DECISION DU COMMISSAIRE
Composé et transporteur - Acides éthanesulfiniques
Les revendications des demandeurs concernant des composés mélangés avec des trans-
porteurs ont été refusées en vertu de l'article 36. Les revendications concernant
les composés eux-mêmes avaient déjà été supprimées.
Décision finale: Confirmée le 14 septembre 1979
******************************
La demande de brevet 144,471 (classe 260-464.4) a été déposée le 12 juin 1972 pour
une invention appelée acides éthanesulfiniques à substitution béta et esters
oxygénés et sulfurés utilisés comme régulateurs de croissance végétale. Les inven-
teurs sont Kurt H.G. Pilgram et autres, cédants à la compagnie Shell Oil. L'exa-
minateur responsable de l'étude des demandes a rendu une décision finale le 18 juin
1975 en refusant d'accorder le brevet. La Commission d'appel des brevets a étudié
les motifs du rejet lors d'une audience tenue le 9 mai 1979 où Mr. R. Wilkes repré-
sentait les demandeurs.
L'invention concerne certains composés chimiques, notamment des acides sulfiniques,
des esters de ces acides et leurs dérivés amides. La structure chimique exacte
de ces composés n'est pas l'objet du présent litige. Les composés sont utiles comme
régulateurs de croissance végétale servant à provoquer la maturation hâtive des
fruits, la germination des semences, etc.
Au moment du refus, certaines revendications concernaient de nouveaux composés
chimiques (revendications 12-19) et d'autres visaient les compositions comprenant
des composés chimiques et autres composés similaires mélangés à un catalyseur
(revendications 1-11), et une revendication concernait la méthode d'utilisation des
compositions. L'examinateur a refusé les revendications 1 à 11 en s'appuyant sur
la décision du tribunal dans l'affaire Gilbert contre Sandoz 64 C.P.R. 14 relatant
la décision de la Cour fédérale et 8 C.P.R. (2d) 210 (où sont relatées les délibéra-
tions de la Cour suprême du Canada). Le refus a été motivé par le fait que les
revendications de composés correspondaient à la protection intégrale à laquelle
le demandeur avait droit.
La décision concernant cette demande avait été reportée jusqu'au prononcé du
jugement d'appel dans l'affaire Agripat contre le Commissaire des brevets, rendu
par la Cour fédérale du Canada le 14 décembre 1977 et qui traitait d'une question
analogue.
Après le refus définitif, le demandeur a fait savoir qu'il désirait annuler les
revendications de composés (12-19) et a allégué que cette annulation lui ouvrait
le droit aux revendications de compositons 1-11 en arguant que s'il n'était pas en
droit de faire deux types de revendications distincts, il pouvait faire la
demande pour l'un ou l'autre séparément.
L'affaire en question est compliquée par le fait que les composés liés aux reven-
dications de compositions sont plus nombreux que ceux couverts par les revendica-
tions de composés. Lors de l'audience, M. Wilkes a précisé que la revendication
de compositions portait à la fois sur des composés anciens et nouveaux alors qu'il
semblerait que les composés liés aux revendications de composés soient entièrement
nouveaux. Cette affirmation semble appuyée, du moins indirectement, par la décla-
ration en bas de la page 10 de l'exposé de l'invention, lequel se lit comme suit:
Un grand nombre des composés actifs mentionnés ci-dessus,
surtout les composés ayant la formule 1 ci-dessus où A
est le groupe
R3
-N
R4
sont nouveaux dans le domaine. Par conséquent, l'invention
apporte de nouveaux composés définis par la formule ....
La revendication 1, reproduite ci-dessous sert à illustrer la nature et l'étendue
de la demande refusée. La dernière ligne de la revendication (le passage souligné)
constitue la principale différence entre les revendications de compositions et
les revendications de composés (de nature différente de celle du domaine de
l'application déjà mentionnée.) De nombreux composés énumérés dans la liste sont
nouveaux et le demandeur a déjà fait des revendications à leur égard en tant que
nouveaux composés non seulement dans la présente demande mais aussi dans sa demande
de brevet de priorité étrangère. Voir entre autres U.S. Patent 3830838, 20 août
1974, Cl. 260/551, Pilgram et autres, cédants à la compagnie Shell Oil; U.S.
