Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                        DECISION DU COMMISSAIRE

 

Objet non prévu par la loi - Graines enduites d'herbicides

 

L'examinateur a accepté les revendications relatives à un nouvel herbicide, mais

il a refusé d'accepter les revendications relatives à des graines enduites

d'herbicides sous le motif qu'il s'agissait d'un objet non prévu par la loi. Le

facteur inventif des revendications rejetées s'applique à l'herbicide, bien que

les graines, comme telles, en tant que matière vivante, ne soient pas brevetables,

comme telles. On a soutenu que les revendications relatives aux graines enduites

d'herbicides portaient sur un objet prévu par la loi.

 

Décision finale: Rejetée.

 

                             *********************************

 

Cette décision s'applique à une demande de révision par le Commissaire des brevets

d'une décision finale rendue par l'examinateur, en date du 3 février 1977, rela-

tivement à la demande de brevet 139,060 (Classe 71-7.2). La demande a été déposée

le 6 avril 1972, au nom de Ferenc M. Pallos et autres, sous le titre "Thiolcarba-

mate Herbicides Containing Nitrogen Containing Antidote". La Cour d'appel des

breveta a fait l'audition de la cause le 14 juin 1978, le pétitionnaire étant alors

représenté par M. W. Mace.

 

La demande porte sur les nouveaux herbicides Thiocarmabates, qui sont un antidote

aux herbicides, et sur les graines enduites de cette substance. L'antidote protège

les cultures contre les dommages causés par les herbicides sans modifier l'action

des herbicides sur les mauvaises herbes. Le produit peut être appliqué directement

sur le sol ou utilisé pour traiter les graines avant l'ensemencement.

 

Dans sa décision finale, l'examinateur a rejeté les revendications 45 et 46

"parce qu'il s'agissait d'un objet non prévu par la loi...." Ces revendications

concernent des graines traitées avec un herbicide actif et l'antidote correspondant.

L'examinateur a ajouté (en partie):

 

...

 

L'examinateur soutient que, quelle que soit la méthode utilisée

ou la substance avec laquelle la graine est traitée, la revendi-

cation continue de porter sur une graine, et, une graine est

considérée comme une matiêre vivante. Le seul revêtement d'une

graine, sans considération du fait que le procédé de revêtement,

comme tel, ou la composition du revêtement, comme telle, puisse

être breveté, ne rend pas la graine enduite, comme telle,

susceptible d'être brevetée.

 

En réponse à la décision finale, le pétitionnaire a déclaré:

 

...

 

Si l'on étudie l'article 2 de la Loi concernant les brevets

d'invention, et en particulier la définition du terme "invention",

on y lit ce qui suit:

 

"..'invention' signifie toute réalisation, tout procédé.

toute machine, fabrication ou composition de matiéres,

ainsi qu'un perfectionnement quelconque de l'un des

susdits, présentant le caractère de la nouveauté et de

l'utilité".

 

Les restrictions concernant les inventions qui peuvent être brevetées

sont énoncées dans les articles 28(3), 29(2) et 41 de la Loi concernant

les brevets d'invention. De plus, le Commissaire a la pouvoir de

refuser d'accorder un brevet aux termes des articles 42 et 43 de la

Loi. Le pétitionnaire a étudié très attentivement chacun de ces arti-

cles et il n'y a rien trouvé qui puisse indiquer ou laisser à entendre

que la composition nouvelle et utile telle que définie par les reven-

dications 45 et 46, actuellement déposées, ne serait pas brevetable.

