DÉCISION DU COMMISSAIRE
Composé et composition. Herbicide et composition herbicide. Un
nouveau composé et une composition dudit composé mélangée avec des
supports acceptables, qui ont des propriétés herbicides utiles,
représentent différents aspects de la même invention et peuvent être
admis dans une même demande, sans aucune antériorité. Rejet annulé.
La décision porte sur la demande de révision de l'appelante à l'égard
de la décision finale rendue par le Commissaire des brevets
relativement à la demande 407,320 (Classe 260 - 315.3) qui a été
produite le 15 juillet 1982. L'invention a été cédée à May & Baker
Ltd. et porte le nom de DERIVÉS DU N-PHÉNYLPYRAZOLE. Les inventeurs
sont L.R. Hatton, E.W. Parnell et D.A. Roberts.
L'examinateur responsable a rendu, le 7 juin 1985, une décision
finale, dans laquelle il a refusé d'accueillir les revendications 11 à
31 concurrement aux revendications 1 à 10, et les revendications 32 à
55.
La demande vise une composition herbicide, dont un support, et un
composé de la formule suivante :
<IMG>
R12 à R15 représentent respectivement, un atome de chlore, un atome
d'hydrogène, de fluor ou de chlore, un atome d'hydrogène ou de fluor
et un atome d'hydrogène, de fluor ou de chlore. Une condition veut
que, lorsque R14 est un atome de fluor, R15 est un atome de fluor ou
de chlore, ou R12, R13 et R15 représentent tous un atome de fluor et
R14 est un atome d'hydrogène ou de fluor. Lorsque R13 est un atome
d'hydrogène, R14 est de préférence un atome d'hydrogène. Les composés
sont utilisés dans des formulations comprenant un support qui favorise
leur utilisation sur les cultures pour lutter contre les mauvaises
herbes.
Les revendications 11 à 31, qui visent des compositions herbicides, sont
rejetées, vu les arrêts Gilbert v. Sandoz 64 C.P.R. (1971) 14, 8 C.F.R. (2d)
(1973) 210 et Agripat v. The Commissioner of Patents 52 C.F.R. (2d) 229.
L'examinateur considère que le mélange du composé, défini dans les
revendications en question avec un support acceptable ne constitue pas un acte
inventif distinct". L'examinateur soutient que l'arrêt Shell Canada Company v.
the Commissioner of Patents rendu le 2 novembre 1982 donne des indications à
cet égard, et il affirme, en partie, ce qui suit:
La demande de Shell Oil visait une classe de composés régulateurs de
croissance végétale qui étaient à la fois nouveaux et anciens. Les
revendications portaient sur les nouveaux composes eux-mêmes et sur
les compositions formées des composés anciens et nouveaux. Les
revendications relatives à la composition ayant été rejetées à la
lumiere de la décisin rendue dans l'arrêt Sandoz, Shell Oil a
maintenu les revendications relatives aux mélanges seulement. Le
Bureau des brevets a rejeté ces revendications.
La conclusion de la Cour suprême figure en page 16 et est ainsi
rédigé: "Je ne vois ni dans l'article 36, ni dans aucune autre
disposition de la Loi d'obstacle à l'octroi d'un brevet à
l'appelante à l'égard de ces compositions."
La phrase suivante est ainsi rédigée:
"Je ne ferai pas de commentaire cependant sur la question de savoir
si l'appelante peut avoir gain de cause dans une autre demande de
brevet à l'égard d'un élément dérivé de son invention, savoir les
composés eux-mêmes. Cette question ne nous est pas soumise puisque
l'appelante y a renoncé au début des procédures."
A l'évidence, cette partie de l'arrêt Shell Oil ne donne aucune
indication quant à l'acceptabilité des revendications relatives a la
fois au composé et à la composition dans une même demande.
Dans son argumentation, Madame le juge Wilson déclare, en page 13,
relativement aux affaires Hoechst et Agripat:
"Ils établissent toutefois que mélanger un composé à un support
inerte ne constitue pas une activité inventive. En conséquence, si
le composé est breveté, il n'y a pas d'invention dans la
composition. A mon avis, cette proposition est tout à fait logique,
que l'art. 41 s'applique ou non à la substance, et je crois qu'elle
donne un fondement raisonnable à la solution adoptée par La Cour
d'appel fédérale dans l'arrêt Agripat.
