DECISION DU COMMISSAIRE
EVIDENCE: Rouleau de languettes de fermeture pour les contenants de lait.
Un rouleau de toile continu est utilisé dans une machine servant à fabriquer des
contenants tétraédriques (berlingots) pour le lait et autres liquides. Une série de
trous estampés de même forme, recouverte de languettes, sont disposés en zigzag sur
le rouleau. L'antériorité ne porte pas sur le même concept.
Rejet: Annulé
La présente décision concerne une demande de révision par le Commissaire des brevets
de la décision finale de l'examinateur du 22 mai 1975 au sujet de la demande
131,930 (Catégorie 229-13). Celle-ci a été déposée le 7 janvier 1972 au nom de
William O. Young, Jr. et porte la mention "Languettes de papier détachables".
La Commission d'appel des brevets a tenu une audience le 15 septembre à laquelle le
demandeur était représenté par MM. N.S. Hewitt et A. Messulam.
La demande décrit la production d'une toile continue destinée à la fabrication de
contenants liquides, notamment des berlingots. La figure 20 ci-dessous illustre bien
la présumée invention:
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Dans sa décision, l'examinateur a rejeté les revendications pour le motif "qu'elles
n'apportent aucun élément nouveau par rapport à la divulgation de Mobley, si
combinées à la pratique courante de disposer des languettes de fermeture à intervalle
régulier, comme le veut la technique de fabrication des rouleaux, telle qu'exposée
par Paxton". L'examinateur a aussi mentionné le brevet canadien 437,800 du 5
novembre 1946 afin de dém ontrer qu'on a déjà inventé une toile comportant des
rangées adjacentes d'articles. Dans sa décision, l'examinateur déclarait (notamment):
Il est évident que si une machine est conçue pour recevoir
une toile continue disposée en zigzag, il faut que le rouleau
qui l'alimente, soit aussi en zigzag. Disposer les trous à
un intervalle régulier n'est qu'une simple question de choix.
Il est clair d'après les antériorités susmentionnées, surtout
celle de Paxton, qu'il faut disposer les éléments uniformément
sur toute la largeur du papier pour que le diamètre du rouleau
soit uniforme. Le demandeur n'a rien fait de plus.
Le brevet de Mobley divulgue un rouleau d'étoffe percé de trous espacés sur lesquels
des languettes détachables de fermeture sont thermocollées. Voici un dessin
illustrant en partie la figure 1 de l'invention:
<IMG>
Le brevet de Paxton révèle fondamentalement que les languettes de fermeture sur
une toile doivent être disposées à intervalle régulier de façon à avoir la même
épaisseur partout lorsqu'on enroule la toile. La figure 2, reproduite ci-dessus
(en partie), illustre bien cette invention.
<IMG>
Dans sa réponse (du 21 octobre 1975) à la décision de l'examinateur, le demandeur
déclare que son invention consiste à séparer les opérations de perforation et de
fermeture de celle de remplissage afin que la vitesse du remplissage ne soit pas
réduite par celles des deux autres opérations.
Pour ce faire, il faut fabriquer un rouleau de matériel d'emballage dont les trous
sont recouverts d'une languette de fermeture scellant l'intérieur de l'emballage.
