DECISION DU COMMISSAIRE
Articles: 2, 28, 36 et 40 - Mouvement perpétuel
Les trois demandes visées décrivent des dispositifs qui fonctionnent sans 1'aide
d'aucune source extérieure d'énergie. L'exposé théorique n'est appuyé sur aucun
document et le modèle demandé lors de l'instruction des demandes 277,822 (D.C. 583)
et 309,708 (D.C. 581) n'a pas été fourni.
Décision finale: Confirmée
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La demande de brevet 267,896 (Cl. 322-35), a été déposée le 14 décembre 1976 pour
une invention intitulée "Amplificateur de puissance à auto-excitation, L'inventeur
est Konrad A. Otta. Dans une décision finale rendue le 9 novembre 1978, l'exami-
nateur a refusé de lui délivrer un brevet,
Trois demandes déposées par le demandeur ont été rejetées en vertu de l'article
46 de la Loi sur les brevets. Même s'il existe un rapport entre ces demandes,
celles-ci ont été étudiées séparément.
La présente demande concerne une source de puissance à vapeur dans laquelle la
vapeur produite dans une chaudière sert à actionner une turbine. L'exposé de
l'invention, soit un amplificateur de puissance à auto-excitation prévoit quatre
étapes. La revendication illustre bien l'invention:
Utiliser la vapeur produite dans une chaudière pour actionner
une turbine, et 5% du couple de cette dernière pour actionner
un alternateur dont la puissance de sortie entraîne la
production continue de vapeur; ou encore: utiliser la vapeur
produite dans une chaudière pour actionner une turbine laquelle
actionne à son tour un générateur dont 5% de la puissance de
sortie est appliquée à l'élément chauffant électrique de la
chaudière entraînant ainsi la production continue de vapeur dans
la chaudière.
Il est donc évident que le demandeur revendique une forme de dispositif à mouvement
perpétuel dans lequel une partie de l'énergie produite par le générateur est la
seule source d'énergie servant à actionner le générateur.
Dans la décision finale, 1!examinateur a rejeté la demande parce que 1.invention
est irréalisable au sens des brevets, qu'elle manque d'utilité et qu'elle ne
"concerne pas un objet brevetable au sens de la définition de l'invention figurant
à l'article 2 de la Loi sur les brevets." L'examinateur déclare notamment:
Le demandeur divulgue deux réalisations. Dans la première,
des batteries fournissent 3-4kW à l'élément chauffant d'une
chaudière. La pression de la vapeur actionne une turbine de
500HP (373kW). Une partie du couple de la turbine sert à
actionner un alternateur afin de fournir 3-4kW qui sont
appliqués à l'élément chauffant de la chaudière pendant que
les batteries sont débranchées. Le reste de la puissance
de sortie (369 à 370kW) de la turbine est appliqué à un
générateur.
Dans la seconde réalisation, une source d'énergie extérieure
actionne un premier générateur. La puissance de sortie est
appliquée à l'élément: chauffant qui actionne un second
générateur plus grand que le premier. Une partie de la
puissance de sortie du second générateur est appliquée à
l'élément chauffant de la première chaudière pendant que
la source d'énergie extérieure est coupée, mettant ainsi
en branle l'auto-excitation.
Ces deux réalisations sont des dispositifs à mouvement
perpétuel qui enfreignent les lois de la physique notamment
la Loi de la conservation de l'énergie. Dans la première
réalisation, par exemple, la chaudière fournit à la turbine
une puissance de 3-4kW. On crée donc 370kW à partir de rien,
contrairement à la Loi de la conservation de l'énergie. En
ce qui concerne le mouvement perpétuel, la McGraw-Hill
Encyclopedia of Science and Technology indique qu'il "consti-
tue un mécanisme dont le rendement dépasse 100%". Il est
clair qu'un tel mécanisme enfreint le principe solidement
établi de la conservation de l'énergie.
