Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                  DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

 Objet non brevetable, art. 2 : La méthode fait appel à la compétence

 d'un médecin qui doit introduire dans un corps vivant la quantité

 appropriée d'une substance compatible avec l'anatomie du corps en

 question. Rejet maintenu.

 

 La présente décision fait suite à la requête formulée par le demandeur

 auprès du Commissaire des brevets pour que celui-ci révise la décision

 finale de l'examifiateur concernant la demande de brevet n o 329 163

 (classe 128-52), déposée le 6 juin 1979 et cédée à la RSP Company pour

 une invention intitulée MÉTHODE ET APPAREILLAGE POUR LA STÉRILISATION

 HYSTÉROSCOPIQUE NON CHIRURGICALE DE LA FEMME., Robert A. Erb en est

 l'inventeur. L'examinateur chargé du dossier a rendu sa décision

 finale le 29 octobre 1982, refusant d'accueillir les revendications 18

 à 26 de la demande. On a indiqué que les autres revendications, qui

 portent sur l'appareillage, sont acceptables. Une audience a été

 tenue le 25 juin 1986, au cours de laquelle le demandeur a été repré-

 senté par M. R. Smart, son agent de brevets.

 

 La présente demande a trait à une méthode et à un appareillage pour la

 stérilisation non chirurgicale réversible, de la femme. Les figures

 4A à 4E illustrent les procédés. Les parties 30, 31 du tube de

 plastique flexible téléscopique de l'hystéroscope sont utilisées pour

 situer la trompe utérine et mettre en place l'instrument de façon

 qu'il soit en contact pour l'obturation. Un élastomère non encore

 durci est introduit pour remplir complètement la trompe utérine et on

 le laisse durcir. Les tubes de plastique sont libérés et bougés l'un

 par rapport à l'autre pour séparer le matériel durci; puis on retire

 l'hystéroscope.

 

<IMGS>

 

Lorsqu'il a rejeté les revendications 18 à 26, l'examinateur a dit

dans sa décision finale, en partie, ce qui suit:

 

Le demandeur soutient dans sa lettre que la méthode

revendiquée dans les revendications 18 à 26 est

brevetable parce qu'il s'agit d'une méthode non

chirurgicale et qu'une méthode de régulation des

naissances ne figure pas parmi les exemples de

matières non brevetables exposés à

l'article 12.03.01b) du Recueil des pratiques du

Bureau des brevets, c'est-à-dire méthodes de

traitement des humains, soit chirurgicales ou

thérapeutiques, ni méthodes liées au diagnostic, à la

prévention ou à la guérison d'une maladie.

 

Toutefois, cet argument ne peut prévaloir contre

l'objection, car la contraception est une méthode

utilisée pour contenir et prévenir les malaises et

les lésions possibles liés à la conception ou à des

maladies héréditaires, et c'est donc une méthode de

traitement médical exclue de la définition des

inventions brevetables figurant à l'article 2 de la

Loi sur les brevets.

 

Le demandeur déclare également dans sa lettre que les

mots "exploitation sur une échelle commerciale" ne

devraient pas être employés pour vérifier la

brevetabilité d'une revendication et que la méthode

décrite dans la revendication 18 peut être exploitée

sur une échelle commerciale. L'article 67(3) de la

Loi sur les brevets spécifie que les brevets

devraient être exploités sur une échelle commerciale,

et l'article 2 de la Loi sur les brevets définit une

"exploitation sur une échelle commerciale" comme la

mise en oeuvre d'un procédé dans ou par

l'intermédiaire d'un établissement déterminé et

solide. De plus, il va sans dire qu'un procédé doit

donner lieu à un produit vendable, sans quoi le

procédé n'est pas utile.

 

En ce qui concerne la méthode du demandeur, elle ne

peut être exploitée sur une échelle commerciale,

comme dans une manufacture ou un établissement solide

semblable. En outre, la méthode ne donne pas lieu à

un produit vendable. De fait, l'utilisation du

dispositif sera fournie à titre de service en échange

d'un honoraire. Dans le cas de la méthode du

demandeur, il n'y a pas de substance initiale qui

doive être modifiée par la méthode en vue

de fabriquer un produit vendable. La modification

apportée est une modification des processus normaux

d'un corps de femme.