On peut ensuite transporter le rouleau et l'insérer dans une remplisseuse. Le
demandeur déclarait aussi (notamment):
Il faut confier les opérations de la machine de Mobley à deux
machines distinctes pour réaliser le rouleau de la présente
invention. Le matériel d'emballage dont il est question aux
revendications 1 à 3 de la présente demande, ne peut donc servir
que si l'on procède avec deux machines: nous estimons que l'an-
tériorité citée ne peut divulguer ni revendiquer le rouleau de la
présente invention puisqu'elle ne fait aucune allusion au concept
des deux machines. Par conséquent, le rouleau, c'est-à-dire le
matériel d'emballage, provient de la machine qui perce des trous
dans le matériel et y appose les languettes; ce matériel est
retiré de la machine et alimente sous forme de rouleau une machine
d'emballage. Nous soumettons donc respectueusement qu'un homme du
métier qui lit Mobley n'a aucune raison de vouloir modifier son
procédé en disposant à intervalle régulier les trous 11 et 12
recouverts des languettes 13 et 14, le long de deux lignes médianes
et dans le sens longitudinal des lignes parallèles du matériel,
c'est-à-dire en disposant tout à tour ces ouvertures et ces
languettes de part et d'autre de la ligne centrale à une distance
égale, et en distançant également chacune des ouvertures et des
languettes qui les recouvrent sur toute la longueur. Non seulement
Mobley n'aurait tiré aucun avantage à agir de la sorte, mais, de fait,
il en aurait tiré de graves inconvénients car il lui aurait fallu
modifier considérablement sa machine, soit le mécanisme servant à
perforer les trous et à les recouvrir de languettes, et celui servant
à fabriquer des emballages scellés à l'aide de la toile. Ce n'est
que lorsqu'il s'agit de rouler la toile du mécanisme d'emballage et
de fermeture avant que la machine n'en fasse des emballages que les
principales caractéristiques de la présente invention deviennent
importantes. Étant donné que ni Mobley ni Paxton ne font état de
deux machines distinctes, nous estimons qu'il n'est pas évident pour
un homme du métier de modifier la machine de Mobley; de plus, un
homme du métier chargé de modifier cette machine de façon à répartir
les trous 11 et 12 à intervalle régulier, comme l'a suggéré
l'examinateur, s'y opposerait car cette modification n'amènerait que
des complications et rendrait l'appareil inutilisable.
Il s'agit de savoir si le demandeur a réalisé un progrès technique brevetable.
Examinons maintenant la divulgation et les revendications. La revendication 1 se
lit comme suit:
Un rouleau cylindrique d'alimentation composé d'une toile
d'emballage continue, celle-ci percée à intervalle
régulier de trous recouverts chacun d'une languette
détachable fixée au rouleau, lesdites languettes détachables
recouvrant lesdits trous étant disposés en zigzag, de part
et d'autre le long des lignes parallèles.
Nous remarquons que le demandeur a une demande (131,929) en coinstance portant
la même date, relative à la méthode et à l'appareil destinés à produire le matériel
d'emballage dont il est question dans la présente demande. Nous sommes donc
conscients que la présente décision est susceptible d'influencer l'issue de cette
demande.
Nous avons étudié avec soin les arguments présentés par MM. Hewitt et Messulam
lors de l'audience.
Il est compréhensible dans les circonstances actuelles que la présumée invention
puisse sembler simple à première vue. Nous estimons cependant qu'il peut s'agir
ici d'une situation dans laquelle L'idée générale ou le concept constitue,
partiellement du moins, l'objet même de l'invention. C'est là une question qu'il
est difficile de trancher dans les présentes circonstances.
A l'audience, le demandeur déclarait que 1a présente invention résulte de deux
démarches inventives; le concept de la séparation de sa machine en deux machines
distinctes; et le rouleau conçu en fonction de la nouvelle machine, destiné à
mettre en pratique ce concept. Face au mauvais rendement des machines de l'anté-
riorité, il s'agit ici, sommes-nous d'avis, d'une idée ou d'un concept et d'une
nouvelle application pratique pour résoudre ce problème.
Il a été établi que la démarche inventive, le bien-fondé, pouvait résider dans
l'idée générale ou le concept. Autrement dit, la valeur d'une invention peut
résider dans la reconnaissance dé l'existance d'un problème, ou s'exprimer en
démontrant clairement qu'elle comporte une utilité certaine. Il a aussi été
établi que la reconnaissance d'un concept permettait la concession d'un brevet
même si les moyens de le réaliser sont évidents en raison même du concept.
