DECISION DU COMMISSAIRE
EVIDENCE: Outil à sertir
Le dispositif destiné à exercer une pression au moyen d'un mécanisme à vis et
écrou à billes circulantes, au lieu d'un vérin hydraulique, n'est pas brevetable.
Rejet: Confirmé
La présente décision concerne une demande de révision par le Commissaire des
brevets de la décision de l'examinateur datée du 31 mars 1976 concernant la
demande 152,573 (Catégorie 26-79). La demande a été déposée le 26 septembre 1972 et
s'intitule "Fixation de raccord". La Commission d'appel des brevets a tenu une
audience le 13 décembre 1976, à laquelle le demandeur était représenté par MM. E.
O'Connor et C. Upchurch.
La demande concerne un appareil servant à sertir un raccord à l'extrémité d'un
tuyau flexible. Les figures 1 et 4 ci-dessous illustrent l'invention.
<IMGS>
Une matrice fendue (32) tient le tuyau (46) en place afin de permettre au
coulisseau d'enfoncer le raccord (45) et de le fixer solidement au tuyau. Pour
ce faire, on tourne la manivelle 21, laquelle à son tour actionne le collier du
poussoir (19) grâce au mécanisme à vis et écrou à billes circulantes (15 et 18).
Dans la décision, l'examinateur a rejeté la demande pour manque d'originalité
compte tenu des brevets suivants:
Etats-Unis
3,048,212 7 août 1972 Morrison
3,028,987 10 août 1962 VanHenke
Le brevet Morrison concerne un appareil de raccordement pour tuyaux souples,
destiné à sertir un raccord aux extrémités d'un tuyau. Il utilise une matrice
fendue pour tenir le tuyau et un bélier hydraulique manuel pour exercer la pression
de sertissage nécessaire. Les figures 6 et 7 (ci-après) illustrent l'invention de
Morrison.
<IMGS>
La matrice fendue (15) tient le tuyau et le bélier hydraulique (9) actionne le
poussoir (11). Les ressorts de rappel (18, 19) ramènent automatiquement le
bélier à son point de départ une fois ouverte la soupape de dérivation 12.
Van Henke divulgue un outil à main servant à poser des attaches à goupilles
et à colliers. Un mécanisme composé d'un écrou et d'une vis à billes circulantes
exerce une pression sur une butée. Voici la figure 1 de Van Henke.
<IMG>
Dans la décision finale, l'examinateur déclarait (notamment);
Morrison a divulgué un outil servant à sertir des raccords sur un
tuyau flexible, comprenant un cadre, un poussoir, une semelle pour
recevoir une matrice fendue et un vérin hydraulique pour enfoncer
le poussoir et un raccord dans la matrice. De plus, àla ligne 70,
colonne 5, Morrison déclare qu'on peut effectuer cette opération
non seulement à l'aide d'un dispositif hydraulique mais également en
"vissant". Ainsi, Morrison a révélé qu'il pouvait munir son outil
d'un mécanisme à vis. Le demandeur a choisi un appareil à vis assez
particulier comprenant des billes circulantes et l'a appliqué à la
divulgation de Morrison. Ce genre d'écrou sphérique est ancien et
bien connu, de même que les avantages (meilleur rendement) qu'il
présente par rapport aux autres genres de vis et d'écrous. Il est
de notoriété publique que des vis insérées dans des écrous à billes
circulantes équivalent sur le plan mécanique à des dispositifs tels
que le vérin hydraulique. Tout homme du métier devrait pouvoir
remplacer la vis et l'écrou ordinaires de l'outil de Morrison, par
une vis et un écrou à billes circulantes tels qu'ils sont définis à.
la revendication 1. La butée est bien connue; elle sert à empêcher
la vis rotative d'entraîner l'élément qu'elle doit actionner. Le
brevet Van Henke divulgue d'ailleurs cette butée.
La revendication 2 définit des verrouillages articulés sur les
barres longitudinales afin de tenir la matrice dans la cavité, Tout
homme du métier est censé connaître ce dispositif puisqu'il est
notoire que l'outil peut être utilisé dans une position non
verticale.
La revendication 3 concerne un support servant à stabiliser
l'appareil. Tel qu'il est divulgué, il s'agit d'un prolongement
du cadre ou de la semelle qui peut être vissé à un établi ou
inséré dans un étau. Morrison divulgue d'ailleurs cette
caractéristique lorsqu'il déclare que la semelle 4 "peut être
soudée ou boulonnée à un plateau ou un établi...".