2876678, 8 avril 1975, Cl. 260/456; et U.S. 3927062, 16 décembre 1975, Cl. 260/456.
Ainsi, il ne fait aucun doute que la matière refusée comprend de nombreux nouveaux
composés chimiques mélangés à un catalyseur.
Réclamation 1 - Un régulateur des croissance végétale comprenant un composé
de formule 0
X-CH2CH2-S-A I
où X représente le chlore, le brome, l'iode, l'hydroxy,
l'alcoxy ayant jusqu'à 3 atomes de carbone, l'aryloxy
ayant jusqu'à 10 atomes de carbone, le thioalkyle ayant
jusqu'à 3 atomes de carbone, l'aralcoxy ayant jusqu'à 10
atomes de carbone, l'aralcoxy ayant jusqu'à 10 atomes
de carbone, l'acyloxyde ayant jusqu'à 4 atomes de car-
bone, l'alklysulphonyloxy où le groupe alkyle contient
jusqu'à 3 atomes de carbone, l'arylsulphonyloxy, le
nitro, le monoalkylamino ou diaklylamino où chaque
groupe d'alkyle contient jusqu'à 6 atomes de carbone,
soit A'R' où A est l'oxygène et R' est 2-(diméthylcarbo-
nyle) -1-métyvinyle, 2-(méthylcarbonyle) -1-méthylvinyle
ou 2-(méthoxycarbonyle) -1-méthyvilyle; A représente le
groupe -Y-R où Y est l'oxygène ou le soufre à la condi-
tion que lorsque Y est l'oxygène, R soit un alkyl ayant
jusqu'à 20 atomes de carbone, yn aryle ayant jusqu'à 10
atomes de carbone, un aralkyle ayant jusqu'à 10 atomes de
carbone, un ayant jusqu'à 8 atomes de carbone, un alky-
nile ayant jusqu'à 4 atomes de carbone, 2-(diméthylcarbonyle)
-1-méthyvinyle, 2-(méthoxycarbonyle) -1-méthyvinyle ou ZR2
où Z est un alkylène ayant jusqu'à 3 atomes de carbone,
un alcoxy ayant jusqu'à 4 atomes de carbone, un aralcoxy
ayant jusqu'à 4 atomes de carbone, yn aralcoxy ayant
jusqu'à 10 atomes de carbone, un hydroxy, ou un r pstyi-
cule éthane-sulphinyloxy à substitution béta où l'élément
de substitution béta est identique à celui que représente
X dans la formule ci-dessus; et que lorsque Y est le
soufre, R soit un alkyle ayant jusqu'à 8 atomes de carbone
qui peuvent être substitués par du chlore, du brome ou un
aralkyle et, dans ce cas, le groupe alkyle contient
jusqu'à 4 atomes de carbone; et R peut représenter
l'hydrogène, si Y est l'oxygène et X est l'une des parti-
cules représentées par X ci-dessus à l'exception de A'R';
ou R3
A représente le groupe -N R4, ou R3 et R4 peuvent être
identiques ou différents et chacun représente de l'hydrogène,
un alkyle ayant jusqu'à 20 atomes de charbons ou un aralkyle
ayant jusqu'à 10 atomes de carbone; R3 et R4 peuvent tous
deux devenir R5Y', où R5 est un alkylène ayant jusqu'à 4
atomes de carbone et Y' un hydroxy ou un bétahaloéthanesul-
phinyloxy dans lequel l'élément de substitution halogénée
béta est du chlore, du brome ou de l'iode à cette condition
que lorsque Y' est un hydroxy, X représente n'importe quelle
particule décrite pour X ci-dessus, sauf A'R' et lorsque X'
est un bétaboloéthanesul blinyloxy, X est du chlore, du
brome ou de l'iode; si R3 est de l'hydrogène, R4 peut égale-
ment représenter un aryle ayant jusqu'à 10 atomes de carbone,
un alkényle ayant jusqu'à 8 atomes de carbone, un cycloalkyle
ayant jusqu'à 8 atome de carbone, R5Y2 ou R5 est tel que
décrit ci-dessus et Y2 est un thioalkyle ayant jusqu'à 3
atomes de carbone,un alkoxy ayant jusqu'à 4 atomes de
carbone; lorsque R3 est de l'hydrogène, R4 peut également
représenter un phényle substitué de la formule
<IMG> où Z' est un alkyle ayant jusqu'à 3 atomes
de carbone,
un thioalkyle ayant jusqu'à 3 atomes de carbone, un alkoxy
ayant jusqu'à 3 atomes de carbone, un alkyesulphonyle ayant
jusqu'à 3 atomes de carbone, du chlore, du brome, du nitro
ou du trifluorométhyle; et si R3 est de l'hydrogène, de
l'alkyle ou de l'aryle, R4 peut également représenter un
hydroxy ou un alkoxy ayant jusqu'à 4 atomes de carbone;
avec le catalyseur nécessaire.
