DECISION DU COMMISSAIRE
Objet: article 2 de la Loi sur les brevets - boues activées
Les revendications portant sur la culture de champignons ont été rejetées
parce qu'il s'agissait d'une matière vivante. Cette décision de rejet a été
annulée. En effet, se fondant sur le précédent créé par le jugement rendu
aux Etats-Unis dans l'affaire Chakrabarty et sur d'autres jugements semblables,
la Commission a décidé d'agréer les revendications portant sur de nouvelles
formes de vie à la condition qu'elles satisfassent aux autres exigences relatives
à la brevetabilité. Cette décision constitue un revirement dans la politique
suivie jusqu'à présent par le Bureau des brevets. La décision de rejet est
annulée.
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La Supreme Court des États-Unis a décidé récemment lors de l'affaire Chakrabarty
(Diamond v Chakrabarty, 16 juin 1980) que certaines formes de vie nouvelle étaient
brevetables aux termes de la législation américaine en matière de brevets. Cette
décision a suscité une vive polémique et a soulevé la question de savoir si
pareille matière était brevetable aux termes de la Loi sur les brevets du
Canada. La Commission d'appel des brevets doit maintenant se pencher sur la
question, à cette différence que la matière en cause est une forme de vie légèrement
supérieure à celle qu'on cherchait à protéger dans l'affaire Chakrabarty (souche
mutante de bactéries): il s'agit dans le cas présent d'une culture mixte de
mycètes et de levures.
La même question s'est posée concernant la demande de brevet présentée par
l'Abitibi Company of Toronto portant sur un procédé de traitement des boues
activées par flottation. Les inventeurs, James E. Zajic, Martha A. Hill,
Donald F. Manchester et Karel Muzika, qui ont effectué leurs recherches à
l'Université Western Ontario à London, ont cédé leurs droits à l'Abitibi Company.
La demande a été déposée le 16 juillet 1976 sous le numéro d'ordre 257 177,
classe 362, sous-classe 16. Après avoir été informé de la décision de rejet
rendue par l'examinateur, le demandeur a sollicité une audience devant la
Commission d'appel des brevets, laquelle a eu lieu le 11 mars 1981. M. David Watson
conseiller de la Reine, représentait le demandeur.
L'invention revendiquée porte sur un procédé destiné à permettre la biodégradation
des résidus liquides de sulfite provenant de la fabrication de la pâte de bois.
L'examinateur a jugé que les revendications décrivant le procédé pouvaient être
agréées. Mais il a rejeté les revendications 4 et 5. Cette dernière illustre
bien la matière qui fait l'objet du rejet. Elle se lit comme suit:
(TRADUCTION) 5. Un système de culture microbienne adaptée au RLS renfermant
cinq éléments principaux, tous des champignons, identifiés
de la façon décrite ci-dessous par isolement et par des méthodes
de taxonomie courantes:
1. Phialophora jeanselmei (Langeron) Emmons (ATCC 20,482)
2. Phialophora richardsiae (Nannfeldt apud Melin & Nannf.)
Conant (ATCC 20,483)
3. Hyalodendron lignicola Diddens (ATCC 20,484)
4. Trichosporon infestans (Moses & Vianna) Ciferri &
Redaelli (ATCC 20,485)
5. Candida tropicalis (Castellani) Berkout (ATCC 20,486)
(L'abréviation RLS signifie résidus liquides de sulfite)
Il y a lieu de noter que les variétés de levures composant la culture microbienne
et énumérées ci-dessus ne sont ni nouvelles, ni inconnues. Le mérite des inventeurs
tient à ce qu'ils ont extrait la culture microbienne connue des eaux domestiques
usées et à ce qu'ils l'ont modifiée ou adaptée au sulfite liquide. Cette culture
adaptée peut par la suite être utilisée pour digérer les résidus liquides de
sulfite provenant des usines de pâtes et papiers, ce qui permet de les purifier
et d'évacuer l'effluent sans contaminer les cours d'eau. Cette nouvelle culture
peut tout particulièrement servir au traitement des résidus mousseux, dont l'épuration
a toujours posé des problèmes. La culture se reproduit au contact du sulfite liquide
et elle est donc toujours présente en quantité suffisante.