On fait observer que ces revendications ne visent pas un objet illicite

et qu'elles ne s'appliquent pas à un simple principe scientifique ou

à un théoréme abstrait, le pétitionnaire croit donc que ces revendica-

tions répondent aux exigences de nouveauté et que, de plus, les dispo-

sitions de l'article 41, de même que celles de l'article 43, ne

s'appliquent pas. De l'avis du pétitionnaire, l'article 42 ne s'applique

pas parce qu'il ne croit pas qu'aux termes de la loi, il ne devrait pas

avoir le droit d'obtenir un brevet pour cet objet. Quant à l'article

2 de la Loi concernant les brevets d'invention, on fait observer que

les revendications 45 et 46 se rapportent à une composition de matières

présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité; donc, si l'on

s'en tient rigoureusement à la formulation de l'article 2 et à la

définition du mot "invention", les revendications 45 et 46 sont tout à

fait conformes. Il semble donc évident que l'examinateur s'appuie sur

sa propre interprétation de cet article de la Loi concernant les brevets

d'invention et le pétitionnaire fait respectueusement observer que

l'examinateur a mal interprété l'article 2 de la Loi.

 

Si l'on essaie de comprendre l'interprétation de l'examinateur, on

présume qu'il suit en cela la politique en cours au Bureau des brevets

d'invention, laquelle est énoncée au chapitre 12 du Recueil des pratiques

du Bureau des brevets d'invention. L'étude attentive des exigences

relatives à une invention brevetable, telle que décrite à la section

12.03 du Recueil, ne révèle aucune directive spécifique qui permettrait

à l'examinateur, dans son interprétation, de justifier son rejet.

Comme le pétitionnaire l'a déjà expliqué, les revendications 45 et 46

répondent à toutes les exigences du chapitre 12 du fait que l'objet des

revendications se rapporte à une réalisation utile, qu'il est exploitable,

contrôlable et reproductible et que, de plus, il a une application

pratique dans le commerce. Comme on l'a déjà fait remarquer, ces reven-

dications ne visent pas un objet illicite, pas plus qu'elles ne s'appli-

quent à un simple principe scientifique ou à un théorème abstrait. On

rappelle de plus que les revendications de cette nature pourraient avoir

un effet bénéfique pour le public. On allègue donc que le Recueil des

pratiques du Bureau des brevets d'invention ne fournit aucune justifica-

tion à l'interprétation par l'examinateur de l'article 2 de la Loi

concernant les brevets d'invention.

...

 

Le pétitionnaire fait respectueusement observer que l'examinateur

ne fournit aucune justification pouvant servir de fondement

juridique à son rejet autre qu'une mauvaise interprétation, de

l'avis du pétitionnaire, de la portée de l'article 2 de la Loi

concernant les brevets d'invention eu égard à la définition du

terme "invention". Le pétitionnaire rappelle respectueusement

que les revendications 45 et 46 sont tout à fait conformes à toutes

les exigences de la Loi concernant les brevets d'invention, de même

qu'aux règlements qui s'y rapportent, ce qui comprend l'article 2

de la Loi. De plus, il n'existe aucune jurisprudence qui puisse

fournir une interprétation différente de la portée de l'article 2,

et en raison du fait que "matière vivante" a apparemment été trouvé

acceptable par le Bureau des brevets d'invention, comme le démontrent

les nombreux brevets d'invention canadiens récemment émis, le

pétitionnaire croit qu'il devrait avoir droit aux revendications de

la nature des revendications 45 et 46, et que le rejet de l'examina-

teur devrait être retiré.

 

La question soumise à la Cour est de savoir si oui ou non les revendications 45

et 46 s'appliquent à un "objet non prévu par la Loi". La revendication 45 se lit

comme suit:

 

Graines de semence traitées avec une quantité efficace d'un

produit dont la formule est:

 

 <IMG>                    R1

                          R2

 

où R est haloalkyle et R1 et R2 sont alkényles; ladite quantité

efficace étant substantiellement non-phytotoxique et suffisante

pour améliorer la résistance de la culture à un herbicide actif

choisi dans le groupe composé de thiocarbamates, acétanalides à

action désherbante, thiocarbamates, combinés avec des herbicides

choisis dans le groupe composé de triaziries, 2,4-D et 2(4 chloro-

6-éthyle-amino5-triazine-2yl-amino)-2-méthyle propionitrile.

