela peau est tenue pour une méthode de traitement des parties

vivantes du corps.

 

Rejet confirmé.

 

La présente décision faite suite à la requête formulée par le

demandeur auprès du commissaire des brevets pour qu'il révise la

décision finale de l'examinateur concernant la demande de brevet

no 374 547 (classe 167-310), déposée le 2 avril 1981 et cédée à Lilly

(Eli) and Company, pour une invention intitulée "RÉGIME DE

RENOUVELLEMENT DES CELLULES DE LA PEAU". J.A Cella, M.G. Flom,

A.M. Herrold, J.O. Martin et O. Vargas en sont les inventeurs.

L'examinateur chargé du dossier a rendu sa décision finale le

17 février 1983, rejetant la demande de brevet. Une audience s'est

tenue le 17 juin 1987, à laquelle le demandeur était représenté par

ses agents de brevets, Mes G.E. Fisk et F. Pole.

 

La demande a trait à une méthode pour accélérer le renouvellement

naturel des cellules par l'application sur la peau de quatre

éléments : un nettoyant, une crème, une lotion et un tonifiant.

 

L'examinateur fonde son rejet sur l'article 2 de la Loi sur les

brevets et s'explique, en partie, comme suit :

 

Le rejet de toutes les revendications est maintenu

du fait qu'elles visent une méthode de traitement

médical qui n'est pas une invention au sens où

l'entend l'article 2 de la Loi sur les brevets et

qui a été judiciairement déclarée non brevetable

par l'arrêt Tennessee Eastman c. Commissaire des

brevets, (1974) R.C.S. 111.

 

Dans son argumentation, le demandeur nie la

pertinence de l'arrêt Tennessee Eastman pour la

raison que la méthode qu'il revendique est une

méthode cosmétique. Voir la lettre de

modification du 8 décembre 1982, aux pages 7, 36

et 37.

 

L'argument du demandeur est rejeté parce que la

méthode revendiquée en l'espèce vise à accroître

le remplacement des cellules de la peau (voir le

préambule de la revendication 1). A ce titre,

cette méthode modifie l'état physique du corps

humain et influe sur son métabolisme. Elle

constitue un traitement d'une partie intégrante du

corps humain, la peau, et équivaut à une méthode

de traitement médical pouvant être employée par

des personnes qui ne sont pas de la profession

médicale.

 

Dans l'affaire Tennessee Eastman Co. v. Commissioner of Patents (62 C.P.R.) en

page 154, le luge de la Cour de l'Échiquier a expliqué comme suit pourquoi il

tenait pour non brevetable les méthodes de traitement:

 

"A mon avis, la présente méthode n'entre pas dans le domaine des

réalisations manuelles ou de production et, lorsqu'on l'applique

au corps humain, elle ne produit pas un résultat qui se rattache

aux affaires, au commerce ou à l'industrie, ni un résultat qui

est essentiellement (sic) économique. L'adhésif lui-même peut

faite l'objet d'un commerce, et le brevet pour le procédé, s'il

est concédé, peut aussi être vendu et la licence de son emploi peut

aussi être vendue contre une rémunération en argent, mais il ne

s'ensuit pas que la méthode et ses résultats se rattachent au

commerce ou sort essentiellement économiques au sens dans lequel

on a employé ces expressions dans les jugements en matière de

brevets. La méthode fait essentiellement partie du domaine

professionnel du traitement chirurgical et médical du corps humain,

même si à l'occasion elle peut être appliquée par des gens qui

n'oeuvrent pas dans ce domaine. En conséquence,-je conclus que,

dans l'état actuel de la Loi sur les brevets du Canada et de

l'étendue de ce qui est sujet à un brevet, comme l'indique la

jurisprudence que j'ai citée, et qui fait autorité, la méthode

ne constitue pas une réalisation, un procédé (ou le) perfectionne-

ment d'une réalisation ou d'un procédé au sens du paragraphe d)

de l'article 2 de la Loi sur les brevets."