A l'égard de la "reconnaissance de l'idée générale ou du concept", l'affaire
Hickton's Patent Syndicate c. Patents and Machine Improvements Company Ltd, (1909) 26
R.P.C. 339, fait jurisprudence en ce qui nous concerne. Voici ce que déclare à ce
sujet le juge Fletcher Moulton à la page 347:
"Une idée peut être nouvelle, originale et bien fondée, mais à
moins d'être inventive dans sa mise en pratique, elle ne peut-
être jugée brevetable." Sauf le respect que je dois au savant juge,
cette déclaration est, à mon avis tout-à-fait contraire aux prin-
cipes du droit des brevets et écarterait plusieurs véritables
inventions. Autant que je sache, cette affirmation n'est appuyée
par aucune décision et aucun jugement n'a été cité qui la
justifie... Déclarer qu'une conception susceptible d'être bien-
fondée et ingénieuse, nouvelle et originale, ne mérite pas d'être
brevetée conformément à notre droit des brevets simplement parce
qu'elle est facile à réaliser, est, suis-je d'avis, extrêmement
dangereux et injustifié tant sous l'angle de la logique que celui
de la jurisprudence.
...
A mon avis, l'invention peut résider dans l'idée, dans son mode
de réalisation ou dans la combinaison des deux.
Dans l'affaire Fawcett v. Homan (1896) 13 R.P.C. 398 à 405, Lindley, L.J. déclarait:
La valeur d'une invention consiste très souvent à percevoir
clairement une quelconque fin utile à réaliser ou, pour citer
M. Hopkinson, "à percevoir une désirabilité". Si c'est là
la démarche d'un inventeur et s'il démontre comment parvenir
au résultat souhaité par quelque nouvelle combinaison, son
invention est brevetable....
Ces doctrines font partie de la jurisprudence canadienne. Examinons par exemple,
les termes employés par Rinfret J. dans Electrolier Manufacturing Co. Ltd. v.
Dominion Manufacturers Ltd. (1934) S.C.R. 436 à 442:
Le bien-fondé du brevet de Pahlow ne réside pas tellement
dans la réalisation de l'idée que dans sa conception
même (Fawcett v. Homan), supra....
Cette affaire tombe aussi, à notre avis, sous le coup de l'interdiction formulée
par McLean J. dans Merco Nordstrom Valve Co. v. Cromer (1942) Ex. C.R. 138 à 155:
Il a été établi, dans d'autres décisions, que le fait de
combiner deux ou plusieurs éléments en une nouvelle
combinaison, qu'ils soient entièrement ou partiellement
nouveaux ou anciens, de façon à obtenir un résultat
nouveau, ou un résultat connu d'une meilleure façon, à
moindre frais ou plus rapidement, peut permettre la
concession d'un brevet si l'invention manifeste suffisam-
ment de réflexion, de conception et d'ingéniosité et que la
combinaison est originale. (nous soulignons)
Il est vrai, comme le déclare le demandeur, que l'antériorité citée ne divulgue
pas la "séparation de la machine en deux machines". Il a aussi été établi clairement
à l'audience que "la solution au problème de lente production" entraîne "toutes sortes
d'autres problèmes", une fois établie "l'existence du premier problème". Il a aussi
été démontré que le "nouveau rouleau d'alimentation" augmentait "considérablement"
la production globale ainsi que la vitesse de production.