 

Compte tenu des arguments ci-dessus, la méthode du

demandeur ne peut être considérée comme un procédé su

sens de la Loi sur les brevets et elle est donc non

brevetable. Les revendications 18 à 26 doivent être

supprimées.

 

Le demandeur soutient que ses revendications portent sur une méthode

de fabrication d'un article in situ et qu'à ce titre, elles sont

admissibles en vertu de la Loi. Il insiste sur la série d'étapes qui

conduisent à la fabrication d'un élastomère adapté à l'anatomie

particulière de l'utilisatrice. Il établit une distinction entre ses

revendications et celles qui ont été jugée non brevetables dans

l'affaire Tennessee Eastman c. Commissaire des brevets (1974) R.C.S.

111.

 

Le demandeur souligne que son invention ne se rapporte pas à une

substance destinée à des fins médicales, et il dit ce qui suit :

 

Si, comme le suggère l'examinateur, l'objet de

l'utilisation du dispositif fabriqué au moyen du

procédé revendiqué, c'est-à-dire la régulation des

naissances par obturation de la trompe utérine, est

une méthode de traitement médical, cette conclusion

ne touche pas la brevetabilité de la méthode de

fabrication revendiquée. Au plus, la méthode

revendiquée deviendrait ainsi assujettie à une

licence obligatoire en vertu de l'article 41(4).

 

Pour étayer davantage son opinion selon laquelle les revendications

sont acceptables, le demandeur allègue, en partie, ce qui suit :

 

Rien dans la Loi canadienne sur les brevets n'exige

qu'une méthode brevetable produise un produit

vendable. Les seules exigences sont que la méthode

soit nouvelle et utile et qu'elle ne soit pas

évidente.

 

De même, il n'est pas exigé qu'une méthode brevetable

puisse être exploitée sur une échelle commerciale

comme dans une manufacture ou un établissement

solide semblable.

 

La méthode de l'invention peut sûrement être

exploitée sur une échelle commerciale dans des

établissements solides. Il n'y a pas lieu de croire

qu'elle ne pourrait être exploitée dans des cliniques

de régulation des naissances, dont certaines sont de

taille importante. Dans certains cas, ces cliniques

ont effectivement été appelées des "usines". Nul ne

douterait du caractère "commercial" de leurs

activités.

 

Les matériaux de départ pour la réalisation du

procédé allégué sont un matériau polymère, un

catalyseur et, dans certains cas, une pointe

obturante. La méthode revendiquée modifie les

matériaux pour en faire le dispositif ajusté qui est

le produit "vendable". C'est ce produit - le

dispositif et non la méthode revendiquée - qui sert à

appliquer la méthode de régulation des naissances.

La chose est évidente du fait que le dispositif peut

être retiré sans chirurgie et que la méthode de

régulation des naissances ne peut être appliquée, à

moins que le dispositif ne reste en place dans les

deux trompes utérines pendant au moins un cycle

menstruel.

 

Aucune des affirmations de l'examinateur quant au

procédé revendiqué n'a de fondement en droit à titre

d'exigence relative à une méthode brevetable. Aucune

n'est mentionnée à ce titre dans la Loi sur les

brevets. Certaines d'entre elles semblent extraites

d'affaires britanniques portant sur l'observation des

exigences de la Loi britannique sur les brevets,

laquelle Loi diffère nettement de la Loi canadienne,

comme l'a souligné le juge Pigeon dans l'affaire

Tennessee Eastman, à la page 120.

 

Bref, il est soumis que le rejet des revendications

18 à 26 par l'examinateur n'est pas fondé sur des

motifs qui convaincraient le Commissaire en vertu de

l'article 42 que le demandeur n'a pas droit à un

brevet en vertu de la loi. (Voir Monsanto Co. v.

Commissioner of Patents (1979), 42 C.P.R. (2d) 161).