"Il va de soi que l'arrêt Agripat se distingue de la présente espèce
en ce qu'ici il n'y a pas de revendication à l'égard des composés".
Par conséquent, la Cour suprême a clairement accepté le principe que
si le composé est breveté, il n'y a pas d'invention dans la
composition et elle a donc appuyé l'arrêt Agripat par la Cour
d'appel fédérale.
La demandeuse a affirmé en page 3 que l'arrêt Shell a établi que les
compositions comprenant de nouveaux composés sont de fait
brevetables. Ce n'est pas le cas. (...) Il n'y avait aucune
revendication à l'égard de nouveaux composés en soi dans l'affaire
Shell.
Selon la demandeuse, toutes les revendications sont brevetables dans le cadre
d'une même demande, et elle fait valoir, en partie, ce qui suit:
Il est dit dans l'arrêt Shell qu'"en conséquence, si le composé est
breveté, il n'y a pas d'invention dans la composition". Le rejet,
qui repose sur l'absence d'invention que constitue la simple
dilution d'un nouveau composé avec un support, pourrait sembler être
étayé par cette déclaration. Toutefois, l'interprétation de ce
passage que l'examinateur cherche de fait à appliquer ne tient pas
compte des particularités de l'arrêt de la Cour ou de l'espèce.
L'examen de l'extrait de l'arrêt dans son contexte montre que la
Cour se reportait apparemment au cas d'un demandeur, qui cherche à
obtenir un brevet à l'égard d'une composition consistant en un
composé actif et en un support, qui possède déjà un brevet visant le
composé actif. La citation s'applique de fait a ce qui est
communément considéré aux Etats-Unis comme un cas de double brevet
(c'est-à-dire qu'un demandeur ne peut, dans une demande ultérieure,
revendiquer une invention qui n'est pas brevetablement distincte de
sa propre invention déjà brevetée). Si cette disposition n'existait
pas, un demandeur pourrait déposer des séries de demandes à des
dates successives qui seraient fondées sur la même découverte
d'utilité pour revendiquer a) les composés nouveaux, b) les
compositions comportant de tels composés et c) la méthode
d'utilisation des compositions. De telles demandes auraient pour
effet d'étendre la protection accordée aux brevets qui repose sur la
découverte de l'utilisé. Le demandeur jouirait ainsi d'un avantage
injuste.
Toutefois, dans la présente demande, les trois types de
revendications portent la même date. Il ne s'agit pas d'un cas de
double brevet. (...) La demandeuse cherche simplement à se
protéger, vu la différence fondamentale entre les revendications à
l'égard des produits et les revendicatins à l'égard des compositions
herbicides. Si, lorsque le brevet est encore en vigueur, on
découvre qu'un ou plusieurs composés, mentionnés dans la
revendication du produit, sont déja connus, mais que la divulgtion
des composés ne fait pas état de son utilité comme herbicide, la
revendication relative au produit pourrait être frappée de nullité
tandis qu'une revendication à l'égard d'une composition herbicide
pourrait être maintenue. La simple déclaration, sans restriction
aucune, que le mélange d'un composé avec un support n'est pas une
activité inventive ne tient pas compte de la distinction entre la
revendication à l'égard d'un composé et la revendication à l'égard
de la composition qui vient d'être mentionnée.
...
(...) Les revendications 11 a 31 du demandeur ont, de fait, trait à
un aspect de l'invention mentionné dans la revendication 1. La
divulgation d'une utilité pour les composés nouveaux donne le droit
aux demandeurs, en vertu des pratiques canadiennes, de présenter une
revendication illimitée pour les composés eux-mêmes. Le fait que
l'invention, qui est fondée sur les propriétés herbicides des
composés, peut être revendiquée de diverses manières qui sont
étroitement liées à la découverte ne doit pas empêcher l'inclusion
de revendications visant à distinguer les aspects d'une même
invention.
...
(...) Toutefois, il existe une pratique canadienne bien connue
selon laquelle un demandeur pourrait revendiquer divers aspects
d'une même invention dans une seule demande à la condition que
celle-ci satisfasse aux exigences en matiere d'unité d'invention.
(...) Au Canada, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les
revendications ayant un champ d'application de plus en plus
restreint ont toujours pu être présentées dans une seule demande.
