DECISIONS DU COMMISSAIRE
Exposé insuffisant: Panneaux d'affichage à décharge gazeuse pour calculateurs.
L'invention consiste à ajouter des terres rares et des actinides aux isolants
d'électrodes d'afficheurs à décharge gazeuse tels que ceux utilisés sur les
calculateurs électroniques. Les revendications ne décrivaient que l'effet pro-
duit par un élément, alors qu'elles portaient sur toutes les terres rares et
tous les actinides. Ces revendications générales furent rejetées vu leur
caractère conjectural, hypothétique et convoiteux, et ce rejet fut confirmé.
L'examinateur rejeta aussi la demande parce que le demandeur avait omis de men-
tionner les dangers auxquels on s'expose en utilisant l'invention. Cette décision
fut renversée. Le texte de la demande est rédigé à l'intention d'un technicien
d'expérience qui serait au courant des dangers.
Rejet final: Confirmé, avec modifications.
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Deux demandes de Owens-Illinois, Inc., furent rejetées par l'examinateur en vertu
des articles 36 et 2 de la Loi sur les brevets, l'examinateur ayant jugé que les
exposés étaient insuffisants et qu'ils n'appuyaient pas les inventions revendi-
quées. La première demande, 148,888, classe 313-1, fut déposée le 8 août 1972,
et la seconde, 149,636, classe 313-1, le 17 août 1972. Les deux demandes portent
les noms des mêmes inventeurs, nommément Roger E. Ernsthausen, Donald K. Wedding
et al.
Les deux inventions portent sur un dispositif à décharge gazeuse utilisé, par
exemple, dans les panneaux de calculateurs électroniques qui affichent les
chiffres lus par l'utilisateur. Une décharge électrique produite entre les
électrodes, en milieu gazeux, allume les chiffres qui deviennent visibles. Ces
dispositifs sont bien connus, évidemment, et les inventions des demandeurs en sont
des améliorations. Aux isolants des électrodes, le demandeur ajoute un composé
comprenant une terre rare (dans 148,888) ou un actinide (dans 149,636). La
revendication 1 de chacune des demandes illustre ce dont il s'agit.
Revendication 1 (148,888): Dans un dispositif à décharge gazeuse contenant
au moins deux électrodes, où l'une de ces
dernières au moins est isolée du gaz par un
diélectrique, il y a amélioration lorsqu'au moins
un des diélectriques contient un composé d'au
moins une terre rare choisie parmi les éléments
La, Ce, Pr, Rd, Pm, Sm, Eu, Gd, Tb, Dy, Ho, Er,
Tm, Yb, Lu, Sc, et Y.
Revendication 1 (149,636): Dans un dispositif à décharge gazeuse contenant au
moins deux électrodes, où l'une de ces dernières
au moins est isolée du gaz par un diélectrique, il
y a amélioration lorsqu'au moins un des diélectriques
contient un composé d'au moins un des actinides
choisis parmi les éléments Ac, Th, Pa, U, Np, Pu,
Am, Cm, Bk, Cf, Es, Fm, Md, No, et Lw.
Il est déclaré que l'addition de composés de terres rares ou d'actinides
améliore les caractéristiques de vieillissement et la stabilité du dispositif,
permet d'utiliser des tensions de fonctionnement plus faibles, et améliore la
décharge électrique.
L'objection de l'examinateur à la demande 148,888 est que le demandeur n'a fait la
preuve que d'un seul composé, l'oxyde d'ytterbium (Yb2 0 3), produisant l'effet
désiré, alors que la revendication couvre de nombreux autres composés et leurs
combinaisons, dont 129 sont cités dans l'exposé, et qu'on n'a pas démontré qu'ils
produisent (à l'exception de Yb2 0 3) l'effet désiré. L'examinateur juge que les
revendications du demandeur sont conjecturales, hypothétiques et convoiteuses,
et constituent une tentative d'appropriation d'un domaine inexploré. Il déclare,
entre autres choses, que:
...
... On remarque que le demandeur n'a donné des résultats
expérimentaux que pour un seul composé, c'est-à-dire l'Yb2 0 3,
résultats qui sont présentés sous forme de graphique à la fin
de l'exposé. Cette expérience semble être la seule sur laquelle
la demande s'appuie. Le demandeur compare de façon plutôt géné-
rale les avantages des sequioxydes par rapport aux bioxydes (voir
page 12, paragraphe 2), mais cette comparaison ne repose sur aucun
résultat d'expérience exposé.
