BUREAU CANADIEN DES BREVETS
DECISION DU COMMISSAIRE DES BREVETS
La demande de brevet 428, 420 ayant été rejetée en application du
paragraphe 47(2) du Règlement régissant les brevets, le demandeur a
demandé que la décision finale de l'examinateur soit révisée. Par
conséquent, la Commission d'appel des brevets et le commissaire des
brevets l'ont révisée. Voici les conclusions de la Commission d'appel
des brevets et la décision du commissaire.
Agent du demandeur
Gowling & Henderson
B.P. 466, succursale A
Ottawa (Ontario)
K1N 8S3
DECISION DU COMMISSAIRE
Article 2: VARIETE DE SOJA
Une variété de soja mise-au-point par des techniques de croisement et du
sélection peut être une invention nouvelle et utile à laquelle il manque
toutefois un caractère d'ingéniosité. En outre, l'objet de la demande ne
tombe pas sous le coup de la définition d'une invention donnée par
l'article 2.
Décision finale: Maintenue
La demande de brevet 428,420 (classe 47-4) a été déposée le 18 mai
1983, et l'invention revendiquée, intitulée "Variété de soja".
L'inventeur est M. Clark W. Jennings. Le 3 avril 1984, l'examinateur
chargé de la demande a pris une décision finale : il a refusé que la
demande soit instruite en prévision de la délivrance d'un brevet.
Dans le cadre de son examen du rejet, la Commission d'appel des
brevets a tenu une audience où le demandeur s'est fait représenter par
MM. D. Watson et E. McKhool. Etaient aussi présents l'inventeur, M.
C. Jennings, le représentant de Pioneer U.S.A., M. J. Cavanaugh, et re
président de Pioneer Canada, M. W. Parks.
L'objet de cette demande porte sur une variété de soja (variété 0877)
qui a été mise au point par croisement. La variété de soja 0877
provient du mélange X Corsoy (Clark X Chippawa 64) et présente les
caractéristiques avantageuses suivantes :
- forte teneur en huile;
- maturation hâtive;
- production toujours élevée;
- résistance à l'égrenage;
- résistance au pourridié causé par le champignon Phytophthora
megasperma var sojae.
Dans sa décision finale, l'examinateur expliquait ainsi son refus :
l'invention revendiquée dans la demande ne tombait pas sous le coup de
la définition qui se trouve à l'article 2 de la Loi sur les brevets.
Voici une partie de cette décision :
(...)
Comme je l'ai indiqué dans ma dernière décision finale, la variété de soja
divulguée et revendiquée dans cette demande ne correspond pas à la
définition statutaire d'une invention qui est fournie à l'article 2 de la
Loi sur les brevets.
D'après l'article 2, une "invention signifie toute réalisation, tout
procédé, toute machine, fabrication ou composition de matieres, ainsi qu'un
perfectionnement quelconque de l'un des susdits, présentant le caractere de
la nouveauté et de l'utilité.
Dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets, l'alinéa 12.03.01(a)
qui traite des objets non visés par la loi indique ceci:
Toute matière visant un procédé de production d'une
nouvelle souche ou variété génétique, de plantes ou
d'animaux, ou le produit qui en découle n'est pas
brevetable. Toutefois, ceci n'exclut pas un procédé
microbiologique ou le produit qui en découle.
L'interprétation du mot "invention", tel qu'il est défini à l'article 2, a
toujours exclu les nouvelles variétés de plantes et de graines. Les
plantes et les graines sont considérées comme une catérogir unique
"d'oeuvres", tellement qu'il serait justifié d'avoir une loi tout à fait
distincte pour régir les créations de ce genre. A cet égard, il faudrait
souligner que les Etats-Unis ont des règlements distincts qui s'appliquent
aux brevets visant des plantes et que la Grande-Bretagne ne permet pas que
cette catégorie "d'oeuvres" doit comprise dans la définition d'une
invention.
L'argument du demandeur, qu'un brevet lui soit accordé pour en nouvelle
variété de soja parce que le projet de loi sur les droits d'obtenteur est
mort au feuilleton, a été consigné, mais il n'a pas été jugé pertinent.