L'examinateur a rejeté les revendications portant sur la culture de levure en
vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets selon lequel les matières vivantes
ou viables ne sont pas brevetables.
Pour sa part, le demandeur soutient que la culture de levure est un produit
fabriqué et qu'à ce titre, elle répond aux deux éléments de la définition
du terme invention contenue dans l'article 2,à savoir "fabrication" et "composition
de matières". Il se fonde en grande partie sur la décision rendue récemment aux
Etats-Unis dans l'affaire Chakrabarty (mentionnée plus haut) et sur le jugement
prononcé par la Court of Customs and Patent Appeals le 29 mars 1979 dans
l'affaire Bergy. Il fait également un exposé détaillé sur la brevetabilité
des procédés faisant appel à des organismes vivants et allègue que si les
procédés dans lesquels interviennent des micro-organismes sont brevetables,
il n'y a aucune raison de ne pas breveter les micro-organismes eux-mêmes.
Le Statute of Monopolies, entré en vigueur en 1623 et dont découle le droit
moderne des brevets, visait à encourager et à protéger les industries
manufacturières qu'on associait à l'époque à la production d'objets inanimés
tels les textiles, les machines, le savon, les outils et d'autres objets du
même genre. Ce n'est qu'en 1926, lors du jugement de la cause impliquant
Commercial Solvents v Synthetic Products, 1926 RPC 43, dans laquelle a été
accepté le procédé Weizman faisant appel à des bactéries pour produire de
l'acétone, que les procédés bactériologiques faisant intervenir des organismes
vivants ont été jugés brevetables au Royaume-Uni. En 1956, à l'occasion de
l'affaire Szuec's Application, 1956 RPC 25, un procédé de culture de tissu
de champignons a été jugé acceptable. Toutefois, l'octroi de brevets visant
des micro-organismes, comme des bactéries ou des plantes, était jugé inadmissible.
En 1960, lors du jugement de l'affaire General Electric, 1961 R.P.C. 21 à 22, le
Patent Office du Royaume-Uni a déclaré:
(TRADUCTION) Nous nous sommes toujours opposés à l'octroi proprement dit de
brevets visant des formes de vie supérieures ou plus avancées. Toutefois,
il est arrivé qu'on accepte des revendications portant sur de nouveaux
procédés de fabrication d'hormones, de vaccins, etc., et dont l'étape
préliminaire comprenait le traitement d'un animal vivant. En ce qui
concerne les formes de vie inférieures, des revendications qui portaient
sur la culture et le traitement de levure et de moisissures en vue de la
fabrication d'antibiotiques ont été acceptées. En outre, M. Watson a
cité l'affaire Szuec's Application (1956) R.P.C. 25 dans laquelle la
culture d'un tissu de champignon comestible a été acceptée.
A notre avis, le Patent Office a fait preuve de largeur d'esprit, dans
l'ensemble, lorsqu'il a accepté d'étendre le terme "fabrication" à la
production d'une matière vivante, même s'il s'agissait d'un organisme
vivant inférieur. En fait, cette décision va plus loin que celle qui a
été rendue dans l'affaire Commercial Solvents v Synthetic Products Company Ltd.
(1926) 43 R.P.C. 185, laquelle fait souvent autorité lorsqu'il s'agit
d'accorder un brevet pour des procédés bactériologiques. Il nous semble
que, dans cette affaire, les revendications qui ont été jugées acceptables
portaient sur un procédé de fabrication de composés chimiques (acétone et
alcool butylique) faisant appel à des bactéries. Comme nous l'avons déjà
mentionné, il est vrai que des procédés bactériologiques et d'autres procédés
semblables destinés à fabriquer non pas des objets inanimés, mais une
matière vivante ont été brevetés. Nous croyons que l'octroi d'un brevet pour
de tels procédés peut se justifier soit par le fait que la substance produite
peut être considérée par le profane comme un objet commercial qui peut être
utilisé comme le sont la plupart des autres produits - la levure, comme
nous l'avons mentionné, étant un cas analogue -, soit parce que ladite
substance peut être utilisée directement dans la fabrication d'un produit
qu'on peut commercialiser.
