Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                    Décision du commissaire

 

Objet, art. 2 : Système de stockage et de recherche de correspondance. Le

système d'analyse, d'archivage et de recherche de documents constitue plus que

de simples calculs et, en l'absence d'antériorité pertinente, il est jugé que la

demande vise un objet brevetable. Rejet annulé.

 

La présente décision fait suite à la requête formulée par le demandeur auprès du

commissaire des brevets pour qu'il révise la décision finale de l'examinateur

concernant la demande de brevets no 363 345 (classe 354-120), déposée le 27

octobre 1980 et cédée à International Business Machines Corporation, pour une

invention intitulée SYSTEME DE STOCKAGE ET DE RECHERCHE DE CORRESPONDANCE DE

BUREAU. D. Glickman, J.T. Repass, W.S. Rosenbaum et J.G. Russell en sont les

inventeurs. L'examinateur chargé du dossier a rendu sa décision finale le 10

février 1983, rejetant la demande de brevet.

 

La demande concerne un système permettant de faire l'analyse et l'archivage de

documents et d'en effectuer la recherche en réponse à des demandes de textes,

comme le montre la figure 1, reproduite ci-après:

 

                            <IMG>

 En mode analyse/archivage, le texte du document à stocker est reçu par le re-

 gistre d'entrée 16, puis, à l'aide d'instructions provenant de la mémoire ins-

 truction 14 (en communication bidirectionnelle avec le processeur 10), il passe

 au processeur 10 pour être analysé. Tant la mémoire-dictionnaire 8 que la

 mémoire centrale 12 sont en communication bidirectionnelle avec le processeur

 10. La mémoire 8 contient des noms et des adjectifs spécialisés, mais aucun

 chiffre, sigle ou nom propre. Les mots contenus dans le document sont comparés

 à ceux de la mémoire 8; ceux qui s'y trouvent sont codés différemment de ceux

 qui ne s'y trouvent pas. Les mots ainsi codés sont rassemblés pour former le

 résumé analytique, puis stockés dans un fichier d'index de mots clés, dans la

 mémoire 12. Chaque terme du fichier d'index reçoit un code qui indique la

 nature du mot (nom, chiffre, etc.) et le nombre de fois qu'il figure dans le

 document; il lui est également attribué un facteur de pondération. Le résumé

 complet est transmis au fichier d'index pour être stocké.

 

 A l'étape de la recherche de documents, une interrogation est entrée dans le

 registre 16, puis acheminée au processeur 10. Celui-ci communique avec les

 mémoires 8 et 12 pour effectuer une évaluation des affinités avec les textes

 stockés. Tout document choisi par le système est ensuite transmis au registre

 de sortie 18 pour extraction.

 

 Dans son rejet de la demande pour cause de non-brevetabilité de son objet en

 vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevet, l'examinateur a affirmé, en

 partie, ce qui suit:

 

Au deuxième paragraphe de la page 2 de sa lettre du 8 décembre 1981,

 le demandeur déclare que l'invention est une méthode qui pourrait

 être réalisée au moyen de matériel informatique, de programmes, etc.

 Or, ces moyens ne sont pas divulgués. Seuls des programmes sont di-

 vulgués et, en page 21, les seuls moyens proposés pour remplacer les

 programmes divulgués sont d'autres programmes "formulés dans d'autres

 langages machine". Ainsi, l'exposé de l'invention ne montre pas que

 le principe inventif peut être mis en application par un matériel

 informatique. Celui-ci n'a pas été divulgué comme l'exige l'article

 36(1) de la Loi sur les brevets et, en page 21 de l'exposé, rien

 n'indique qu'une réalisation matérielle serait praticable ou qu'elle

 serait possible sans l'exercice de la faculté inventive.

 

 En page 2, troisième paragraphe, de sa lettre, le demandeur affirme

 que la mention, à savoir "l'invention comprend une série

 d'instructions ou de programmes" a été prise hors contexte. Le con-

 texte, qui se trouve en page 6, est le suivant: "La réalisation

 préférée de la présente invention comprend une série l'instructions

 ou de programmes en vue de contrôler l'analyse de documents...".