 

M. Mace a fermement démontré lors de l'audition que les revendications 45 et 46

définissent de fait un objet brevetable. Il soutient qu'il n'y a rien dans la

Loi concernant les brevets d'invention ou les règlements qui "explique ou qui

indique" que les revendications 45 et 46 portent sur un objet non brevetable. Il

a aussi affirmé qu'il n'a trouvé aucune jurisprudence selon laquelle l'objet

défini par ces revendications ne serait pas brevetable. Il a aussi ajouté "qu'il

devrait avoir le droit de protéger son invention d'une manière qui empêche tout

contrefacteur éventuel d'avoir accès à l'invention".

 

Pour commencer, nous sommes convaincus que les fruits, les graines et autres

cultures, comme telles, ne sont pas le résultat d'un procédé qui est une sorte

de fabrication, même si la main de l'homme peut avoir contribué à les ensemencer

et à les cultiver (voir National Research Development Corporation's Application,

1961 RPC 147).

 

Par ailleurs, nous en sommes venus à la conclusion que le revêtement d'une graine

peut être considéré comme une sorte de fabrication. Si l'enduit est nouveau, le

résultat du procédé, soit "la graine enduite" est, en vertu de la nouveauté de

l'enduit, un article nouveau ou une composition nouvelle de matières. Nous aurions

alors un nouveau produit fabriqué par la main de l'homme.

 

Le principal souci de l'examinateur, était naturellement de savoir jusqu'à quel

point la matière vivante peut entrer dans les inventions susceptibles d'être bre-

vetées. A ce sujet, nous nous référons d'abord à l'affaire J.R. Short Milling Co.

(Canada) Limited contre George Weston Bread and Cakes Ltd. et autres (1941) Ex. C.R.

à 69, et aux rapports de la Cour suprême (1942), à 187. Dans ce cas, les méthodes

imaginées pour l'extraction d'une substance de blanchiment et pour la conservation

de son activité, la rendant applicable à la fabrication du pain, ont été retenues

pour être brevetées, tout comme l'agent de blanchiment produit par ce procédé.

L'utilisation de l'enzyme dans le procédé est une manifestation du contrôle de

l'homme sur l'utilisation de cet enzyme.

 

Dans l'affaire American Cyanamid contre Frosst (1965) 2 Ex. C.R. 355, les revendi-

cations mises en cause concernaient un procédé exigeant l'utilisation de matière

vivante et, quoique de nombreuses justifications aient été apportées par le

contrefacteur présumé, le caractère brevetable de l'antibiotique fabriqué selon

ce procédé ne faisait pas l'objet du différend. La décision du juge Noel décrit

longuement la fabrication des antibiotiques selon des procédés, dans lesquels

entrent une matière vivante, mais la question de savoir si cet objet se prêtait

à un brevet n'a pas été mise en doute.

 

Pour l'affaire Parke Davis contre Laboratoire Pentagone, S.C.C. (1968) 37 Fox

Pat. C. 12, la Cour suprême du Canada a aussi étudié un appel qui portait sur

la contrefaçon du brevet d'un antibiotique fabriqué par un micro-organisme vivant

connu sous le nom de Streptomyces venezuela. Ici encore, on n'a pas contesté

le caractère brevetable d'un tel objet.

 

Dans le cas du célèbre brevet Banting pour l'insuline, l'utilisation d'une hormone

a été protégée par un brevet.

 

La jurisprudence britannique confirme aussi que les procédés microbiologiques sont

brevetables. Voir, par exemple, l'affaire Commercial Solvents Corp. contre

Synthetic Products Co. Limited (1926) 43 RPC 185, où le brevet d'invention se

rapportait à la production d'acétone et d'alcools par des procédés de fermentation

à l'aide d'une bactérie particulière pour produire de grandes quantités d'acétone

et d'alcool butylique. Consulter aussi la demande de Virginia-Carolina Chemical

Corporation (1958) RPC 351, pour laquelle le juge Lloyd-Jacob a déclaré: "... à

une certaine époque, il semble que l'on croyait que toute opération qui impliquait

des organismes vivants était exclue de la définition d'invention, Le fait n'était

pas justifié, comme on le voit par le jugement dans l'affaire Commercial Solvents

Corn. contre Synthetic Products Co. Limited (supra) et, par le nombre considérable

de brevets d'invention accordés en ce qui concerne la préparation d'antibiotiques.