Morrison illustre aussi la matrice fendue de la revendication
4, dont on a fait mention plus haut.
Dans sa réponse à la décision, le demandeur déclarait (notamment):
Les demandeurs étaient aux prises avec le problème suivant:
fabriquer un appareil à sertir qui puisse être actionné
anuellement sans s'appuyer sur un établi ou un autre support
du même genre. Il manquait sur le marché un dispositif manuel
de ce genre, que l'on pourrait apporter sur le chantier et
permettant de sertir un raccord à l'extrémité d'un tuyau,
sans aucun appui. Le vérin divulgué par Morrison était trop
lours à transporter et un appareil semblable muni d'un méca-
nisme à vis ordinaire n'exerce pas suffisamment de pression
pour fixer un raccord à l'extrémité d'un tuyau hydraulique
qui doit subir de fortes pressions. Les demandeurs devaient
donc concevoir un appareil à sertir qui fixerait si solidement
le raccord à l'extrémité d'un tuyau hydraulique qu'il ne
pourrait s'en détacher si ce dernier était soumis à une haute
pression; en outre, ce devait être un petit dispositif, léger
et facile à transporter avec soi et qui puisse être actionné
manuellement sans l'aide d'un établi ou d'un autre support du
même genre. Les demandeurs ont résolu ce problème en fournis-
sant l'appareil à sertir dont il est question dans les reven-
dications.
...
Il est impossible de fabriquer un vérin comme celui divulgué
par Morrison, assez léger pour pouvoir se transporter aisément
et servir d'outil à main pour fixer un raccord à l'extrémité
d'un tuyau hydraulique. Morrison ne révèle ni ne suggère rien
au sujet d'une structure qui pourrait permettre de fabriquer
un dispositif à sertir assez léger pour servir d'outil à main.
L'idée d'utiliser une vis ordinaire ne sous-entend pas celle
d'utiliser un ensemble d'écrous spéhriques et de vis à billes.
Par ailleurs, l'écrou sphérique et la vis à bille sont inutili-
sables seuls. Ils doivent être unis à un palier de butée.
Morrison ne révèle ni ne suggère rien au sujet de l'utilisation
d'une butée dans le collier du poussoir. De 1à, le brevet
Morrison ne divulgue ni ne suggère rien au sujet de la structure
de la revendication 1. Le rejet est fondé en grande partie
sur la conclusion selon laquelle un homme du métier devrait
savoir utiliser un ensemble d'écrous sphériques et de vis à
bille ainsi qu'une butée. Toutefois, aucune des antériorités
sur lesquelles se fonde l'examinateur pour rejeter les reven-
dications, n'appuie cette conclusion car elles ne suggèrent
pas la combinaison d'un écrou sphérique, d'une vis à bille et
d'une butée dans un appareil à sertir.
Le brevet Van Hecke divulgue une butée mais celle-ci n'est pas
utilisée avec un écrou sphérique et une vis à bille de 1a même
façon que dans le dispositif du demandeur. L'outil de Van
Hecke sert à fixer des attaches. L'appareil sert à tirer; il
n'est pas conçu pour enfoncer un raccord et l'extrémité d'un
tuyau dans une matrice afin de sertir le raccord à l'extrémité
du tuyau. Quelqu'un désirant sertir un raccord sur l'extrémité
d'un tuyau n'apprendra rien qui puisse lui être utile en lisant
le brevet de Van Hecke.
La Commission doit déterminer si le demandeur a réalisé un progrès technique
brevetable.
La revendication 1 de la demande se lit comme suit:
Un appareil servant à fixer un raccord à un tuyau,
comprenant les pièces suivantes: un ensemble de vis à
bille et d'écrou spérique; une matrice à sertir dont la
cavité touche une extrémité de la vis, la cavité étant
allignée sur la vis; un dispositif destiné à supporter ledit
écrou sphérique et ladite matrice contre le mouvement longi-
tudinal relatif et la rotation, la vis comprenant des barres
espacées latéralement sur toute la longueur; une barre
transversale reliant l'écrou sphérique et les barres espacées
et solidement fixée à ces derniers; une semelle de matrice
largitudinale, partant de la barre transversale et reliant
lesdites barres espacées et solidement fixée; un dispositif
dans la semelle de la matrice servant à soutenir la matrice à
sertir; un dispositif supporté par ladite extrémité de la vis,
servant à enfoncer le raccord et le tuyau dans ladite cavité
comprenant un élément porteur fixé à ladite extrémité de la
vis pour tourner avec elle et ayant une cavité de l'élément
porteur et l'autre extrémité servant à soutenir un assemblage
raccord-tuyau lorsqu'il est dirigé vers la cavité; un dispo-
sitif servant à transmettre l'énergie de la vie au poussoir
sans que ce dernier tourne avec la vis comprenant une butée dans
la cavité de l'élément porteur et autour dudit poussoir et un
dispositif destiné à tourner la vis dans l'écrou.