 

A la suite de sa réponse initiale à la décision finale de

l'examinateur, le demandeur a présenté plusieurs mémoires dans

lesquels il discute de nombreuses décisions des tribunaux canadiens,

de même qu'étrangers, ayant trait à la brevetabilité des méthodes de

traitement médicales et non médicales. Parmi plusieurs arrêts

canadiens que le demandeur estime favorables à l'admissibilité de la

méthode revendiquée, citons Tennessee Eastman c. Commissaire des

brevets, (1974) R.C.S. 111 (ci-après, Tennessee Eastman), Burton

Pansons Chemical Co. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., (1976) 1 R.C.S.

555 et 7 C.P.R. (2d) (1973) 198 (ci-après, Burton Pansons), Imperial

Chemical Industries Limited v. The Commissioner of Patents, 1 Ex.

C.R. (1967) 57 et 51 C.P.R. (1967) 102 (ci-après, ICI 1967) et

Imperial Chemical Industries Limited c. Commissaire des brevets,

(1986) 3 C.F. 40 (ci-après, ICI).

 

Jointes aux mémoires déposés, il y avait la déclaration sous serment

de Warren E. Epinette, médecin à la Stanford Medical School et depuis

longtemps expert-conseil à temps partiel en dermatologie auprès de

Elizabeth Arden Inc., et la déclaration sous serment de Marguerite

Russell-Pavier, une directrice de la formation en traitements faciaux

au service de Red Door Salons of Elizabeth Arden, Inc.

 

Dans son argumentation écrite, le demandeur fait ressortir ce qui suit

des arrêts canadiens susmentionnés :

 

Concernant Tennessee Eastman :

 

[...] L'arrêt de la Cour suprême du Canada, sur

lequel l'examinateur se fonde largement,

n'apparaît pas comme particulièrement défavorable

à la position du demandeur car, dans l'arrêt

Tennessee Eastman, la Cour ne se penchait que sur

la brevetabilité de méthodes de traitement

médicales ou chirurgicales, au sens restreint de

ces termes; il n'y a rien dans cet arrêt qui

pourrait indiquer que la Cour comptait que sa

décision s'applique à toutes les méthodes ou à

tous les procédés qui, de quelque façon que ce

soit, concernent ou pourraient concerner le corps

humain ou animal. La présente invention vise un

objet brevetable.

 

[...] Dans la méthode du demandeur, il n'y a rien

de comparable : elle ne comporte aucune méthode

chirurgicale, n'exige aucune compétence

professionnelle et ne corrige aucune difformité,

anomalie fonctionnelle ou déficience du corps

humain[...]

 

Concernant Burton Parsons :

 

Ainsi, nous voyons qu'un composé utilisé dans un

contexte médical pour effectuer un examen pour

l'information des médecins et qui est appliqué sur

la peau n'a pas été jugé "destiné à la

médication" du fait qu'il n'était pas

nécessairement ou principalement utilisé pour le

traitement des maladies. La présente méthode ne

sert aucunement au traitement des maladies, et

c'est pourquoi nous jugeons que l'arrêt Burton

Parsons vient manifestement appuyer la position du

demandeur selon laquelle sa méthode est

brevetable.

 

Concernant ICI 1967 :

 

[...] Dans chacune des définitions, il est

implicite ou expressément déclaré que le

médicament doit avoir un effet curatif ou

préventif ou qu'il doit, dans le sens le plus

large de ce terme, faire partie d'un régime

thérapeutique. Aucune des définitions ne donne au

terme "médicament" une interprétation aussi large

que ne le fait la Commission d'appel des brevets

dans certaines de ses récentes décisions. Il est

donc manifeste que le juge Gibson, en déclarant

que l'Halothane était un médicament, n'a pas

élargi la définition du terme "médicament" de la

façon proposée par la Commission d'appel des

brevets, mais seulement de façon à englober toute

substance qui fait partie d'un régime

thérapeutique. Par conséquent, nous affirmons que

le juge Gibson, en faisant état d'agents

biologiques et d'hormones comme de "médicaments",

considère clairement ces composés comme partie du

régime thérapeutique, à l'exemple des agents de

conglutination utilisés à des fins chirurgicales

dans l'arrêt Tennessee Eastman.

