DECISION DU COMMISSAIRE
EVIDENCE: Assemblage à tenons et à mortaises destiné à fixer une grue à
un socle.
La demande concerne la superstructure amovible d'un appareil de manutention
de matériaux lourds destiné à être installé sur le socle d'une grue mobile et
le dispositif de fixation dudit châssis. Certaines revendications ont été
rejetées pour manque de progrès brevetable dans la technique.
Decision: Confirmée
La présente décision porte sur une demande de révision par le Commissaire des
brevets de la décision de l'examinateur datée du 10 septembre 1975, concernant
la demande 144,173 (catégorie 212-39). Cette demande a été déposée le 8 juin
1972 au nom de Ralph H. Short et s'intitule "Système et méthode d'installation
d'un plateau tournant pour une grosse grue amovible". La Commission d'appel
des brevets a tenu une audience le 24 novembre 1976 à laquelle M. R.D. McKenzie
représentait le demandeur.
La demande concerne la superstructure amovible d'un appareil de manutention
de matériaux lourds destiné à être installé sur le socle d'une grue mobile.
Les tenons (languettes saillantes) de la superstructure s'introduisent dans les
mortaises du socle de l'appareil. On enfonce ensuite des chevilles dans les
entailles des tenons afin de bien les fixer au-dessous de la surface inférieure
du socle. Les figures 2 et 3 ci-dessous illustrent la prétendue invention.
<IMGS>
Dans sa décision, l'examinateur a rejeté les revendications 1, 7, 8 et 12 pour
manque d'objet brevetable compte tenu des antériorités suivantes:
Etats Unis
2,965,245 20 décembre 1960 Zeilman
Brevet canadien
642,236 5 juin 1962 Bernath
Le brevet de Zeilman porte sur une structure démontable pour grosses grues.
La superstructure de la grue est fixée sur un socle au moyen d'un dispositif de
serrage bien connu, composé d'un boulon et d'un écrou. Les figures 2 et 3
ci-dessous illustrent l'invention en question.
<IMGS>
Le brevet de Bernath concerne un dispositif d'assemblage compsoé "d'une pièce
qui ressemble à un tenon" 20 et d'une entaille 21. Une cheville 19 est alors
introduite dans l'entaille 21 au-dessous d'une surface d'appui 14. Ce dispositif
est clairement illustré à la figure 2 ci-dessous:
<IMG>
Dans sa décision, l'examinateur déclarait (notamment):
Il est mentionné qu'aux lignes 19 à 26 de la colonne 2, Zeilman fait
allusion à des canaux intérieurs et extérieurs. Ainsi, Zeilman fixe
l'un de ces canaux à la table tournante et l'autre à la superstructure.
Le demandeur fait également cela mais emploie des dispositifs de fixation
différents. Vu le brevet de Bernath, cet emploi d'un dispositif de
fixation différent est chose évidente. La différence de taille entre la
table de Bernath et la base de la grue du demandeur n'est qu'une question
de degré. Le fait que le demandeur utilise un dispositif de grande taille
ne sous-entend absolument pas que celui de Bernath ne fonctionnerait pas.
On admet qui Bernath s'intéresse à un dispositif d'assemblage de meubles. La
question essentielle est de savoir si un spécialiste des grues connaîtrait
les assemblages général et plus particulièrement ceux employés en machinerie
lourde On prétend qu'il le devrait et ce point a été prouvé dans les brevets
canadiens suivants: le brevet 313,869 du 4 août 1931 dans lequel la figure 3
représente un dispositif d'assemblage à cheville et à entaille destiné à
fixer des automobiles à un wagon de transport, le brevet 34,202 de 1890 portant
sur un dispositif d'assemblage à cheville et à entaille pour la matrice d'un
wagon, le brevet 159,993 de 1914 portant sur un même dispositif d'assemblage
pour un montant ou traversin servant à retenir les troncs d'arbres dans
un wagon, et enfin le brevet 250,625 du 9 juin 1925 concernant un dispositif
d'assemblage à tenons à mortaises pour le montant d'un wagon. Tous ces brevets
relèvent du domaine des poids lourds et portent sur des questions qui devraient
être évidentes à tout travailleur se servant de machines lourdes et de grues.
Dans sa réponse à la décision, le demandeur se demandait "qu'elle importance ont
les brevets canadiens (voir ci-dessus) énumérés au deuxième paragraphe de la
décision....." Il est clair qu'on les a cités comme des cas de jurisprudence
afin de démontrer l'état de la technique et afin d'appuyer le point de vue de
l'examinateur assurant qu'on peut s'attendre à ce qu'un spécialisate connaisse
les assemblages en général et plus particulièrement ceux employés en machinerie
lourde..." Dans sa réponse, le demandeur déclarait également (notamment):
...