 

La Commission doit donc déterminer si les revendications 18 à 26 se

rapportent à une matière brevetable en vertu de l'article 2 de la Loi

sur les brevets. La revendication 18 a la teneur suivante :

 

La méthode non chirurgicale par formation in situ

d'un bouchon pour obturer une trompe utérine comprend

les étapes suivantes : déterminer par des méthodes

hystéroscopiques l'ostium uterinum d'une trompe

utérine, insérer une paire de tubes de plastique

 flexibles télescopiques et coextensifs, un interne et

 l'autre externe, maintenus temporairement dans une

 position déterminée l'un par raport à l'autre, à

 travers le conduit opérateur de l'hystéroscope et

 mettre en place ledit tube à proximité de l'ouverture

 de la trompe utérine dans une situation de contact

 suffisant pour l'obturation, les dispositifs de

 libération demeurant à l'extérieur dudit hystéros-

 cope, distribuer une quantité prédéterminée d'un

 précurseur d'élastomère durcissable dans ladite

 trompe utérine par l'intermédiaire dudit tube

 interne, permettant audit précurseur d'élastomère de

 durcir in situ; libérer lesdits tubes internes et

 externes l'un de l'autre et les déplacer l'un par

 rapport à l'autre pour entraîner la rupture de

 l'élastomère durci; et retirer lesdits tubes

 d'hystéroscope.

 

 M. Smart allègue que la méthode du demandeur concerne uniquement les

 étapes du blocage mécanique d'une trompe utérine. Il fait état de la

 divulgation de la demande, à la page 6, lorsqu'il affirme qu'à cause

 de ses propriétés, l'élastomère n'adhérera qu'à d'autres caoutchoucs

 de silicone et non aux tissus corporels, sauf qu'en s'écoulant dans

 les cavités, il cause un blocage mécanique. Il note la nature locale

 externe de la trompe utérine, indiquant que l'élastomère ne franchit

 pas les barrières tissulaires. Il indique que l'écoulement de

 l'élastomère l'amène des deux côtés du col de l'isthme de la trompe

 utérine où un blocage mécanique se produit au moment du durcissement.

 M. Smart insiste sur la nature non chirurgicale de la formation in

 situ d'un tube d'élastomère adapté à l'anatomie de l'utilisatrice. Il

 fait remarquer qu'aucune méthode de régulation des naissances n'est

 exposée dans la description des étapes. Il fait état du système

 d'extraction à même le bouchon élastomère. Il fait remarquer que la

 régulation des naissances ne surviendra que si un bouchon est en place

 dans chacune des trompes utérines de l'utilisatrice pendant un cycle

 menstruel complet, et que cette dernière prendra la décision à cet

 égard, tout comme elle a le choix des autres dispositifs et mesures de

 régulation des naissances. Il estime que le fait d'installer

 l'élastomère selon la méthode du demandeur est une procédure

 mécanique, et non une procédure de régulation des naissances en soi.

 

 M. Smart se reporte à la décision rendue dans l'affaire Commissioner

 of Patents v. Farbwerke Hoescht Aktiengesellschaft Normals Meister

 Lucius & Bruning (1964) S.C.R. 49, à la page 57, affaire ayant trait à

 l'article 41(1) de la Loi, comme suit :

 

L'article a été jugé restrictif à l'égard des droits

 qu'aurait un inventeur, sauf en ce qui concerne les

 interdictions contenues dans l'article. Par

 conséquent, le tribunal ne devrait pas juger qu'une

 demande particulière est visée par ses interdictions,

 à moins que les conditions justifiant son application

 ne soient clairement présentes. Je ne vois aucune

 justification à cette interprétation. Il n'y a pas

 de droit inhérent à un brevet en vertu de la "Common

 ~ ~ ~ ~   enteur obtient son brevet selon les

termes de la Loi sur les breveta, ni plus ni moine. Si le brevet pour

lequel il présente une demande tombe sous le coup des dispositions de

l'article 41(1) de la Loi, il doit alors se conformer à cet article.

 

Selon M. Smart, cette affaire a déterminé que les brevets canadiens sont des créatures

de la Loi sur les brevets et que les demandes devraient être examinées dans cette

optique.

