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    DÉCISION DU COMMISSAIRE

Juxtaposition, évidence:      système de déclenchement d'une fusée à l'aide

                  d'une goupille de cisaillement

 

On a jugé que la goupille de cisaillement et la cheville décrites dans les

revendications rejetées représentaient bien une combinaison, mais que cette

dernière était mal définie. Après l'audience, le demandeur a présenté des

revendications modifiées qui ont fait renverser la décision de rejet pour

cause de juxtaposition et en raison de l'existence d'antériorités. Décision

de rejet modifié.

 

     *************

 

La présente décision porte sur une demande de révision par le Commissaire des

brevets de la décision finale de l'examinateur au sujet de la demande

nÀ 286,272 (classe 74-294) intitulée SYSTEME DE DÉCLENCHEMENT D'UNE FUSÉE A L'AIDE

D'UNE GOUPILLE DE CISAILLEMENT. L'invention est revendiquée par MM. Donald L. Smith

et Micheal N. Clark. L'examinateur responsable de la demande a rendu une

décision finale le 28 novembre 1980, dans laquelle il refuse au demandeur le

droit de poursuivre les démarches en vue de l'obtention d'un brevet. La

Commission a tenu une audience le 7 octobre 1981 et le demandeur était alors

représenté par M. M. Thrift, agent de brevets.

 

La demande porte sur un dispositif de retenue et de déclenchement d'une fusée

dont les deux pièces sont assemblées par une goupille de cisaillement et une

cheville. Le corps creux de la goupille de cisaillement munie d'une tête est

introduit dans les trous superposés percés dans chacune des deux pièces, puis

il est élargi de façon à s'ajuster à la deuxième pièce. La cheville est ensuite

insérée dans le corps creux de la goupille de manière à ce que sa partie

supérieure (50) se trouve à peu près au niveau du plan de cisaillement (42)

entre les deux pièces pour servir d'enclume. La figure 3 ci-dessous illustre

l'objet de l'invention.

 

     <IMG>

 

Dans sa décision finale, l'examinateur a rejeté les revendications 1 à 10

inclusivement, d'abord parce qu'elles visaient une justaposition d'éléments qui

n'ont rien de nouveau et qui sont bien connus des gens du métier et ensuite

parce qu'elles ne présentaient pas une amélioration brevetable par rapport

aux brevets canadiens suivants:

 

            949,785     15 juin 1974       Brown

            433,738     19 mars 1946       Cherry

            410,803      2 mars 1943       Waite

      386,569     30 janvier 1940    Bettington

            287,163     12 février 1929    Iseman

 

L'examinateur a aussi indiqué que l'objet des autres revendications, soit les

revendications 11 à 16, semblait acceptable, exception faite d'une réclamation

jugée inutile dans la revendication 11.

 

Le brevet délivré à Bettington portait sur un rivet, tandis que les autres

brevets décrivaient diverses combinaisons de rivets et de manchons formant des

organes d'assemblage à tête.

 

Dans sa décision finale, l'examinateur déclare notamment:

 

* * *

 

(TRADUCTION) Le demandeur prétend que l'invention porte sur une

goupille de cisaillement retenant deux pièces et une cheville

insérée dans ladite goupille pour servir d'enclume au plan de

cisaillement fourni par les faces adjacentes des deux pièces.

 

Nous reconnaissons que l'objet de la présente demande est

brevetable. Toutefois, les revendications 1 à 10 inclusivement,

telles qu'elles sont présentées, ne définissent pas suffisamment

les limites de l'invention.

 

La revendication 1, telle qu'elle est présentée, est rejetée

pour cause de juxtaposition. Le demandeur n'a parlé que d'une

goupille de cisaillement servant à rassembler deux pièces

et d'une cheville à insérer dans ladite goupille au moment

de son utilisation. Or, il ne s'agit pas là d'une combinaison,

contrairement à ce que prétend le demandeur dans son

préambule.