Morrison a montré comment utiliser un mécanisme manuel à sertir pour relier
l'extrémité d'un tuyau et un raccord. Il utilise une matrice fendue pour maintenir
l'extrémité du tuyau et un poussoir pour exercer une pression suffisante pour fixer
solidement le raccord au tuyay. Il utilise un bélier hydraulique manuel pour
obtenir la pression nécessaire. Morrison emploie également une paire de ressorts
afin de ramener automatiquement le bélier hydraulique à son point de départ après
l'ouverture de la soupape de dérivation, une fois le sertissage terminé.
Le demandeur emploie un dispositif composé d'un écrou et d'une vis à billes
circulantes pour obtenir la pression nécessaire au sertissage. Pour utiliser ce
dispositif, le demandeur a besoin d'une butée afin que la poussée rotative de la
vis que l'on serre ne soit pas transmise au poussoir (28). Le demandeur admet
que les mécanismes composés d'écrous et de vis à billes sont connus, ainsi que la
butée. I1 est écrit aux lignes 1 et suivantes de la page 8 de la divulgation du
demandeur:
On trouve sur le marché des ensembles d'écrous sphériques et
de vis à bille appropriés. On peut utiliser n'importe lequel
du moment qu'il convient, par exemple, l'ensemble divulgué
dans le brevet américain 2,836,075 ou un autre ensemble du
même genre.
On peut utiliser n'importe quelle butée qui convient. La butée
Tinken numéro T-77, modèle TTSP fait très bien l'affaire.
Il est à noter que Morrison conseille d'utiliser un bélier à pression composé
d'une vis, aux lignes 70 et suivantes de la colonne 5:
Il est à souligner cependant que même si l'on utilise un
bélier ou un vérin hydraulique pour exercer la pression, un
mécanisme muni de vis où le poussoir est vissé à un pas
variable suffisant pour emboutir cette bague dans les demi-
coussinets ferait aussi l'affaire; de sorte que je n'ai pas
l'intention d'utiliser mon appareil uniquement avec un bélier
hydraulique; cette utilisation sert uniquement à des fins
d'illustration.
A l'audience, M. O'Connor a reconnu que Morrison exposait l'utilisation d'un filet
de vis; il a prétendu toutefois que cette utilisation posait des problèmes qu'il
fallait résoudre. Par exemple, le demandeur a dû fournir un bras de levier servant
à neutraliser la force rotative lorsque le dispositif n'est pas ancré dans un étau.
Nous n'estimons pas cependant que l'utilisation du mécanisme connu à vis et à
écrou sphérique, soit originale. Le demandeur admet que l'écrou et la vis en
question sont bien connus de même que la butée. L'examinateur l'a clairement
montré lorsqu'il a invoqué l'antériorité de Van Hecke. Par ailleurs, tout homme
du métier songerait à utiliser un bras de levier pour neutraliser la force rotative.
En choisissant un dispositif composé d'une vis et d'un écrou sphérique, le deman-
deur devait ajouter une butée. Le choix de ce dispositif exige un mécanisme
neutralisant la force rotative appliquée à l'écrou sphérique, c'est pourquoi le
demandeur utilise un bras de levier articulé. D'autres mécanismes peuvent exercer
une pression suffisante sur le poussoir à sertir; un vérin à ciseaux, par exemple,
est assez fort pour exercer une pression suffisante sans l'aide d'une butée, d'un
bras de levier ou d'une paire de ressorts de rappel.
Le demandeur soutient également que son dispositif est petit, léger et portatif.
C'est pourquoi il souligne que son appareil à sertir peut être utilisé sur le
chantier, contrairement à celui de Morrison qui doit être fixé sur un établi.
Mais Morrison reconnaissait aussi les avantages de l'utilisation sur le chantier
lorsqu'il déclarait aux lignes 33 et suivantes, colonne 2:
Un autre objet de l'invention consiste à fournir un appareil
permettant de réparer les assemblages de tuyaux brisés sur
le chantier, sans l'aide d'un appareil autre que 1e simple
dispositif exposé dans les présentes.
Par conséquent, nous ne voyons pas ce que le dispositif du demandeur comporte de
nouveau ou d'inattendu par rapport à celui de Morrison.