Nous estimons toutefois que la devrait s'arrêter l'extension de sens
accordé au terme "fabrication", car ce serait, à notre avis, donner à
ce terme une interprétation trop large que d'y inclure la production de
mutants artificiels d'organismes vivants n'ayant aucun lien direct avec
des procédés de fabrication.
Lors de l'appel, le Patent Appeal Tribunal a déclaré (ibid. p. 25):
(TRADUCTION) Il ressort donc clairement que le présent appel illustre
une autre facette du problème sérieux que pose la signification de
l'expression "mode de fabrication" (manner of manufacture), problème
d'autant plus complexe dans le cas présent qu'il s'agit d'un procédé
faisant intervenir des organismes vivants. Le Patent Office a toujours
eu pour principe de rejeter les revendications portant sur le traitement
des formes de vie supérieures, principe appliqué surtout de façon empirique
et né à une époque où la classification des diverses formes de vie
n'était pas aussi précise qu'elle peut l'être aujourd'hui. La découverte
de nouvelles techniques, comme l'identification des constituants actifs
des matières utilisées dans les procédés de fabrication (par exemple, la
levure) et l'utilisation accrue de bactéries dans la fabrication de
produits commerciaux (par exemple, l'acétone), a permis de constater
que cette règle n'est pas applicable à tous les organismes vivants, à
moins que l'on ne se soustraie en partie aux exigences de la loi
relatives au "mode de fabrication". Par conséquent, les juges ont
vraisemblablement chercé à trouver le moyen d'établir une ligne de
démarcation précise entre les formes de vie inférieures et les
formes de vie supérieures afin de faciliter l'application de cette
"règle".
Le Patent Appeal Tribunal estime qu'il n'y a aucun avantage à adopter
d'autres critères que ceux qui ont été systématiquement mis de l'avant
par la loi et les dispositions qui l'ont précédée. Nous ne croyons pas
non plus qu'une telle mesure serait utile dans le cas présent. Car
si l'on admet que la mutation du streptococcus lactis demeure partie
intégrante de la revendication qui est par ailleurs rédigée correctement,
cela ouvre la voie à l'admissibilité de revendications portant sur des
micro-organismes semblables.
C'est ainsi que M. D.M. Gaythwaite a été amené à déclarer dans son exposé
intitulé Patents for Microbiological Inventions in the United Kingdom paru
dans le document Industrial Property Law 1977, p. 466:
(TRADUCTION) Le Patent Office s'est toujours opposé à inclure dans le
terme "fabrication" la fabrication de matières vivantes ou la mise au
point de procédés impliquant le traitement d'organismes vivants
(G.G.C.'s Application, 60 R.P.C. 1).
En 1973 survient l'affaire American Cyanamide v Berk Pharmaceutical (Fleet
Street Reports, 487) à propos de laquelle la High Court juge q'un procédé
destiné à fabriquer un antibiotique au moyen de certains micro-organismes
est brevetable. A l'heure actuelle, le Patent Office du Royaume-Uni accepte
des revendications portant sur des souches et des mutants microbactériens et
même sur des spécimens isolés de couches naturelles (Gaythwaite, plus haut, p. 467).
Conformément à la tradition, le United States Patent Practise (Bureau des brevets
des Etats-Unis) s'est lui aussi prononcé contre l'octroi de brevets portant sur de
nouvelles formes de vie. Il suffit de lire, par example, les observation de M.
H.C. Wengers reproduites dans Product Protection for Novel Microorganisms, I.I.C.
