DECISION DU COMMISSAIRE
ARTICLE 36: Revendications concernant les insecticides avec véhicules.
Un demandeur qui a inventé et revendiqué un nouvel insecticide ne peut revendiquer
ce même insecticide mélangé à un véhicule. (Cf. D.C. 296)
Rejet: Confirmé. La présente décision, publiée à la demande de l'inventeur
fait actuellement l'objet d'un appel devant la Cour fédérale du Canada.
La demande de brevet 132,421, Dawes et coll. (Catégorie 260/313.3) a été déposée
le 14 janvier 1972 par Agripat S.S., une société suisse rattachée à Ciba-Geigy.
Certaines revendications ont été rejetées par l'examinateur en vertu de l'article
46 du Règlement, le 10 décembre 1974, à la suite de quoi l'inventeur a déposé
une demande de révision. La Commission d'appel des brevets a tenu une audience
le 27 janvier 1976, à laquelle le demandeur était représenté par MM. Russell
Smart, C.R., et R. Fuller. Il s'agissait de savoir si l'inventeur d'un nouveau
produit chimique insecticide qu'il revendique comme étant une invention, a
également le droit de le revendiquer une fois mélangé à des diluants, des agents
tensio-actifs et des gaz propulseurs.
L'invention consiste en un ester d'acide triazolylphosphorique possédant des
propriétés insecticides. Les revendications 1 à 4 (qui n'ont pas été rejetées)
portent sur le composé, son mode de préparation et son mode d'emploi. Les
revendications 5 à 11 (qui ont été rejetées) concernent le composé mélangé à
des diluants solides, des agents tensio-actifs ou des gaz propulseurs ainsi qu'à
des granules ou grains enduits ou imprégnés du composé. La dernière revendi-
cation (12) concernant le composé à l'intérieur d'un contenant et son mode
d'emploi, a aussi été rejetée; il n"est pas nécessaire toutefois de l'examiner,
puisque le demandeur l'a retirée. Ce dernier a proposé, à la suite du rejet,
certaines modifications qui ont été refusées. Puisque les revendications
déposées ne diffèrent pas sensiblement de celles qui ont été proposées (M. Smart
l'a admis à l'audience), nous nous en tiendrons aux premières revendications
qui ont été rejetées, c'est-à-dire aux revendications 5 à 11 que voici:
5. Une composition pesticide comprenant (i) le composé dont
il est fait mention à la revendication 1, mélangé au moins
à l'un des produits suivants: ii) un diluant solide; iii)
un agent tensio-actif; ou iv) un gaz propulseur.
6. Une composition solide, dont il est fait mention à la
revendication 5, comprenant un diluant solide (ii) et (ou)
un agent tensio-actif (iii).
7. Une composition, dont il est fait mention à la revendication
6, sous forme de granules ou de grains.
8. Une composition, dont il est fait mention à la revendication
7, renfermant des granules ou des grains qui sont enduits ou
imprégnés de la composition (i).
9. Une composition liquide, dont il est fait mention à la
revendication 5, qui comprend un agent tensio-actif (iii) et
(ou) un gaz propulseur (iv).
10. Une composition, dont il est fait mention à la revendication
9, comprenant un agent tensio-actif (iii) et un hydrocarbure
qui bout à une température supérieure à 130ÀC.
11. Une composition, dont il est fait mention à la revendication
9, dont le gaz propulseur (iv) est un hydrocarbure polyhalogéné.
L'examinateur a rejeté ces revendications parce qu'elles définissaient mal
l'invention, compte tenu de la décision Gilbert c. Sandoz (1971) 64 C.P.R. 14, et
1974 S.C.R. 1336 (intitulée Gilbert c. Gilcross). On déclare dans cette décision
que les revendications concernant un composé pharmaceutique associé à un véhicule:
... ne sont pas brevetables puisque le mélange d'une
substance et d'un véhicule ne constitue pas une étape
inventive. (Extrait de la décision de la Cour de
l'Échiquier, p. 35, adopté par la Cour suprême à la p.
1339).
D'après l'examinateur lorsque l'invention porte sur un nouveau composé chimique
revendiqué comme telle, les revendications concernant le composé mélangé à des
véhicules et des diluants ne sont pas brevetables puisque le concept inventif
réside dans le composé lui-même. Il a déclaré:
... l'objet de l'invention réside dans les produits
mêmes, qui sont déjà revendiqués, et leur addition à
un diluant solide et (ou) un agent tensio-actif et (ou)
un gaz propulseur ne constitue pas une autre invention.