La valeur inventive de la disposition en zigzag des languettes ainsi que la stabilité
du rouleau ont soigneusement été étudiées. Nous admettons que l'antériorité citée
peut comporter certaines caractéristiques de l'invention. Nous ne sommes toutefois
pas convaincus qu'elle démontre ou rend l'ensemble du "concept" évident. Nous
devons nous rappeler, comme nous l'avons déjà indiqué, qu'en analysant la question
d'invention, il ne s'agit pas simplement de s'interroger sur la nouveauté et
l'évidence du moyen pris pour réaliser l'invention, mais aussi sur les concepts
fondamentaux de l'invention; si la désirabilité et le concept sont nouveaux et
originaux dans une certaine mesure, ils permettent la concession d'un brevet. Il
est clair que le demandeur a inventé une nouvelle combinaison en vue de produire
essentiellement un résultat connu, d'une meilleure façon, à moindre frais ou
plus rapidement (voir: Nordstrom v. Corner, supra). Il convient de citer ici la
mise en garde formulée par Fletcher Moulton L.J. dans British Westinghouse Electric
and Manufacturing Co. Ltd. v. Braulik (1910), 27 R.P.C. 209:
J'avoue trouver étranges les arguments selon lesquels une
nouvelle combinaison modifiant considérablement la forme de
machines pratiques ne constitue pas une invention du fait
qu'il est facile de démontrer, une fois réalisée, comment
on y est arrivé en s'appuyant sur quelque chose de connu
et en suivant une série d'étapes apparemment faciles...
Nous sommes donc forcés de conclure, face aux arguments avancés, que "l'invention
est originale" si nous examinons le problème dans son "concept global", ou si
nous l'admettons avec sa solution.
Examinons maintenant la portée du monopole d'exploitation revendiqué. Voici de
nouveau la revendication 1:
Un rouleau cylindrique d'alimentation composé d'une
toile d'emballage continue, percée à intervalle régulier
de trous recouverts chacun d'une languette détachable
fixée au rouleau, lesdites languettes détachables
recouvrant lesdits trous étant disposées en zigzag de
part et d'autre le long des lignes parallèles du rouleau.
Nous ne sommes pas convaincus que cette revendication, ni la 2e, ni la 3e limitent
l'étendue du monopole du concept global, tel que déjà exposé, avec un caractère
suffisamment distinctif et particulier. Nous savons que l'examinateur n'a pas
rejeté les revendications pour cette raison, ce qui n'était d'ailleurs pas
nécessaire, mais plutôt parce qu'elles n'auraient pas été assez inventives. Nous
suggérons qu'elles soient reformulées de la façon suivante:
Un rouleau cylindrique d'alimentation contenant une toile
d'emballage allongée servant à fabriquer des berlingots,
ladite toile étant percée de trous d'écoulement du
contenu de l'emballage, lesdits trous étant chacuns
recouverts d'une languette détachable fixée sur la toile,
lesdites languettes étant disposées en zigzag le long de
deux lignes parallèles de part et d'autre de la ligne
centrale longitudinale de la toile à laquelle on donne la
forme d'un cylindre dont les deux extrémités ont le même
diamètre, le rouleau cylindrique pouvant être transporté
et utilisé dans une machine servant à fabriquer et remplir
lesdits emballages.
Nous estimons qu'il est important de préciser dans la revendication comment les
languettes détachables sont disposées sur le rouleau, puisque comme l'a souligné
M. Hewitt à l'audience, il s'agit là d'une caractéristique essentielle qui
distingue l'invention du demandeur de l'antériorité citée.
En résumé, nous sommes convaincus, que le demandeur a réalisé un progrès technique
brevetable. Nous recommandons par conséquent que soit annulée la décision de
rejeter la demande. Il faudra que les revendications déposées soient modifiées
selon nos instructions.
Le Président adjoint
Commission d'appel des brevets
J.F. Hughes
Je souscris aux constatations de la Commission d'appel des brevets et ordonne que
la demande soit retournée à l'examinateur pour la poursuite de l'instruction. Il
ne sera pas nécessaire de poursuivre celle-ci si le demandeur décide d'apporter
volontairement les modifications demandées par la Commission d'appel des brevets.
Le Commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy
Hull (Québec)
le 27 septembre 1976
Agent du demandeur
Marks & Clerk
Case Postale 957, succursale B
Ottawa (Ontario)
K1P 5S7