 

Concernant ICI :

 

[...] Il a été montré que l'une des fonctions

principales de la méthode d'ICI faisant l'objet de

l'appel consistait à traiter les maladies des

gencives en enlevant la plaque dentaire et(ou) à

prévenir les caries, deux fonctions qui pourraient

(à tout le moins dans un sens large) être tenues

pour le traitement d'une maladie d'une partie du

corps humain, à savoir les dents. En revanche,

dans la présente affaire, rien n'indique que la

méthode du demandeur ait la moindre fonction

médicale; de fait, tout indique le contraire, la

présente méthode ayant uniquement des effets

cosmétiques. Qui plus est, dans l'arrête

susmentionné, ICI Ltd. c. Le Commissaire, la Cour

fédérale a établi (au moins implicitement) une

distinction claire entre une fonction ou un objet

cosmétique et une fonction ou un objet médical.

Par conséquent, nous affirmons que l'arrêt ICI

Ltd. c. Le Commissaire des brevets de la Cour

d'appel fédérale n'est pas déterminant dans la

présente procédure d'appel.

 

La question dont est saisie la Commission d'appel des brevets est la

suivante : les revendications du demandeur ayant trait à

l'application sur la peau de diverses formules visent-elles une

méthode qui serait admissible aux termes de l'article 2 de la Loi sur

les brevets?

 

L'article 2 est libellé comme suit :

 

"invention" signifie toute réalisation, tout

procédé, toute machine, fabrication ou composition

de matières, ainsi qu'un perfectionnement

quelconque de l'un des susdits, présentant le

caractère de la nouveauté et de l'utilité.

 

La revendication 1 est formulée comme suit :

 

[Traduction]

 

Une méthode cosmétique qui accélère le

remplacement des cellules de la peau sans causer

l'irritation de celle-ci; cette méthode comprend

l'application sur la peau de :

 

a) une formule nettoyante composée, en

pourcentage massique, de :

 

Ingrédient                    Pourcentage

 

Eau désionisée

Propylèneglycol

Silicate de magnésium et d'aluminium

Carboxyméthylcellulose sodique

p-Hydroxybenzoate de méthyle

Imidazolidinylurée

Acide éthylènediamine-tétracétique

N-lauryl-.beta.-iminodipropionate de sodium

Dioxyde de titane

Isostéaroyl-2-lactylate de sodium

Stérols de soja

Stérols polyoxyéthyléniques (10) de soja

Myristate de l'éther myristylique de

polyoxyéthylène (3)

Éther stéarylique de polyoxypropylène (15)

Huile minérale lourde

Dicaprylate/dicarpate de propylèneglycol

(80/20 à 50/50)

Alcool cétylique (1-hexadécanol)

Alcool stéarylique (1-octadécanol)

p-Hydroxybenzoate de propyle

Monostéarate de glycéryle et monostéarate

de polyéthylèneglycol (100)

Acide stéarique pressé trois fois

Acide lactique

Parfum

b) une crème composée, en pourcentage

massique, de :                                 

Ingrédient                                  Pourcentage

Huile minérale légère

Homopolymère de polyéthylène (MM : 1500,

Masse volumique : 0,91 g/mL)

Triundécanoate de 1,2,3-propanetriyle

Squalane

Alcool lanolinique distillé

Cire d'abeille blanche

Polydiméthylcyclosiloxane

Diisostéarate de triglycéryle

Myristate d'isopropyle

~-Hydroxybenzoate de propyle

Bentonite quaternaire

Eau désionisée

~-Hydroxybenzoate de méthyle

Solution de sorbitol à 70 %

Imidazolidinylurée

 

Urée

Diglyoxylurée

Alcool DL-pantothénylique

Chlorure de cis-1-(3-choroallyl)-3,5,7-

triaza-1-azoniaadamantane

Parfum

 

c) une lotion composée, en pourcentage

massique, de :

Ingrédient                              Poucentage

 

Eau désionisée

Gomme de xanthane

Propylèneglycol

Stéarate de polyoxyéthylène (30)