 

Se reportant à l'affaire Tennessee Eastman c., Commissaire des brevets (1974) R.C.S.

p. 111, M. Smart discute d'un passage du juge Kerr, figurant dans la décision rendue

dans cette affaire par la Cour de l'Echiquier, et reproduit dans la décision du juge

Pigeon, à la page 114; comme suit:

 

A mon avis, la présente méthode n'entre pas dans le domaine des

réalisations manuelles ou de production et, lorsqu'on l'applique au

corps humain, elle ne produit pas un résultat qui se rattache aux

affaires, au commerce ou à l'industrie, ni un résultat qui est

essentiellement économique. L'adhésif lui-même peut faire l'objet d'un

commerce, et le brevet pour le procédé, s'il est concédé, peut aussi

être vendu et la licence de son emploi peut être vendue contre une

rémunératino en argent, mais il ne s'ensuit pas que la méthode et ses

résultats se rattachent au commerce ou sont essentiellement économiques

au sens dans lequel on a employé ces expressions dans des jugements en

matière de brevets. La méthode fait essentiellement partie du domaine

professionnel du traitement chirurgical et médical du corps humain, même

si à l'occasion elle peut être appliquée par des gens qui n'oeuvrent pas

dans ce domaine. En conséquence, je conclus que, dans l'état actuel de

la Loi sur les brevets du Canada et de l'étendue de ce qui est sujet à

un brevet, comme l'indique la jurisprudence que j'ai citée, et qui fait

autorité, la méthode ne constitue pas une réalisation, un procédé au

perfectionnement d'une réalisation ou d'un procédé au sens du paragraphe

d) de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

M. Smart mentionne que le juge Pigeon n'a pas commenté ce passage. Il se reporte

ensuite à certaines questins posées par M. Pigeon et à des observations faites par

celui-ci au cours de son examen de l'affaire, comme suit:

 

à la page 117

 

...

La seule question est donc de savoir si une nouvelle utilisation, à des

fins chirurgicales, d'une substance connue, peut être revendiquée comme

une invention.

 

a la page 118

 

...

Ici, nous avons à considérer une substance connue, et ses propriétés

essentielles connues, soit la formation d'un élément adhésif par

polymérisation lors de l'application. Par conséquent, le seul élément

de nouveauté se trouve dans son utilisation à des fins chirurgicales et

la découverte ne porte que sur l'adaptabilité non manifeste à un tel

usage. C'est pourquoi les revendications, je l'ai déjà souligné, ne

portent que sur la méthode chirurgicale consistant à réunir des tissus

au moyen d'une telle substance adhésive plutôt qu'au moyen d'un fil ou

d'agrafes. Semblable méthode est-elle une "réalisation" ou un "procédé"

au sens de la définition d'"invention"?

 

Il est clair qu'une nouvelle substance utile dans le traitement médical

ou chirurgical des h ommes et des animaux est une "invention". Il est

également évident qu'un procédé de fabricatin d'une telle substance est

aussi une "invention". En fait, la substance peut être revendiquée

comme une invention seulement lorsqu'elle est "préparée ou produite par"

un tel procédé. Mais que dire de la méthode de traitement médical ou

chirurgical qui utilise la substance nouvelle? Peut-elle aussi être

revendiquée comme une invention? Pour en établir l'utilité il faut la

définir dans une certaine mesure. Dans le cas d'un médicament, les

effets souhaités aussi bien que les effets secondaires à redouter

doivent être établis, de même que la posologie convenable, les modes

d'administration et les contre-indications. Peut-on revendiquer ces

données thérapeutiques par elles-mêmes comme une invention distincte

consistant en une méthode de traitement qui comporte l'utilisation du

nouveau médicament? Je ne le crois pas, et il me semble que l'art, 41

indique sans équivoque que tel n'est pas le cas.

 

à la page 119

 

...

A mon avis, cela implique nécessairement que, pour ce qui est de

semblables substances, l'utilisation thérapeutique ne peut être

revendiquée au moyen d'une revendication de procédé indépendamment de la

substance elle-même. Autrement, cela signifierait que bien que la

substance ne puisse être revendiquée que lorsqu'elle est préparée au

moyen du procédé breveté, son utilisation pourrait être revendiquée

comme méthode de traitement, sans égard au procédé de péparation. en

d'autres mots, si une méthode de traitement consistant en l'application

d'un nouveau médicament pouvait être revendiquée comme procédé

indépendamment du médicament lui-même alors l'inventeur, par une telle

revendication de procédé, se soustrairait avec facilité à la restriction

contenue à l'art. 41(1).