Voici une partie de la déclaration faite par le demandeur en réponse à la
décision finale:
L'invention porte sur une variété unique de soja qui a été créée par
l'homme au moyen de techniques de croisement. J'affirme qu'elle a toutes
les qualités nécessaires à un objet brevetable, soit la nouveauté, la
non-évidence et l'utilité. Néanmoins, l'examinateur a rejeté la demande
pour la seule raison que l'objet n'est pas conforme à la définition du mot
"invention" qui figure à l'article 2 de la Loi sur les brevets, et qui est
interprétée par l'alinéa 12.03.01(a) du Recueil des pratiques du Bureau des
brevets.
Bien que la déclaratino du Recueil des pratiques du Bureau des brevets
puisse engager l'examinateur, elle n'engage pas le commissaire des
brevets. Par conséquent, je déclare que, pour les raisons suivantes, il
devrait y avoir réexamen de la déclaration formulée dans le Recueil des
pratiques du Bureau des brevets à la lumiere du libellé de la Loi sur les
brevets et de l'évolution du droit en la matière.
A l'audience, M. Watson a souligné qu'en vertu de l'article 2 de la Loi sur les
brevets, le commissaire des brevets doit être convaincu que le demandeur n'est
pas autorisé en droit à se faire accorder un brevet avant qu'il puisse le lui
refuser. Il a ajouté que les critères de brevetabilité sont la nouveauté,
l'utilité et l'ingéniosité, et que, si l'invention satisfait aux trois, le
commissaire n'est pas autorisé a refuser le brevet. Pour appuyer sa position,
il a cité de nombreuses décisions juridiques ainsi que la décision du
commissaire relativement à la demande de la société Abitibi 62 C.P.R. (2d) 81.
La question que la Commission doit trancher est la suivante: L'objet de
l'application est-il brevetable en vertu de l'article 2 de la Loi sur les
brevets? voici le libellé de cet article:
"invention" signifie toute réalisation, tout procédé, toute machine,
fabrication ou composition de matieres, ainsi qu'un perfectionnement
quelconque de l'un des susdits, présentant le caractere de la
nouveauté et de l'utilité.
Les revendications sont les suivantes:
1. Une variété de soja dont les caractéristiques physiques sont les
suivantes:
Graines:
Forme Oblongue
Surface Parfois ondulée
Couleur de la surface Jaune moyen
Lustre de la surface Luisante
Couleur du hile Gris pâle
Poids 18-20 grammes par 100 graines
Couleur du cotylédon Jaune
La graine de la plante se caractérise également par une décoloration
longitudinale à partir du hile qui devient visible si la plante a été
soumise à une forte aggression environnementale.
Feuilles:
Couleur vert moyen
Forme Ovée
Couleur de la plante pubescente Gris moyen
Hauteur de la plante 27-35 pouces
Genre de la plante Indéterminé
Cosses
Couleur Brunes
Disposition Eparpillées
Couleur de la fleur Violet
Couleur de l'hypocotyle Violet
Tendance à la verse 2 à 3 sur une échelle de 1 à 5
Groupe de maturité 0
Ladite variété ressemble à la variété de soja Corsoy pour ce qui est
de la forme de la plante, de la pigmentation de la jeune pousse et des
caractéristiques de la feuille à la variété Portage pour ce qui est
de la taille de la graine, à la variété-Altona-pour ce qui est de la
forme de las graine et à la variété Hardome pour ce qui est de la
couleur du hile. En outre, elle a la caractéristique de résister au
champignon Phytophthora megasperma var sojae (races 1 et 2).
2. Une cosse de la plante visée par la revendication n o 1.
3. Une graine de la plante visée par la revendication n o 1.
4. Une variété de soja du genre Glycine, espèce maa, telle
qu'elle a été décrite dans le mémoire descriptif.
Méme si le libellé de la définition d'une invention qui se trouve à
l'article 2 de la Loi est vaste, il y a longtemps que les tribunaux
canadiens reconnaissent qu'ils doivent l'interpréter avec prudence
pour lui donner certaines limites raisonnables. Comme M. Watson l'a
fait remarquer, il existe une grande ressemblance entre la définition
de l'article 101 de la loi sur les brevets des Etats-Unis et celle
de l'article 2 de la Loi sur les brevets du Canada. Cependant, les
deux articles ont été interprétés de façon assez différente dans les
deux pays. Le Sénat américain voulait, semble-t-il, qu'en vertu de la
loi, un objet brevetable englobe "tout ce qui est l'oeuvre de
l'homme". L'interprétation des tribunaux canadiens n'est pas aussi
large. Ils ont circonscrit le libellé de l'article 2 grâce à des
principes qui ont exclu certains objets et certaines activités
humaines de la brevetabilité. Les conclusions tirées des affaires
suivantes illustrent les restrictions de sens que les tribunaux
canadiens ont données à l'article 2.