L'appareil revendiqué par le demandeur est irréalisable et,
par conséquent, inutile. La demande est donc rejetée, son
objet n'étant pas brevetable compte tenu de la définition de
l'invention figurant à l'article 2 de la Loi sur les brevets.
Le demandeur a soumis six lettres en réponse à la décision finale. Même s'il y
traite de divers aspects des véhicules à vapeur, le demandeur n'y a joint aucune
pièce à l'appui de sa théorie de l'amplification de puissance.
Après examen de la divulgation, nous constatons que le demandeur n'a pas décrit
de façon exacte et complète l'invention et son fonctionnement, qu'il n'a pas
exposé clairement les diverses phases d'un procédé, le mode de construction, de
fabrication, de composition ou d'utilisation d'une machine. Sous ce rapport, il y
a infraction à l'article 36 de la Loi sur les brevets. L'examinateur a raison
lorsqu'il déclare que le demandeur revendique un dispositif à mouvement perpétuel
dont le fonctionnement est contraire aux lois naturelles de la conservation de
l'énergie. Il est évident qu'un dispositif mécanique ne peut fonctionner en
permanence sans l'aide d'une source extérieure d'énergie, même s'il n'y avait
aucun prélèvement d'énergie à d'autres fins. Il convient ici de citer un article
sur le mouvement perpétuel rédigé par A. Leokum et paru dans le quotidien The
Ottawa Journal le 19 juillet 1977,
L'expression mouvement perpétuel signifie simplement
mouvement qui continue éternellement. Mais, généralement,
lorsque nous parlons de mouvement perpétuel, nous désignons
une chose bien particulière.
L'idée de créer une machine qui, une fois en marche, garde-
rait l'impulsion qui lui a été donnée sans l'aide d'aucune
source extérieure d'énergie, a fasciné les hommes pendant
des siècles. Toutes les machines connues jusqu'à maintenant
fonctionnent à l'aide d'une source d'énergie.
Une machine à mouvement perpétuel créerait toutefois sa
propre énergie sous forme de mouvement. Chaque fois qu'elle
aurait accompli un cycle complet d'opérations, elle fournirait
plus d'énergie qu'elle n'en aurait absorbée.
Est-il possible de créer une machine à mouvement perpétuel?
Tous les scientifiques vous répondront par la négative en
vous renvoyant à l'un des principes physiques les plus impor-
tants, le principe de la conservation de l'énergie.
Selon ce principe, l'énergie ne peut être créée ni détruite
dans la nature. L'énergie peut être transportée d'un endroit
à l'autre, elle veut être libérée ou emmagasinée, mais elle
ne peut être créée. Autrement dit, toute machine qui fournit
un travail doit avoir une source d'énergie.
Au cours de l'histoire, on a essayé des milliers de fois de
créer des machines à mouvement perpétuel. Les premières tenta-
tives remontent à une époque où la loi de la conservation de
l'énergie était encore inconnue. Un grand nombre d'autres étaient
simplement des trucages qui furent dévoilés par la suite.
La question de la possibilité de faire fonctionner une invention a fait l'objet
de contestations devant les tribunaux. Dans l'affaire Minerals Separations c.
Noranda MInes Ltd., (1947) R.C.E. 306, la Cour de l'Echiquier déclare à la page 316:
Le mémoire descriptif doit exposer deux élé,ents: l'inven-
tion d'une part, et son fonctionnement ou son usage d'autre
part. Il doit s'agir d'un compte rendu de l'inventeur et
dans les deux cas, la description doit être complète et
exacte. Cette exigence a pour but de permettre aux intéres-
sés, une fois la période du monopole expirée, de parvenir au
même résultat que l'inventeur au moment où il a présente sa
demander et ce uniquement à partir de données descriptives.
(traduction)
et à la page 317:
Lorsqu'il est dit que le mémoire descriptif doit être rédigé
de manière qu'une fois la période de monopole expirée, les
intéressés puissent, uniquement a partir de données descriptives,
en arriver aux mêmes résultats que ceux obtenus par l'inventeur,
nous devons insister sur le fait que lorsqu'on parle des
intéressés, nous entendons les experts en la matière car les
données descriptives d'un brevet s'adressent à ces mêmes
personnes. (Nous soulignons) (traduction).