De telles revendications visent généralement les réalisations
préférées de l'invention unique revendiquée et protègent le
demandeur si l'on découvre, plus tard, que l'invention, sous son
aspect le plus large, est déjà connue. (...) Au Canada, avant
l'arrêt Shell, le Bureau des brevets acceptait que soient réunies
dans une même demande les revendications pour un compose et les
revendications pour une méthode d'utilisation. Toutefois,
lorsqu'une revendication pour un composé a été jugée admissible dans
une demande de brevet, les revendications du même inventeur,
présentées dans une autre demande n'ayant aucun rapport avec la
première, relativement à des méthodes d'utilisation du composé en
question qui ressortent clairement de la déclaration relative à
l'utilité figurant dans la demande et en vertu desquelles la
brevetabilité du composé a été établi, sont rejetées.
...
La demandeuse expose respectueusement sa thèse que l'arrêt Shell
ayant établi la brevetabilité des revendications pour les
compositions contenant de nouveaux composés, les revendicatins pour
les compositions herbicides doivent naturellement être traitées de
la même maniere que les méthodes d'utilisation.
...
... Ces deux types de revendication portent sur des aspects d'une
même invention. Ni les compositions ni les méthodes d'utilisation
ne nécessitent une activité inventive qui entraîne une invention
distincte. Des revendications pour la méthode d'utilisation ont
déjà été accueillies alors qu'elles étaient produites dans une
demande où figuraient des revendications pour les composes et la
demandeuse expose respectueusement sa thèse que, pour les mêmes
raisons, les revendications 11 à 31 sont admissibles dans la
présents demande.
La question dont est saisie la Commission est de savoir si les revendicatinos
11 à 31, qui visent les compositions herbicides, sont admissibles même si elles
sont produites dans la même demande que les revendications 1 à 10 et 32 à 55,
qui visent les nouveaux composés et une méthode d'utilisation d'une composition
herbicide. Les revendications 1 à 11 sont les suivantes:
1. Dérivés du n-phénylpyrazole de la formule générale suivante:
<IMG>
R12 représente un atome de chlore R13 un atome d'hydrogène, de fluor
ou de chlore, R14 un atome d'hydrogène ou de fluor, et R15 un atome
d'hydrogène, de fluor ou de chlore, à la condition que, lorsque R14
est un atome de fluor, R15 est un atome de fluor ou de chlore, ou
R12, R13 et R15 représentent tous un atome de fluor et R14
représente un atome d'hydrogène ou de fluor.
11. Une composition herbicide qui comprend, comme ingrédient actif,
au moins un dérivé de la formule générale du n-phénylpyrazole
décrite dans la revendication 1, ou R12, R13, F14 et R15 sont les
éléments décrits dans la revendication 1, qui est utilise en
association avec des diluants ou supports compatibles entrant dans
la fabrication d'herbicides.?
Madame le juge Wilson, après avoir examina les arrêts Farbwerke Hoechst et.
Agripat, a constaté dans l'arrêt Shell Oil que le premier arrêt relève de
l'article 41, ce qui n'était pas le cas de l'affaire Agripat. Elle était
d'avis que les affaires comme Farbwerke Hoeschst n'établissent pas comme
principe général que les compositions qui contiennent de nouveaux composés
mélangés à un support inerte ne sont pas brevetables. Il ressort de ces
remarques que, peu importe si une substance tombe sous le coup de l'article 41,
lorsqu'un composé est breveté, la composition contenant un composé breveté
destiné au même usage ne constitue pas une invention.
La demandeuse souhaite protéger ses revendications pour le produit et ses
compositions herbicides. A son avis, si l'on découvre plus tard qu'un ou
plusieurs composés visés par une revendication pour un produit sont déja
connus, mais que les propriétés herbicides du compose comme ne sont pas
divulguées, sa revendication à l'égard du produit peut être frappée de nullité,
mais sa revendication à l'égard de la composition herbicide continuera d'être
protégée si elle figure dans son brevet. Elle ne considère pas que l'arrêt
Shell Oil établit d'une manière absolue que le mélange d'un composé avec un
support n'est pas le fruit d'une activité inventive, ou interdit la
revendication du composé et les revendictions à l'égard de la composition dans
une demande dans le cas susmentionné.
La demandeuse signale qu'il existe une pratique au Canada en vertu de laquelle
divers aspects d'une même invention peuvent faire l'objet de différentes
revendications dans une seule demande. Elle note que sa demande comprend trois
types de revendications portant la même date de dépôt. Elle insiste sur le
fait que ces revendications correspondent à des aspects d'une même invention
fondés sur sa découverte d'utilité, et elle conclut qu'elles devraient pouvoir
figurer dans une seule demande.
