DÉCISION DU COMMISSAIRE
Redélivrance : L'intention des inventeurs a été établie. Il a été
jugé que la communication appuyait la revendication élargie demandée.
Rejet annulé.
La présente décision fait suite à la demande formulée par le demandeur
auprès du Commissaire des brevets pour que celui-ci révise la décision
finale ayant trait à la demande 400 496 (classe 4-20) déposée le
5 avril 1982 en vue de la redélivrance du brevet canadien 1 072 255
délivré le 26 février 1980. Le brevet est cédé à l'International
Water Saver Toilet Inc. et l'invention est intitulée TOILETTE
ECONOMISEUR D'EAU. A. Hennessey et J.D. Inch en sont les inventeurs.
L'examinateur chargé du dossier a rendu sa décision finale le 19 août
1983, refusant d'accueillir la demande.
La demande concerne une toilette à économiseur d'eau illustrée sur la
figure 2 ci-dessous. Un premier siphon (40) se prolonge vers le haut
à partir d'une première cuvette (36) jusqu'à un second compartiment
d'eaux-vannes (42) dont le volume est supérieur à celui du liquide
déversé de la première cuvette. Un second siphon (44) relie le
compartiment à une prise d'égout. Un diaphragme souple (116) est fixé
su compartiment à un niveau situé au-dessus de celui du liquide
provenant de la cuvette, afin de compenser l'expansion de l'air dans
le compartiment.
<IMG>
Dans la partie 3 de la pétition de redélivrance, le demandeur décrit la protection
conférée par le brevet comme étant excessivement restreinte. Il expose les
caractéristiques essentielles de l'invention comme suit:
a) une cuvette destinée à recevoir les eaux-vannes;
b) un déversoir d'eaux-vannes se prolongeant latéralement à partir de la
cuvette et dessinant un premier siphon peu profond conçu de manière qu'une
nappe relativement mince de liquide soit normalement retenue dans la
cuvette afin d'empêcher la communication de gaz par le siphon;
c) un dispositif de chasse destiné, lorsque actionné, à libérer une masse de
liquide dans la cuvette dans une direction qui provoque la décharge de la
nappe de liquide et d'eaux-vannes dans le déversoir;
d) une grande chambre communiquant avec le déversoir de la cuvette et destinée
à recevoir les eaux-vannes de la cuvette;
e) un déversoir se prolongeant vers l'extérieur à partir de la chambre et
conçu pour se raccorder à une prise d'égout, le déversoir de la chambre
dessinant un second siphon situé à une hauteur suffisante pour éviter un
retour des gaz d'égout dans la chambre en état de fonctionnement;
f) un dispositif communiquant avec la chambre et conçu pour réduire
l'augmentation de pression de gaz provoquée par le déversement du liquide
de la cuvette dans la chambre, et grâce auquel la résistance de la
contre-pression exercée sur le liquide chassé de la cuvette est réduite.
Il affirme qu'à l'origine, il avait l'intention d'obtenir des revendications plus
larges concernant ces caractéristiques. Il mentionne que dans la revendication de
brevet 1, la description particulière d'un diaphragme souple n'est qu'un exemple de
moyen de diminuer la pression et que le plus grand volume du bac à eaux usées par
rapport à la cuvette est une caractéristique non essentielle.
Dans la partie quatre, il est dit que l'inexpérience des inventeurs a fait qu'ils ne
se sont pas rendus compte des revendications restreintes contenues dans le brevet.
Ce fait est attribué à une rupture des communications entre les inventeurs et
l'agent de brevets. Les résultats de quatre recherches d'antériorités de brevets
sont exposés, après quoi la demande de brevet a été préparée. Il est dit que les
inventeurs ne se sont pas rendu compte de la portée des revendications de brevet.
La partie 5 expose, en partie, les événements qui ont conduit au dépôt d'une demande
de redélivrance au nom du pétitionnaire, qui est une société commerciale, comme
suit:
...d'autres actionnaires se sont intéressés à la chose et le 12 août 1981,
une réunion a eu lieu entre l'un des actionnaires, M. Roland Bélanger, et
M. David Langton, de Rogers, Bereskin et parr, afin de discuter de la
protection globale conférée par le brevet se rapportant à la toilette,
étant donné que la société se proposait de procéder à la fabrication de la
toilette sur une échelle commerciale au Canada et d'en faire la
commercialistion tant au Canada que dans d'autres pays. Pendant cette
réunion, les revendictions du brevet canadien ont été étudiées et la portée
des revendications a été expliquée en détail à M. Bélanger. Au cours d'une
réunion subséquente entre M. Bélanger et M. Langton, le 29 octobre 1981, M.
Bélanger a donné des instructions pour qu'une pétition de redélivrance du
brevet canadien soit préparée à cause des restrictions excessives contenues
dans la revendication 1 du brevet.