Les "catalyseurs" sont définis au bas de la page 18 de l'exposé et sont ajoutés
aux composés par "procédés classiques" et comprennent "des modificateurs qui
sont connus dans le domaine de la chimie agricole et permettent d'obtenir des
compositions sous forme de poudres hydrophiles, poussières, granules, boulettes,
solutions, concentrés émulsifiables, émulsions et pâtes". Il appert donc qu'il
n'y a rien d'inhabituel ou d'ingénieux dans la façon d'utiliser les catalyseurs,
au niveau de leurs effets dans la composition ou dans la façon dont ils peuvent
être mélangés avec les produits chimiques actifs.
Dans son rapport du 29 octobre 1974, l'examinateur a présenté les faits suivants:
Les revendications sont refusées lorsque la matière
inventée revendiquée est associée à d'autres substances
et qu'il est évident qu'il n'y a aucune invention au
niveau de l'agrégation en découlant mis à part la
matière inventée elle-même. Le demandeur ne peut pas
revendiquer un composé chimique mélangé avec un transpor-
teur lorsque l'invention revendiquée est le composé lui-
même. (Gilbert contre Sandoz 64 C.P.R. 14; S.C. 18
octobre 1972). Par exemple, un demandeur qui invente un
nouveau composé chimique X, qu'il présente comme un
insecticide utile, peut revendiquer le produit X mais
ne peut pas revendiquer les mélanges de ce produit avec
des transporteurs d'insecticide usuels. Toutefois, s'il
avait réussi une nouvelle invention en mélangeant le
produit avec un transporteur spécial susceptible d'augmenter
l'efficacité du composé X, il pourrait revendiquer ce mélange
dans une demande divisionnaire à titre d'invention distincte.
Le demandeur réfute cet argument en alléguant due l'application de l'affaire
Gilbert contre Sandoz (supra) se limite aux produits alimentaires ou médicaux
visés à l'article 41(1) de la Loi sur les brevets; cependant, la décision dans
l'affaire Agripat contre le Commissaire des brevets (supra), où il était question
de compositions d'insecticides, a démontré que cette affirmation était mal
fondée.
Dans sa lettre du 4 octobre 1978, le demandeur a présenté les faits suivants:
Les demandeurs et leurs mandataires pensent que pour trancher
cette question deux points, de droit et de fait, sont d'impor-
tance décisive. Dans ses deux décisions, l'examinateur s'est
référé à la principale partie de l'affaire Gilbert contre
Sandoz. Cette décision, confirmée par la sorte par la Division
d'appel de la Cour fédérale dans l'affaire Agripat contre le
Commissaire précise que lorsqu'une revendication est faite à
l'égard de nouveaux composés, aucune valeur inventive ne
peut être accordée aux compositions comprenant ces composés.