~-Hydroxybenzoate de méthyle

Imididazolidinylurée

Polyphénylméthylsiloxane

Homopolymère de polyéthylène (MM : 1500,

masse volumique : 0,91 g/mL)

Monostéarate de glycéryle neutre

non émulsifiant

p-Hydroxybenzoate de propyle

Monostéarate de sorbitanne

Monostéarate d'éthylèneglycol

Huile de lanoline

Myristate d'isopropyle

Squalane

Parfum

 

et

 

d) un tonifiant composé, en pourcentage

massique, de :

 

Ingrédient                                  Pourcentage

 

Eau désionisée

Polyéthylèneglycol et polypropylèneglycol

Diglyoxylurée

Polyéthylèneglycol (300)

Imidazolidinylurée

Alcool dénaturé

~-Hydroxybenzoate de méthyle

~-Hydroxybenzoate de propyle

 

   Ester d'acide gras et de sorbitanne

polyoxyéthylénique (60)

Ether oléylique de polyoxyéthylène (10)

Menthol

Parfum

 

Me Fisk fait valoir qu'il n'y a nulle part dans la demande une description d'un

traitement médical. Il porte à notre attention les pages 1 et 14 de la

demande, affirmant que l'invention du demandeur est un régime cosmétique de

renouvellement des cellules de la peau destiné à accélérer le remplacement des

cellules de la peau sans causer d'irritation de celle-ci.

 

Me Fisk signale la déclaration sous serment du Dr Epinette, dans laquelle il

est affirme que la méthode ne sert pas au traitement d'une maladie. Me Fisk

fait remarquer que Mme Russell-Pavier, dans sa déclaration sous serment,

précise que la méthode est appliquée contre rémunération par les spécialistes

des soins de santé sous la désignation: Elizabeth Arden Millenium Method Face

Treatment. Cette déclaration fait état du succès commercial du traitement

d'Elizabeth Arden, et Me Fisk en déduit que la méthode du demandeur a un objet

commercial.

 

L'un des points qui retient l'attention de la Commission est le sens de

l'expression "accélérer le remplacement des cellules de la peau sans causer

l'irritation de celle-ci", telle qu'elle est utilisée dans la demande, de façon

à obtenir de nouvelles cellules dans la couche externe de la peau. Me Fisk

fait remarquer que les cellules mortes se détachent continuellement de la peau

au cours du cycle de renouvellement naturel. Il soupconne qu'en enlevant plus

rapidement les cellules mortes de la couche externe, l'organisme réagit en

promouvant la croissance du nouveau tissu cutané. De cette façon, laisse-t-il

entendre, l'organisme travaille plus fort pour remplacer les cellules mortes.

 

A notre avis, la demande ne décrit pas la réaction qui se produit. Par

exemple, aucun renseignement n'est donné qui décrirait comment les composantes

activent le processus de renouvellement cellulaire et empêchent l'irritation de

la peau. Or, nous rappelons que, selon les pages 1 et 14 de la demande,

l'invention a pour objet l'accélération du renouvellement naturel des cellules

en vue d'accélérer l'apparition de nouvelles cellules et, par la, le taux de

remplacement des cellules. On ne trouve pas, dans ces deux pages, ni ailleurs,

un exposé de ce qui se produit lorsque les composantes sont appliquées sur la

peau. L'objet de l'application des divers produits entrant dans la méthode du

demandeur est d'augmenter ou d'accélérer le renouvellement naturel des

cellules. A nos yeux, cela indique que le demandeur attend que sa méthode ait

effectivement pour résultat la croissance de nouvelles cellules de la peau. De

fait, le demandeur a présenté un tableau des effets obtenus et il tient les

résultats qui y figurent pour preuve qu'il y a effectivement accélération du

taux de croissance des nouvelles cellules. A notre avis, cette preuve indique

qu'il s'agit non d'une méthode cosmétique, mais bien d'un traitement d'une

partie vivante du corps humain.