 

Une combinaison est un ensemble d'éléments qui donne un

résultat global qui n'équivaut pas à la somme des caractéristiques

connues de ses parties. La goupille n'a rien de nouveau et

est bien connue des gens de métier. Quant à la cheville, elle

existe depuis longtemps, ses caractéristiques sont bien connues

et elle a de multiples usages. Ces deux éléments ne sont pas

présentés comme un ensemble de parties agencées de telle façon

que l'une agit sur l'autre. Comme l'une des parties ne peut

agir sur l'autre qu'au moment des son installation, la

revendication peut elle aussi être considérée comme conditionnelle

ou hypothétique et donc, mal définie.

 

La revendication 1 est aussi rejetée parce qu'elle ne décrit pas un

dispositif qui permet d'obtenir l'effet désiré par l'inventeur. Si la

cheville était trop courte et placée au fond du corps creux de la goupille,

le demandeur n'aurait pas l'effet d 'enclume désiré.

 

De plus, la portée de la revendication 1 est trop vaste, comparativement à

celle des brevets de Cherry, Waite, Brown et Iseman. Le brevet de Bettington,

dont on a parlé plus haut, décrit l'état antérieur de la technique revendiquée

par le demandeur. A l'exception du brevet de Bettington, toutes ces antériorités

portent sur une goupille de cisaillement et une cheville.

 

. . . . .

 

Les revendications 11 à 16 semblent acceptables, sauf pour ce qui est de la

cheville présentée une nouvelle fois à la ligne 3 de la revendication 11.

 

Dans ses commentaires, le demandeur a fait remarquer que les antériorités

citées ne portaient pas sur une combinaison d'éléments, telle que celle qu'il

présente. Or, ces antériorités décrivent bien l'objet de l'invention tel

qu'il est exposé dans les revendications 1 à 10. Le fait d'adapter des éléments

pour une utilisation précise, ou de les utiliser à une fin particulière ne

limite pas leur utilisation à ce seul usage.

 

....

 

Le demandeur a exprimé son désaccord avec la décision de l'examinateur et a soutenu

(entre autres) que:

 

.....

 

L'invention revendiquée résoud les problèmes que pose une goupille de

cisaillement à tige creuse en fournissant une cheville à insérer dans le

corps creux de la goupille, une fois qu'il a été élargi par le mandrin.

Après avoir placé la goupille, on y enfonce la cheville juste au-dessous du

plan de cisaillement entre les deux pièces rassemblées. Ainsi placée, la

cheville empêche la partie entourant le corps creux de la goupille de se

déformer et elle sert d'enclume, permettant un cisaillement net de la goupille,

plutôt que sa déformation sous la pression exercée. Comme l'indique l'avant-

déformer paragraphe de la page 1 (original anglais) de la décision officielle

rendue le 28 novembre 1980, l'examinateur est d'accord avec le demandeur

pour affirmer qu'il s'agit d'une invention.

 

.....

 

Le demandeur fait très humblement remarquer que les revendications rejetées

définissent précisément ce qui peut être considéré comme un agencement ou

un "ensemble" de pièces étroitement reliées. Ces pièces peuvent ou non être

réunies par la suite pour former une goupille de cisaillement complète, mais

l'invention revendiquée ne porte pas sur ce qui peut ou non arriver ulté-

rieurement. L'invention définit bien les limites structurales de chacune

des deux pièces, c'est-à-dire qu'elle donne les dimensions relatives de ces

pièces, ainsi que la façon dont elles doivent être reliées, le cas échéant,

au moment de l'assemblage final. Cela ne veut pas dire cependant que la

définition contenue dans la revendication est conditionnelle ou hypothétique.

Par exemple, la revendication 1 mentionne une cheville d'une longueur telle

que "la cheville puisse remplir complètement le corps creux de la goupille à

partir de la tête et pénétrer dans le trou de la pièce la plus éloignée de la

tête lorsque lesdites pièces sont assemblées". Cette explication, loin d'être

une simple indication de la façon de procéder par la suite, donne une limite

structurale à la cheville.

 

.....