L'adjonction de ces véhicules et (ou) additifs sert
simplement à faciliter l'application du produit. Il n'y
a aucune interaction entre le(s) composé(s) et les
véhicules ou additifs, et le mélange ne produit certai-
nement aucun résultat nouveau et inattendu. Les reven-
dications 5 à 11 sont donc rejetées.
Le demandeur estime que toutes les revendications devraient être acceptées
puisqu'elles concernent différents aspects de la même invention et que les
revendications rejetées portent sur une réalisation commerciale de l'invention.
Il ne croit pas avoir enfreint l'article 43 du Règlement, c'est-à-dire avoir
déposé un plus grand nombre de revendications qu'il n'en faut pour protéger
convenablement son invention; les décisions rendues dans les causes Baldwin
International c. Western Electric 1934 S.C.R. et Hercules c. Diamond-Shamrock
1970 Ex. C.R. 574 confirment la légitimité de ses revendications. Les revendi-
cations 5 à 11 représentent, selon lui, la forme sous laquelle son invention
sera vraisemblablement commercialisée et la principale réalisation de l'invention
telle qu'elle est exposée aux revendications 1 à 4.
M. Smart a exposé à l'audience, l'argument selon lequel les revendications 5 à
Il sont nécessaires au cas oû l'on découvrirait, après la délivrance du brevet,
que le composé de la revendication 1 est ancien, - qu'il a déjà été divulgué dans
quelque revue inconnue, sans aucune allusion à ses propriétés insecticides. Dans
ce cas, la revendication 5 protégerait la découverte du demandeur. Voici un
extrait de sa réponse du 25 septembre 1974 (p. 4):
Un demandeur ne peut jamais être sût de la nouveauté ou de
la non évidence de son produit. Il ne peut donc être sûr à
cent pour cent qu'il n'existe aucune ancienne publication,
peut-être dans une langue barbare, divulguant un ou plusieurs
des éléments revendiqués. Une telle publication pourrait, par
exemple, mentionner simplement l'un de ces éléments comme une
curiosité chimique sans faire allusion à l'utilité qu'on
revendique actuellement.
C'est pourquoi, avant de déposer une demande de brevet, les
demandeurs effectuent des recherches approfondies afin de
s'assurer que l'objet de leur invention est nouveau; mais il
restera toujours un doute dû au développement énorme des
connaissances techniques au cours des derniers décades,
progrès qui se traduit dans de nombreux périodiques et mono-
graphies. Le demandeur estime que tous ceux qui dépouillent
des documents scientifiques et surtout chimiques sont
conscients des difficultés que cette recherche comporte.
Les plus grands obstacles proviennent du fait que les servi-
ces d'abrégés chimiques ne signalent en général que les
composés identifiables gràce à leur structure et à leurs
propriétés physiques, p, ex., une simple liste de composés
chimiques ne suffit pas pour faire l'obiet d'un article dans
"Chemical Abstracts". Par contre, la publication d'une telle
liste nierait la nouveauté d'une invention chimique. On n'est
donc jamais sûr à cent pour cent d'avoir dépouillé tous les
documents pertinents. (nous soulignons)
Le demadeur estime que son cas diffère de celui de l'affaire Gilbert c.
Sandoz (supra) sur plusieurs pointa. Il déclare notamment (réponse du 25
septembre 1974, p. 3):
Comme la décision Sandoz concerne des médicaments, lesquels
avec les aliments, font l'objet d'un traitement particulier
dans la Loi sur les brevets, on ne peut l'appliquer à d'autres
genres d'inventions qu'avec une extréme prudence. Par ailleurs
la décision Sandoz c. Gilcross ne peut évidemment pas être
interprétée de façon a contredire plusieurs articles de la
Loi sur les brevets. Il s'ensuit donc qu'on ne peut se
reporter à cette décision pour rejeter une revendication pour
manque d'invention par rapport à une autre, car cette inter-
prétation va à l'encontre des dispositions des articles 36 et
38 de la Loi sur les brevets.