Dans l'affaire Lawson c. Commissaire des brevets (1970) 62 C.P.R.,
page 109, les tribunaux ont tenu pour acquis qu'aucune technique ou
produit industriel nouveau et utile ne tombait sous le coup de la
définition d'une invention. Le juge Cattenach a cité P. Thorson dans
l'affaire Farbwerke Hoechst Aktiengeselleshaft Vormals Meister Lucius
& Bruning c. Commissaire des brevets (1962), 39 C.P.R., pp. 105 à 124,
qui disait que si un procédé ou un produit industriel
(...) est nouveau et utile, il s'agit d'une invention aux termes
de la définition et que, par conséquent, il est brevetable en
vertu de la Loi (...)
J, Cattenach a ensuite ajouté :
En appel, l'opinion de P. Thorson a été rejetée par la Cour
suprême du Canada (...)
Il a prousuivi ainsi :
Par conséquent, il est clair qu'il faut donner un sens restreint
au libellé de l'alinéa 2d).
M. Cattenach a souligné que, même si la commission d'appel des
États-Unis acceptait certaines des revendications de la même demande,
il n'était pas d'accord pour dire que les techniques de morcellement
d'un terrain étaient brevetables au Canada. Dans ce cas, la nouveauté
et l'utilité ne pouvaient pas empêcher que l'objet fasse partie d'un
domaine jugé non brevetable.
Dans l'affaire Commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst
Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning (1964) R.C.S., p.
55, le juge Judson a dit ce qui suit :
A la suite des déclarations faites dans l'affaire R. c. Commission
d'appel des brevets, Ex p. Swift & Co., la Cour de l'échiquier a
indiqué que le commissaire ne doit pas rejeter l'instruction d'une
demande de brevet à moins d'être convaincu que l'objet de la
demande n'est absolument pas brevetable en vertu de la Loi sur les
brevets.
Le commissaire ne débordait nullement pas du cadre de ses
fonctions, mais je pense que la Cour de l'échiquier se fait une
opinion trop restrictive des fonctions du commissaire et qu'elle
néglige de reconnaître la différence entre la loi sur les brevets
du Royaume-Uni et celle du Canada (...)
(,..) au Canada, le Bureau des brevets est placé sous la
surveillance des tribunaux. Il examine la valeur inventive des
demandes, et le demandeur peut en appeler de ses décisions auprès
de la plus haute cour. En outre, dans la classe de produits qui
nous intéresse, à savoir les médicaments et les remèdes, il y a~de
grands intérêts publics en jeu, et le commissaire devrait étudier
la demande avec grand soin pour déterminer si elle mérite des
privilèges de monopole et pour déterminer l'ampleur du monopole
dont elle pourrait profiter.
Dans le passage precedent, le juge Judson approuve la pratique
d'ancienne date au Canada : les demandes sont examinées en fonction de
leur valeur inventive (pas seulement en fonction de la nouveauté et de
l'utilité), même si la valeur inventive n'est pas un critère imposé
par la Loi sur les brevets. Il a également affirmé qu'il est du
d~~~ir du commissaire de trancher la brevetabilité d'une demande
lorsqu'il s'aperçoit que l'intérêt public est en jeu. A notre avis,
cela n'est pas la même chose que de simplement appliquer le sens le
plus large du libellé de la Loi sans tenir compte de ce qu'il
sous-entend. Toutefois, il semble que c'est ce que M. Watson voudrait
voir le commissaire faire dans le cas présent.
L'affaire Tennessee Eastman Co. c. Commissaire des brevets 8 C.P.R.
(2d), p. 202, traite aussi des restrictions qui ne se trouvent pas
dans l'article 2, mais qui ont été appliquées par les tribunaux. Le
juge Kerr a dit ce qui suit :
La méthode appartient essentiellement aux domaines professionnels de la
chirurgie et du traitement médical du corps humain, même si elle peut
parfois être utilisée par des personnes qui n'oeuvrent pas dans ces
domaines. Par conséquent, j'en conclus, d'après la situation actuelle du
droit des brevets au Canada, la portée de l'objet des brevets et les
indications des jugements autorisés cités, que la méthode n'est pas une
technique ou un procédé ni un perfectionnement quelconque de l'un des
susdits au sens où l'entend l'alinéa 2d de la Loi sur les brevets.