On remarquera en outre que le demandeur ne précise pas di les
huit sels de lanthane, par exemple, cités à la page 7, donnent
tous les mêmes résultats, ou si l'un quelconque d'entre eux donne
les mêmes résultats que les oxydes de lanthane. Le demandeur ne
dis pas si tous les composés cités aux pages 7 à 10 peuvent être
appliqués par chacune des méthodes proposées à la page 10, aux
lignes 10 à 22, ni si tous ces composés produisent 1'"effet béné-
fique désiré" avec une épaisseur allant de 200 à 10,000 angströms
(voir page 11, lignes 1 à 4). Il n'est pas non plus évident dans
l'exposé que tous les composés cités par le demandeur peuvent
supporter la température de scellement de 600.degree.F. En d'autres termes,
le demandeur revendique un monopole d'utilisation sur d'innombrables
composés, mais ne précise pas lesquels d'entre eux sont vraiment
utilisables. On siat que les terres rares ont des propriétés très
semblables, mais on ne peut en dire autant du grand nombre de
composés, alliages et minéraux différents contenant ces terres rares.
Nous maintenons que l'exposé d'utilité basé sur les expériences
faites sur un seul composé (Yb2 0 3) est insuffisant pour démontrer
l'utilité de plus d'une centaine d'autres composés mentionnés
dans la revendication générale. Cette objection s'applique à
toutes les revendications déposées jusqu'ici. En vertu de l'arti-
cle 2 de la Loi sur les brevets, toutes les revendications sont
donc refusées pour raison d'inutilité.
Bien qu'on ne puisse s'attendre à ce que le demandeur
ait expérimenté tous les composés auxquels il a pensé
et qu'il a énumérés, on s'attend à ce qu'il ait expéri-
menté un nombre suffisamment élevé de composés pour
démontrer par des résultats cohérents que l'on peut
supposer que l'on obtiendrait les mêmes résultats avec
tous les autres composés...
...
Pour sa part, le demandeur soutient que l'exposé justifie la revendication de
l'invention dans toute son étendue, et qu'il est suffisant. Il se réfère aux
listes des composés utilisables données aux pages 6-9 de l'exposé, en supposant
vraisemblablement qu'ils peuvent être inclus dans la revendication s'ils sont
mentionnés dans l'exposé. Il affirme de plus que "le demandeur croit fermement
que tous les composés mentionnés dans les revendications sont utilisables ..."
(3 février 1975); et que "en l'absence de preuve du contraire dans l'état actuel
de la technique, le demandeur croit qu'il peut revendiquer à juste titre son
invention dans toute son étendue." Il soutient de plus qu'il n'est pas nécessaire
d'expérimenter "exhaustivement" une invention.
Il est donc manifeste que nous devons déterminer d'abord si l'inventeur a
véritablement réalisé l'invention telle que revendiquée, et en second lieu, si
ce n'est pas le cas, s'il reste fondé à revendiquer toute l'étendue de l'invention
mentionnée dans l'exposé.
Nous remarquons d'abord qu'à la page 6 de l'exposé, aux lignes 11-17, deux des
éléments, le scandium et l'yttrium, qui ne font pas partie des lanthanides, sont
inclus par le demandeur parce qu'"ils ont parfois les mêmes propriétés que les
lanthanides". On remarque aussi l'affirmation apparaissant au bas de la page 9,
selon laquelle on "peut s'attendre " à ce que certaines des terres rares "puissent
être utilisées".
A l'audition, on demanda à M. Mace si les inventeurs avaient expérimenté l'un
des composés autres que l'oxyde d'ytterbium pour voir s'ils étaient utilisables.
Il répondit: "Je ne sais pas. Il n'était pas nécessaire d'expériementer
d'autres composés."
Les déclarations des deux paragraphes précédents indiquent qu'une grande partie
de ce que le demandeur décrit est au mieux de nature conjecturale. Cette
conclusion est renforcée par l'absence de tout signe indiquant que, en date du
19 août 1971 (date de priorité de la présente demande), ou même après cette
date, le demandeur savait qu'un composé autre que l'oxyde d'ytterbium pouvait
être efficace. Le demandeur se réfère à certains brevets d'un concurrent (U.S.