M. O'Connor a cité à l'appui de ses arguments sur l'évidence, des extraits de
décisions de commissaire et de jugements qui font jurisprudence. Nous ajoutons
à cela:
La combinaison de deux ou plusieurs parties, qu'elles soient
nouvelles ou anciennes, ou partiellement nouvelles et anciennes,
de façon à obtenir un nouveau résultat, ou un résultat connu
mais d'une façon plus perfectionnée, plus économique ou plus
rapide, constitue un objet brevetable si l'inventeur a fait
preuve de jugement, d'innovation, d'originalité dans l'invention
et de nouveauté dans la combinaison. (Voir Merco Nordstrom Valve
Co. c. Comer (1942) Ex. C.R. 138 à 155). (nous soulignons)
Il est aussi établi, qu'il faut examiner la question de l'évidence par rapport à
1'"état de la technique" en fonction des connaissances des hommes de métier (voir
Almanna Svenska Elektriska A/B c. Burntisland Shipbuilding Co. Ltd. (1952), 69
R.P.C. 63 à 69). Même si les revendications concernent une structure nouvelle,
cela ne suffit pas; elles doivent de plus présenter suffisamment de niveau inventif
(voir Micro Nordstrom Valve Co. v. Comer, Supra).
Pour ce qui est de la question du niveau inventif, reportons-nous au jugement de
la Cour suprême dans l'affaire Crossley Radio c. Canadian General Electric (1936)
551 à 559, où avait été proposée une interprétation de l'évidence, reprenant les
propos de Lord Chelmsford dans Penn v. Liby, (1886) L.R. 2 Ch. App. 127:
... le dessin ne me semble pas différer tellement de l'ancien
au point d'être inconnu pour un homme du métier.
A ce propos, Lord Shaw déclarait dans London General Omnibus Company c. Bonnard
(1920) 38 R.P.C. 1 à 15,
... le dessin aurait pu venir à l'esprit de toute personne
intelligente sans constituer pour autant l'invention (niveau
inventif) nécessaire à l'octroi d'un brevet.
A notre avis, l'interdiction formulée par le juge Maclean J. dans Niagara Wire
Weaving c. Johnson Wire Works Ltd. (1939) Ex. C.R. à 273, s'applique à la
structure revendiquée:
De légères modifications apportées dans une antériorité
aux normes habituelles de construction constituent rarement
une invention; il s'agit habituellement d'améliorations
évidentes dues à l'expérience et aux besoins changeants des
usagers.
ET, à la page 276:
Aucune étape divulguée ne pourrait constituer une invention.
La divulgation de Lindsay ne diffère pas des connaissances
antérieures et n'est pas originale au point de mériter un
brevet. Si ces brevets pouvaient âtre appuyés, ceci consti-
tuerait un grave obstacle à tout perfectionnement dans l'ap-
plication pratique des connaissances courantes.
Le demandeur a fait valoir le succès commercial dont jouit son dispositif.
Il ne faut pas oublier toutefois que le succès commercial à lui seul, sans
aucune solution ingénieuse au problème, ne suffit pas à établir l'objet (voir
The King c. Uhlemann Optical Company (1949) 10 Fox Pat. C).
Nous constatons que la revendication 1 insiste sur le mécanisme à écrou et à vis
à bille. En raison des considérations qui précèdent, nous ne sommes pas convaincus
que cette revendication représente un progrès technique brevetable par rapport au
brevet de Morrison et aux connaissances des hommes de métier. Le dispositif ne
produit aucun résultat nouveau brevetable ni aucun résultat dû à une étape
inventive.
Les revendications 2 à 5 qui dépendent directement de la revendication 1, portent
de plus sur la matrice, les mécanismes de verrouillage et d'appui. Ces caracté-
ristiques n'ajoutent rien de brevetable à l'objet de la revendication 1.
Nous en sommes venus à la conclusion que les revendications, et la demande dans
son ensemble, ne représentaient pas un progrès technique brevetable. Nous recom-
mandons par conséquent que la décision soit confirmée.
Le président
Commission d'appel des brevets
G. Asher
Je me rallie aux conclusions de la Commission d'appel des brevets et refuse en
conséquence de concéder un brevet pour la demande en question. En vertu des
dispositions de l'article 44, le demandeur dispose d'une période de six mois
pour en appeler de la présente décision.
Le Commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy.
Daté à Hull (Québec)
ce 1er jour de février 1977 Agent du demandeur
Scott & Aylen
170 ouest, avenue Laurier
Ottawa (Ontario)
K1P 5V5