(soulignement ajouté par nous)
Encore une fois, les critères de nouveauté et d'utilité n'ont pas été
des facteurs déterminante; c'est plutôt l'objet lui-même qui a été la
principale préoccupation, d'autant qu'il s'agissait du domaine
professionnel de la chirurgie et du traitement médical du corps
humain.
Dans l'affaire plus récente Schlumberger Canada Ltd. c. Commissaire
des brevets (1981) 56 C.P.R. p. 204, relative à un programme
d'ordinateur, le juge Pratte a dit :
quant aux opérations et aux procédés mentaux, il est clair, selon moi,
qu'ils ne font pas partie du genre de procédés auxquels la définition d'une
invention (article 2) fait allusion.
A notre avis, les conclusions de ces quatre affaires montrent que les
tribunaux canadiens n'ont pas pris le libellé général de l'article 2
au pied de la lettre. Ils montrent qu'il faut donner un sens
restreint à l'article 2 et que le commissaire est habilité à évaluer
l'objet d'une demande. Selon le juge Kerr dans l'affaire Tennessee
Eastman, supra, agir ainsi, c'est comprendre le droit actuel des
brevets au Canada et la portée d'un objet brevetable au sens où
l'entendent les décisions autorisées. A la lumière de ces affaires,
le commissaire n'a pas seulement le droit, mais aussi le devoir de
déterminer si l'objet d'une demande est brevetable et s'il ne l'est
pas, le commissaire a alors le droit de refuser qu'un brevet soit
délivré. Bref, nous ne sommes pas d'accord avec M. Watson lorsqu'il
dit que les seuls critères sur lesquels le commissaire peut se
prononcer sont la nouveauté, l'utilité et l'ingéniosité inventive.
Les affaires Vanity Fair et Monsato viennent aussi appuyer ce point de
vue.
Dans l'affaire Vanity Fair Silk Mills c. Commissaire des brevets
(1931) R.C.S., p. 245, affaire souvent citée par les agents lorsqu'ils
prévoient que le commissaire exercera son pouvoir de décision en vertu
de la Loi, la Cour supréme du Canada a, en fait, appuyé le commissaire
en maintenant sa décision de refuser un brevet pour manque de
caractère inventif. L'auteur de la décision, le juge en chef Duff, a
écrit :
Il va sans dire que le commissaire des brevets ne devrais pas refuser une
demande de brevet sauf s'il est évident qu'elle manque de fond ( )
et
En fait, c'est cela que le président de la Cour de l'échiquier et le
commissaire ont soutenu tous les deux.
En d'autres mots, le juge en chef Duff n'a éprouvé aucune difficulté
à maintenir un refus qui était fondé sur la décision du commissaire
relative à l'objet visé par la demande de brevet. Par conséquent, le
commissaire a le pouvoir de déterminer quels objets sont brevetables
et lesquels ne le sont pas.
Dans l'affaire Monsanto Co. c. Commissaire des brevets (1979) 42
C.P.R. (2d), p. 161, la Cour suprême a repris les remarques du juge en
chef Duff et a poursuivi ainsi : la majorité s'est opposée non pas au
fait que le commissaire ait exercé ses pouvoirs discrétionnaires, mais
à la façon dont il les avait exercés. La Cour s'est dite inquiète du
manque de raisons données pour justifier le refus du commissaire.
Elle a indiqué qu'il lui semblait que le commissaire exigeait une
justification de la part du demandeur, mais elle n'a pas dit que le
commissaire n'était pas autorisé à refuser la demande en fonction de
ce qu'il comprenait de l'affaire. Par conséquent, nous ne voyons pas
comment l'affaire Mosanto pourrait renforcer l'argument de M. Watson.
Toutes les affaires susmentionnées montrent qu'il y a toujours eu et
qu'il continue à y avoir une grande différence dans l'application
pratique de la définition d'une invention brevetable selon la Loi sur
les brevets du Canada et celle des Etats-Unis. Elles prouvent en plus
qu'il appartient, au commissaire de trancher la brevetabilité d'un
objet. Autrement, le commissaire se retrouverait à ne jamais pouvoir
trancher la brevetabilité d'un objet à moins que cet objet précis
n'ait déjà été exclu par les tribunaux. Nous sommes d'avis que la Loi
sur les brevets n'a pas été conçue pour être appliquée de cette façon
et nous ne sommes pas d'accord avec ce raisonnement de M. Watson.