3814970, 4 juin 1974; Br. 1411297, 22 octobre 1975, et Br. 1415779, 26 novembre
1975) pour démontrer que des composés d'autres éléments produiraient aussi le
même effet. Tous ces brevets furent délivrés après 1971, date du parachèvement
de l'invention du demandeur. Nous, ne pouvons pas évaluer si les revendications
de ces brevets sont trop étendues ou si elles sont valides. Ils ont été délivrés
aux termes de lois différentes sur les brevets, tandis qu'il s'agit pour nous de
délivrer des brevets canadiens aux termes de la loi canadienne sur les brevets.
Nous remarquons cependant que ces trois brevets ne portent que sur les oxydes
des éléments en question. Dans la présente demande, les revendications couvrent
toutes les sources possibles de ces éléments et toutes leurs combinaisons, qu'il
s'agisse d'oxydes, de nitrates, de sulphates, d'autres sels inorganiques, de sels
acides organiques, de composés complexes, d'alliages, etc. Comme on peut le
constater en consultant l'ouvrage de Mellor, "Comprehensive Treatise on Inorganic
and Theoretical Chemistry, Longman, (1967), vol. V, ch. 38", ces différents
composés se comptent par milliers. Si l'on considère les combinaisons et per-
mutations possibles de ces composés entre eux, et qui sont couvertes par la re-
vendication 1 (cette dernière ne se limitant pas à une seule source de terre
rare ou d'actinide), les nombres deviennent astronomiques et atteignent plusieurs
millions.
Dans son rapport final, l'examinateur a fait un examen approfondi de la juris-
prudence pertinente, y compris Hoechst v. Gilbert (1966) R.C.S. 189; Boeringer
Sohn v. Bell Craig (1962) R.C. de l'E. 201 et 1963 R.C.S. 410; in re May and
Baker (1948) 65 R.P.C. 255; Société Rhône-Poulenc v. Ciba (1967) 35 F.P.C. 174 et
1968 R.C.S. 950; in re Abraham Essau et al (1936) 49 R.P.C. 85 et Olin Matheson
v. Biorex (1970) RPC 157, et il n'est pas nécessaire de répéter ici les jugements
qui y sont exprimés. Depuis le rejet, la Cour d'appel fédérale a considéré le
rejet par le Commissaire de la demande 095945 dans le jugement Monsanto c.
Commissaire des brevets prononcé le 24 juin 1977. La cause soumise au Commissaire
et à la Commission d'Appel des brevets dans ce cas ressemble de près à la cause
présente. L'invention n'était pas un médicament, de sorte qu'il ne peut être
question des particularités attribuées par le demandeur aux techniques pharma-
ceutiques limitant l'application de cette décision à la présente invention,
limitations auxquelles nous ne pouvons souscrire de toute façon. Dans la cause
Monsanto, avant démontré qu'un composé était utile comme vulcanisateur de
caoutchouc, le demandeur réclamait un brevet aux mêmes fins pour 128 autres composés
énumérés dans l'exposé. Après examen de la jurisprudence citée ci-dessus, ainsi
que d'autres causes non considérées par l'examinateur dans le cas présent, le
Bureau des brevets déclara cette revendication trop étendue, jugeant qu'elle
dépassait les bornes raisonnables de prévision et qu'elle était de nature con-
jecturale. Le rejet fut confirmé par la Cour fédérale. Nous trouvons la présente
demande inacceptable pour les mêmes raisons et recommandons que les réclamations
soient refusées. Bien entendu, pour autant que nous puissions l'établir, le deman-
deur peut réclamer à juste titre un brevet limité à l'utilisation de l'oxyde
d'ytterbium.