(International Review of Industrial Property & Copyright), vol. 3, 1974, à la page
285:
... en raison de la conception populaire touchant les "produits de la
nature", laquelle résulte en grande partie des remarques superfétatoires
présentées par M. le Juge Douglas au sujet de l'affaire Funk Brothers Seed
Co. v. Kalo Inoculant Co., des revendications de cette nature (micro-organ-
ismes) n'ont pratiquement jamais été présentées;
Nous citons également les commentaires de W. Behringer publiés dans Microorganism
Patents, J. Chartered Institute of Patent Agents, Londres, vol. 10, nÀ 2, novembre
1980 (également publiés dans 63 JPOS, mars 1981, à la page 128):
(TRADUCTION) La High Court s'est penchée pour la première fois sur la
question de savoir si les organismes vivants pouvaient ou non faire
l'objet de revendications dans des brevets d'utilité (c'est-à-dire des
brevets d'invention) à l'occasion de l'affaire Chakrabarty présentée
aux Etats-Unis, et la décision rendue à l'issue de cette affaire a infirmé
la conception populaire selon laquelle cela n'était pas possible en vertu
des lors régissant les brevets (p. 48 de l'original) (nous soulignons).
Citons aussi un extrait de la page: 49 de l'original:
(TRADUCTION) L'opinion ferme du Patent Office selon laquelle les bactéries
ne peuvent pas faire l'objet d'un brevet reposait en grande partie sur
l'histoire et les traditions dans le domaine de l'octroi de brevets aux
Etats-Unis (nous soulignons).
En fait, la demande Chakrabarty a été refusée par le Patent Office, et la U.S.
Court of Customs and Patent Appeals et la Supereme Court se sont renvoyé la balle
pendant huit ans avant que cette dernière ne tranche enfin la question. Et même
à ce palier, la décision, loin d'avoir fait l'unanimité (5-4), a été très contro-
versée et, de l'avis de la minorité, cette décision majoritaire:
(TRADUCTION) ...élargit les dispositions relatives à l'octroi des brevets
en rendant brevetables des matières vivantes alors que, dans l'esprit
du Congress, l'article 101 de la Patent Act (ne s'applique pas aux
organismes vivants). Il appartient au Congress, et non à la Supreme Court,
d'élargir ou de restreindre le champ d'application des lois relatives aux
brevets. Cela est particulièrement vrai dans des cas où, comme dans le cas
présent, l'objet de la demande de brevet ne concerne que des questions
d'intérêt public.
An Canada, les procédés utilisant des micro-organismes sont jugés brevetables
depuis de nombreuses années, aussi bien par le Bureau des brevets que par les tri-
bunaux. On peut citer, à titre d'exemples, l'affaire American Cyanamid v Frosst,
~x. C.R. 1965, 47 CPR 215, et l'affaire Laboratoire Pentagone v Parke-Davis 1968,
S.C.R. 307 55 CPR 111. Dans l'affaire J.R. Short Milling v George Weston 1940
~x. C.R. 69 et 1942 S.C.R. 187, certains produits à base d'enzymes, qui sont à la
limite de ce qu'on peut considérer comme des organismes vivants, ont été jugée
brevetables, sans toufefois que l'on songe à mettre en doute ou à remettre en
question la brevetabilité de cette matière. Le tribunal a limité son examen à
d'autres questions, comme l'évidence, les antériorités et les dispositions de
l'article 41 de la Loi sur les brevets. Toutefois, les tribunaux canadiens ne se
sont pas encore penchés directement sur cotte question. Le demandeur a relevé
certains brevets canadiens portant sur une matière vivante ou sur une matière
à la limite de ce qui est considéré comme une matière vivante, par exemple des virus,
des enzymes et des vaccins atténués. Mais le Bureau des brevets a depuis toujours
~ugé que ces matières n'étaient pas brevetables (voir le Recueil des pratiques
du Bureau des brevets, article 12.03-01 (a)) . Cette opinion était fondée sur
des précédents créés au Royaume-Uni à la suite des décisions rendues dans les
affaires suivantes: Rau (1935) 52 RPC 362, R.H.F.'s Application (1944) 61 R.f.C.,
Leonard's Application 71 R.P.C. 190, H.V. Philipps' Gloclampenfabricken (1954) 71
RPC 192, Goldhaft 1957 RfC 276, Canterbury College, 1958 RPC 85, American Chemical
Paint, (1958) RPC 47 et GEC's Application 1961 R.P.C. 21.
