DECISION DU COMMISSAIRE
Article 36(2): Manchon de raccord utilisé pour la réparation des câbles.
Le demandeur a le droit de présenter des revendications exposant distinctement
le principe de l'invention. La portée de l'invention réalisée est étendue
et, dansla présente demande, il n'est pas nécessaire de limiter la revendication
à la réalisation principale.
Décision finale: Annulée
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La demande 138,599 (classe 339-47.1) déposée le 30 mars 1972 s'intitule
"Epissure". L'inventeur, Duane D. Rodger, a cédé ses droits à Raychem Corporation.
L'examinateur responsable de l'étude de la demande a rendu une décision finale
le 26 mai 1977 dans laquelle il refuse au demandeur la possibilité de poursuivre
les démarches pour l'obtention d'un brevet.
La demande porte sur un manchon de raccord utilisé dans le cas d'épissures
pratiquées sur des câbles électriques du genre de ceux que l'on trouve dans les
mines de charbon souterraines. I1 est fabriqué à partir d'un polymère résistant
à la chaleur mais dilaté radialement jusqu'à ce qu'il perde ses propriétés
réfractaires, de sorte qu'en le soumettant à la chaleur, il puisse rétrécir.
Le manchon est ajusté sur l'épissure, on le chauffe pour qu'il reprenne sa forme
originale, et l'on obtient ainsi une gaine étanche. Cette méthode permet d'épis-
ser les câbles dans la mine, sans avoir à les remonter à la surface lors des
réparations. Les figures 3 et 6 ci-dessous illustrent bien l'invention. La
figure 6 est particulièrement représentative.
<IMGS>
Dans sa décision finale, l'examinateur a rejeté la revendication 1 en vertu de
l'article 36(2) de la Loi sur les brevets. I1 a allégué qu'elle "n'exposait
pas distinctement et en termes explicites, la chose que le demandeur considère
comme nouvelle". La revendication 1 se lit comme suit:
Un objet renfermant un manchon fabriqué à partir d'un
polymère résistant à la chaleur mais dilaté radialement
jusqu'à ce qu'il perde ses propriétés réfractaires de sorte
qu'en le soumettant à la chaleur, il jouisse d'une rétracti-
bilité variable qui lui permette de reprendre à peu prés sa
forme originale; en ce qui a trait à la résistance minimale
à la tension du manchon, on l'évalue à plus ou moins 1,200
po/pi2 (mesures conformes aux normes prévues dans ASTM D 2671)
avec une vitesse d'écartement des marcaches de 20 po 2 po/mm;
la rigidité maximale atteint 10 000 po/pi2 (ASTM D 747); sa
résistance diélectrique minimale atteint 200 volts per mil
(ASTM D 149); une certaine partie de la paroi intérieure du
manchon est recouverte d'un adhésif.
Dans la formulation de son objection, l'examinateur déclare notamment:
L'invention divulguée et revendiquée par le demandeur porte
sur la composition d'un matériau adapté à la fabrication de
manchons visant à recouvrir les épissures pratiquées sur les
câbles électriques utilisés par l'industrie minière. Pour
solutionner le problème occasionné par les manchons actuels,
le demandeur a résolu d'accroître la flexibilité du matériau
dans lequel l'élément principal du polymère est le polyéthylène.
La formule préconisée est la suivante: éthylène vinyl acétate
copolymère (comme le "ALATHON 3190") ... 40-50% (environ 45%);
ethylène éthyl arcylate copolymère ... pas plus de 10% (environ
7%); suie de charbon ... 1.0-20% (environ 15%); bis-imide halogène,
un ignifuge ... pas plus de 25% (environ 18%); oxyde d'antimoine
... pas plus de 10% (environ 6%); le reste comprend des anti-
oxydants ainsi que des agents chimiques de liaison transversale
comme le peroxyde.
Après fabrication du composé, on l'a soumis à diverses analyses
afin d'en apprécier les propriétés physiques. Comme prévu, en
accroissant la flexibilité du matériau, la résistance à la
tension s'en trouve réduite par rapport à celle du matériau ori-
ginal. Toutefois, grâce à ses caractéristiques générales, le
matériau utilisé comme manchon a permis de surmonter les
problèmes antérieurs, tout en respectant les dispositions
régissant les épissures.