Quant à l'affirmation du demandeur selon laquelle il est en droit de revendiquer une
invention aussi largement que l'état antérieur de la technique le permet, elle n'est
valide que lorsque l'invention a été réalisée et divulguée. Personne n'est en
droit de revendiquer quelque chose qu'il n'a pas inventé simplement par ce que cette
chose n'existait pas dans l'état antérieur de la technique, et nous devons donc
considérer que les commentaires du demandeur ont été faits avec ses limitations à
l'esprit. A ce sujet, nous renvoyons le lecteur à trois remarques faites dans
Van Heusen v. Tooke Bros. 1929 Ex. C.R. 89 à 96 et 97:
... Le titulaire d'Un brevet ne doit pas amplifier ses
revendications, mais revendiquer avec netteté ce qu'il a
inventé, et pas plus, c'est-à-dire quelque chose qui ne
serait que l'objet d'hypothêses et qu'une tentative pour
s'approprier quelque chose auquel il n'a pas droit.
... Il ne s'agit pas que l'exposé d'un titulaire de brevet
jaillisse de son imagination, il doit contenir la garantie
immédiate que ce qui a été réalisé, l'a été d'une façon
nouvelle pour la technique en question.
... Une invention ne doit pas avoir une valeur douteuse. Pour
inventer, il ne suffit pas d'exposer une chose dont on n'a
pas une vision nette.
La demande 149636 fut rejetée pour des raisons similaires. Dans la présente
demande, le demandeur revendique l'addition d'un actinide ou d'un composé
d'actinide aux éléments diélectriques des électrodes. L'utilisation de l'un
quelconque des actinides dans les dispositifs à décharge gazeuse n'est cependant
démontrée d'aucune façon dans le cas présent. C'est pour cette raison que l'exa-
minateur a déclaré que le demandeur tente de faire breveter une idée qu'il n'a pas
transformée en invention pratique, et qu'il n'a fourni aucun indice pour démontrer
que l'un ou l'autre des nombreux composés couverts par les revendications possèdent
l'utilité qu'il leur attribue. D'après l'examinateur,
...
il est évident que parmi le très grand nombre des actinides et
de leurs composés, seuls certains d'entre eux abaisseront la
tension de fonctionnement, amélioreront la thermostabilité,
réduiront le temps de vieillissement, etc. Le demandeur n'a
apparemment pas cherché à déterminer quels composés pourront être
utilisés, et lesquels seront inutilisables. L'exposé ne contient
aucun renseignement à ce sujet. Après l'expiration de la durée
du brevet, le public devrait effectuer des travaux approfondis
pour déterminer s'il y a des composés utilisables et les identi-
fier. Le demandeur semble plus préoccupé d'obtenir une propriété
aussi étendue que possible, s'étendant même à plusieurs éléments de
la série des actinides qui n'ont pas été isolés jusqu'ici, et à
ceux qui ont "une période radioactive très courte", que de consi-
dérer l'intérêt du public, ce qui l'obligerait à faire un certain
nombre d'expériences, à en divulguer les résultats et révéler quels
éléments ou composés ont été trouvés utilisables.
L'examinateur affirme aussi que, ayant déterminé que l'oxyde d'ytterbium produit
des résultats utiles, le demandeur non seulement conjecture que les autres
membres des terres rares sont effectifs, mais conçoit aussi l'idée d'obtenir un
brevet pour la série des actinides; l'exa.minateur compare ensuite les deux
demandes pour démontrer comment cette "invention sur papier" fut effectuée. Il
déclare:
Il semble donc à l'examinateur, au moment de rédiger le premier
rapport, que quelque temps après le dépôt de la demande de brevet
en coinstance 148888 qui revendique l'utilisation de la série
entière des terres rares, le demandeur doit avoir conçu l'idée
d'obtenir une protection conférée par brevet pour les éléments de
la série des actinides et leurs composés qui pourraient, selon cette
idée, procurer certains "résultats bénéfiques potentiels" si utilisés
en "quantités bénéfiques prédéterminées" de la même façon que les
terres rares et leurs composés. Le demandeur a alors préparé la
présente demande en opiant, presque sans changement, les cinq pre-
mières pages de l'exposé de la demande de brevet en coinstance, en
énumérant ensuite les éléments de la série des actinides et leurs
composés connus de lui, et, dans une troisième opération, en copiant
d'autres parties appropriées de la demande en coinstance, avec
l'insertion occasionnelle du mot "actinide", pour compléter les deus
dernières pages du présent exposé. Le nouvel abrégé et les reven-
dications ont été obtenus en remplaçant les terres rares par les
actinides dans la demande en coinstance. Il n'y a aucune indication
que le demandeur ait fait quoi que ce soit, avant de déposer la
présente demande, pour perfectionner son invention prétendue ou pour
considérer l'intérêt public. L'exposé ne comporte donc pas les carac-
téristiques nécessaires à une véritable invention. Il a déjà été dit
que la preuve de l'utilité de quelques membres d'une grande
famille est une preuve insuffisante de l'utilité des autres
membres. La preuve est encore plus insuffisante dans le cas
présent, car on demande un monopole couvrant une grande famille
d'éléments et de composés en entier sans présenter la preuve
d'utilité d'un seul membre de cette famille.