 

M. Smart signale l'implication formulée par le juge Pigeon selon laquelle une méthode

pour utiliser une substance médicinale est exclue à titre de matière qui peut faire

l'objet d'une revendication. Selon M. Smart, lorsque le juge Pigeon fait état d'une

méthode de traitement médical, il veut simplement parler de l'application d'une

substance médicinale. Il est d'avis que le juge Pigeon veut encore parler de la même

chose lorsqu'il fait mention d'un traitement chirurgical. M. Smart fonde sa

conviction sur la conclusion du juge Pigeon figurant au milieu de la page 119:

 

Etant arrivé à la conclusion que les méthodes de traitement médical ne

sont pas visées comme "procédés" par définition d'"invention", le même

raisonnement doit, pour les mêmes motifs, s'appliquer aux méthodes de

traitement chirurgical.

 

Il soutient que le juge Pigeon a considéré qu'il fallait donner une large

interprétation au terme "médecine" en raison de quelques affaires précédentes. M.

Smart fait remarquer qu'il aurait pu en être ainsi à cause du fait que la chirurgie

fait partie de la médecine lorsque le terme "médecine" est utilisé dans son sens

large.

 

M. Smart se reporte à un autre passage de l'affaire Tennessee Eastman, page 121,

concernant l'exclusion des procédés chirurgicaux ou médicaux per se. Il interprète

passage comme ayant trait au type de méthode de procédés chirurgicaux ou médicaux li

à l'application d'un médicament sur une personne, par exemple, le procédé de guérir

une maladie en prenant une pilule, ou de poser un diachylon pour faire adhérer des

morceaux de chair ensemble en se fondant sur les propriétés du diachylon qui ont été

découvertes. Ce passage se lit comme suit:

 

Même si ces décisions sont d'un certain intérêt au sujet de la

brevetabilité d'inventions se rapportant à des procédés d'abattage ou 

d'agriculture, je ne puis rien y voir qui tente à contrecarrer les

implications de l'art. 41(1) quant à l'exclusion des méthodes

chirurgicales ou médicales per se du domaine des procédés brevetables.

 

Compte tenu de l'affaire Tennessee Eastman, M. Smart soutient que toutes les méthodes

qui produisent leur effet sur le corps humain ou concurremment avec lui ne sont pas

des méthodes de traitement chirurgical ou médical au sens utilisé par le juge Pigeon.

 

M. Smart discute de la décision rendue le 21 avril 1986 par la Cour d'appel fédérale

et non publiée, Imperial Chemical Industries c. Commissaire des brevets. Il soutient

que dans ce cas, les revendications concernant l'application de la substance sur les

dents ont été rejetées parce qu'elles constituaient un procédé médical de diminuer la

carie. M. Smart se reporte à l'avant-dernier paragraphe de la décision et fait

remarquer qu'il y est dit que le Commissaire ne s'est pas trompé concernant le

fondement du rejet des revendications, c'est-à-dire qu'il s'agissait d'un procédé

médical comportant l'application d'une substance sur un humain et que la Cour fédérale

se sentait liée par l'affaire Tennessee Eastman.

 

A la lumière de ces affaires, il croit que l'implication, fondée sur le motif du juge

Pigeon, ne va pas plus loin qu'un traitement médical ou chirurgical fondé sur

l'utilisation des substances, en soi, pour effectuer un traitement en raison de leurs

propriétés. M. Smart soutient qu'il n'existe pas d'implication, en ce qui concerne

les procédés médicaux comportant des dispositifs médicaux ou chirurgicaux, que de tel~

procédés sont non brevetables. Il mentinne que la Loi ne contient pas d'implication

semblable.

 

M. Smart fait état de six brevets canadiens, 946,084, 968,108, 1,003,167, 1,071,820,

1,150,464 et 1,166,810, qui comporte des méthodes pour fabriquer des plâtres pour le

corps humain. Il affirme que ces méthodes ressemblent beaucoup à celle qui fait

l'objet de la présente affaire, par exemple, le produit fabriqué s'ajuste à l'anatomie

de celle qui le porte. Il mentionne que dans un grand nombre de ces exemples, le port

de l'article pourrait être considéré comme une méthode chirurgicale ou médicale. Il

signale toutefois que ces méthodes ne sont pas du type dont traitait le juge Pigeon

dans l'affaire Tennessee Eastman, parce que ce ne sont pas des méthodes qui consistent

uniquement dans l'application d'un médicament ou d'une substance ayant des propriétés

physiologiques. Il soutient que la méthode de son client mérite la protection d'un

brevet.