L'examinateur a rejeté la demande de redélivrance parce que la preuve n'établis-
sait pas de façon satisfaisante l'intention de l'inventeur avant la délivrance
du brevet du pétitionnaire. Il a déclaré, entre autres, ce qui suit:
...
Dans la dernière réponse en date du 18 juillet 1983, il n'est
présenté aucune preuve qui établisse que les inventeurs
avaient l'intention de libeller les revendications telles
qu'il est actuellement proposé avant la délivrance du brevet
original. La réponse expose la relation entre les inventeurs
et l'agent de brevets en vertu de laquelle l'agent reçoit la
directive d'obtenir le meilleur brevet possible, selon les
termes mêmes utilisés dans la réponse, en page 2, "afin
d'obtenir pour leur invention la protection la plus large à
laquelle ils avaient droit". Il n'est que juste d'affirmer
que ce genre d'entente s'applique dans tous les cas où un
inventeur confie sa demande à un agent. Dans le cas présent,
il n'y a pas de preuve au dossier modifiant ces circonstances
habituelles.
Il est vraiment malheureux qu'un brevet plus utile ne puisse
être délivré à des inventeurs canadiens, particulièrement
lorsque les États-Unis ont délivré un brevet comportant des
revendications plus larges, mais la jurisprudence et la
pratique au Canada ne nous permet pas jusqu'à maintenant
d'accorder un brevet de redélivrance dans les circonstances
actuelles.
Le demandeur est avisé que les parties (3), (4) et (5) de la
pétition de redélivrance (incluse dans la formule 10 des
Règles sur les brevets) ne peuvent être modifiées après le
dépôt de la pétition, sinon pour corriger de simples erreurs
typographiques qui sont évidentes à la lecture du document
lui-même. Il est permis de demander que des preuves
complémentaires à l'appui des énoncés dans la pétition soient
versées au dossier, mais non ajoutées à la pétition
elle-même. L'article 50 de la Loi sur les brevets ne prévoit
pas que l'on puisse apporter à la pétition des modifications
qui modifieraient sensiblement les motifs de redélivrance...
. . .
Dans les motifs qu'il invoque en faveur de l'acceptation de la
pétition, le demandeur présente, entre autres, les arguments
suivants :
. . .
De toute façon, autant que l'on sache, il semble que
l'examinateur objecte que rien dans le dossier ne montre que
les inventeurs aient eu l'intention de libeller les
revendications telles qu'il est proposé dans la demande de
redélivrance. Il n'est aucunement prévu au paragraphe 50(1)
de la Loi sur les brevets qu'il faille montrer l'intention
des inventeurs et la décision finale ne contient aucune
déclaration appuyant cette position. L'examinateur,
M. Johnstone, et son chef de section, M. Cillis, ont bien
voulu accorder une entrevue à l'agent du demandeur, le
15 février 1984, alors que la présente demande a été
discutée, et il a été signalé à l'agent du demandeur que
l'exigence de montrer l'intention de l'inventeur est fondée
sur la pratique administrative établie. Il paraît que cette
pratique découle des décisions Northern Electric Compagny
Limited v. Photo Sound Corporation (1936) SCR 649 et
Farbwerke Hoechst v. Commissioner of Patents, 50 CPR 220.
Toutefois, il est respectueusement soumis que les faits dans
la présente affaire se détachent nettement des faits relatifs
à ces deux affaires jugées en ce que, dans celles-ci, le
demandeur sollicitant le brevet de redélivrance cherchait à présenter des
revendications d'une classe différente que celle des revendictions figurant
dans le brevet original. Dans l'affaire Northern Electric, les
revendications de redélivrance visaient un objet divulgué mais non
revendiqué dans le brevet original. A remarquer également que la décision
dans cette affaire a été rendue en vertu de la loi précédente qui ne
contenait aucune disposition concernant la redélivrance dans un cas où le
breveté avait revendiqué moins que ce qu'il avait le droit de revendiquer
comme étant nouveau; en d'autres mots, en vertu de cette loi, il n'était
pas permis de redélivrer un brevet pour obtenir des revendications plus
larges. Dans l'affaire Hoechst, le but de la redélivrance était d'ajouter
des revendications précises à un composé et à un procédé de préparation en
vue de se conformer à une décision rendue par la Cour de l'Echiquier du
Canada sur l'interprétation du paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets.
La Cour suprême a jugé que le breveté avait fait preuve de jugement et a
décidé que l'on devait se fier à la revendication de procédé originale
contenue dans le brevet et que, par conséquent, il n'y avait pas d'erreur
du type visé par l'article 50 de la Loi sur les brevets. Le tribunal a
jugé que le breveté avait délibérément choisi de présenter une
revendication de procédé dans les termes les plus larges possibles et qu'il
n'avait pas l'intention de restreindre son invention uniquement à la
production d'un composé particulier mentionné dans les revendications qu'il
demandait d'ajouter à la redélivrance.