Toutefois, le demandeur estime que les brevets dont a fait mention
l'examinateur ne changent pas la situation et n'enlèvent rien à la
brevetabilité des revendications rejetées. La première antériorité,
soit le brevet américain 2,965,245 concédé à Zeilman et coll., porte
sur une structure démontable pour grue pouvant être assemblée au moyen
de boulons et d'écrous, Cette antériorité est pertinente ici et a été
citée dans la demande américaone correspondante, et fut surmontée par
les revendications contenues dans le brevet américain 3,726,418 (voir
copie ci-jointe). Cependant, l'examinateur a combiné le brevet de Zeil-
man et coll. au brevet canadien 642,236 concédé à Bernath (et peut-être
aux autres brevets susmentionnés) afin de soutenir l'évidence des
revendications rejetées. Les brevets autres que celui de Zeilman et
coll. relèvent de domaines qui ne se rapportent pas du tout aux grues
et le demandeur souligne respectueusement qu'il ne revendique pas
l'invention des crampons à cheville et à entaille Ce genre de crampon
est connu depuis des milliers d'années peut-être mais a récemment été
surpassé par des dispositifs de serrage plus perfectionnés dont le
fonctionnement exige des outils plus élaborés mais qui, semble-t-il,
conviennent davantage à l'équipement moderne, et particulièrement à la
machinerie lourde, comme c'est le cas dans la présente demande. Ce point
est soutenu par le fait qu'à l'exception de brevet de Bernath (qui se
rapport au domaine bien connu des meubles) l'examinateur a dû remonter à
1931 pour retrouver un brevet portant sur un crampon à entaille et à
cheville. A cette époque, une charge pesant quelques tonnes était probable-
ment considérée comme une charge lourde, tandis qu'ai l'heure actuelle, le
poids brut d'une charge pour une machine du genre de celle qui est décrite
dans la présente invention s'élève à environ 395,000 livres. Cette machine
comporte une flèche qui peut atteindre jusqu'à 400 pieds de long, En outre,
sa capacité portante maximale est de 300 tonnes, Vous trouverez, à titre
d'information, deux mémoires descriptifs sur les grues à capacité de 300
tonnes dont fait état la présente invention. L'examinateur a déclaré que
la différence de taille "n'est qu'une question de degré". Toutefois,
on prétend respectueusement que cela n'est pas le cas. Si l'on acceptait
ce genre de raisonnement, il faudrait, après avoir multiplié la charge par
100 environ, multiplier la taille des crampons par le même nombre. Or,
il n'a jamais été déterminé au préalable que les crampons à entaille et
à cheville pouvaient être tulisés sur une machine de cette taille. La
preuve en est que personne n'a jamais proposé une solution plus simple à
l'installation d'une superstructure de grue sur un socle (tel qu'on le
mentionne dans l'introduction de la divuglation).
...
On prétend que pour avoir élaboré et divulgué la présente invention, le
demandeur a droit à la protection d'un brevet canadien pour l'ensemble de
l'invention, Les revendications rejetées ne sont pas totalement inacceptables
étant donné qu'elles se limitent au montage particulier de la superstructure
d'une grue sur un socle. Il est donc respectueusement demandé que le
Commissaire étudie et annule la décision de l'examinateur de rejeter les
revendications 1, 7, 8 et 12 de la présente demande.
La question est de savoir si les revendications 1, 7, 8 et 12 portent sur un
progrès brevetable compte tenu de l'antériorité. Penchons-nous maintentant sur
la prétendue invention telle qu'elle est exposée dans la divulgation et les
revendications. La revendication 1 se lit comme suit:
Un système servant à installer une superstructure de grue sur un
socle composé des éléments suivants: une surface d'appui annulaire
comportant un canal intérieur et un canal extérieur; un dispositif
pour fixer l'un des canaux à la superstructure, l'autre canal étant
muni de nombreux tenons; letit socle étant doté de nombreuses mortaises
allongées destinées à recevoir lesdits tenons qui se prolongent au-
dessous du socle lorsque celui-ci est point à la surface d'appui et qui
portent une entaille sur leur partie inférieure; une cheville pouvant
entrer à force dans l'entaille de chaque tenon, entre la surface inférieure
de l'entaille et celle dudit socle, lorsque la surface d'appui est fixée
au socle.