L'objet de la présente demande porte sur une variété de soja. Les
revendications touchent une plante, une cosse et une graine de la
variété décrite. Par conséquent, il n'y a nul doute qu'un objet
vivant est revendiqué. Dans sa discussion de la décision du
commissaire dans l'affaire Abitibi, supra, M. Watson souligne que
l'objet de la demande portait sur un objet vivant, c'est-à-dire une
culture mélangée de levure fongique acclimatée à la lessive sulfitique
utilisée, et que c'est pour cette raison qu'elle a été rejetée par
l'examinateur. Il estime que le passage suivant de la décision
Abitibi donne du poids à son argument :
Nous croyons qu'il est assez important de savoir où nous mènera notre
recommandation si elle est acceptée, et nous sommes d'avis que des lignes
directrices claires devraient être établies dans l'intérêt des d~~~~
comme des examinateurs. Cette décision s'appliquera certainement a tous
les microorganismes, levures, moisissures, bactéries, virus ou
protozoaires; en fait, a toutes les nouvelles formes de vie nui sont
produites en masse dans le cadre de la préparation des composés chimiques
et qui sont créées en si grand nombre que toute quantité mesurable
possédera des propriétés et des caractéristiques uniformes.
(soulignement ajouté par nous)
Pour évaluer l'argument de M. Watson, nous estimons nécessaire de
prendre en compte un autre passage de la décision Abitibi, qui vient
quelques lignes après le précédent :
Nous ne voyons aucune raison de faire la distinctino entre ces formes de
vie quand il s'agit de trancher la question de la brevetabilité d'un
objet. La question est plus litigieuse lorsqu'elle porte sur des formes
de vies supérieures - plantes (au sens commun) ou animaux.
(soulignement ajouté par nous)
A partir du premier passage, nous pouvons voir que l'objet animé en
question était examiné en fonction de caractéristiques normalement
associées à un objet inanimé, notamment l'uniformité de la structure
et les propriétés de la masse. Le deuxième passage nous permet de
voir la question en fonction de formes de vie supérieures : est restée
sans réponse la question de savoir si les propriétés des entités
individuelles deviennent plus importantes et plus complexes que celles
de la masse.
Voici un autre passage de la même décision cité par M. Watson à
l'audience :
Nous ne sommes plus convaincus que nos tribunaux sont fondés en droit de
refuser un brevet visant un microorganisme ou une autre forme de vie.
Etant donné qu'ils doivent l'être en vertu de l'article 42, et que, s'ils
ne le sont pas, ils ne devraient pas refuser une demande, nous recommandons
que le refus des revendicatins 4 et 5 soit annulé.
Nous ne doutons pas que la décision rendue par le commissaire dans
l'affaire Abitibi s'applique aux microorganismes et aux formes de vie
inférieures produites en masse, mais il ne s'agit pas de l'objet visé
par notre examen. Nous sommes d'avis que l'objet revendiqué par le
demandeur, une variété de soja, devrait être examiné en fonction de sa
propre valeur et des affaires canadiennes mentionnées ci-dessus plutôt
qu'en fonction des observations formulées au sujet d'une demande
portant sur des microorganismes.
Aux États-Unis, l'administration a adopté deux lois pour protéger les
obtenteurs de nouveautés végétales : la Plant Patent Law de 1930 et la
Plant Variety Protection Act de 1970. Il se peut que l'administration
américaine ait considéré qu'il lui fallait deux autres lois, une sur
les plantes et l'autre sur les graines, pour offrir une certaine
protection dans ces domaines. Toutefois, le gouvernement canadien n'a
adopté de loi semblable ni à l'une ni à l'autre et, jusqu'à
maintenant, les propositions en ce sens n'ont pas abouti.
Etant donné qu'au Canada, ni les tribunaux ni la loi n'indiquent que
la politique publique est de protéger les variétés de soja, les
observations formulées par le juge Judson dans l'affaire Farbwerke,
supra, prennent de l'importance : "(...) le commissaire devrait
étudier la demande avec grand soin pour voir si elle mérite des
privilèges de monopole" en vertu de la Loi sur les brevets du Canada.