 

Pour ce qui est de l'objection fondées sur les antériorités, le demandeur

croit qu'aucune des antériorités citées ne porte sur l'invention faisant

l'object de la présente demande. Aucune d'entre elles ne mentionne ou ne

suggère même la combinaison goupille-cheville revendiquée par le demandeur.

Toutes portent sur des rivets, dont la seule fonction est d'immobiliser

deux pièces ou plus. La présente demande, quant à elle, porte sur une

goupille de cisaillement destinée à retenir deux pièces soumises à une charge

déterminée et à les libérer lorsque la charge est dépassée. Dans aucun des

brevets cités, on ne fait mention de la combinaison revendiquée par le

demandeur, c'est-à-dire du lien étroit qui existe entre la goupille et la

cheville.

.....

 

En cherchant dans les lois sur lesquelles l'examinateur a fondé son

objection, le demandeur a relevé une décision intéressante. Il s'agit

d'une décision de la United States Court of Customs and Patent Appeals

concenant l'affaire Venezia 189 USPQ 149. De l'avis du demandeur,

l'affaire portée devant ce tribunal étant comparable à celle dont est

saisie la Commission d'appel dans le présent cas. Les aspects pertinents

de la United States Patent Law ressemblent beaucoup à la loi canadienne

concernant les brevets d'invention et les arguments invoqués par le

tribunal américain pour appuyer les revendications de cette affaire

semblent également pouvoir s'appliquer à la présente demande. A titre

documentaire, une copie de la décision concernant l'affaire Venezia

est annexée au présent document. La situation semble être la même en

Grande-Bretagne, bien qu'on n'ait pu retrouver aucun précédent pouvant

s'appliquer ici, probablement parce qu'aucune objection analogue n'a

été soulevée.

 

.....

 

Il s'agit maintenant pour la Commission de déterminer si les revendications 1 à

10 inclusivement portent sur une combinaison appropriée d'éléments et, dans

l'affirmative, si la combinaison revendiquée par le demandeur est une nouveauté

brevetable par rapport aux antériorités citées.

 

Nous avons examiné la demande en tenant compte des arguments sur la combinaison

d'éléments que le demandeur croit avoir définie dans les revendications 1 à 10 et

du rejet de ces revendications par l'examinateur qui juge qu'il s'agit d'une

juxtaposition d'éléments. Nous croyons que les revendications indépendantes 1, 5

et 8, qui visent une combinaison ou un ensemble, renferment les mêmes éléments

stuc ceux décrits dans les revendications 11 à 16 que l'examinateur a jugées

acceptables. Ces dernières revendications définissent l'objet mentionné dans

l'exposé de l'invention (page 6 de l'original anglais) qui définit clairement le

lien précis entre la partie supérieure de la cheville insérée et le plan de ci-

caillement formé par les deux pièces assemblées.

 

Selon nous, même si la revendication 1 parle d'une combinaison et les revendications

5 et 8, d'un ensemble, aucune ne définit l'objet acceptable dont il est question

à la revendication 11 qui, avons-nous remarqué, vise aussi un ensemble puisqu'elle

découle de la revendication 8. A cause de la similarité entre les structures de

toutes ces revendications, nous en concluons que si les revendications étaient

présentées de façon à faire ressortir le lien étroit entre les éléments une fois

agencés, le caractère inventif de l'invention serait considéré comme un progrès

par rapport aux antériorités citées.

 

Quant à savoir si les revendications 1, 5 et 8 définissent bien une combinaison

d'élément nous croyons qu'il y a un lien précis entre les deux pièces, bien qu'il

ne soit pas très clair, et qu'en raison de leur agencement, elles ne devraient pas

être considérées comme une juxtaposition de pièces, qu'elles soient réunies sous

forme d'assemblage ou d'ensemble de pièces reliées entre elles. Dans sa réponse, le

demandeur s'est référé à la décision rendue par la United States Court of Customs

and Patent Appeals dans l'affaire Venezia 189 USPQ 149 (1976), selon laquelle un

groupe de pièces reliées entre elles et présentées sous forme d'ensemble constitue

un article manufacturé au sens où l'entend la loi des Etats-Unis. Au Canada, selon

l'article 2 de la Loi sur les brevets, toute fabrication présentant le caractère de

la nouveauté et de l'utilité et qu'on peut commercialiser peut jouir de la protection

que confère l'octroi d'un brevet.

