DECISION DU COMMISSAIRE
Objet: article 2 de la Loi sur les brevets - Lignée cellulaire bovine
Les revendications portant sur une lignée cellulaire continue servant a
produire de l'insuline ont été rejetées parce qu'il s'agit d'une forme de
vie et que cette matière n'est pas brevetable. Les revendications ont finale-
ment été acceptées pour les raisons invoquées dans la D.C. 933. La décision
de rejet est annulée.
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La demande de brevet n o 291870 (classe 195-46) a été déposée le 28 novembre 1977
par Connaught Laboratories Ltd. de Willowdale en Ontario, société à laquelle
les inventeurs George M Healy et al ont cédé leurs droits. L'invention
revendiquée s'intitule: lignée cellulaire bovine continue de type bêta. Les
revendications 1 à 7 ont été rejetées le 10 octobre 1980. La Commission d'appel
des brevets a révisé la décision de rejet au cours d'une audience qui a eu lieu
le 15 avril 1981 et à laquelle le demandeur était représenté par M. Michael I.
Stewart du bureau Sim & McBurney.
Les revendications 1 à 7 de la demande portent sur une lignée cellulaire bovine
continue de type bêta qui sert à produire de l'insuline. Illes ont été rejetées
en vertu de l'article 2 de la Loi sur les vrevets selon lequel les organismes
vivants ne sont pas brevetable. Suivent les revendications 3 et 4 qui illustrent
bien l'objet de l'invention:
3. Une culture d'une lignée cellulaire bovine continue de type bêta qui
sert à produire de l'insuline dans un milieu de culture nutritif,
ladite lignée cellulaire ayant une morphologie très semblable à celle
des cellules bêta du pancréas du boeuf, le nombre diploïde de chromosomes
propres à la race bovine, un temps de génération n'excédant pas 24 heures
et la propriété de produire de l'insuline.
4. La culture cellulaire mentionnée dans la revendication 3 qui renferme
ladite lignée cellulaire est une culture déposée auprès de l'American
Type Culture Collection et portant le numéro d'acquisition ATCC CRL 1407.
Il s'agit donc de déterminer si l'objet de ces revendications est brevetable.
M. Stewart a exposé plusieurs raisons valables pour justifier leur acceptation,
mais il n'est pas nécessaire de les revoir en détail. La Commission s'est en
effet penchée sur une question semblable récemment. Il s'agit de la demande
de brevet n o 257177 présentée par l'Abitibi Company que nous avons étudiée
le 11 mars 1981 en présence de M. David Watson, conseiller de la Reine, qui
agissait comme représentant du demandeur. Les arguments invoqués par MM.
Stewart et Watson alliés aux résultats de notre étude sur l'évolution du
droit des brevets à l'échelle internationale nous incitent à conclure que nous
ne pouvons plus affirmer avec certitude qu'une demande de brevet portant sur un
micro-organisme ou d'autres nouvelles formes de vie serait refusée par les
tribunaux canadiens. Or, selon l'article 42 de la Loi sur les brevets, le
Commissaire ne peut rejeter une demande de brevets à moins d'être sûr qu'elle
n'est pas fondée en droit.
La décision concernant l'affaire de l'Abitibi Company a été rendue le 18 mars 1982
et peut être consultée sur demande. Par conséquent, il n'est pas nécessaire
de reprendre ici tout le raisonnement qui a abouti à cette décision. Toutefois,
il serait sans doute utile de reproduire ci-après le passage qui explique les
exigences auxquelles doit satisfaire le demandeur pour que des revendications
comme les revendications 1 à 7 de la présente demande puissent être acceptées.
Nous pensons qu'il est important de reconnaître l'incidence véritable
qu'aura notre recommandation si elle est acceptée. Nous croyons également
qu'il faudrait établir des lignes de conduite précises tant dans l'intérêt
des demandeurs que dans l'intérêt des examinateurs. Cette décision va
sans aucun doute d'étendre à tous les micro-organismes, champignons, virus
ou protozoaires, à toutes les levures, moisissures, bactéries, actimonycètes,
algues unicellulaires, lignées cellulaires et, en fait, à toutes les
nouvelles formes de vie qui seront produites en grande quantité, comme
dans le cas de la production de composés chimiques, et en si grand nombre
que toute quantité mesurable possédera des propriétés et des caractéristiques
uniformes. C'est là par exemple le critère courant qu'utilise le bureau
des brevets du Japon (voir Japan Patents & Trademarks, no 27, le rapport
Suzuye, nov. 1980):
(Traduction) Selon les normes en vigueur, les micro-organismes tels
que la levure, les moisissures, les bactéries, les actinomycètes,
les algues unicellulaires, les virus ou les protazoaires, peuvent
fiare l'objet d'un brevet.