 

Nous nous reportons à l'arrêt Tennessee Eastman, en page 114, où est

reproduit, avec approbation selon l'arrêt ICI, le passage suivant sous

la plume du juge Kerr :

 

A mon avis, la présente méthode n'entre pas dans le domaine

des réalisations manuelles ou de production et, lorsqu'on

l'applique au corps humain, elle ne produit pas un résultat

qui se rattache aux affaires, au commerce ou à l'industrie,

ni un résultat qui est essentiellement économique.

L'adhésif lui-même peut faire l'objet d'un commerce, et le

brevet pour le procédé, s'il est concédé, peut être vendu et

la licence de son emploi peut être vendue contre une

rémunération en argent, mais il ne s'ensuit pas que la

méthode et ses résultats se rattachent au commerce ou sont

essentiellement économiques au sens dans lequel on a employé

ces expressions dans des jugements en matière de brevets.

La méthode fait essentiellement partie du domaine

professionnel du traitement chirurgical et médical du corps

humain, même si à l'occasion elle peut être appliquée par

des gens qui n'oeuvrent pas dans ce domaine. En

conséquence, je conclus que, dans l'état actuel de la Loi

sur les brevets du Canada et de l'étendue de ce qui est

sujet à un brevet, comme l'indique la jurisprudence que j'ai

citée, et qui fait autorité, la méthode ne constitue pas

une réalisation, un procédé [ou le] perfectionnement d'une

réalisation ou d'un procédé au sens du paragraphe d) de

l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Dans l'affaire Tennessee Eastman, l'objet inventif concernait

l'utilisation d'une substance pour faire adhérer ensemble des tissus

vivants au cours d'un traitement chirurgical. Dans la présente

affaire, le demandeur revendique l'utilisation de plusieurs substances

à appliquer sur la peau pour accélérer de renouvellement naturel des

cellules.

 

Nous examinerons maintenant la décision qui a été rendue dans

l'affaire australienne Joos v. The Commissioner of Patents, (1973)

R.P.C. n o 3, p. 65, dont il a été question à l'audience. Cette

affaire avait trait au traitement de tissus kératiniques humains tels

les cheveux et les ongles, ces tissus étant une matière inanimée, non

une matière vivante, comme la Cour l'a fait remarquer en page 63 :

 

Il serait invraisemblable de dire, dans le sens qui nous

intéresse, de ceux qui, dans les régions jouissant d'un fort

ensoleillement et de températures modérées, s'enduisent la

peau d'une préparation chimique pour se protéger contre

l'insolation, qu'ils traitent leur corps ou qu'ils subissent

un traitement. En revanche, l'application sur la peau d'un

onguent destiné à éliminer les kératoses et utile à cette

fin serait un cas de traitement médical. Pour être

qualifiée de traitement, dans le sens qui nous concerne, il

me semble que l'application d'une substance ou d'un procédé

au corps doit avoir pour objet d'arrêter ou de guérir une

maladie ou un état de maladie, de corriger un dérèglement

fonctionnel ou d'atténuer une insuffisance ou une infirmité

quelconque.

 

et, en page 66 :

 

A mon avis, s'il est admis que les revendications de procédé

pour le traitement médical d'une maladie, d'un dérèglement,

d'un insuffisance ou d'une infirmité du corps humain ou de

l'une de ses parties ne peuvent être assimilées à une

invention au sens de la Loi, il faut que la catégorie de ces

revendications soit circonsrite de façon restreinte. Je ne

puis voir aucun motif d'ordre public ni aucun précédent

judiciaire pour englober dans cette catégorie les procédés

et méthodes visant à améliorer ou, à tout le moins, modifier

l'apparence du corps humain ou de ses parties. A mes yeux,

de tels procédés et méthodes cosmétiques ne sont pas de même

nature que les méthodes ou procédés médicaux prophylactiques

ou thérapeutiques.