De ce fait, aucune revendication ne peut être faite à l'égard
des compositions. Même si on attend de plus amples commentaires
de la Cour suprême pour trancher cet argument spécieux, il est
néanmoins évident que ni la Cour suprême dans les affaires
Farbwerke Hoechst contre le Commissaire et Gilbert contre Sandoz
ni la Division d'appel de la Cour fédérale dans l'affaire Agripat
contre le Commissaire n'ont étudié une affaire dans laquelle
des composés présumément nouveaux n'étaient PAS revendiqués (ni
même sous la forme requise à l'article 41(1), qui ne s'applique
pas à la présente demande). Ainsi, les tribunaux n'ont pas
étudié, (et ne peuvent le faire) pour aucune de ces affaires,
s'il était possible de revendiquer des compositions en l'absence
de revendications portant sur des composés présumés nouveaux
inclus dans ces compositions. Dans ce contexte, il est opportun
de se rappeler le vieux principe voulant que ce qui n'est pas
revendiqué fait l'objet d'une renonciation explicite. D'après
le demadeur, aucune de ces affaires ne précise que lorsque des
composés présumés nouveaux sont en cause, alors ces derniers
seuls peuvent être revendiqués. L'examinateur n'a d'ailleurs
pas exprimé cette opinion; sa seule objection est basée sur
le fait que lorsque des composés présumés nouveaux sont reven-
diqués, les compositions ne peuvent l'être également. L'exami-
nateur n'a pas précisé que si les revendications à l'égard de
composés présumés nouveaux étaient annulées, il demeurerait
impossible de revendiquer les compositions.
Si l'examinateur se propose de se rallier à cette opinion,
les demandeurs jugent qu'ils ont droit à une lettre officielle,
laquelle n'est pas une décision finale, précisant à la fois
cette objection et les raisons que l'examinateur a de soulever
cette nouvelle objection. De plus, il ne saurait être question
que les revendications de compositions soient une forme de
revendication en soi interdite; la Cour supérieure les a jugées
recevables par exemple dans l'affaire Burton-Parsons contre
Hewlett-Packard (17 C.P.R. 2d 97).
Sous réserve des limites prévues à l'article 2 de la Loi, le
demandeur a le droit manifeste de revendiquer celles de ses
inventions qu'il désire protéger; il n'est pas tenu de reven-
diquer la totalité de son invention et rien dans la Loi ne
permet au Commissaire (ou à l'examinateur) d'obliger le demandeur
à revendiquer une partie précise de son invention s'il ne le
désire pas. Le demandeur a le privilège exclusif de choisir les
parties de son invention qu'il va chercher à protéger. Ainsi la
Cour suprême dans l'affaire Baldwin contre Western Electric
(1934 S.C.R. 94 à la page 105) a déclaré que "C'est seulement
dans les cas où le demandeur désire revendiquer un brevet pour
un élément subordonné per se qu'il doit le revendiquer séparé-
ment s'il désire en conserver la propriété ou le privilège
exclusif". Manifestement une telle flexibilité au niveau des
revendications doit s"étendre à la réalisation de l'invention
du demandeur que celui-ci désire mettre en marché, et dans le
cas présent il s'agit de compositions. Cette protection des
inventions à valeur commerciale eu égard à leur commercialisa-
tion correspond précisément à l'utilité des brevets. Par
exemple, la Loi de laquelle découle la présente Loi (1e Statut
sur les monopoles, 21 Jac. I, c. 3, 1623) prévoit que les
brevets s'appliquent à "tout nouveau produit industriel".
Ainsi d'après la Loi, le demandeur a le droit incontestable de
revendiquer la réalisation commerciale de son invention.
Lors de l'audience, M. Wilkes a déclaré que la présente demande a été étudiée de
façon différente par rapport à certaines autres demandes et, tout particulièrement
à celles se rapportant aux deux brevets qu'il avait mentionnés. Toutefois ce qui
fut fait dans les autres demandes peut difficilement constituer un critère sur la
façon de traiter lesdites demandes aussi bien que la présente. Il se peut qu'on ait
commi des omissions lors de leur acceptation. Les rapports individuels de chaque
cas ne traitaient que de vices de forme et aucune irrégularité de droit matériel n'a
été soulevée à leur égard. Aucune d'elles n'est parvenue devant la Commission et le
Commissaire et nous n'avons pas eu l'occasion de les étudier avant la délivrance du
brevet. De plus, nous ne croyons pas qu'il soit judicieux de discuter leur validité
et c'est pourquoi nous ne les avons pas identifiées. Par ailleurs, les deux brevets
ont été accordés avant que la décision dans l'affaire Agripat ne soit rendue; de
plus dans un des brevets, tous les composés de la composition étaient bien connus
et sont décrits comme tels dans le premier paragraphe de l'exposé de l'invention.