 

En ce qui concerne le renvoi de l'examinateur à l'article 67(3), M. Smart considère

que le paragraphe (3) ne vise qu'à déterminer les abus en matière de droits exclusifs

par rapport au paragraphe (2) sur les demandes de licence obligatoire. A ce titre,

il prétend que l'article 67(3) ne se rapporte pas à ce qui est brevetable ou non.

 

En résumé, M. Smart affirme que les revendications 18 à 26 ont trait à la fabrication

d'un dispositif et non à une méthode de traitement chirurgical ou médical, en soi. Il

réaffirme qu'il n'y a rien dans la Loi qui nuise à leur brevetabilité. Finalement, il

se reporte à l'affaire Monsanto Co. v. The Commissioner of Patents (1979) 42 C.P.R.

(2d) 161 at 178, dans laquelle l'importance du terme "en droit" figurant à l'article

42 est soulignée. Il mentionne qu'on doit présenter les motifs trouvés dans la Loi

sur les brevets ou dans la jurisprudence qui font que son client n'est pas fondé en

droit à obtenir la concession d'un brevet.

 

Comme la question dont nous sommes saisi se rapporte à la matière contenue dans la

présente demande, nous ne présentons aucune observation concernant les revendications

figurant dans les brevets canadiens mentionnés par l'agent de brevets. Par

conséquent, nous nous penchons sur la matière du demandeur en fonction de la Loi sur

les brevets et de la jurisprudence connexe.

 

La communication nous apprend qu'une certaine méthodologie est présentée dans

l'exécution de la méthode exposée dans les revendications 18 à 26. A la page 11, on

décrit la préparation d'une patiente à une hystéroscopie en ayant recoure à des

procédés médicaux standard et à l'anesthésie locale. On donne une description du type

de liquide d'hystéroscopie qui remplace l'air dans le manchon de l'hystéroscope avant

l'insertion du dispositif dans le canal cervical. Après insertion du dispositif, on

applique une pression sur le liquide d'hystéroscopie pour gongler l'utérus afin de le

préparer pour une intervention subséquente. Ce liquide favorise l'examen visuel de

l'utérus. On discute ensuite de la façon de reconnaître les ostiums uterinum qui sont        

parfois difficiles à trouver; on traite entre autres de l'utilisation d'un colorant

dans une solution saline. On indique que la pointe obturante doit être mise en place

avec une force suffisante pour obtenir un contact modéré pour l'obturation. On donne

des détails sur la façon de mélanger les ingrédients du matériau élastomère pour ob-

tenir la consistance nécessaire. On explique que pour obtenir la force nécessaire

pour bien assujettir l'hystéroscope et expulser l'élastomère pour remplir la trompe

utérine et les deux côtés de l'isthme de la trompe utérine, on observe l'écoulement

matériel durant l'application. Après la formation d'un gel, on prépare un segment

servant à l'extraction en manipulant les pistons à mouvement alternatif de

l'hystéroscope pour séparer le bouchon de l'appareil. Une fois la procédure terminé

pour l'autre osthium uterinum, on confirme que les bouchons ont une longueur

convenable par radiographie.

 

Nous considérons qu'essentiellement, la méthode du demandeur comporte des étapes qui

exigent la compétence d'un médecin qui donne des soins à une patiente. Nous ne sommes

pas persuadés par les arguments présentés par l'agent de brevets selon lesquels la

méthode devrait être considérée comme une procédure mécanique appartenant au domaine

des arts manuels ou productifs. Il se peut que l'élastomère soit un article

commercial et qu'il puisse être brevetable et, dans ce cas, faire l'objet d'une

licence pour des considérations financières. Toutefois, nous croyons que les

remarques du juge Kerr reproduites dans l'affaire Tennessee Eastman, supra, p. 114, et

mentionnées auparavant par M. Smart se rapportent bien au type de méthode décrite dans

les revendications 18 à 26 de la présente demande.