et rejeta l'ensemble de la demande en ces termes:
...
Comme résultat de l'analyse détaillée qui précède, la présente
demande est refusée dans son ensemble pour les raisons suivantes:
A. Le présent exposé est inadéquat en ce qu'il ne contient aucun
objet brevetable en comparaison de la demande de brevets en
coinstance 148,888, et ne satisfait donc pas à l'article 36(1)
de la Loi sur les brevets.
B. La demande est basée seulement sur une idée non vérifiée, ce
qui est contraire à l'article 28(3) de la Loi sur les brevets,
et,
C. En général, rien n'indique que le demandeur a réalisé une
invention sérieuse.
D. L'exposé ne contient aucune preuve d'utilité même pour un seul
membre de la famille des éléments et composés pour lesquels on
demande une protection conférée par brevet, ce qui ne satisfait
pas à l'article 2 de la Loi sur les brevets.
Dans ces décisions finales du 21 juillet, 1975, l'examinateur a expliqué en
détail ses raisons de rejeter la demande. Il y déclare entre autres choses:
On remarquera que dans les décisions de l'Office des brevets du
19 septembre 1973 et du 7 novembre 1974, l'examinateur avait
signalé l'absence manifesta de tout fondement expérimental pour la
demande présente. Il est remarquable que, dans aucune de ces deux
réponses, le demandeur n'a pu affirmer qu'il avait effectivement
réalisé au moins une expérience, ou produire une seule preuve d'un
résultat expérimental concluant. Ce manque évident de preuves
concluantes ne fait que confirmer les hypothèses qu'aucune expé-
rience n'a été effectuée avant la préparation et le dépôt de la
demande.
Dans les demandes de brevets présentées au Canada, il est normal
d'inclure dans l'exposé la description de plusieurs exemples re-
présentatifs des expériences, en donnant la nature exacte des com-
posés, leur pourcnetage, les opérations, les gammes de température
utilisées et les résultats expérimentaux obtenus. Les exemples
donnant les meilleurs résultats représentent alors le meilleur
mode tel que conçu par le demandeur et aussi requis par l'article
36(1) de la Loi sur les brevets. Outre cela, l'examinateur a
trouvé que, chaque fois que la question de la preuve de l'exploita-
bilité était soulevée, le demandeur, particulièrement dans le cas
d'une grande entreprise bien établie qui dépose rarement une demande
pour une idée non éprouvée, présente invariablement une preuve
d'expériences pratiques pour convaincre et satisfaire l'examinateur.
Il va sans dire que, dans le présent cas, il aurait été beaucoup
plus simple et convaincant de présenter des données expérimentales
concrètes, s'il y en avait eu au lieu des arguments basés sur la
page contestable 10 de l'exposé.
et:
Le présent exposé est incomplet et ne satisfait pas à
l'exigence de l'article 36(1) car il ne donne pas de réali-
sations privilégiées de l'invention prétendue. Le passage
pertinent de cet article dit: "s'il s'agit d'une machine, le
demandeur doit en expliquer le principe et la meilleure
manière dont il a conçu l'application de ce principe". (Les mots
ont été soulignés par nous). Dans le cas présent, la "réalisation
privilégiée" ou la "meilleure manière" correspondrait aux composés
d'actinides, ou combinaisons de composés, qui ont donné les
meilleurs résultats ou à tout le moins de bons résultats acceptables.
La divulgation de cette réalisation privilégiée n'est que le
minimum de considération que le demandeur doit au public en échange
du monopole étandu qu'il cherche à obtenir.