 Dans le paragraphe suivant, le demandeur souligne que les instruc-

 tions font partie d'une réalisation préférée. Il convient

 de faire remarquer que les instructions et les programmes sont

 les seuls moyens de réaliser l'invention qui ont été

 divulgués. Nous ne reconnaissons pas que le demandeur ait

 divulgué une autre méthode fondée sur l'utilisation de

 matériel.

 

 Le demandeur affirme que les revendications déposées ne peuvent

 d'aucune façon être tenues pour la description d'un programme.

 Nous invitons le demandeur à appliquer le critère de la

 contrefaçon à ses revendications: serait-il possible pour

 quelqu'un d'utiliser les programmes divulgués sans porter

 atteinte aux revendications? Quelle méthode praticable et

 utile les revendications visent-elles à monopoliser si ce n'est

 la méthode comprenant le programme divulgué ou des programmes

 semblables formulés en "d'autres langages machine", dont il est

 question à la page 21?

 

 (...) Les demandes de brevet ne sont pas rejetées du revers de

 la main parce qu'elles contiennent des formules ou une mention

 de la loi de la gravité, etc. Elles ne sont rejetées que si

 elles ne divulguent rien d'autre qu'une formule ou une loi de

 la nature. Elles ne le sont pas si elles comprennent également

 un objet inventif. Dans le cas des demandes divulguant des

 programmes, il est nécessaire que les programmes soient

 exécutés sur un appareil nouveau ou que le programme ne soit

 qu'une partie d'une méthode revendiquée et par ailleurs

 admissible. (Voir la décision du commissaire dont il est

 question dans le rapport du 24 septembre 1982.)

 

En réponse à la décision finale de l'examinateur, le demandeur signale la

 description de l'invention qui figure aux pages 2, 3 et 4 et fait valoir, en

 partie, ce qui suit:

 

 ...

 

 En premier lieu, il importe d'affirmer, comme d'un fait réel et

 incontestable, que la présente invention constitue un

 perfectionnement par rapport aux méthodes antérieures de

 traitement des documents, puisqu'elle expose un système par

 lequel de meilleurs résultats peuvent être obtenus sans

 nécessiter l'intervention directe d'employés très spécialisés

 ou informés, tout en réduisant considérablement le temps

 machine extrêmement coûteux.

 

 En deuxième lieu, il est très difficile de lire le résumé de

 l'invention ci-dessus et d'en conclure qu'elle ne définit qu'un

 algorithme ou un programme d'ordinateur ou tout autre objet de

 connaissance théorique. Jusqu'à présent, rien n'indique que

 l'exposé du demandeur ne réponde à la définition de

 l'invention, énoncée à l'article 2 de la Loi, à savoir:

 

 "'invention' signifie toute réalisation, tout

 procédé, toute machine, fabrication ou composition de

 matières, ainsi qu'un perfectionnement quelconque de

 l'un des susdits, présentant le caractère de la

 nouveauté et de l'utilité".

 

 En outre, l'examinateur a décidé que l'article 36(1) de la Loi sur

 les brevets exige la divulgation de matériel et, comme seul un

 logiciel est divulgué, en conclut qu'il est impossible qu'une

invention légalement admissible ait été divulguée.

 

Sauf notre respect, cette assertion nous paraît sans fondement et

complètement dénuée même de toute justification prima facie et, à

plus forte raison, de toute autorité.

 

 ...

 

...Non seulement l'article 36(1) ne crée-t-il aucune exigence

particulière quant à la présence de matériel, mais encore peut-on

invoquer des principes de droit bien établis pour montrer que la

présence de matériel nouveau ou modifié n'est nullement nécessaire

au caractère inventif d'un nouveau procédé.

 

Par exemple, dans la décision Elton & Leda Chemical Ltd.'s

Application, (1957) R.P.C. 267, le juge Lloyd-Jacobs a statué:

 

"Ainsi, il apparaît que, même si l'inventeur n'utilise

aucun nouveau mécanisme ni ne produit aucune nouvelle

substance, il peut néanmoins, en réalisant un quelconque

effet nouveau et utile, se voir attribuer un monopole de

brevet sur cette amélioration en revendiquant le mode ou

la manière par lequel son résultat est obtenu."