Les faits dans la présente affaire ne correspondent pas tout à fait à ceux
présentés dans l'affaire Hoechst en ce que le breveté dans la présente
affaire a simplement manqué d'apprécier la portée de la protection qui
aurait été; accordée par les revendications originalement accordées dans le
brevet n o 1,072,255.
. . .
Enfin, il pourrait être utile à la Commission d'appel des brevets de savoir
que la société demanderesse dans la présente affaire, l'International Water
Saver Toilet Inc., est en faillite et que les actifs de la société, y
compris le brevet canadien n o 1,072,255 et les brevets connexes dans
d'autres pays, ont été transférés à la Jenrob Development Limited, de
Belleville (Ontario). Cette société est contrôlée par M. Roland Bélanger,
ancien vice-président des Finances de l'International Water Saver Toilet
Inc. Depuis qu'il s'occupe de l'International Water Saver Toilet Inc., M.
Bélanger a exercé de grands efforts en vue de promouvoir la
commercialisation de l'invention et, de fait, un certain nombre de
fabricants canadiens et des clients éventuels dans d'autres pays ont
manifesté un grand intérêt dans l'invention. Toutefois, le développement a
été entravé par des différends internes entre les actionnaires de
l'International Water Saver Toilet Inc., ce qui a fait que la société a été
mise en faillite. A la suite de ces procédures, les inventeurs ne
collaborent plus avec les propriétaires actuels de l'invention.
. . .
La Commission doit trancher la question de savoir si la pétition de redélivrance
de la demande et les preuves présentées offrent des motifs de redélivrance
acceptables en vertu de l'article 50 de la Loi. La revendication 1 de la
demande se lit comme suit:
1. Une toilette qui comporte:
une cuvette destinée à recevoir les eaux-vannes;
un déversoir d'eaux-vannes se prolongeant latéralement à partir de la
cuvette et dessinant un premier siphon peu profond conçu de manière qu'une
nappe relativement mince de liquide soit normalement retenue dans la
cuvette afin d'empêcher la communication de gaz par le siphon;
un dispositif de chasse destiné, lorsque actionné, à libérer une masse
de liquide dans la cuvette dans une direction qui provoque la décharge de
ladite nappe de liquide et d'eaux-vannes dans ledit déversoir;
une grande chambre communiquant avec ledit déversoir de la cuvette et
destiné à recevoir les eaux-vannes de ladite cuvette;
un déversoir se prolongeant vers l'extérieur à partir de ladite chambre
et conçu pour se raccorder à une prise d'égout, ledit déversoir de la
chambre dessinant un second siphon situé à une hauteur suffisante pour
éviter un retour des gaz d'égout dans ladite chambre en état de
fonctionnement;
un dispositif communiquant avec ladite chambre et conçu pour réduire
l'augmentation de pression de gaz provoquée par le déversement du liquide
de la cuvette dans la chambre, et grâce auquel la résistance de la
contre-pression exercée sur le liquide chassé de la cuvette est réduite.
A la suite de la décision finale, le pétitionnaire a présenté une déclaration
sous serment signée par Arnold Hennessey, un des inventeurs. Cette déclaration
contient les caractéristiques particulières, a à f, exposées dans la partie 3 de
la pétition. M. Hennessey affirme que ce sont les caractéristiques essentielles
de l'invention. Il déclare que lui-même et M. Inch, le co-inventeur, étaient
inexpérimentés en matière de brevet et ne se sont pas rendu compte que la
protection de leur brevet serait restreinte aux caractéristiques exposées dans
la revendication 1 du brevet. Il signale que cette revendication contient, en
outre, i) un dispositif réducteur de pression sous forme de diaphragme souple,
et ii) une seconde grante chambre et un second siphon contenant un volume de
liquide nettement plus grand que le volume chassé de la cuvette.
Pour évaluer le bien-fondé de cette demande, nous nous penchons sur un extrait
de la décision du juge Maclean, dans l'affaire Northern Electric Company Ltd. v.