Il a déclare que la décision Gilbert s'inspire des décisions rendues dans les
affaires Rohm &, Hass c, le Commissaire des brevets 30 C.P.R. 113; 1959 Ex. C.R.
133 et le Commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst 1964 S.C.R. 49; 41 C.P.R.,
selon lesquelles un demandeur ne pourrait obtenir un second brevet pour une
composition mais pourrait la revendiquer dans la première demande, en même
temps que le composé. Il ajoutait.
Dans l'affaire Sandoz c. Gilcross, les deux revendications
concernant un procédé étaient dépendantes, répondant ainsi
à première vue à l'article 41(1); par conséquent, étant
donné que les premières revendications concernant le
procédé avaient été refusées, ces revendications devaient
l'étre aussi puisqu'elles ne répondaient pas à l'article
41(1) (voir entre autres C.H. Boehringer Sohn c. Bell
Craig, 25 Fox P.C. 36, Sup. Ct.)
Nous estimons utile d'examiner deux autres arguments du demandeur:
Les revendications résument brièvement les grandes lignes
de l'invention. Si, comme dans le cas présent, les
revendications concernant. le composé lui-même, les compo-
sitions et le mode d'emploi constituent simplement trois
aspects de la même invention, les revendications concernant
le mode d'emploi indiqueront évidemment au public l'emploi
qui fait l'objet d'une protection particulière. La pro-
tection manifeste des compositions et du mode d'emploi
en plus de celle du composé faciliteront aussi la documen-
tation et la recherche.
et
Avant de passer à un autre sujet, les demandeurs feront
remarquer qu'il semble illogique de leur permettre de
revendiquer une composition lorsque l'ingrédient actif est
ancien et de le leur interdire lorsque ce dernier est nouveau.
Nous acceptons la proposition selon laquelle un demandeur a le droit de
déposer des revendications de portée variable pour définir l'invention. Les
décisions Hercules c. Diamond Shamrock (supra) et Baldwin International c.
Western Electric (1934 S.C.R. 94) appuient cette proposition. Si l'inventeur
a déposé des revendications trop larges, il restera toujours les revendications
de portée limitée pour protéger la portée restreinte de la même invention à
laquelle il a droit. Toutefois, ce n'est pas comme s'il avait droit à des
revendications dont l'objet porterait ultérieurement sur une invention différente,
au cas où les principales revendications seraient rejetées. Les revendications
doivent définir l'invention elle-même, sans plus, conformément à l'article 36(2)
de la Loi sur les brevets. Cet article oblige l'inventeur à revendiquer
distinctement la partie qu'il réclame comme son invention. Il s'agit de savoir
jusqu'où un demandeur peut aller en protégeant entièrement son invention sans
dépasser les limites de celle-ci en revendiquant des parties auxquelles il n'a
pas droit. Pour résumer les propos de la Cour suprême dans l'affaire B.V.D. c.
Can. Celanese (1937) S.C.R. 221 à 237, si les revendications dépassent effective-
ment les limites de l'invention, le brevet est nul. Dans l'affaire B.V.D.
(confirmée par le Conseil privé (56 R.P.C. 122), le tribunal étudiait naturel-
lement des revendications comportant un effet destructif de la nouveauté, et il
faut se montrer prudent lorsqu'on applique à une autre situation un jugement
large rendu dans ces circonstances.
Dans l'affaire Bergeron c. DeKermor Electric, 1927, Ex. C.R. 181 à 187, le juge
Audette a presque tranché l'affaire en déclarant:
Il est interdit d'apporter des modifications ou des
perfectionnements, qu'ils soient brevetables ou non, à
un appareil ou à une machine connue et de revendiquer
ensuite tout l'appareil.
Il a également cité et approuvé le passage suivant de Nicholas sur le droit des
brevets:
Si l'invention consiste en un perfectionnement (comme c'est
le cas), le breveté doit revendiquer uniquement celui-ci et
expliquer clairement et distinctement en quoi il consiste.