L'invention ne porte donc pas sur des propriétés physiques mais
plutôt sur une formule qui a donné naissance aux propriétés
physiques décrites dans la revendication 1. Puisque l'invention
revendiquée porte sur un composé, les revendications doivent
préciser les ingrédients. S'il est possible d'obtenir des résul-
tats semblables à partir "d'une famille" d'ingrédients, il y
aurait lieu de présenter une revendication du genre de celle de
Markush, et d'énumérer ces ingrédients.
L'examinateur est disposé à accepter les revendications dont la portée ne touche
que la composition nouvelle divulguée.
Dans sa réponse à la décision finale, le demandeur déclare notamment:
...
Le demandeur l'a déjà déclaré, et il le répète: son invention
repose sur le principe en vertu duquel les éléments nouveaux
décrits dans la revendication 1 sont assortis d'une supériorité
imprévue. Alors que la capacité inventive a été démontrée
concrètement par la fabrication de manchons à partir des éléments
décrits dans le mémoire descriptif, et que le demandeur est fondé
en droit de présenter des revendications qui décrivent d'une
façon exacte l'invention, on ne devrait pas le contraindre à
limiter ses revendications à la réalisation particulière de
l'invention. La présente demande en est un example authentique
(comme le démontre l'évolution du dossier) en vertu duquel les
spécialistes en la matière pourront facilement élaborer
toute une gamme de manchons visés par la portée de la
revendication 1 actuelle. Par contre, en limitant la
revendication aux manchons fabriqués à partir des éléments
décrits dans le mémoire descriptif, la fabrication des autres
manchons ne serait plus englobée par la nouvelle revendica-
tion. Bien qu'il soit assez difficile d'interpréter la
pensée de l'examinateur lorsqu'il déclare que "l'invention
du demandeur ne porte pas sur des propriétés physiques", le
demandeur allègue que l'examinateur a erré s'il est arrivé
à la conclusion que l'invention revendiquée ne porte pas
sur des manchons physiques énoncés à la revendication 1.
Encore une fois, le demandeur désire faire valoir que rien
ne laisse supposer que les manchons décrits dans la revendi-
cation 1 ne font preuve de capacité inventive ni de caractère
de nouveauté,
Dans le but d'approfondir la question, il y aurait peut-être
lieu d'ajouter qu'au cours de l'étude préliminaire de la
demande, l'examinateur a. rejeté les revendications parce que
leur portée était trop étendue compte tenu de la divulgation.
Toutefois, après avoir fait valoir par l'entremise de lettres
envoyées le 20 mai et le 9 juillet 1976 (accompagnées des
affidavits appropriés) que l'objection n'était pas fondée, le
demandeur constate qu'elle n'a pas été formulée à nouveau.
...
Il s'agit maintenant de déterminer si la revendication 1 est conforme à
l'article 36 de la Loi sur les brevets.
L'opinion de l'examinateur est la suivante: puisque, dans un but bien précis,
le demandeur a élaboré un composé nouveau à partir d'ingrédients particuliers,
et par la suite établi ses propriétés physiques, l'objet de sa revendication
doit se limiter au composé. Il soutient également que "l'invention revendiquée
par le demandeur ne porte pas sur des propriétés physiques mais plutôt sur un
composé qui a donné naissance aux propriétés physiques décrites dans la
revendication 1".
Par contre, le demandeur affirme avoir le droit de présenter des revendications
qui décrivent de façon exacte et complète l'invention. Par le fait même, on
ne devrait pas le contraindre à limiter ses revendications à la réalisation par-
ticulière de l'invention.
Afin de pouvoir considérer cette prétention objectivement, nous nous en sommes
remis à la décision rendue dans Bergeon v De Kermor Electric 1927 Ex. C.R. p. 181
à 196 où le juge déclare ce qui suit:
Dans l'affaire Denning Wire and Fence Co. v. American Steel
and Wire Co. (3), l'on a prétendu "qu'il est établi que le
simple rôle ou fonctionnement d'une machine ou d'un autre
dispositif, indépendamment de la machine ou du dispositif, ne
peut faire l'objet d'un brevet". Et lorsqu'en raison de sa
portée générale, un brevet porte sur toutes les méthodes de
réalisation possibles et imaginagles, l'on ne peut l'accorder.