 

Le demandeur satisfait précisément à cette règle de droit

lorsqu'il revendique le mode (méthode) par lequel il obtient un

effet ou un résultat nouveau et avantageux dans le domaine du

traitement des documents. Le fait d'utiliser ou non un appareil

existant ou bien connu n'a rien à voir avec l'invention

revendiquée.

 

(...)

 

Il n'est nul besoin d'examiner la demande très longtemps pour

constater que le libellé des revendications diffère largement des

tableaux et que ces revendications ne constituent aucunement la

description d'un programme d'ordinateur. Elles définissent plutôt

"une suite de phases" comme l'exige l'article 36(1), cette suite

ayant été inventée avant même que l'on examine si du matériel

informatique ou un logiciel serait employé lui donner une

réalisation concrète.

 

L'examinateur maintient que les revendications visent un programme

d'ordinateur et il propose d'y appliquer le critère de la

contrefaçon, c'est-à-dire déterminer si quelqu'un pourrait

utiliser les programmes divulgués sans porter atteinte aux

revendications. Par cette question, l'examinateur laisse au moins

entendre qu'il existe une certaine différence entre les routines

et les revendications.

 

Selon toute apparence, l'examinateur se refuse à envisager les

conséquences du rejet de revendications par ailleurs admissibles

tout simplement parce que l'on peut projeter - et l'on projette

efffectivement - de réaliser l'invention revendiquée au moyen d'un

logiciel.

 

Si le demandeur avait fait figurer quelques organigrammes et le

schéma fonctionnel d'un circuit logique (sans rien dire du

logiciel), il faut supposer que la demande aurait été reçue et,

semble-t-il, que le demandeur aurait obtenu un monopole sur les

étapes de la marche à suivre décrite dans les revendications pour

la méthode.

 

Appliquons le critère de la contrefaçon, tel que le conçoit

l'examinateur, dans le cas suivant:

 

Un membre du public étudie les organigrammes et, sans exercer la

moindre faculté inventive, met au point un programme d'ordinateur

correspondant.

 

La démarche adoptée par l'examinateur implique que l'exploitation

du programme par cette personne ne pourrait constituer une

contrefaçon puisque nul ne peut breveter ou monopoliser un

programme d'ordinateur. (En revanche, si cette exploitation est

tenue pour une contrefaçon, c'est que le titulaire du brevet l'a

monopolisée de toute façon.)

 

En résumé, les vues de l'examinateur placera l'Etat, en la

personne du commissaire des brevets, dans une position intenable,

où il nierait apparemment, l'exclusivité que consacrent la

législation sur les brevets. Toute méthode susceptible d'être

exploitée au moyen d'un programme d'ordinateur pourrait, dans la

perspective de l'examinateur, être acquise et exploitée sans

risque de contrefaçon. Il est difficile de voir comment pareille

politique peut amener les inventeurs à mettre leurs découvertes à

la disposition du public, ce qui est précisément, il va sans dire,

la raison d'être du régime des brevets.

 

(...)

 

Posons de nouveau la question de l'examinateur concernant la

contrefaçon: "Comment le public pourrait-il avoir recours à

l'application divulguée du principe naturel sans porter atteinte

aux revendications?"

 

De toute évidence, la réponse est que le public n'aurait pas ce

droit, ce que les tribunaux ont d'ailleurs clairement indiqué.

L'inventeur, en retour de la divulgation de son invention, se voit

accorder un monopole limité.

 

(...)

 

Nous proposons respectueusement que l'application des principes

sous-tendant l'arrêt Diamond v. Diehr aux Etats-Unis, qui sont

d'ailleurs conformes à l'orientation générale de notre propre

jurisprudence pour ce qui est des objets non brevetables,

amènerait à une décision fondée, réaliste et juridiquement

acceptable.