Conséquemment, ces deux cas n'ont rien de commun avec la présente demande.
Dans l'un de ses arguments, M. Wilkes soutenait que les revendications de compositions
comme telles sont en soi brevetables (il citait l'affaire Burton-Parsons contre
Hewlett-Packard, 17 C.P.R. 2d 97 pour illustrer que les revendications de compositions
sont dans certains cas jugées recevables). Nous abondons dans ce sens avec la
réserve toutefois que pour chaque cas particulier, il peut y avoir des motifs valables
pour refuser des revendications de compositions ou pour les annuler, si elles sont
accordées. La question n'est pas de savoir s'il faut accepter les revendications de
compositions mais quand elles doivent l'être.
Il soutient également que l'interprétation de l'article 36(2) dans l'affaire Baldwin
contre Western Electric (1934 S.C.R. 94) accorde au demandeur le droit de choisir
ce qu'il désire revendiquer et souligne que le mot "demandeur" et non "examinateur"
est celui utilisé dans le texte de l'article. Encore une fois nous sommes d'accord
mais avec réserve. Le demandeur peut choisir parmi les revendications acceptables
celles qu'il désire soumettre. Toutefois, il ne peut présenter des revendication
inacceptables et l'examinateur est pleinement justifié lorsqu'il s'oppose à ces
revendications.
Le demandeur allègue que selon l'affaire Gilbert-Sandoz, il est possible de
revendiquer soit les composés soit les compositions mais non les deux. Nous devons
nous assurer du bien-fondé de cette allégation.
Si nous nous reportons à la décision de la Cour de l'Echiquier dans l'affaire (Gilbert-
contre Sandoz (supra, à la page 35), nous pouvons lire ce qui suit:
Par conséquent, je suis d'avis que la découverte de l'utilité
de la thioridazine et de son procédé chimique de fabrication
constitue une invention brevetable. D'autre part, je considère
que les compositions pharmaceutiques comprenant un dosage
thérapeutique acceptable de thioridazine associé à un transpor-
teur ne constituent pas une invention sauf dans la mesure où la
thioridazine elle-même est une invention.
En ce qui concerne l'opposition à l'effet qu'il n'y a aucune
invention, je considère premièrement eu égard à cette conclusion,
qu'aucune conséquence ne découle du fait qu'il n'y ait aucune
invention de la classe des phénothiazines puisque le brevet ne
fait état d'aucune revendication et d'aucune demande pour
obtenir un monopole dans l'une ou l'autre de ces classes; deu-
xièmement, aucune conséquence défavorable au titulaire du brevet
ne découle de la conclusion que la thioridazine était une inven-
tion brevetable puisque, sous ce rapport, l'objection n'a pas été
admise; et troisièmement, puisqu'aucune invention de compositions
pharmaceutiques n'a été faite qui soit distincte de l'invention
de la thioridazine elle-même revendiquée intégralement dans les
revendications 1 à 9, il n'y a pas lieu d'inclure les revendica-
tions 10 et 11 dans le brevet.
Je constate que ces deux dernières revendications ne peuvent être
considérées comme des revendications au titre d'une étape inventive
liée au fait de mélanger une substance avec un transporteur
puisqu'une telle étape ne comporte aucune invention. A ce sujet,
consulter l'affaire du Commissaire des brevets contre Farbwerke
Hoechst A.C., 41 C.P.R. 9, (1964) S.C.R. 49, 25 Fox Pat. C. 99.
Elles ne peuvent pas plus être considérées comme revendications
à l'égard de l'invention de la thioridazine parce que les revendi-
cations 1 à 9 représentent la protection intégrale à laquelle le
défendeur a droit pour cette invention et parce que dans le cadre
de toutes les revendications, elles réclament une plus grande pro-
tection que celle à laquelle le défendeur a droit en vertu de
l'article 46 de la Loi sur les brevets eu égard à l'invention de
la thioridazine et un monopole, indépendamment des autres revendi-
cations, au titre des compositions contenant de la thioridazine et
par conséquent, visent à restreindre l'utilisation de la thiori-
dazine de façon particulière même pour ceux qui pourraient en
posséder légalement en vertu d'une licence obligatoire, explicite
ou implicite.