A l'audience, M. McKenzie a avancé certains arguments intéressants que nous
étudierons attentivement. Il a également présenté une brochure illustrant
en couleur l'appareil de manutention de matériaux.
Le demandeur souligne "qu'il ne revendique pas l'invention des crampons à
cheville et à entaille. Ce genre de crampon est connu depuis des milliers
d'années, peut-être..." Il aboute que la question importante est de savoir
s'il est évident pour un spécialiste des grues de combiner entailles et
chevilles à la structure connue pour arriver au système revendiqué... Naturellement,
il est difficile de répondre à une telle question.
Le demandeur soutient que ses revendications concernent un dispositif nouveau.
I1 s'agit donc de déterminer s'il résulte d'un effort suffisamment créatif pour
mériter qu'on le qualifie d'invention et qu'on lui condède un monopole. Les
autorités compétentes ont déjà déclaré que le fait de combiner deux ou plusieurs
éléments pour en paire une nouvelle combinaison, qu'ils soient nouveaux ou anciens
ou partiellement nouveaux et anciens, afin d'obtenir un résultat nouveau ou un
résultat connu par des moyens plus efficaces, plus économiques et plus rapides,
constitue un objet brevetable si le résultat est le fruit d'une conception originale
et si la combinaison est nouvelle (voir Merco Nordstrom Valve Co. c. Comer
(1942) Ex. C.R. 138 à 155). De plus, c'est un principe étable que la
question de l'évidence doit être jugée en fonction de "l'état de la technique"
et à la lumière de ce que les spécialistes en la matière connaissent déjà
(voir Alamanna Svenska Elektriska A/B c. Burnstisland Shipbuilding Co. Ltd
(1952), 69 R.P.C. 63 à 69).
Afin de déterminer s'il y a invention ou non, il nous faut étudier l'antériorité,
ainsi que ses effets cumulatifs (voir De Frees and Betts Machine Co. c. D.A.
Acc. Ltd. 25 Fox Pat. C. 58 à 59).
En parlant de la "charge lourde" dont fait état la présente demande, le
demandeur a déclaré: "Le fait est qu'on n'a damais pensé auparavant que ces
bons vieux crampons à entailles et à chevilles pouvaient servir efficacement
à une machine de cette taille". Il est clair, toutefois, que Zeilman a
emprunté la même méthode fondamentale de montage. Bien entendu, il s'est servi
du crampon à boulons et à écrous bien connu au lieu du système de fixation à
entaille et à cheville. Pour ce faire, il a dû veiller à ce que les boulons
soient suffisamment nombreux et de taille assez importante pour résister au poids.
Plus loin, le demandeur s'exprime ainsi: "Les grues démontables sont connues
depuis longtemps... Les dispositifs à entailles et à chevilles le sont également".
La question est donc de savoir si le fait de faire un usage différent du
dispositif bien connu à entailles et à chevilles constitue un progrès brevetable
dans la technique.
Est utile à la présente décision, le raisonnement de la cour dans Bergeon c.
De Kermor Electric Heating Co. Ltd. (1927) Ex. C.R. à la page 188, où le juge
Audette déclarait:
L'adaptation d'anciens dispositifs de même nature à un usage
nouveau ou semblable, surtout lorsqu'ils s'appliquent à la
même catégorie d'articles et effectuent la même fonction bien
connue, ne constitue pas une invention.
Dans le cas présent, l'amélioration revendiquée consiste en une
combinaison qui, compte tenu de l'état de l'antériorité, ne
divulgue aucune nouvelle fonction ou découverte qui pourrait,
à mon avis, représenter une invention. Le simple fait d'utiliser
certaines choses bien connues de manière à obtenir un résultat
déjà connu ne constitue pas une invention.
Voir également Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp and Paper Mills Ltd
(1927) Ex. C R. 28,
Le demandeur maintient que son système réduit "la nécessité d'utiliser de
gros outils (clés dynamométriques) difficiles à manipuler". Cette déclaration
semble assez théorique par rapport à la divulgation de la page 3, lignes 1
et suivantes qm se lisent comme suit: "Les chevilles peuvent être introduites
à force au moyen d'un cric hydraulique ou d'une simple masse..."
Au cours de l'audience, le demandeur a indiqué ce qui suit: "Bernath par
contre, divulgue des assemblages à entailles et à chevilles pour meubles
et il est difficile de les transposer pour une grue de 300 tonnes". Bien
entendu, cette transposition n'est pas nécessaire puisque les antériorités
citées dans la décision portent sur des dispositifs à entailles et à chevilles
destinés à fixer des véhicules, des charges de wagons, etc. Herron(brevet
canadien 159993), par exemple, faut état d'un dispositif de fixation à entaille
et à cheville destiné à fixer de grosses charges de troncs d'arbres à un wagon
plat. Un de ses objectifs est "de pouvoir enlever plus facilement les ridelles
faisant partie du dispositif de retenue de la charge),.." La figure 5, ci-dessous,
illustre l'invention en question.