Les tribunaux canadiens n'indiquent pas qu'une plante qui pousse selon
les lois naturelles devrait être considérée comme une fabrication
acceptable aux termes de l'article 2 de la Loi. La demande ne précise
pas que l'invention a changé le cycle de croissance en modifiant les
effets des forces naturelles inhérentes à une plante de soja. Au
sujet des compétences des personnes qui ont participé à la création
des variétés de soja, nous nous référons à l'ouvrage intitulé SOYBEANS
AND SOYBEAN PRODUCTS, volume 1, 1950 Interscience, Inc. New York. La
page 19 nous apprend qu'entre 1898 et 1950, le ministère de
l'Agriculture des États-Unis a importé plus de 10 000 variétés de soja
de divers pays. Le troisième paragraphe de cette page a la teneur
suivante :
La plus grande partie des terres ~ées à la culture du soja étaient
utilisées, à l'origine, pour le fourrage et le pâturage; par conséquent,
les premiers croisements visaient surtout à produire des variétés bonnes
pour le foin, l'ensilage ou le pâturage. Au début des années 20, on a
commencé à conditionner le soja de plus en plus pour en faire de l'huile et
de la farine. Les producteurs et les conditionneurs ont alors demandé plus
de variétés de soja à graines jaunes en raison de leur forte teneur en
huile et des grandes quantités de graines produites. Les agronomes et les
obtenteurs des postes d'expérimentation d'État et le ministère de
l'Agriculture ont créé un grand nombre de nouvelles variétés importées et
courantes. Les nouvelles variétés caractérisées par une plus forte teneur
en huile et par de plus grandes productions de graines ont, pour ainsi
dire, remplacé toutes les anciennes espèces types et étendu la superficie
du territoire réservé à la culture du soja.
Il est clair que le nombre de variétés de soja créées par des
techniques de croisement et de sélection doit atteindre des milliers
aux États-Unis seulement. Comme l'indique le pragraphe précédent, le
but de ces travaux était de mettre au point des variétés dont les
caractéristiques seraient améliorées (forte teneur en huile, forte
production de graines). Nous sommes d'accord pour dire que la plante
hybride est nouvelle et utile, mais nous estimons que le caractère
d'ingéniosité n'est pas présent. Nous sommes toutefois convaincus que
le demandeur a eu recoure aux compétences professionnelles d'un homme
de métier, par exemple, aux techniques qui ont été appliquées dans le
passé pour obtenir les milliers de variétés de soja mentionnées dans
l'ouvrage précité. Nous sommes d'avis que les affaires discutées dans
le cadre de l'instruction de la demande et de l'audience,
particulièrement celle de Tennessee Eastman, n'indiquent pas que ce
genre d'objet devrait être protégé par un brevet.
Après l'audience, le demandeur a déposé une copie de la décision ex
parte rendue le 18 septembre 1985 par le Board of Appeals des
États-Unis dans l'affaire Hibberd. Il a souligné que l'objet de sa
demande devrait être breveté en raison de l'interprétation donnée par
la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Diamond v. Chakrabarty,
447 U.S. 030, 2096 USPQ 193 (1980), et il a appuyé son point de vue
sur un raisonnement convaincant. Quant à la position du demandeur,
nous estimons qu'aucune des affaires mentionnées ne donne des raisons
susceptibles de modifier l'orientation offerte par les affaires
invoquées.
En bref, comme les affaires canadiennes discutées ci-dessus le
prouvent, les tribunaux chargés de trancher les refus opposés par le
commissaire des brevets ont indiqué qu'au Canada, il existe certaines
limites aux types de réalisations humaines qui peuvent être protégées
par un brevet. Les tribunaux ont également souligné que le
commissaire a le pouvoir de déterminer si l'objet d'une demande est
brevetable ou non et, en outre, de refuser qu'un brevet soit délivré
lorsque l'objet ne répond pas aux critères de brevetabilité.
A la lumière de l'orientation prise par les tribunaux canadiens, nous
estimons que la présente demande ne porte pas sur un objet brevetable
en vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets. Nous recommandons
que le rejet de la demande soit maintenu.
M.G. Brown S.D. Kot
Président intérimaire Membre
Commission d'appel des breveter
Je suie d'accord avec les conclusions et la recommandation de la
Commission d'appel des brevets. Je suis convaincu que la demande à
l'étude ne porte pas sur un objet visé par la loi. Par conséquent, je
refuse d'accorder un brevet en vertu de l'article 42 de la Loi. Le
demandeur a six mois pour en appeler de ma décision.
J.H.A. Gariépy
Commissaire des brevets
Fait à Hull (Québec), le 4 mars 1986
Gowling & Henderson
B.P. 466, succursale A
Ottawa (Ontario)
K1N 8S3