La Cour suprême a elle-même jugé que les revendications de compositions décrivent
pas l'invention en précisant à la page 1339:
Nous sommes d'accord avec les conclusions de l'honorable juge de
première instance et nous jugeons inutile de réexaminer les motifs
qu'il a fournis contre la validité des revendications 10 et 11.
Il nous apparaît donc évident que les revendications de compositions ont été rejetées
parce qu'elles ne décrivaient pas l'invention. Le rejet n'est en aucun cas motivé
par la présence de revendications à l'égard des composés. Les revendications de
produit ne sont mentionnées que pour indiquer qu'elles servent à décrire légitime-
ment l'invention en question.
Dans l'affaire Agripat mentionnée ci-dessus, dont la décision a été publiée dans la
Gazette des brevets du 19 mai 1977 à la page XVII et confirmée par la Cour fédérale,
il est précisé que l'opposition aux revendications de compositions reposait sur le
fait qu'elles omettaient de décrire l'invention puisque l'invention se limitait aux
composés. Le refus n'était pas motivé par la présence de revendications de composés.
Le passage suivant, extrait de la décision du Commissaire, explique notre pensée:
Les revendications doivent décrire l'invention et ne pas
dépasser ses limites. Cette affirmation se fonde sur
l'article 36(2) de la Loi sur les brevets. La Loi stipule
que l'inventeur revendique en exposant distinctement et en
termes explicites les choses qu'il considère être son in-
vention. Nous devons toutefois décider jusqu'où le demandeur
peut aller pour protéger intégralement son invention sans
outrepasser les limites de son invention en revendiquant ce
qui ne lui appartient pas à juste titre. Pour reprendre la
décision de la Cour suprême dans l'affaire B.V.D. contre
Can. Celanese (1937) S.C.R. 221 à la page 237, le brevet
est nul lorsque de fait les revendications dépassent les
limites de l'invention.
...
Dans l'affaire Bergeron contre DeKermor Electric, 1927, Ex.
C.R. 181 à la page 187, M. le juge Audette traitait un sujet
connexe lorsqu'il a dit:
Un individu ne peut apporter quelque amélioration
ou changement, brevetable ou non, à une machine ou
un appareil existant et revendiquer ensuite ledit
appareil comme étant son invention.
Il a également cité et corroboré le passage suivant tiré du
droit des brevets de Nicholas:
Lorsqu'une invention porte sur une amélioration (comme
dans le cas présent) le titulaire du brevet ne doit
revendiquer que l'amélioration et décrire en termes
précis et explicites en quoi consiste son amélioration.
Il ne peut après avoir apporté quelques améliorations
mineures à un appareil bien connu déclarer publiquement:
"J'ai fabriqué une meilleure machine. Voici la machine
à coudre de M. Untel; je l'ai améliorée; elle m'appar-
tient et ma machine est supérieure à la sienne". Il
doit préciser en quoi consiste son amélioration et ne
revendiquer que celle-ci (mots souligniés par nous).
Lorsque nous examinons l'affaire qui nous concerne, nous
constatons que les mélanges d'insecticides et de transpor-
teurs sont des procédés déjà bien connus. Le demandeur a
remplacé d'anciens insecticides par un nouveau produit en
soi brevetable. On pourrait soutenir que sa revendication
devrait se limiter à cette "amélioration" par rapport aux
réalisations antérieures.
Nous nous appuyons aussi sur l'affaire Dick contre Ellam's
Duplicator Company (1900) 17 R.P.C. 196 à la page 202, de
laquelle nous tirons ce qui suit:
... Je pense qu'il y a quelque chose (de nouveau)
dans cette invention et qu'elle aurait pu être
brevetée si le titulaire du brevet n'avait pas jeté
son dévolu, comme le font constamment les brevetés
pour englober les brevets de personnes qui ne portent
nullement atteinte à l'invention comme telle.
...