Toutefois, la décision rendue dans l'affaire Chakrabarty remet en question le
bien-fondé de cette opinion. Quatre des juges en chef ont conclu que les nouveaux
micro-organismes ne sont pas brevetables, tandis que les cinq autres, soit la ma-
jorité, ont jugé que les termes "fabrication" et "composition de matières" pouvaient
englober la création de micro-organismes nouveaux et que l'invention revendiquée
par Chakrabarty était brevetable parce qu'il s'agissait de la fabrication ou de la
composition d'une matière non naturelle, c'est-à-dire "un produit résultant de l'in-
générosité de l'homme et ayant un nom, un caractère et une utilité qui lui sont
propres".
Nous avons également sous les yeux une décision qui a créé un précédent en Australie,
in re Ranks Hovis McDougall Ltd., publiée dans l'Australian Official Journal of
Patents, Trade Marks and Designs, 21 oct. 1976. La page 3918 de ce document se
lit comme suit:
(TRADUCTION) En examinant l'invention décrite dans la revendication nÀ 2,
certaines questions surgissent à l'esprit: Qu'a fait l'inventeur? En quoi
consiste son apport? S'il n'a fait que découvrir un micro-organisme existant
à l'état naturel, dont il a modifié les conditions de croissance et en con
séquence, les caractéristiques morphologiques, on ne peut prétendre que sa
réalisation est utile. Cependant, nous pensons avoir affaire à un cas tout
à fait différent, lorsque la production d'une nouvelle variété découlant d'un
procédé microbiologique mis au point par l'homme et permettant de créer un
micro-organisme nouveau, présente des propriétés utiles améliorées ou non-
velles. A notre avis, le refus de breveter une pareille invention irait à
l'encontre des opinions exprimées clairement dans la décision rendue concern-
ant l'affaire National Research Development Corporation v. Commissioner of
Patents. Si l'on rejette une revendication portant sur un micro-organisme
en alléguant qu'il s'agit d'une matière vivante qui ne résulte pas d'un
procédé de fabrication, on donne, à notre avis, une interprétation trop
étroite au terme "fabrication" figurant dans l'article 6 du Statute of
Monopolies.
Depuis que cette décision a été rendue, le bureau australien a concédé d'autres
brevets portant sur des micro-organismes nouvellement créés (lesquels se distinguent
des isolats nouveaux provenant de souches qui existaient déjà dans la nature).
Deux décisions rendues par la cour suprême fédérale allemande vont également dignes
de mention. Dans l'affaire ex parte schreiner, c'est-à-dire l'affaire "Rote l'auber"
ou "Red Dove", 27 mars, 1969 (voir les commentaires consignés dans la publication
110, vol. 1, 1er nov. 1970), on a jugé que les procédés biologiques, y compris la
reproduction d'animaux, étaient brevetables s'il était possible de les répéter.
Dans une décision subséquente rendue à l'occasion du jugement de l'affaire Koninklyke
Nederlandsche Gesten Spiritusfabrick N.V., 11 mars 1975 (voir le rapport paru dans
IIC, vol. 6, nÀ 2, p. 208 et suiv.), c'est-à-dire l'affaire "Baker's Yeast", on a
jugé que les micro-organismes pouvaient être brevetés si l'inventeur parvenait à
démontrer qu'il était possible de répéter le procédé. Le tribunal a même précisé
que le micro-organisme devait pouvoir être reproduit par lui-même ne serait donc
pas brevetable (voir Patenting Natures Secrets - Microorganisms, Harold C. Wegner,
IIC vol. 7, 1976, nÀ 2, p. 255, 244) au même titre que s'il se reproduisant, par
exemple, à partir d'un échantillon déposé dans une souchothèque. Assez curieusement,
le tribunal a accepté une revendication portant sur un micro-organisme sous forme
comprimée, la première étape du procédé étant la culture du mutant, parce que le
mémoire descriptif expliquait le procédé utilisé pour comprimer le micro-organisme.