Il ne peut apporter de petits perfectionnements à une
machine et déclarer ensuite au grand public: "J'ai fabriqué
une machine dont le rendernent est supérieur. Voici la
machine à coudre d'un tel; je l'ai améliorée; elle est à
moi, maintenant; elle est meilleure que la sienne". Il doit
exposer clairement l'amélioration à laquelle il limitera ses
revendications. (Nous soulignons)
Revenons maintenant au cas qui nous intéresse; nous constatons que les mélanges
d'insecticides et de véhicules sont bien connus. Le demandeur a remplacé les
anciens insecticides par un nouveau, qui est brevetable. On pourrait invoquer
l'argument selon lequel sa revendication devrait se limiter à ce "perfectionnement"
par rapport à l'antériorité.
Dans l'affaire Dick c. Ellam's Duplicator Company (1900) 17 R.P.C. 196 à 202,
on déclare:
.... Je susi sûr que l'invention a une certaine valeur
et qu'elle aurait pu être brevetée si le demandeur n'avait
pas, comme la plupart des brevetés le font, déposé des
revendications trop larges par peur qu'on ne contrefasse
l'invention.
Dans le droit des brevets américain, ce genre d'objection se fonde sur des com-
binaisons anciennes ou "épuisées". Le paragraphe 706.03j) du U.S. Manual of
Patent Examining Procedure, et la plupart des lois américaines sur les brevets
stipulent qu'un demandeur qui a perfectionné un élément d'une combinaison qui
peut être en soi brevetable, n'a pas le droit de revendiquer le perfectionnement
de la combinaison en rapport avec des éléments anciens lorsque ceux-ci ne
remplissent aucune nouvelle fonction dans la combinaison revendiquée.
Les tribunaux canadiens ont eu à trancher au moins trois affaires semblables à
celle qui nous occupe actuellement; les demandeurs revendiquaient des substances
ajoutées à des supports. Dans l'affaire Rohm & Hass c. le Commissaire des
brevets 1959 Ex. C.R. 133, l'invention concernait des compositions fongicides.
Les revendications concernant la composition n'ont pas toutes été rejetées et
celles qui le furent l'ont été aux germes des articles 35(2), 36(2) de la Loi sur
les brevets. Le juge Cameron avait toutefois ajouté (p. 163):
J'estime cependant qu'on ne peut breveter une compo-
sition fongicide possédant uniquement comme ingrédient
actif un composé qui a déjà été accepté dans une autre
revendication.
Dans l'affaire Rohm & Haas, les revendications concernant le composé avaient déjà
été acceptées dans une demande divisionnaire, même si la citation n'établit
aucune distinction de ce genre, ni aucune limite à ces situations.
Dans l'affaire Le Commissaire des brevets. c. Farbwerke Hoechst 1964 S.C.R. 49,
le Commissaire a rejeté certaines revendications concernant un composé médicinal
mélangé à un véhicule. Le demandeur avait déposé neuf autres demandes concernant
le médicament fabriqué suivant neuf procédés différents. En annulant le juge-
ment de la Cour de l'Échiquier, la Cour suprême avait déclaré à la p. 53:
Le sophisme (des tribunaux de première instance) réside
dans le fait d'avoir conclu à la nouveauté et à
l'originalité de ce procédé de dilution. Il s'agit d'une
application injustifiable de la décision Le Commissaire
des brevets c. Ciba, selon laquelle la découverte des
propriétés valables du médicament en soi était jugée
originale.
Une personne a le droit de revendiquer une substance
médicinale nouvelle, utile et inventive mais non la
dilution de cette nouvelle substance une fois son usage
médical défini. La dilution et la non dilution de cette
substance ne constituent que deux aspects d'une méme
invention. Dans ce cas, l'addition d'un véhicule
inactif en vue d'augment er la masse et de faciliter le
mesurage et l'application, équivaut à une simple dilution
et non à une invention. Un brevet ne peut être accordé
pour une substance médicinale diluée si la substance
elle-même a déjâ été brevetée.
Ces deux décisions établissent clairement qu'on ne peut délivrer un second
brevet pour une substance mélangée à un véhicule lorsque le breveté a déjà
obtenu un brevet pour la substance elle-même (à moins peut-être, que le mélange
ne soit inventif).
Nous ne savons toutefois si la même objection s'applique lorsque les deux séries
de revendications figurent dans la même demande. Il semblerait que oui d'après
les décisions, mais les circonstances entourant les cas, et la mention des
"brevets distincts" ailleurs dans legs ouvrages, laissent planer certains doutes
sur ce point.