L'utilisation croissante d'organismes naturels pour empêcher, contrôler ou modifier

les opérations de fabrication, a, à titre d'expérience rendu complètement démodée

la restriction qui veut que les objets inanimés ne soient pas brevetables."

 

Dans le cas de la demande de Standard Oil Development Company (1951) 68 RPC à 114,

on a fait un essai qui est utile, soit de considérer le produit fini de la

présumée invention. Si dans ce cas, l'invention supposait la production de graines,

laquelle en retour impliquait l'intervention des lois naturelles, le pétitionnaire

n'aurait pas pu en revendiquer l'invention, ni le mode de production. Nous croyons,

cependant, que l'invention définie dans les réclamations 45 et 46 n'avait rien à

voir avec les "lois naturelles", parce qu'il ne s'agit pas ici de réclamations

au sujet des graines. La graine a été produite avant l'avancement de la technique

et elle en est distinctement séparée.

 

Nous croyons que le présent cas diffère de l'affaire A.D. Goldhaft (1957) RPC à

276, à propos de laquelle on a reconnu qu'une méthode de traitement de l'oeuf

permettant de déterminer le sexe des poussins qui devaient éclore n'était pas un

mode de fabrication. La raison invoquée était que dans ce cas "la fertilisation

de l'ovule, la production de l'oeuf, son incubation et l'éclosion du poussion sont

les étapes d'un phénomène naturel." Les revendications dont il est question ici

ne concernent ni une méthode comme telle, ni le produit d'un processus naturel

comme tel.

 

Dans l'affaire Human Liver Cell Line (In Re Kostadin, Gazette du Bureau des

brevets d'invention, 4 janvier, 1977), nous avons soulevé la question à savoir

si une "matière vivante" est brevetable. Nous croyons que le cas présent se

distingue du précédent, du fait que l'objet d'invention n'est pas la matière vivante,

soit la graine, mais le produit dont elle est enduite. Puisque les graines sont un

produit de première nécessité dans le commerce et qu'il n'y a pas d'invention dans

les graines, comme telles, nous croyons qu'il convient de tenir pour recevables les

revendications portant sur les graines traitées lorsque l'invention s'applique à

l'endroit avec lequel on a traité les graines. Dans le cas présent, le traitement

ne modifie pas le processus de vie de la graine et il n'y a pas de nouvelle

matière vivante.

 

La revendication 45 porte sur des graines de semence, elles-mêmes non brevetables,

lorsqu'elles sont traitées avec une composition jugée brevetable dans d'autres

revendications de la présente demande. Nous croyons que la présente demande ne

devrait pas être refusée comme étant un objet "non prévu par la loi." Cette con-

clusion s'applique également à la revendication 46. Nous recommandons donc que

la décision finale visant à refuser les revendications 45 et 46 sous prétexte qu'il

s'agit d'objet non prévu par la loi soit retirée.

 

Le président adjoint de la

Commission d'appel des brevets

 

J.F. Hughes

 

J'ai étudié la demande de la partie plaignante et j'ai révisé attentivement la

recommandation de la Cour d'appel des brevets d'invention. Dans les circonstances,

je souscris aux recommandations de la Cour et retire la décision finale. La

demande est renvoyée à l'examinateur pour qu'on recommence l'étude du cas.

 

Le Commissaire des brevets,

 

J.H.A. Gariépy,

 

Hull, (Québec)

le seizième jour d'octobre 1979

 

Représentant du pétitionnaire

 

Gowling & Henderson

P.B. 466, Terminal A

Ottawa, (Ontario)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.