Enfin, il convient également de noter que d'autres bureaux des brevets influents,
comme celui du Japon par exemple, concèdent maintenant des brevets pour la pro-
duction de micro-organismes.
De toute évidence, la réponse à la question à l'étude, autrefois si claire et si
nette, semble maintenant confuse et incertaine. Ainsi, sans que les lois n'aient
été modifiées, divers organes judiciaires un peu partout dans le monde, ont gradu-
ellement modifié leur interprétation des dispositions législatives en matière de
brevets afin de l'adapter aux nouvelles techniques et réalisations et aux notions
actuelles associées à l'activité industrielle. Les tribunaux canadiens n'ont pas
échappé à cette nouvelle tendance (voir American Cyanamid, plus haut, et Labora-
toire Pentagone v Parke-Davis 1968 S.C.R. 307, 55 C.P.R. 111). On peut toujours
contester la pertinence de cette attitude puisqu'elle n'a pas été précédée des
modifications législatives nécessaires, main si l'on en juge par l'incertitude
suscitée dans divers milieux, on ne peut plus affirmer qu'une demande de brevet
portant sur un micro-organisme ou une autre forme de vie serait refusée par les
tribunaux canadiens eux-mêmes. Puisque, en vertu de l'article 42 de la Loi sur
les brevets, on ne peut rejeter une demande à moins d'être sûr que le demandeur
n'est pas fonde en droit à obtenir la concession d'un brevet, nous recommandons
que la décision de rejet à l'égard des revendications n os 4 et 5 soit révoquée.
Nous pensons qu'il est important de reconnaître l'incidence véritable qu'aura
notre recommandation si elle est acceptée. Nous croyons également qu'il faudrait
établir des lignes de conduite précises tant dans l'intérêt des demandeurs que
dans l'intérêt des examinateurs. Cette décision va sans aucun doute s'étendre
à tous les micro-organismes, champignons, virus ou protozoaires, à toutes les
levures, moisissures, bactéries, actinomycètes, algues unicellulaires, lignées
cellulaires et, en fait, à toutes les nouvelles formes de vie qui seront produites
en grande quantité, comme dans le cas de la production de composés chimiques, et
on si grand nombre que toute quantité mesurable possédera des propriétés et des
caractéristiques uniformes. C'est là par exemple le critère courant qu'utilise
le bureau des brevets du Japon (voir Japan Patents & Trademarks, n o 27, le rapport
Suzuye, nov. 1980):
(TRADUCTION) Selon les normes en vigueur, les micro-organismes tels que
la levure, les moisissures, les bactéries, les actinomycètes, les algues
unicellulaires, les virus ou les protozoaires, peuvent faire l'objet d'un
brevet.
Nous ne voyons aucune raison valable d'établir des distinctions entre ces formes
de vie pour ce qui est de leur caractère brevetable. Quant à savoir si ce critère
peut être appliqué aux formes de vie supérieures comme les plantes (au sens courant)
ou les animaux, c'est fort discutable. La Court of Customs and Patent Appeals
et la Supreme Court des Etats-Unis ont sûrement voulu éviter que leur décision
n'entraîne pareil résultat. Ainsi, lors de la décision initiale rendue dans
l'affaire Bergy et al, U.S.C. CPA, 6 octobre 1977, le juge Kashwa, qui s'est rallié
à l'opinion des autres juges, a déclaré:
(TRADUCTION) J'abonde dans le sens du Juge Rich à l'avis duquel s'est
rallié le Jege en chef Markey. Toutefois, j'aimerais souligner, pour
être sûr de me faire bien comprendre, que l'opinion de la majorité con-
stitue, à mon avis, un jugement extrêmement limitatif. Bien que le PTO
et la minorité craignent que cette décision n'ouvre la voie à l'octroi
de brevets pour des formes de vie supérieures, il est clair duc l'opinion
de la majorité ne favorise nullement cette éventualité. Chaque cas doit
faire l'objet d'une étude distincte. Pour ce qui est du présent cas, je
me rallie à l'opinion de la majorité et accepte les limites qu'elle suppose.