Nous ne voyone aucune raison valable d'étalbir des distinctions entre ces
formes de vie pour ce qui est de leur caractère brevetable. Quant à
savoir si ce critère peut être appliqué aux formes de vie supérieures
commes le plantes ( au sens courant) ou les animaux, c'est for discutable.
La Court of Customs and Patent Appeals et la Supreme Court des Etats- Unis
ont sûrement voulu éviter que leur décision n'entraîne pareil résultat.
Ainsi, lors de la décision initiale rendue dans l'affaire Bergy et al,
U.S.C: CPA, 6 octobre 1977, le juge Kashwa, qui s'est rallié a l'opinion
des autres fuses, a déclaré:
(Traduction) J'abonde dans le sens du Juge Rich à l'avis duquel s'est
rallié le Juge en chef Markey. Toutefois, j'aimerais souligner,
pour être sûr de me faire bein comprendre, que l'opinion de la
majorité constitue, à mon avis, un jugement extrêmement limitatif.
Bien que le PTO et la minorité craignent que cette décision n'ouvre
la voie à l'octroi de brevets pour des formes de vie supérieures,
il est clair que l'opinion de la majorité ne favorise nullement
cette éventualité. Chaque cas doit faire l'objet d'une étude
distincte. Pour ce qui est du présent cas, je me rallie à l'opinion
de la majorité et j'accepte les limites qu'elle suppose.
L'avis de la majorité s'exprimait ainsi (p. 18 de l'original):
(Traduction)...De par leur nature et leurs usages commerciaux divers,
les cultures pures de micro-organismes s'apparentent davantage aux
composés chimique inanimés, tels les réactifs et les catalyseurs,
qu'aux chevaux et aux abeilles ou qu'aux framboises et aux roses...
...on s'en sert maintenatn pour produire une vaste gamme de produits
chimique et pharmaceutiques tels que des alcools, des cétones, des
acides gras, des acides aminés, des vitamines... et des enzymes...
Bref, les micro-organismes sont devenus des outils importants dans
l'industrie des produits chimiques.., et lorsqu'un procédé industriel
nouveau, utile, concret et non évident est inventé , suivant les
critères essentiels à la délivrance d'un brevet...., il n'y a aucune
raison de priver ce produit, son auteur ou son propriétaire de la
protection et des privilèges qui découlent de l'octroi d'un brevet...
La Commission craint que notre décision n'entraîne necessairement ou
logiquement la brevetabilité de toute variété nouvelle, utile et non
évidente de plantes, d'animaux et d'insectes crée par l'homme, mais
nous estimons que cette crainte n'est pas réellement fondée.
Quant à nous, nous ne sommes pas convaincus que cette idée soit à ce
point dénuée de fondement ou de logique. Si un inventeur crée une variété
d'insecte nouvelle et non évidente qui n'existait pas auparavant (et qui
partant n'est pas un produit de la nature) et s'il peut recréer ce produit
de façon uniforme et à volonté et se ce produit a une fin utile (par
exemple, s'il sert à détruire la tordeuse des bourgeons de l'épinette),
on pourra le considérer, au même titre qu'un micro-organisme, comme un
nouvel outil au service de l'homme. Dans le cas des formes de vie
supérieures, il est bien entendu peu probable qu'un inventeur puisse
recréer son produit de façon uniforme et à volonté, car les formes de vie
plus complexes tendent à varier davantage d'un individu à l'autre. Mais
se jamais il étaitpossible d'en arriver à ce résultat, tout en respectant
les autres exigences relatives à la brevetabilité, nous ne voyons aucune
raison de traiter pareille réalisation différemment.
Parmi les autres exigences figurent celles qui sont stipulées dans
l'article 36 de la Loi sur les brevets selon lequel le demandeur doit
décrire son invention de façon complète
...afin de permettre à toute personne versée dans l'art ou la
science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui
s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer, ou
utiliser l'objet de l'invention...