Les tribunaux canadiens ont dû résoudre au moins trois cas
analogues à celui qui nous intéresse présentement dans les-
quels les demandeurs désiraient revendiquer des substances
mélangées à des transporteurs. Dans l'affaire Rohm et Haas
contre le Commissaire des brevets, 1959, Ex. C.R. 133,
l'invention concernait des compositions fongicides. Les
revendications de compositions n'ont pas été refusées en
totalité et le refus, pour de nombreuses revendications,
est motivé par l'article 35(2), maintenant 36(2) de la Loi
sur les brevets. Cependant, le juge Cameron a fait le com-
mentaire suivant (p. 163):
Toutefois, je suis d'avis que lorsqu'une revendication
de composés a été acceptée, une revendication portant
sur une composition fongicide ne contenant que ce
composé comme ingrédient actif n'est pas brevetable.
Dans l'affaire Rohm et Haas, les revendications de composés
avaient été accordées lors d'une demande divisionnaire pour un
autre brevet; toutefois l'extrait de la décision cité ci-dessus,
ne fait aucune distinction de ce genre et rien n'indique que
cette décision ne s'applique qu'à de telles situations.
Dans l'affaire du Commissaire des brevets contre Farbwerke Hoechst
1964, S.C.R. 49, le Commissaire a refusé certaines revendications
portant sur un composé médicinal mélangé à un transporteur. Le
demandeur avait déposé neuf autres demandes de brevet pour ce
médicament correspondant à neuf procédés de fabrication différents.
La Cour suprême en renversant la décision de la Cour de l'Échi-
quier a présenté les observations suivantes à la page 53:
L'erreur de raisonnement (celui du tribunal inférieur) est
d'avoir accordé un caractère de nouveauté et une valeur
inventive à ce procédé de dilution. C'est une interpréta-
tion abusive de l'argumentation soutenue dans l'affaire du
Commissaire des brevets contre Ciba, où on a accordé une
valeur inventive à la découverte des propriétés utiles de
la drogue elle-même.
Un individu peut obtenir un brevet pour une substance
médicinale utile à la fois nouvelle et inventive mais le
fait de diluer cette nouvelle substance une fois ses utili-
sations médicales établies ne constitue pas une nouvelle
invention. La substance diluée et non diluée ne sont que
deux aspects d'une même invention.
Dans le cas présent, l'addition d'un transporteur
inerte, ce qui en soi est un procédé courant pour aug-
menter le volume du produit et en faciliter le dosage
et l'administration, n'est en réalité qu'une dilution
et ne constitue pas une nouvelle invention par rapport
au médicament lui-même. Lorsqu'un brevet est accordé
pour une nouvelle substance médicinale, un brevet
distinct ne peut être accordé pour cette même substance
simplement diluée.
Par conséquent, nous sommes fondés de croire que dans ces affaires l'opposition
réelle aux revendications découle de l'article 36 et nous maintenons que de telles
revendications ne décrivent pas explicitement l'invention. L'opposition (à la
délivrance du brevet) n'est pas fondée sur la seule présentation des autres re-
vendications.
Nous croyons que la même opposition est valable pour les revendications 1 à 11 de
la présente demande, tout au moins en ce qui concerne les revendications à l'égard
de nouveaux composés. A l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de trancher
les cas où les revendications de compositions seraient limitées à des substances
comprenant d'anciens composés. S'il s'agissait d'anciens composés, ils seraient
probablement déjà mélangés à des catalyseurs. Nous n'avons pas à trancher de telles
revendications hypothétiques et celles-ci n'ont jamais été étudiées en fonction de
leur caractère de nouveauté et de toute autre objection éventuelle. Notre décision
ne concerne que les revendications 1 à 11 inclusivement et nous croyons qu'elles
doivent être rejetées. Nous avons constaté que la revendiation 12 porte sur un
vaste domaine d'application lequel devrait être examiné dans l'éventualité d'une
étude ultérieure de demande de brevet.
Le Président de la
Commission d'appel des brevets, Canada
G.A. Asher
J'ai examiné l'instruction de la demande de brevet, les arguments du demandeur et
les recommandations de la Commission d'appel des brevets. Pour les raisons invo-
quées par la Commission, je rejette les revendications 1 à 11 inclusivement. Ces
revendications doivent être radiées dans les six mois à moins que le demandeur ne
décide d'en appeler de la décision en vertu de l'article 44 de la Loi sur les
brevets.
Le Commissaire des brevets,
J.H.A. Gariépy
Hull,Québec ce 14e jour de septembre 1979