L'avis de la majorité s'exprimait ainsi (p. 18 de l'original):
(TRADUCTION)... De par leur nature et leurs usages commerciaux divers,
les cultures pures de micro-organismes s'apparentent davantage aux composés
chimiques inanimés, tels les réactifs et les catalyseurs, qu'aux chevaux et
aux abeilles ou qu'aux framboises et aux roses...
...on s'en sert maintenant pour produire une vaste gamme de produits chimiques
et pharmaceutiques tels que des alcools, des cétones, des acides gras, des
acides aminés, des vitamines... et des enzymes... Bref, les micro-organismes
sont devenus des outils importants dans l'industrie des produits chimiques...
et lorqu'un procédé industriel nouveau, utile, concret et non évident est
invente, arrivant les critères essentiels à la délivrance d'un brevet...,
il n'y a aucune raison de priver ce produit, son auteur ou son propriétaire
de la protection et des privilèges qui découlent de l'octroi d'un brevet...
La Commission craint que notre décision n'entraîne nécessairement ou logique-
ment la brevetabilité de toute variété nouvelle, utile et non évidente de
plantes, d'animaux et d'insectes créee par l'homme, mais nous estimons que
cette crainte n'est pas réellement fondée.
Quant à nous, nous ne sommes pas convaincus que cette idée soit à ce point dénuée
de fondement ou de logique. Si un inventeur crée une variété d'insecte nouvelle
et non évidente qui n'existait pas auparavant (et qui partant n'est pas un produit
de la nature) et s'il peut recréer ce produit de façon uniforme et à volonté et
si ce produit a une fin utile (par exemple, s'il sert à détruire la tordeuse des
bourgeons de l'épinette), on pourra le considérer, au même titre qu'un micro-
organisme, comme un nouvel outil au service de l'homme. Dans le cas des formes
de vie supérieures, il est bien entendu peu probable qu'un inventeur puisse re-
créer son produit de façon uniforme et à volonté, car les formes de vie plus com-
plexes tendent à varier davantage d'un individu à l'autre. Mais
si jamais il était possible d'en arriver à ce résultat, tout en respectant les
autres exigences relatives à la brevetabilité, nous ne voyons aucune raison de
traiter pareille réalisation différemment.
Parmi les autres exigences figurent celles qui sont stipulées dans l'article 36
de la Loi sur les brevets selon lequel le demandeur doit décrire son invention de
façon complète
...afin de permettre à toute personne versée dans l'art ou la science dont
relève l'invention , ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus,
de confectionner, construire, composer ou utiliser l'objet de l'invention...
Le principe premier du droit des brevets a été souligné à maintes reprises dans
les précédents que nous avons cités. Ce principe a été cité par la Cour Suprême
du Canada dans l'affaire Western Electric v Baldwin (1934) S.C.R. 570 ~pp. 571- 573
et l'a été à nouveau récemment (19 janvier 1982) par la Cour d'appel fédérale dans
l'affaire Beecham & Calgon v Proctor & Gamble (p. 9 de l'original):
(TRADUCTION)... le titulaire de brevet doit, en particulier, décrire son
invention et en déterminer la nature. Il doit s'attacher tout particu-
lièrement à décrire et à définir la méthode à utiliser pour réaliser son
invention afin que, après expiration de ses privilèges, le public puisse
fabriquer le produit inventé par le titulaire du brevet (22 Hals. 161,
Cert. 338)
Selon l'article 36, la demande doit décrire les diverses phases permettant de
réaliser l'invention soit, dans le cas présent, le nouveau micro-organisme. Mais
la création d'un micro-organisme par la culture d'un mutant ou par un autre procédé
entraîne des difficultés considérables, et il n'est nullement certain que l'inven-
teur en d'autres personnes qui suivraient ses directives, réussiraient à le pro-
duire à nouveau au moyen de la méthode utilisée initialement. Toutefois, comme
il s'agit d'un organisme vivant, un micro-organisme peut se reproduire lui-même
dans une culture appropriée, de telle sorte que l'inventeur peut disposer d'un
approvisionnement indéfiniment. Si l'inventeur dépose des échantillons de l'or-
ganisme dans une souchothèque à laquelle d'autres personnes ont accès, celles-ci
pourront à leur tour reproduire l'organisme, et donc avoir accès à l'invention,
et l'utiliser dès l'expiration du brevet. On peut donc se demander si le dépôt
de l'invention dans la souchothèque suffit à satisfaire aux exigences de l'article
36.