 

La question dont est saisie la Commission est la suivante: la demande

vise-t-elle un objet brevetable aux termes de l'article 2 de la Loi sur les

brevets? La revendication 1 se lit comme suit:

 

Une méthode d'analyse, d'archivage et de recherche de documents,

exprimée en langage machine, comportant les étapes suivantes:

 

a) établissement d'une mémoire-dictionnaire qui renferme des

termes de première spécialisation préalablement choisis;

b) comparaison du texte d'un document avec les termes contenus

dans ledit dictionnaire;

 

c) combinaison des termes de première spécialisation

correspondant aux termes contenus dans ledit texte avec les termes

du deuxième spécialisation, soit ceux ne figurant pas dans le

dictionnaire, pour former un résumé analytique dudit document;

 

d) stockage de chaque mot dudit résumé dans un fichier d'index de

mots;

 

la recherche des documents étant faite par:

 

e) comparaison des mots de l'interrogation avec ledit fichier

d'index de mots afin de faire sortir les documents dont le résumé

analytique contient les mots faisant l'objet de l'interrogation.

 

S'agissant de circonscrire l'objet exposé par le demandeur, nous trouvons utile

de nous référer à l'arrêt Schlumberger Canada Ltd. c. le Commissaire des

brevets (1981) 56 C.P.R. (2d), 204, et en particulier aux passages suivants,

sous la plume du juge Pratte:

 

Pour savoir si une demande révèle une invention brevetable, il

échet d'examiner en premier lieu ce qui, d'après la demande, a été

découvert.

 

et

 

A mes yeux, le fait qu'un ordinateur est employé ou requis pour

l'application d'une découverte ne change en rien la nature de

cette dernière. Ce que l'appelante revendique à titre d'invention

en l'espèce, n'est que la découverte selon laquelle certains

calculs effectués conformément à certaines formules permettraient

d'extraire des informations utiles de certaines mesures. Voilà

qui ne constitue pas une invention au sens de l'article 2.

 

Il nous paraît évident que le système du demandeur constitue un ensemble

d'éléments qui permet le stockage et la recherche de documents. A nos yeux, le

système apporte une contribution utile dans le domaine du traitement des

documents et ne se limite pas au simple fait d'effectuer certains calculs pour

extraire de l'information. Nous constatons qu'une combinaison d'éléments est

employée, dont des éléments de matériel et des éléments de logiciel, pour

accomplir les diverses étapes permettant de ranger le texte de documents dans

une zone de stockage, et de l'en retirer à la suite d'interrogations pour le

rendre disponible. Nous estimons que le demandeur a su présenter un système de

traitement de documents que peut comprendre une personne du métier et que sa

demande est conforme aux dispositions de l'article 36(1) de la Loi sur les

brevets. Nous concluons de plus, à la lumière de l'arrêt Schlumberger précité

que la demande contient un objet brevetable aux termes de l'article 2 de la

 

        Loi. Nous constatons que les revendications décrivent les étapes permettant

        d'analyser, d'archiver et de rechercher les textes de documents. A notre avis,

        elles correspondent à l'intention décrite dans la demande.

 

        Nous concluons donc que la demande divulgue et revendique un système de

        stockage et de recherche de documents, système qui représente plus que de

        simples opérations de calcul pour obtenir certaines mesures. En l'absence de

        toute antériorité opposable, nous sommes convaincus que la demande vise un

        objet brevetable et est admissible.

 

        Nous recommandons que soit annulé le rejet de la demande, signifié pour cause

        de non brevetabilité de son objet.

 

        M.G. Brown                                 S.D. Kot

        Président intérimaire                      Président

        Commission d'appel des brevets

 

Ayant passé en revue l'instruction de la demande, je souscris aux conclusions

        et à la recommandation de la Commission d'appel des brevets. Par conséquent,

        j'annule la décision finale de l'examinateur et lui renvoie la demande pour

        qu'il en reprenne l'instruction en conformité de la présente décision.

 

        J.H.A. Gariépy

        Commissaire des brevets

 

        Fait à Hull (Québec),

        ce 29e jour de juin 1987

 

       Alexander Kerr

        IBM Canada Limited

        Department 24/908

        3500, av. Steeles est

        Markham (Ontario)

        L3R 2Z1

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.