Pour ce qui est de la crainte de la demandeuse que sa revendication soit
frappée de nullité si l'on découvre que le composé est déjà connu, nous nous
reportons au passage suivant de l'arrêt Shell Oi1 dans lequel Madame le juge
Wilson résume les arguments de l'appelante:
"J'admets que ces composés sont déjà connus; j'admets qu'il n'y a
aucun esprit inventif à les mélanger à ces adjuvants une fois leur
propriété de régulateurs de croissance végétale connue; mais j'ai
découvert ces propriétés particulières de ces composés déjà connus
et je demande un brevet à l'égard de la réalisation pratique de mon
invention."
Et elle conclut:
"Je crois qu'elle y a droit."
En l'espèces, nous connaissons la découverte qu'il a faite. Cette découverte
porte sur un moyen de lutter contre les mauvaises herbes dans les cultures. Un
des éléments de cette découverte figure dans la composition présentée dans les
revendications 11 à 31, un autre élément est le composé décrit dans les
revendications 1 à 5, un autre est le procédé de préparatin du composé défini
dans les revendications 7 à 10, et un dernier élément est le procédé
d'application de la composition, décrite dans la revendication 11, qui est
énoncé dans les revendicatins 32 à 55. Nous croyons que mélanger le nouveau
composé représente, dans le cadra de l'invention de la demandeuse, seulement un
aspect de cette invention, Un autre aspect de l'invention est énoncé dans le
procédé d'application de la composition. A mon avis, la demandeuse a divulgué
divers aspects liés à la lutte entre les mauvaises herbes. Les revendications
accueillies, qui font partie de la même demande, ne peuvent être considérées
comme une preuve de l'antériorité et, par conséquent, ne peuvent faire obstacle
à l'octroi d'un brevet pour les revendications 11 à 31. Nous sommes d'avis que
les groupes de revendications dans la demande peuvent être considérés comme des
aspects d'une: même invention dont la revendication est autorisée dans la même
demande. Il faut noter que l'antériorité n'a pas été citée, et nous ne
commenterons pas l'admissibilité des revendications.
D'autres éléments de l'arrêt Shell Oil aident à déterminer si les groupes de
revendications de la demandeuse peuvent être admis globalement. Madame le juge
Wilson a examiné l'arrêt Lawson c. Commissaire des brevets (1970) 62 C.P.R. 101
et elle étant d'accord avec le juge Cattanach sur les motifs de jugement
suivants:
"Au cours de l'évolution des principes juridiques relatifs aux
brevets, on a déjà considéré qu'une invention doit consister en une
substance que l'on peut vendre et que, sauf si on inventait une
nouvelle substance par un nouveau procédé, l'invention ne pouvait
pas donner lieu à un brevet, mais que si on inventait une nouvelle
substance, par un nouveau procédé, l'invention qui pouvait être
brevetée était la substance et non pas le procédé. On confondait
alors la fin et les moyens. Cependant, il est maintenant reconnu
que si l'invention est un moyen et non pas une fin, l'inventeur a
droit à un brevet sur ce moyen."
Selon nous, les revendications 11 à 31 représentent an aspect de l'invention de
la demandeuse qui est si étroitement lié aux autres éléments qui sont
nécessaires à la lutte contre les mauvaises herbes, qu'elles peuvent être
incluses dans la même demande que les revendications accueillier. Nous jugeons
qu'il n'existe pas de différences significatives entre les divers aspects
définis par les revendications pour le composé, la composition ou la méthode
d'utilisation qui empêchent leur acceptation dans la même demande.
Nous recommandons que le rejet des revendications 11 à 31, fondé sur le fait
qu'elles ne visent pas le même concept inventif que les revendications 1 à 10
et les revendications 32 à 55, soit retiré.
M.G. Brown S.D. Kot
Président intérimaire Membre
Commission d'appel des brevets
Je partage l'opinion de la Commission d'appel des brevets et j'approuve sa
recommandation. Par conséquent, je retire le rejet de la demande et je renvoie
l'affaire pour qu'il soit donnée suite à la recommandation.
J.H.A. Gariépy
Commissaire des brevets
Fait a Hull (Québec)
le 9 octobre 1986
MacRae & Co., Alex E.
B.P. 806, Succursale B
Ottawa (Ontario)
K1P 5T4