<IMG>
La revendication 1 "décrit un système mobile servant à installer une
superstructure de grue sur un socle muni d'assemblages à entailles et à
chevilles".
Compte tenu de ce qui précède, nous ne croyons pas que le demandeur doit
en droit de revendiquer un dispositif de portée aussi vaste, à savoir un
dispositif bien connu composé d'entailles et de chevilles destiné à fixer
une machine lourde à une base. La revendication 1 ne fait qu'adapter un
dispositif de fixation connu à un usage différent. Nous ne devrions pas
concéder un monopole qui pourrait empêcher les spécialistes de ce domaine
d'assembler deux pièces de façon bien connue. Nous sommes d'avis que la
reveneication 1 ne constitue pas une combinaison nouvelle et ne présente
pas de niveau inventif: elle doit par conséquent être rejetée. Le
raisonnement de la cour dans Bergeon c. DeKermor, supra, s'applique également.
Les revendications 7 et 8, qui découlent de la revendication 1, concernent les
emplacements bien précis des entailles, Cette adjoinction à la revendication
1 ne rend pas cette dernière nouvelle ou brevetable par rapport à la revendication
1 rejetée. Nous estimons, par conséquent, qu'il y aurait lieu de rejeter ces
revendications.
La revendication 12 porte essentiellement sur la même étendue de monopole
que la première La seule différence réside dans le fait qu'on y mentionne
"un dispositif de fixaiton à cheville". Les dispositifs servant à fixer une
cheville dans un montage entaille-cheville sont bien connus. Voir l'illustration
1, ci-dessous, du brevet de Graham (34,202).
<IMG>
Les motifs du rejet de la revendication 1 s'appliquent également à la
revendication 12.
Nous avons jugé les revendications 1, 7, 8 et 12 inadmissibles par rapport aux
antériorités de l'examinateur, mais aimerions ajouter que même si nous les
avions acceptés, nous nous serions sentis obligés de renvoyer la demande à
l'examinateur pour qu'il étudie dans qu'elle mesure le brevet canadien 749631-
Klohn, 3 janvier 1967, changerait la brevetabilité des revendications en question.
Toutefois, en raison de nos conclusions, ceci est inutile et nous ne citons
ce brevet qu'à titre comparatif seulement. Les figures 1 et 4. ci-dessous,
illustrent l'invention en question:
<IMGS>
En résumé, nous sommes convaincus que, compte tenu des antériorités, les
revendications 1, 7, 8 et 12 ne constituent pas un progrès brevetable. A
notre avis, aucun des résultats obtenus n'est le fruit d'une démarche
inventive. Nous recommandons donc que soit confirmée la décision de rejeter
ces revendications.
Néanmoins, une remarque s'impose. Nous nous étonnons que l'examinateur n'ait
pas rejeté les revendications 2 et 3. La seule distinction qui existe entre
les revendications 1 et 2, par exemple, réside dans le fait que "chaque
entaille de tenon s'effile vers le haut". Or, ce détail est commun à n'importe
quel montage à entailles et à chevilles (voir par exemple, la figure 10 du
brevet de Mills (313,969)). De même, la seule caractéristique nouvelle de la
revendication 3 est "le dispositif de blocage desdites chevilles". Le brevet
de Graham susmentionné comporte un tel dispositif. Nous ne voyons donc pas
comment ces distinctions peuvent rendre les revendications 2 et 3 brevetables
si la première ne l'est pas. De plus, nous estimons que la revendication 3 est,
d'un point de vue pratique, essentiellement identique à la revendication 12.
J.F. Hughes
Président adjoint
Commission d'appel des brevets
Apresétude de la présente décision et des recommandations de la Commission
d'appel des brevets, je recommande que soit rejetées les revendication 1, 7
8 et 12 et que les revendication 2 et 3 soient étudiées à nouveau. Le cas
échéant, le demandeur dispose d'une période de six mois pour en appeler de la
décision, aux termes de l'article 44 de la Loi sur les brets.
J.H.A. Gariépy
Commissaire des brevets
Fait à Hull (Québec)
ce quinziéme jour de décembre 1976
Mandataire du demandeur
George H. Riches et associés
Suite 812-820
67, rue Yonge
Toronto (Ontario)
M5E 1K1