Photo Sound Corporation (1936) Ex. C.R. 75 à 89, qui se lit comme suit:
la redélivrance a pour but de modifier un brevet défectueux, de
corriger des erreurs en ce qui a trait aux affirmations ou aux dessins,
mais elle ne vise nullement l'objet de l'invention. La redélivrance est
une démarche qui permet de divulguer et de protéger l'objet brevetable visé
par le brevet original. La demande de redélivrance est donc restreinte à
l'invention que le breveté s'est efforcé de décrire et de revendiquer dans
son mémoire descriptif original, ce qu'il n'a pas fait pour cause
"d'inadvertance", d'erreur ou de méprise"; il ne se voit pas délivrer de
nouveau brevet mais obtient un brevet modifié. Si ce cadre était élargi,
l'on assisterait à des abus intolérables. L'on doit donc en déduire
qu'aucun brevet n'est "défectueux ou inopérant" au sens de la Loi pour la
simple raison qu'il ne décrit pas et ne revendique pas un objet hors de la
portée de l'invention telle que cortée de l'invention telle que conçue ou
envisagée par l'inventeur su moment de sa découverte.
Le juge Martland s'est reporté au passage ci-dessus dans l'affaire Curl-Master
Mfg. Co Ltd v. Atlas Brush Ltd. (1967) S.C.R. 514 à 530, et aussi aux motifs
suivants tirés de la jurisprudence américaine, Wilson v. Coon, Vol. 19 U.S. Off.
Patent Gaz 482:
Le nouveau brevet doit avoir trait à la même invention. Cela ne veut pas
dire que la revendication exposée dans la redélivrance doit être la même
que la revendication exposée dans l'original. Un breveté peut, dans la
description et dans la revendication de son brevet original, exposer à tort
comme l'idée de son invention quelque chose qui n'est pas de son invention
réelle, et pourtant son invention réelle peut être entièrement décrite et
illustrée dans les dessins et le modèle. Un tel cas est un véritable cas
de redélivrance. Un brevet peut être inopérant à cause d'une description
défectueuse ou insuffisante, parce qu'il ne revendique pas autant que ce
qui a été réellement inventé, et pourtant la revendication peut être une
revendication valable, soutenable de droit, et il peut y avoir une
description valable et suffisante pour appuyer une telle revendication.
Dans un sens, un tel brevet est opérant et il est non inopérant, pourtant
il est inopérant pour ce qui est d'étendre la portée ou de revendiquer
l'invention réelle, et la description peut être défectueuse ou insuffisante
pour appuyer une revendication de l'invention réelle, même si les dessins
et le modèle montrent les choses su sujet desquelles le défaut ou
l'insuffisance d'une description existe, et montrent suffisamment
d'éléments pour justifier une nouvelle revendication de l'invention réelle.
Nous voyons dans la déclaration assermentée la preuve que les inventeurs avaient
l'intention d'obtenir plus de protection pour leur invention. La demande
originale nous apprend que les dimensions du bac à eaux usées et du diaphragme
sont telles qu'elles préviennent l'effet de siphon lorsque le contenu de la
cuvette est déchargé dans le bac à eaux usées. La capacité du bac est
suffisamment grande par rapport à la cuvette pour que le volume de liquide
provenant de la cuvette fasse simplement déborder le contenu du bac. Le
diaphragme souple fonctionne de manière à compenser l'expansion vers le haut de
l'air dans le bac lorsque le liquide se déverse dans la cuvette. Ces deux
éléments sont exposés dans la revendication de redélivrance 1, tant à titre de
grande chambre que de moyen de communication avec ladite chambre destiné à
réduire l'augmentation de pression de gaz au-dessus du liquide dans le bac
lorsque des substances arrivent de la cuvette, réduisant ainsi la résistance
exercée sur le liquide chassé de la cuvette. Nous acceptons les arguments du
pétitionnaire selon lesquels des revendications plus larges sont appuyées par la
divulgation et les inventeurs avaient l'intention d'obtenir des revendications
dont la portée était proportionnée à leur divulgation.
L'étude des procédures nous révèle qu'il n'a été fait mention d'aucun étant
antérieur de la technique. De plus, il n'a été fait mention d'aucune
antériorité au cours de la procédure d'examen de la demande originale, cette
demande étant présentée sans qu'un rapport d'examinateur ait été présenté avant
l'acceptation. Bref, il n'y a aucun obstacle à la délivrance d'un nouveau
brevet contenant les revendications de la présente demande pour la durée non
expirée du brevet canadien 1,072,225, compte tenu de la pétition de redélivrance
et de la preuve qui nous a été présentée.
Nous recommandons le retrait du refus de la demande de redélivrance pour manque
d'intention de revendiquer l'invention en des termes d'une plus grande portée
que le brevet.
M.G. Brown S.D. Kot
Président intérimaire Membre
Commission d'appel des brevets
Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission d'appel des
brevets. Pas conséquent, je renvoie la demande à l'examinateur pour qu'il en
reprenne l'examen en conformité avec la recommandation.
J.H.A. Gariépy
Commissaire des brevets
Fait à Hull (Québec)
le 3 décembre 1986
Rogers, Bereskin et Parr
B.P. 313
Succursale Commerce Court
Toronto (Ontario)
M5L 1G1