(nous soulignons)
Cependant, nous ne serions peut-être pas bien avisés de limiter indûment la
revendication à la réalisation divulguée. I1 nous incombe d'établir un juste
équilibre entre les deux points suivants: d'une part, l'invention revendiquée
par le demandeur doit être présentée en des termes assez généraux pour lui
assurer une protection suffisante; d'autre part, on ne peut empêcher les inven-
teurs éventuels de réaliser ce que le breveté n'a pas accompli. Dans l'affaire
P & W v Canada Machinery 1926 S.C.R. p. 105 à 118, nous constatons:
... qu'il est fort possible qu'une revendication porte sur
l'utilisation d'une méthode de fabrication dont la nature est
si exclusive qu'elle peut être exécutée sous la direction
générale d'un fabricant qualifié, sans autre invention. Si
vous faites naître et découvrez non seulement le principe,
mais également la méthode d'application pour arriver à un
résultat pratique au moyen d'un appareil et d'un dispositif
mécaniques, et que vous démontrez que vous êtes au courant
"qu'il n'est nécessaire d'apporter aucune modification à l'appa-
reil mécanique pour tirer profit de la méthode, il vous est
alors loisible de revendiquer la méthode d'exécution sans qu'il
ne soit nécessaire de la décrire et de vous limiter à un seul
genre d'appareil". (British Thomson - Houston v Corona Lamp
Works 39 RPC 20)
A ce que nous pouvons voir, il s'agit maintenant de déterminer d'une part, si
l'invention revendiquée par le demandeur porte sur la solution particulière
d'un problème, et le cas échéant, la revendication doit être limitée à la
solution particulière; d'autre part, le demandeur a-t-il fait valoir une solution
générale? Dans l'affirmative, il a le droit de revendiquer la solution générale.
D'ailleurs, il a lui-même déclaré que:
... les spécialistes en la matière pourront facilement
élaborer toute une gamme de manchons visés par la portée de
la revendication 1 actuelle. Par contre, en limitant la
revendication aux manchons fabriqués à partir des éléments
décrits dans le mémoire descriptif, la fabrication des autres
manchons ne serait plus englobée par la nouvelle revendication.
Il nous incombe également d'apprécier la véracité de cette affirmation.
Dans sa divulgation, l'inventeur décrit avec précision la possibilité d'utiliser
deux genres de copolymères, à savoir: le copolymère éthylène-éthyl acrylate et
le copolymère éthyl~e-vinyl acétate. Sa découverte porte sur les propriétés des
polymères utilisés pour en arriver au résultat escompté. Il a déclaré également
que les autres copolymères utiles sont bien connus des spécialistes en la matière.
De plus, à la p. 6 de la divulgation, ligne 25, le demandeur a signalé l'existence
de trois brevets accordés aux Etats-Unis, et dans lesquels les brevetés divulguent
un certain nombre d'autres polymères pouvant être utilisés dans la fabrication
du manchon préconisé par le demandeur. Pour conclure, nous sommes convaincus
que l'inventeur a élaboré une solution générale au problème, et qu'il a le droit
de présenter une revendication dont la portée est étendue. Nous estimons que le
mémoire descriptif délimite les propriétés physiques des éléments à utiliser
tout en permettant à un spécialiste en la matière de réaliser l'invention, et
d'arriver au résultat escompté. Comme aucune antériorité pouvant laisser croire
que la portée de la revendication est trop étendue, n'a été citée, nous en arri-
vons à la conclusion que la revendication 1 est conforme aux dispositions de
l'article 36(2) de la Loi sur les brevets. En considération de ce qui précède,
le demandeur n'est pas tenu de limiter l'étendue du monopole à la réalisation
principale.
La Commission recommande donc que la décision finale soit retirée.
Le président de la
Commission d'appel des brevets, Canada S.D. Kot
Membre
G.A. Asher
Je souscris aux conclusions de la Commission d'appel des brevets et par consé-
quent, retire la décision finale. La demande est par le fait même renvoyée à
l'examinateur pour exécution.
Le commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy Agent du demandeur:
Fetherstonhaugh & Co.
C.P. 2999, Terminus D
Datée à Hull (Qué.) Ottawa (Ont.)
ce 4e jour de janvier 1979