  ... , mais il ne s'ensuit pas que la méthode et ses résultats se

rattachent au commerce ou sont essentiellement économiques au sens dans

lequel on a employé ces expressions dans des jugements en matière de

brevets. La méthode fait essentiellement partie du domaine

professionnel du traitement chirurgical et médical du corps humain,

même si à l'occasion elle peut être appliquée par des gens qui

n'oeuvrent pas dans ce domaine. En conséquence, je conclus que, dans

l'état actuel de la Loi sur les brevets du Canada et de l'étendue de ce

qui est sujet à un brevet, comme l'indique la jurisprudence que j'ai

citée, et qui fait autorité, la méthode ne constitue pas une

réalisation, un procédé au perfectionnement d'une réalisation ou d'un

procédé au sens du paragraphe d) de l'article 2 de la Loi sur les

brevets.

 

Nous remarquons que la revendication 18 porte sur une méthode ayant trait à un

organisme animal vivant faisant intervenir un hystéroscope d'opération, son insertion

et son utilisation pour gonfler la cavité utérine, sa mise en place devant la trompe

utérine de façon a ce qu'il y ait un contact suffisant pour l'obturation, l'expulsion

d'un élastomère durcissable par l'intermédiaire d'une partie interne de

l'hystéroscope jusqu'à au moins l'isthme de la trompe utérine, le durcissement et le

retrait de l'appareil pour romptre l'élastomère durci près de l'extrémité de la

partie interne. Nous sommes d'avis qu'il ne s'agit pas d'une simple méthode de

routine pour fabriquer un produit, comme le laisse entendre le demandeur. M. Smart

reconnaît que l'opération est probablement effectuée par un obstétricien. Il

soutient qu'à part ce que le juge a trouvé dans l'article 41(1), il n'y a rien dans

la Loi sur les brevets qui dise que les procédés suivis par les médecins ou les

chirurgiens sont différente d'un procédé suivi par quelqu'un d'autre, en tant que'un

brevet est concerné. Il est vrai que la Loi, en soi, ne fait pas mention de tels

procédés. Il est également vrai que d'après nous, la jurisprudence qui se dégage de

Tennessee Eastman, supra, a trait à des méthodes ou procédés médicaux, comme en fait

foi le passage du juge Kerr lorsqu'il interprète l'article 2. En outre, comme l'a

fait remarquer M. Smart auparavant, le juge Pigeon, après avoir cité le luge Kerr et

examiné l'article 41(1), conclut en page 119 "... que les méthodes de traitements

médical ne sont pas visées comme "procédés" par définition d'"invention", le même

raisonnement doit, pour les mêmes motifs, s'appliquer aux méthodes de traitement

chirurgical". Nous sommes d'avis que les remarques de M. Pigeon se rapportent aux

traitements médicaux au sens large, et non simplement à l'application d'une substance

médicinale.

 

A l'audience, la Commission s'est reportée à un passage cité par le juge Pigeon en

page 121 de l'affaire Tennessee Eastman, se rapportant à l'affaire Re Schering A.C'sa

Application (1917) R.P.C. 337, à la page 345, notamment à la partie suivante sur

 

laquelle elle a insisté:

 

... bien qu'il semble, après un examen minutieux de la question, qu'en

vertu de la présente Loi il faille exclure les brevets couvrant un

traitement médical au sens strict,...

 

M. Smart laisse entendre que ce passage révèle le motif pour lequel la demande a été

accueillie en Grande-Bretagne. Là, dit-il, on ne s'est pas penché sur la

brevetabilité et tout en accueillant la demande, la question de brevetabilité

pouvait être soumise aux tribunaux. Nous croyons que le passage a une signification

plus large. Nous constatons que l'accent placé par le juge Pigeon sur le passage de

l'affaire Schering est conforme à sa conclusion, à la page 119, selon laquelle les

méthodes de traitement médical ne sont pas visées par l'article 2.