On remarquera que le demandeur mentionne dans l'exposé un grand
nombre d'actinides et de leurs composés. En plus des 15 éléments
de la série elle-même, les pages 6 à 8 de l'exposé mentionnent 54
composés et dérivés d'actinides, ce qui fait un total d'environ 60.
A la fin de l'exposé, le demandeur affirme que chaque actinide
peut être combiné à un ou plusieurs composés du groupe IIa, 6
d'entre eux étant mentionnés en tout. Ainsi, le nombre total de
combinaisons possibles est égal au nombre d'actinides multiplié par
lenombre d'éléments du groupe IIA, c'est-à-dire 60 x 6, nombre qui
dépasse 350. Selon la derrière missive du demandeur, page 6, lignes
19 et 20, toutes ces combinaisons sont utilisables. Il est à peu près
impossible que toutes ces combinaisons soient également utilisables,
et avec le même rendement.
et:
Dans Steel Co. of Canada v. Sivaco Wire and Nail Co., 11 C.P.R. (2d)
153, à la page 195, nous relevons l'expression "invention sur papier"
appliquée à des inventions qui n'ont pas été mises au point. Dans
Hoechst v. Gilbert (1964) Vol. 1, R.C. de l'E. 710 et 1966 R.C.S.
189, la Cour suprême décréta que "personne ne peut obtenir un brevet
valide pour une hypothèse n.on prouvée et non mise à l'essai dans un
domaine inexploré". La possibilité d'une réclamation exagérée fut
aussi examinée dans Société Rhône-Poulenc v. Ciba (1967) 35 F.P.C. 174
aux pages 201-205, et dans 1968 R.C.S. 950, où une revendication
étendue fur trouvée invalide parce que la majorité des substances de
la classe n'avait jamais été fabriquée ou mise à l'essai par quiconque.
A ce sujet, on remarque les raisons qui ont mené à l'introduction de
l'article 41 de la Loi canadienne sur les brevets en 1923, et l'article
38A du British Patent and Designs Act en 1919. L'article 38A fut mis
en vigueur pour remédier à un abus qui mena à la domination de l'in-
dustrie britannique des colorants par des intérêts étrangers qui avaient
obtenu des revendications étendues couvrant des substances chimiques
qu'ils n'avaient jamais fabriquées ou mises à l'essai, et qui utili-
sèrent par la suite ces revendications pour restreindre les activités
de leurs concurrents (Transactions of the Chartered Institute of
Patent Agents, vol. 62, p. 92).
Dnas le cas présent, l'examinateur a rejeté la demande en entier. Nous trouvons
les arguments de l'examinateur convaincants. Pour les raisons soulevées ci-dessus
contre la demande antérieure, nous croyons qu'il n'y a pas eu démonstration
suffisante d'une invention quelconque, qu'on n'a pas satisfait à l'article 36,
et, en nous appuyant sur les informations qui sont devant nous, que le demandeur
n'a fait que conjecturer sur une invention possible. Nous recommandons que la
demande soit refusée.
L'examinateur a aussi émis l'objection que le demandeur a omis de mettre en
garde l'utilisateur de l'invention prétendue contre les dangers encourus, et
d'indiquer les précautions à prendre. Comme le texte s'adresse à une personne
d'expérience dans ce domaine qui serait consciente des dangers radioactifs
encourus et qui connaîtrait les mesures à prendre, il ne nous semble pas nécessaire
de retenir cet objection de l'examinateur. La demande étant par ailleurs non re-
cevable pour d'autres raisons, il n'est pas non plus nécessaire d'approfondir ce
point.
Nous recommandons donc que les présentes revendications de la demande 148,888
soient refusées et que la demande 149,636 soit refusée dans sa totalité.
Le président de la
Commission d'appel des brevets, Canada
Gordon Asher
Ayant considéré l'instruction de le présente demande, je rejette maintenant la
demande 149,636 ainsi que les revendications de la demande 148,888 pour les
mêmes raisons que la Commission d'appel des brevets. Le demandeur dispose de six
mois pour en appeler de cette décision ou, en ce qui a trait à la demande 148,888,
pour restreindre les revendications à l'objet jugé admissible par la Commission.
Le Commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy
Fait à Hull, Québec
ce 19ième jour de janvier 1978
Agent pour le demandeur
Gowling & Henderson
Box 466, Terminal A
Ottawa, Ontario