 

Certes, il peut y avoir de nombreux cas limites de procédés

applicables au corps humain ou à ses parties dans lesquels

il est difficile de décider s'il s'agit d'un traitement

médical ou non. Tel n'est pas le cas en l'espèce. En

effet, le procédé qui nous intéresse n'est manifestement pas

une méthode de traitement d'une maladie, d'un dérèglement,

d'une insuffisance ou d'une infirmité du corps humain ou de

l'une de ses parties. Il ne vise même pas un tissu vivant

du corps, les cheveux sur lesquels la solution doit être

appliquée étant un tissu mort, bien qu'il soit fixé au corps

par des follicules, que l'on peut tenir pour une partie d'un

tissu vivant. Dans le présent cas, le procédé est

assurément cosmétique, contrastant fortement avec un procédé

médical prophylactique ou thérapeutique. A mon sens, il ne

ressortit pas à la catégorie des traitements médicaux, qui,

aux fins de la présente affaire, ne peuvent être tenus pour

un objet idoine à l'octroi d'un brevet. Comme je l'ai

mentionné plus tôt, je ne cherche pas dans la présente

affaire à établir et exprimer une justification de

l'exception visant cette catégorie de revendications de

procédés. Si j'avais à le faire, j'affirmerais, compte tenu

des arguments qui m'ont été présentés, que l'exception à

l'ordre public, si elle doit être maintenue, est

"généralement inappropriée", selon le libellé du Statute of

Monopolies, sans restreindre la portée de ces termes aux

choses de même nature que celles décrites dans le passage

précédent. Aussi, après mure réflexion, j'en suis arrivé à

la conclusion que la demande de l'appelante ne peut être

déclarée inadmissible du simple fait que ses revendications

visent un procédé applicable au corps humain. A mon sens,

les revendications ne portent pas sur un moyen ou une

méthode de traitement médical qui ressortit à l'exception

restreinte à la brevetabilité dont j'ai fait état.

 

Nous signalons que les matières kératiniques peuvent contenir de la

kératine, l'une des principales composantes de l'épiderme, des cheveux

et des ongles.

 

Dans l'arrêt Joos, la Cour a statué, après avoir examiné s'il

appartenait à la catégorie des méthodes de traitement des maladies,

des dérèglements, des insuffisances ou des infirmités du corps humain,

que le traitement des parties mortes du corps, nommément les cheveux,

était un traitement cosmétique. Nous comprenons de cette affaire

qu'une objection ne pouvait reposer sur le seul fait que le procédé

s'appliquait au corps humain. Or, dans la présente affaire, nous

apprenons par la demande et par les argumentations tant écrites et

qu'orales que le résultat souhaité est l'accélération du

renouvellement des cellules. La présente invention diffère de celle

dans l'affaire Joos, qui visait à améliorer l'apparence de parties

inanimées du corps comme les cheveux. Dans l'affaire dont nous sommes

saisis, le demandeur se propose d'accélérer la croissance de nouvelles

cellules. Il est expliqué que les vieilles cellules sont déplacées

plus rapidement lorsqu'il y a accélération de la croissance des

nouvelles cellules. Toutefois, nous ne trouvons nul passage où le

demandeur décrit un traitement quelconque de cellules mortes

comparable de quelque façon que ce soit au traitement des cheveux

humains pour en modifier la texture. La méthode du demandeur vise à

accélérer le renouvellement naturel des cellules sans irriter ou

endommager la peau.

 

Nous sommes convaincus que la méthode du demandeur vise à améliorer la

capacité du corps de renouveler les cellules de la peau à un taux

accéléré de façon qu'elles puissent arriver plus tôt à la surface. La

demande nous informe que tous les nouveaux produits qui y sont décrits

sont destinés à augmenter le taux de renouvellement des nouvelles

cellules. A notre avis, la méthode du demandeur se rapporte à un

traitement d'un tissu vivant et cherche à améliorer par ce traitement

la capacité du corps de produire des nouvelles cellules à un taux

accéléré. Nous estimons que la méthode vise plus que la réalisation

d'un traitement cosmétique, comme la mise en plis des cheveux. Nous

constatons qu'il n'est nulle part question de frictionner les cellules

mortes ou d'agir sur elles pour en modifier l'apparence. Elles sont

tout simplement enlevées.