Un expert en la matière ne serait pas en mesure de fabriquer, de construire, de
composer ou d'utiliser l'invention revendiquée à partir de la description fournie
dans le mémoire descriptif du demandeur.
Ce qui nous intéresse dans la présente demande, c'est l'amplification de puissance
dans laquelle la puissance effective dépasse la puissance absorbée. Pour prouver
l'utilité d'une présumée invention, un expert doit être capable, en suivant les
instructions stipulées dans le mémoire descriptif, d'en arriver aux résultats
escomptés. Si un expert échoue, le dispositif manque donc d'utilité au sens de
la Loi sur les brevets car on ne peut le faire fonctionner. Prenons l'exemple
de Northern Electric c. Browns Theatre (1940), R.C.E. 36 à la page 56 où le juge
déclare:
Pour être brevetable, une invention doit représenter un
avantage aux yeux des utilisateurs. Dans le contexte de
l'invention, l'utilité se mesure en valeur industrielle.
On ne peut accorder un brevet dans le cas d'un dispositif
ou d'un ensemble sans valeur. Dans le cas qui nous occupe,
le demandeur revendique l'invention d'un objet qui manque
d'utilité car son fonctionnement ne correspond pas du tout
aux besoins qui ont mené à sa conception.
Voir aussi Raleigh Cycle c. Miller, (1946) R.P.C. 113 où il est déclaré à la page
140:
En d'autres termes, la protection s'achète avec la promesse
de résultats. Elle ne doit pas résister à la promesse non
respectée d'engendrer les résultats.
Dans l'affaire Union Carbide c. Trans-Canadian Feeds (1967) 49 CPR 27, la cour
a déclaré:
Je conclus que la présente demande est sans valeur car l'objet
de la revendication n'est pas utile au sens des brevets.
Dans l'affaire Le Rosair Appollo (1932) 49 RPC, la cour en est venue à la
conclusion suivante: lorsqu'on a la preuve que la théorie présentée à l'appui
d'un brevet présente des failles, l'invention perd son utilité. (Nous soulignons).
Et en dernier lieu, voir Wandscheer c. Sicard (1946) R.C.E. page 112 et (1948)
R.C.S. page 1 où l'on peut lire exprimé brièvement:
Pour évaluer l'utilité d'une invention, il faut s'assurer
qu'elle respecte les objectifs immédiats pour lesquels elle
a été créée, et qu'elle fait preuve d'utilité au moment où
le brevet est accordé et ce, conformément au but décrit par
le titulaire du brevet.
Il est à souligner que, dans sa réponse du 14 novembre 1978, le demandeur décla-
rait que la décision finale était la première lettre officielle qu'il recevait.
Le demandeur a cependant écrit au Commissaire le 5 octobre 1978 afin de lui
demander de réexaminer la demande en question ainsi que les deux autres qui avaient
été refusées. Dans une lettre datée du 12 octobre 1978, le Commissaire lui
répondit qu'il donnerait suite à sa demande sous peu. Pour hâter la procédure
d'examen par le Commissaire, la demande a donc été rejetée, dans la décision ini-
tiale, en vertu de l'article 46.
Nous sommes convaincus que le demandeur n'a pas atteint le résultat escompté,
l'amplification de puissance, tel qu'il l'a exposé dans sa demande. Nous
recommandons par conséquent que la décision portant refus de la demande soit
confirmée.
Le président de la
Commission d'appel des brevets, Canada
G.A. Asher S.D. Kot
Membre
J'ai examiné l'instruction de la présente demande et je souscris aux recomman-
dations de la Commission d'appel des brevets. Je refuse par conséquent de
breveter cette demande.
Le commissaire des brevets,
J.H.A. Gariépy
Fait à Hull (Québec)
ce 16e jour de mai 1979