 

Nous nous inspirons de l'affaire Farbwerke Hoescht à laquelle s'est référé M. Smart,

notamment des remarques suivante notamment des remarques suivantes formulées en page

55 par le juge Judson:

 

A la suite des déclarations faites dans l'affaire R. v. Patents Appeal

Tribunal, Ex. p. Swift & Co., la Cour de l'Echiquier a déclaré que le

Commissaire ne devait pas refuser d'accueillir unes demande de procéder

à la concession d'un brevet, à moins de n'être tout à fait convaincu que

la matiere de la demande ne puisses être concevablement brevetée au sens

de la Loi sur les brevets.

 

Le Commissaire ne débordait nullement de cette définition du cadre de

ses fonctions, mais je crois que l'opinion de la Cour de l'Echiquier

expose les fonctions du Commissaire de façon trop restrictive et ne

reconnaît pas la distinction entre la loi sur les brevets du Royaume-Uni

et celle du Canada. En vertu des articles 6, 7 et 8 de la United

Kingdom Patents Act, 1949, l'examinateur ne peut se pencher que sur

l'antériorité. Dans la pratique, il ne peut trancher la questin de la

valeur inventive, et il ne le fait pas. Cette tâche est laissée au

tribunal. En outre, comme il est souligné dans la demande Re Levy &

West's, les décisions du Patent Appeal Tribunal sont sans appel, alors

que dans une action subséquente, la validité du brevet peut être mise en

doute devant le tribunal le plus haut du pays.

 

Par contre, au Canada, le Bureau des brevets, supervisé par le tribunal,

décide de la valeur inventive, et un demandeur peut en appeler devant la

plus haute cour. En outre, dans la classe de produits qui nous

intéresse, à savoir les médicaments et les remèdes, l'intérêt public est

fortement en jeu et le Commissaire devrait examiner la demande avec le

plus grand soin pour voir si elle vaut l'octroi de privilèges

monopolistiques et déterminer l'importance du monopole attribué.

 

A notre avis, l'affaire Farbwerke Hoescht indique que le devoir du Commissaire

consiste à déterminer la brevetabilité de la matière et s'il estime qu'elle n'est

pas brevetable, il peut refuser d'accueillir une demande pourvu qu'il soit convaincu

par des motifs suffisants.

 

Nous constatons que les remarques du juge Pigeon dans l'affaire Tennessee Eastman,

figurant à la page 119 de la décision de la Cour suprême, ne font pas abstraction

des conclusions du juge Kerr de la Cour de l'Echiquier. Nous sommes guidés par la

conclusion du juge Pigeon en page 121. Nous lisons dans les remarques du juge Heald

dans l'affaire Imperial Chemical Industries que le motif invoqué dans l'affaire

Tennessee Eastman constitue un fondement acceptable pour refuser une méthode de

traitement médical.

 

M. Smart fait état de l'affaire Ciba c. The Commissioner (1959) R.C.S., et déclare

que la méthode appliquée à certaine substance peut être brevetable si elle produit

une nouvelle substance. Il s'agissait de savoir si le fait de fabriquer un produit

nouveau et utile par voie de chimie conventionnelle était brevetable et, dans cette

affaire, ce fait a été jugé acceptable. Nous n'établissons pas de parallèle entre

la méthode du demandeur et un procédé de chimie conventionnelle.

 

A notre avis, la méthode du demandeur exige la compétence d'un médecin en ce qu'il

faut bien insérer dans un corps vivant une quantité appropriée de substance

compatible avec l'anatomie du corps. Nous croyons que les étapes montrent

clairement qu'il s'agit d'une méthode qui appartient au domaine d'un médecin.

 

En résumé, nous estimons que même si les revendications 18 à 26 sont décrites comme

étant de nature non chirurgicale, elles ont néanmoins trait à une méthode de

traitement médical et ne peuvent être considérées comme tombant sous le coup de

l'article 2.

 

Nous recommandons que le rejet des revendications 16 à 26 soit maintenu parce

qu'elles n'ont pas trait à une matière brevetable.

 

M.G. Brown                    S.D. Kot

Président intérimaire               Membre

Commission d'appel des brevets

 

Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission d'appel des

brevets. Par conséquent, je refuse d'accorder un brevet contenant les

réclamations 18 à 26. Le demandeur a six mois pour en appeler de ma décision

en vertu de l'article 44 de la Loi sur les brevets.

 

J.H.A. Gariépy

Commissaire des brevets

 

Fait à Hull (Québec)

l;e 15 août 1986

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.