 

Guidés par le passage précité du juge Kerr dans l'arrêt Tennessee

Eastman, qui, à notre sens, n'a pas été discrédité par la Cour

suprême, force nous est de constater l'absence de toute invention

brevetable aux termes de l'article 2 de la Loi. A notre avis, le

passage en question fait remarquer qu'une méthode de traitement

assimilable à un traitement médical de tissus vivants, telle que nous

apparaît la méthode du demandeur, peut être appliquée à l'occasion par

des personnes qui peuvent être ou ne pas être de la profession

médicale. Nous estimons que la méthode du demandeur n'est pas

simplement une application d'une substance sur le corps humain, à

l'exemple de l'application d'une teinture sur une dent uniquement à

des fins d'identification, mais qu'elle appartient bien à la même

catégorie que l'objet inventif dans l'affaire ICI, pour cette raison

qu'il est envisagé que la méthode améliore la fonction ou la santé

d'une partie vivante déterminée du corps, non seulement qu'elle

apporte une amélioration d'ordre cosmétique, bien que celle-ci puisse

être présente. Aussi, l'arrêt ICI nous apprend que, si un traitement

médical et un traitement cosmétique résultent ensemble de

l'utilisation d'une substance, aucun des deux traitements ne peut

donner lieu à un brevet.

 

A la suite de l'audience, le demandeur a présenté la déclaration sous

serment de Patricia Warrick, accompagnée des pièces A, C, et D.

Mme Warrick a été chargée des essais en vue d'établir par quel

mécanisme le régime de renouvellement des cellules de la peau agit

pour accélérer le remplacement des cellules épidermiques. Elle

déclare [Traduction] "[...] qu'il a été établi que le mécanisme par

lequel agit le régime consiste à accélérer le remplacement des

cellules épidermiques par l'enlèvement de la couche externe de la

couche cornée [...] en détachant et en enlevant les cellules mortes de

la surface externe de la peau. Le corps fonctionne alors de la façon

normale pour reconstituer la couche cornée en produisant plus de

cellules, qui meurent et forment une couche de la couche cornée." A

l'appui de ces conclusions, Mme Warrick renvoit, dans sa déclaration

sous serment, à la pièce A, dans laquelle John A. Cella,

vice-président de Elizabeth Arden Inc., décrit le renouvellement des

cellules de la peau. M. Cella affirme :

 

Les études susmentionnées montrent que le régime Millenium

cause l'accélération du renouvellement des cellules de la

peau et, ce faisant, lui donne un fonctionnement rajeuni,

car le taux de renouvellement de la peau plus jeune est plus

rapide.

 

Plus loin, il déclare que [Traduction] "cette étude montre clairement

que les cellules de la peau produites au cours de l'application du

régime Millenium sont de meilleure qualité et de plus belle

apparence".

 

Nous signalons que la pièce A, en précisant que le renouvellement de

la peau est accéléré, n'appuie pas les vues de Mme Warrick, selon qui

la méthode consiste à détacher des tissus morts du corps. Nous ne

pouvons donc tenir compte de la déclaration sous serment Warrick,

puisque les affirmations de M. Cella décrivent un taux de

renouvellement des cellules qui, à nos yeux, concerne une fonction

d'un tissu vivant.

 

En résumé, nous concluons que les revendications du demandeur, bien

que formulées relativement à une méthode cosmétique, visent une

méthode de traitement de parties vivantes du corps humain en vue

d'obtenir le renouvellement des cellules de la peau.

 

Nous recommandons que soit maintenu le rejet des revendications pour

cause de non-brevetabilité de leur objet.

 

M. G. Brown                         S. D. Kot

Président p.i.                Membre

Commission d'appel

des Brevets

 

Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission

d'appel des brevets. Je suis convaincu que la demande ne vise pas un

objet légalement brevetable. Par conséquent, je refuse en vertu de

l'article 42 de la Loi d'accorder le brevet demandé. Le demandeur

dispose d'un délai de six mois pour en appeler de ma décision aux

termes de l'article 44 de la Loi.

 

J.H.A. Gariépy

Commissaire des brevets

Fait à Hull (Québec), ce 20e jour d'avril 1988

 

Gowling & Henderson

B.P. 466, succursale A

Ottawa (Ontario)

K1N 8S3

 

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