D'après Gilbert c. Sandoz (1971) (supra), il semblerait que l'objection s'applique
plus généralement et vise les revendications provenant d'un même brevet. Le
brevet en question contenait des revendications portant, les unes, sur un composé
pharmaceutique et, les autres, sur un composé "mélangé à un véhicule pharmaceuti-
que et non toxique". La Cour de l'Echiquier a jugé nulles ces dernières reven-
dications (à la page 35) pour la raison suivante:
... puisque qu'aucune composition pharmaceutique n'a
été inventée, sauf le thioridazine qui a fait l'objet
des revendications 1 à 9, la présence des revendica-
tions 10 et 11 ne se justifie pas.
Ces revendications n'ont aucune raison d'être puisque
le mélange d'une substance à un véhicule ne représente
aucune étape inventive. (Voir Le Commissaire des
brevets c. Farbwerke Hoechst, 41 C.P.R. 9, 1964, S.C.R.
49).
La Cour suprême (à la p. 1339) avait alors cité le paragraphe précédent et
ajouté:
Je suis d'accord avec la décision du juge de première
instance; il est donc inutile d'examiner les autres
raisons invoquées.
Il est raisonnable de conclure d'après les commentaires des tribunaux canadiens,
que les revendications concernant le céhicule ont été rejetées parce qu'elles
dépassaient les limites de l'invention et qu'elles ne définissaient pas
clairement celle-ci. Autrement dit, elles portaient sur une combinaison "épuisée".
Nous devrions toutefois examiner la question plus à fond. Nous avons déjà fait
allusion à l'affaire Hercules Inc. c. Diamond Shamrock. Le président de la Cour
de l'Échiquier avait alors étudié le rôle des revendications dans les brevets (à
partir de la p. 584). Il avait souligné le droit (énoncé à l'article 36(2)) des
demandeurs de déposer des revendications (au pluriel) concernant différents
aspects de l'invention et, plus précisément, leur droit de revendiquer à la fois
un procédé et une substance dans le même brevet. Il s'était référé alors à
l'article 41 (il se peut qu'il ait aussi mentionné l'article 60). Plus loin à la
page 598, M. Jackett avait déclaré au sujet du processus de revendication:
... on rédige d'abord une revendication concernant
l'objet exposé dans le mémoire descriptif, en utili-
sant les termes les plus généraux possibles, ensuite,
par ce qui semble être une suite infinie de modifi-
cations dans les termes de la première revendication,
l'inventeur rédige d'autres revendications exposant
l'invention de diverses maniêres en ajoutant des
facteurs restrictifs. Si la première revendication
est acceptée, il est inutile d'aller plus loin. Mais,
si un tribunal juge la première revendication nulle
parce qu'elle n'est pas originale, mettons, le deman-
deur peut néanmoins défendre une ou plusieurs des
autres revendications en déclarant que les facteurs qu'il
y a ajoutés exposent une invention réelle.
D'après les verdicts rendus dans les causes Société Rhône-Poulenc c. Jules
Gilbert 1966 Ex. C.R. 59 à 62-3 et 1967 S.C.R. 150, Libby-Owens-Ford Glass c.
Ford Motor Co. 1970 S.C.R. 833 à 841, et Auer Incandescent Light c. O'Brien
(1897) 5 Ex. C.R. 243 à 286-288, il est clair que les brevetés ont le droit de
déposer plusieurs sortes de revendications concernant leur invention. Par
exemple, des revendications concernant un procédé et des substances ou des
revendications concernant un procédé et un appareil peuvent définir différents
aspects de la même invention. Voici un extrait de la décision rendue dans
l'affaire Libby-Owens-Ford, supra, p. 841:
Le fait que le Bureau des brevets a coutume d'accepter
des revendications concernant un appareil et un procédé
ou des revendications concernant un procédé et une
substance dans un même brevet indique que, dans un cas
particulier, des revendications concernant un procédé
peuvent être considérées comme présentant des aspects
différents d'une seule invention portant soir sur un
appareil soit sur une substance. (nous soulignons)
Il ne s'agit donc pas de savoir si le demandeur a le droit de déposer plusieurs
sortes de revendications (il l'a), ni si la portée des revendications rejetées
est plus limitée que celle des revendications qui ont été acceptées (elle l'est).
Il s'agit plutôt de savoir jusqu'où peut aller le demandeur qui revendique son
invention et si les revendications rejetées définissent bien l'invention.