Nous ne voyons pas pourquoi tel ne serait pas le cas. Cela permettrait certaine-
ment à d'autres personnes de reproduire l'invention, à savoir le micro-organisme.
Cela permettrait aussi au public "de fabriquer le produit inventé par le titulaire
du brevet" comme l'exige l'article 36, c'est-à-dire de fabriquer le micro-organisme,
et dans la plupart des cas, de la façon la plus facile, la plus certaine, la plus
efficace et la meilleure possible. Ainsi les exigences de la Loi seraient, selon
nous, respectées.
C'en en fait la solution qu'a acceptée la House of Lords dans l'affaire American
Cyanamid Company (Dannis) Patent, 1971 RPC 42, lorsqu'elle a reconnu que le dépôt
d'un micro-organisme dans une souchothèque nationale pouvait constituer une des-
cription appropriée du procédé de fabrication de l'invention en cause étant donné
que le profane pourrait mettre l'invention en pratique.
Comme le dépôt d'un micro-organisme dans une souchothèque constitue une divulgation
suffisante de l'invention dans les cas où un demandeur revendique un procédé
faisant appel à cet organisme, il semblerait curieux de rejeter une revendication
portant sur l'organisme lui-même.
Dans les deux cas, l'organisme, lui, est accessible au moyen de la souchothèque.
Le principal point qui devrait retenir notre attention, c'est que l'invention soit
rendue accessible.
Bien sûr, l'inventeur doit décrire le procédé de fabrication qu'il a utilisé à
l'origine et le faire clairement, de sorte que si le procédé peut être répété,
d'autres puissent le mettre en oeuvre. Mais si l'organisme ne peut par la suite
se reproduire que par lui-même, nous ne voyons pas pourquoi il faudrait priver
l'inventeur de la protection que confère un brevet s'il rend son produit acces-
sible aux autres en le déposant dans une souchothèque. Dans les cas où cela
est possible, nous croyons que l'inventeur devrait utiliser les deux méthodes
de divulgation pour éviter que son invention ne soit jamais reconnue.
L'organisme vivant qui fait l'objet de la revendication ne doit évidemment pas
déjà exister à l'état naturel, autrement il n'y aurait pas véritablement invention.
Il doit également être utile, c'cest-à-dire qu'il doit pouvoir servir à une fin
connue comme, par exemple, l'extraction de pétrole des sables bitumineux, la pro-
duction d'antibiotiques, etc. Il ne peut s'agir d'un simple objet d'observation
en laboratoire dont la seule utilité possible serait de servir de point de départ
à des recherches plus poussées. Enfin, l'organisme vivant doit posséder des
carartéristiques qui le distinguent d'autres variétés de sorte que l'on puisse
reconnaître qu'il est le fruit de l'ingéniosité de l'inventeur, critère auquel
doit répondre une invention. Dans le cas présent, nous estimons que le produit
revendiqué satisfait à ces exigences et que l'objection formulée devrait être
retirée.
Le Président,
C.A. Asher
Commission d'appel des brevets, Canada
J'ai étudié le dossier de la présente demande ainsi que les recommandations de
la Commission d'appel des brevets auxquelles je souscris. La décision de rejet
est annulée et la demande est renvoyée à l'examinateur.
Le Commissaire des brevets, Agent du demandeur
Gowling & Henderson
C.P. 466
J.H.A. Gariépy Succursale A
Ottawa (Ont.)
Datée à Hull (Qué.)
ce 18e jour de mars 1982