Le principe premier du droit des brevets a été souligné à maintes reprises
dans les précédents que nous avons cités. Ce principe a été cité par la
Cour Suprême du Canada dans l'affaire Western Electric c. Baldwin (1934)
S.C.R. 570 @pp. 571-573 et l'a été à nouveau récemment (19 janvier 1982) par
la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Beecham & Calgon c. Proctor & Gamble
(p. 9 de l'original):
(Traduction)... le titulaire de brevet doit, en particulier, décrire
son invention et en déterminer la nature. Il doit s'attacher tout
particulièrement à décrire et à définir la méthode à utiliser pour
réaliser son invention afin que, après expiration de ses privilèges,
le public puisse fabriquer le produit inventé par le titulaire du
brevet (22 Hals. 161, Cert. 338)
Selon l'article 36, la demande doit décrire les diverses phases permettant
de réaliser l'invention soit, dans le cas présent, le nouveau micro-
organisme. Mais la création d'un micro-organisme par la culture d'un
mutant ou par un autre procédé, entraîne des difficultés considérables, et
il n'est nullement certain que l'inventeur ou d'autres personnes qui
suivraient ses directives, réussiraient à le produire à nouveau au moyen
de la méthode utilisée initialement. Toutefois, comme il s'agit d'un
organisme vivant, un micro-organisme peut se reproduire lui-même dans une
culture appropriée, de telle sorte que l'inventeur peut disposer d'un
approvisionnement indéfiniment.
Si l'inventeur dépose des échantillons de l'orgnaisme dans une souchothèque
à laquelle d'autres personnes on accès, celles-ci pourront à leur tour
reproduire l'organisme , et donc avoir accès à l'invention, et l'utiliser
dès l'expiration du brevet. On peut donc se demander se le dépôt de
l'invention dans la souchothèque suffit à satisfaire aux exigences de
l'article 36.
Nous ne voyons pas pourquoi tel ne serait pas le cas. Cela permettrait
certainement à d'autres personnes de reproduire l'invention , à savoir le
micro-organisme. Cela permettrait aussi au public "de fabriquer le produit
inventé par le titulaire du brevet" comme l'exige l'article 36, c'est-à-
dire de fabriquer le micro-organisme, et dans la plupart des cas, de la
façon la plus facile, la plus certaine, la plus efficace et la meilleure
possible. Ainsi les exigences de la Loi seraient, selon nous, respectées.
C'est en fait la solution qu'a acceptée la House of Lords dans l'affaire
American Cyanamid Company (Dannis) Patent, 1971 RPC 42, lorsqu'elle a
reconnu que le dépôt d'un micro-organisme dans une souchothèque nationale
pouvait constituer une description appropriée du procédé de fabrication de
l'invention en cause étant donné que le profane pourrait mettre l'invention
en pratique.
Comme le dépôt d'un micro-organisme dans une souchothèque constitue une
divulgation suffisante de l'invention dans les cas où un demandeur
revendique un procédé faisant appel à cet organisme, il semblerait curieux
de rejeter une revendication portant sur l'organisme lui-même.
Dans les deux cas, le public a besoin de l'orgnaisme pour reproduire
l'invention, et dans les deux cas, l'organisme, lui, est accessible au
moyen de la souchothèque. Le principal point qui devrait retenir notre
attention, c'est que l'invention soit rendue accessible.
Bien sûr, l'inventeur doit décrire le procédé de fabrication qu'il a utilisé
à l'origine et le faire clairement, de sorte que se le procédé peut être
répété, d'autres puissent le mettre en oeuvre. Mais se l'organisme ne peut
par la suite se reproduire que par lui-même, nous ne voyons pas pourquoi il
faudrait priver l'inventeur de la protection que confère un brevet s'il rend
son produit accessible aux autres en le déposant dans une souchothèque.
Dans les cas où cela est possible, nous croyons que l'inventeur devrait
utiliser les deux méthodes de divulgation pour éviter que son invention ne
soit jamais reconnue.
L'organisme vivant qui fait l'objet de la revendication ne doit évidemment
pas déjà exister à l'état naturel, autrement il n'y aurait pas véritablement
invention. Il doit également être utile, c'est-à-dire qu'il doit pouvoir
servir à une fin utile connue comme, par exemple, l'extraction de pétrole
des sable bitumineux, la production d'antibiotiques, ect. Il ne peut s'agir
d'un simple objet d'observation en laboratoire dont la seule utilité possible
serait de servir de point de départ à des recherches plus poussées. Enfin,
l'orgnaisme vivant doit posséder des caractéristiques qui le distinguent
d'autres variétés de sorte que l'on puisse reconnaître qu'il est le fruit
de l'ingéniosité de l'inventeur, critère auquel doit répondre une invention.
Dans le cas présent, nous estimons que le produit revendiqué satisfait à ces
exigences et que l'objection formulée devrait être retirée.
Le Président,
G.A. Asher
Commission d'appel des brevets, Canada
J'ai étudié le dossier de la présente demande ainsi que les recommandations de
la Commission d'appel des brevets auxquelles je souscris. La décision de rejet
est annulée et la demande est renvoyée à l'examinateur.
Le Commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy
Datée à Hull (Qué.)
ce 22e jour de juin 1982
Agent du demandeur
Sim & McBurney
330, University Ave.
Toronto, Qntario