Nous ne partageons pas les craintes du demandeur à l'endroit des risques que
présente une "curiosité chimique" pour ses droits. Pour antérioriser une inven-
tion, une divulgation antérieure doit répondre à des exigences très strictes et
si l'utilité d'un composé chimique mentionné dans quelque "publication inconnue",
n'a jamais été démontrée, nous doutons que cette mention puisse annuler des re-
vendications ultérieures. Dans l'affaire Scragg c. Leesona 1964 Ex. C.R. 649 à
725, il est écrit:
Une publication antérieure ne peut antérioriser une
invention lors d'une poursuite en contrefaçon ou d'une
invalidation, à moins que la situation ne corresponde
clairement aux conditions précisées dans les jugements
qui font jurisprudence. Les critères fondamentaux
peuvent être exposés brièvement. Les renseignements
sur l'invention en question qui figurent dans la pu-
blication antérieure doivent, pour des besoins prati-
ques, correspondre à cieux qui figurent dans le brevet
de l'invention et permettre à un homme du métier de
percevoir, de comprendre et d'appliquer l'invention à
l'aide d'eux seuls. Il ne suffit pas de démontrer que
ces renseignements auraient pu être utilisés afin de
produire le résultat de l'invention en question; il
faut avoir rédigé un mode d'emploi clair. Il ne
suffit pas non plus de montrer que la publication
antérieure contenait des suggestions lesquelles,
ajoutées à d'autres, laissaient prévoir l'invention
en question ou certaines de ses étapes les plus
importantes, ni qu'elle contenait l'essentiel de
l'invention c'est-à-dire le fond de l'affaire. Pour
qu'une publication constitue une antériorité, il
faut démontrer qu'elle a divulgué toute l'invention,
notamment qu'elle a indiqué au grand public comment
la mettre en pratique, de telle façon que plus personne
ne peut la revendiquer comme sienne. En rendant le
jugement du Judicial Committee du Privy Council, dans
l'affaire Pope Appliance Corporation c. Spanish River
Pulp and Paper Mills Ltd., le vicomte Dunedin avait
déclaré qu'une publication antérieure ne constitue
pas une antériorité à moins que l'on puisse démontrer
qu'une personne aux prises avec le problème résolu
dans le brevet et n'étant pas au courant de ce dernier,
a déclaré, en prenant connaissance de cette publication:
"Voilà ce que je cherchais ". De présumées inventions
qui n'ont jamais été réalisées ou sont impraticables
ne peuvent non plus antérioriser une invention.
Par ailleurs, dans l'affaire Lovell c. Beatty (1966) 23 F.P.C. 112 à 137 à 140,
le juge Thorson, après avoir étudié plusieurs jugements canadiens et britanniques
faisant jurisprudence, confirma le principe selon lequel une publication
antérieure doit divulguer "toute l'invention - c'est-à-dire toutes les données
nécessaires au public pour la mise en pratique de l'invention", pour être
considérée comme une antériorité. Dans Gerrard Wire c. Cary 1926 Ex. C.R. 170 à
178, on avait déclaré que l'utilité était indispensable à l'invention et qu'un
inventeur ne pouvait invoquer une antériorité sans cet élément.
Le demandeur a invoqué la récente affaire Burton-Parsons c. Hewlett Packard (1975)
17 C.P.R. (2e) 97, où la Cour suprême du Canada a jugé valables des revendi-
cations concernant une composition, revendications dont toutes les parties étaient
anciennes. Dans ce cas toutefois, les parties n'étaient pas inventives en elles-
mêmes, seule la combinaison de ces parties produisait le résultat souhaité.
Après avoir étudié tous les arguments du demandeur, nous sommes convaincus que
les revendications 5 à 11 sont inacceptables; nous recommandons par conséquent
leur rejet.
Le président
de la Commission d'appel des brevets
Gordon Asher
Je souscris aux recommandations de la Commission d'appel des brevets et
rejette les revendications 5 à 11 inclusivement. Le demandeur dispose d'une
période de six mois pour supprimer ces revendications ou pour en appeler de
la présente décision en vertu des dispositions de l'article 44 de la Loi sur
les brevets.
Le Commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy
Daté à Hull (Québec)
ce 25e jour de juin 1976