 

De la même manière, un procédé peut être brevetable à la condition d'être lié d'une

certaine façon à la production d'un article pouvant être mis sur le marché. Au

sujet de l'expression "article manufacturé", M.J. Cattanach déclare dans l'affaire

Lawson c. le Commissaire des brevets, 2 C.P.R., 101 à 111:

 

L'expression "article manufacturé" suppose la fabrication

d'un objet. Il est donc rare qu'un procédé de fabrication

n'aboutisse pas à la fabrication d'un produit vendable. Le

procédé doit apporter certains changements à la nature ou à

l'état de l'objet.

 

Nous sommes convaincus que les revendications rejetées devraient être considérées

dans la présente demande comme portant sur un article manufacturé montrant une

combinaison acceptable de pièces reliées entre elles, mais nous ne sommes pas sûrs

que ces revendications définissent avec assez de précision la combinaison ou

l'ensemble décrit dans l'exposé de l'invention.

 

Aussi, après l'audience, avons-nous communiqué avec M. Thrift qui avait déclaré à

l'audience que son client étudierait la possibilité de modifier ses revendications

et nous lui avons suggéré de modifier les revendications 1 à 10 inclusivement de

façon à ce qu'elles définissent clairement le lien étroit entre les deux pièces,

tel qu'il est expliqué dans l'exposé de la page 6 (original anglais).

 

Le 12 novembre 1981, M. Thrift a présenté une série de revendications modifiées

faisant clairement ressortir le lien entre la goupille de cisaillement et la cheville,

ainsi que le plan de cisaillement formé par les faces adjacentes des deux pièces.

Des changements mineurs ont aussi été apportés à l'exposé de l'invention afin d'uni-

formiser la terminologie. La revendication 1 modifiée reflète les modifications

apportées en vue de définir clairement les caractéristiques de l'invention revendiquée

par le demandeur et elle se lit comme suit:

 

(TRADUCTION) Une goupille de cisaillement servant à relier une

première pièce percée d'un trou et une deuxième pièce entrant en

contact avec la première et percée elle aussi d'un trou se trouvant

vis-à-vis de l'autre, qui subit un effet de cisaillement entre les

deux pièces (plan de cisaillement), ledit ensemble comprenant:

 

une goupille de cisaillement munie d'une tête et d'une tige consti-

tuée d'un corps creux s'étendant sur toute la longueur de la

goupille pour qu'une fois la tige insérée dans le premier puis

dans le deuxième trou, le mandrin puisse en élargir le corps de

manière à ce qu'il s'ajuste bien aux trous et

 

une cheville moins longue que la tige de la goupille et d'un diamètre

légèrement inférieur à celui du corps creux une fois qu'il a été

élargi par le mandrin, pour qu'au moment de son utilisation, la

cheville pénètre dans le corps creux de la goupille et bouche entiè-

rement le deuxième trou, une des extrémités de la cheville se

trouvant au niveau du plan de cisaillement.

 

Nous sommes convaincus que l'invention présentée dans les revendications modifiées

marque un progrès par rapport aux antériorités citées.

 

Nous recommandons l'acceptation des revendications modifiées.

 

Le président de la

Commission d'appel des brevets, Canada                Membres;

 

                                          S. Kot

                                          M. Brown

C. Asher

 

Je suis d'accord avec les conclusions et les recommandations de la Commission. Je

retourne la demande pour qu'on y donnes suite.

 

Le Commissaire des brevets par intérim

 

C.R. McLinton

Datée à Hull (Qué.)                       Agent du demandeur

ce 12e jour de février 1982

                                    Smart & Biggar

                                    C.P. 2999, Succursale D

                                    Ottawa (Ont.)

 

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