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                          DECISION DU COMMISSAIRE

 

ARTICLE 36: Revendications concernant les insecticides avec véhicules.

 

Un demandeur qui a inventé et revendiqué un nouvel insecticide ne peut revendiquer

ce même insecticide mélangé à un véhicule. (Cf. D.C. 296)

 

Rejet: Confirmé. La présente décision, publiée à la demande de l'inventeur

       fait actuellement l'objet d'un appel devant la Cour fédérale du Canada.

 

La demande de brevet 132,421, Dawes et coll. (Catégorie 260/313.3) a été déposée

le 14 janvier 1972 par Agripat S.S., une société suisse rattachée à Ciba-Geigy.

Certaines revendications ont été rejetées par l'examinateur en vertu de l'article

46 du Règlement, le 10 décembre 1974, à la suite de quoi l'inventeur a déposé

une demande de révision. La Commission d'appel des brevets a tenu une audience

le 27 janvier 1976, à laquelle le demandeur était représenté par MM. Russell

Smart, C.R., et R. Fuller. Il s'agissait de savoir si l'inventeur d'un nouveau

produit chimique insecticide qu'il revendique comme étant une invention, a

également le droit de le revendiquer une fois mélangé à des diluants, des agents

tensio-actifs et des gaz propulseurs.

 

L'invention consiste en un ester d'acide triazolylphosphorique possédant des

propriétés insecticides. Les revendications 1 à 4 (qui n'ont pas été rejetées)

portent sur le composé, son mode de préparation et son mode d'emploi. Les

revendications 5 à 11 (qui ont été rejetées) concernent le composé mélangé à

des diluants solides, des agents tensio-actifs ou des gaz propulseurs ainsi qu'à

des granules ou grains enduits ou imprégnés du composé. La dernière revendi-

cation (12) concernant le composé à l'intérieur d'un contenant et son mode

d'emploi, a aussi été rejetée; il n"est pas nécessaire toutefois de l'examiner,

puisque le demandeur l'a retirée. Ce dernier a proposé, à la suite du rejet,

certaines modifications qui ont été refusées. Puisque les revendications

déposées ne diffèrent pas sensiblement de celles qui ont été proposées (M. Smart

l'a admis à l'audience), nous nous en tiendrons aux premières revendications

qui ont été rejetées, c'est-à-dire aux revendications 5 à 11 que voici:

 5. Une composition pesticide comprenant (i) le composé dont

    il est fait mention à la revendication 1, mélangé au moins

    à l'un des produits suivants: ii) un diluant solide; iii)

    un agent tensio-actif; ou iv) un gaz propulseur.

 

 6. Une composition solide, dont il est fait mention à la

    revendication 5, comprenant un diluant solide (ii) et (ou)

    un agent tensio-actif (iii).

 

 7. Une composition, dont il est fait mention à la revendication

    6, sous forme de granules ou de grains.

 

 8. Une composition, dont il est fait mention à la revendication

    7, renfermant des granules ou des grains qui sont enduits ou

    imprégnés de la composition (i).

 

 9. Une composition liquide, dont il est fait mention à la

    revendication 5, qui comprend un agent tensio-actif (iii) et

    (ou) un gaz propulseur (iv).

 

10. Une composition, dont il est fait mention à la revendication

    9, comprenant un agent tensio-actif (iii) et un hydrocarbure

    qui bout à une température supérieure à 130ÀC.

 

11. Une composition, dont il est fait mention à la revendication

    9, dont le gaz propulseur (iv) est un hydrocarbure polyhalogéné.

 

    L'examinateur a rejeté ces revendications parce qu'elles définissaient mal

    l'invention, compte tenu de la décision Gilbert c. Sandoz (1971) 64 C.P.R. 14, et

    1974 S.C.R. 1336 (intitulée Gilbert c. Gilcross). On déclare dans cette décision

    que les revendications concernant un composé pharmaceutique associé à un véhicule:

 

    ... ne sont pas brevetables puisque le mélange d'une

    substance et d'un véhicule ne constitue pas une étape

    inventive. (Extrait de la décision de la Cour de

    l'Échiquier, p. 35, adopté par la Cour suprême à la p.

    1339).

 

    D'après l'examinateur lorsque l'invention porte sur un nouveau composé chimique

    revendiqué comme telle, les revendications concernant le composé mélangé à des

    véhicules et des diluants ne sont pas brevetables puisque le concept inventif

    réside dans le composé lui-même. Il a déclaré:

 

    ... l'objet de l'invention réside dans les produits

    mêmes, qui sont déjà revendiqués, et leur addition à

    un diluant solide et (ou) un agent tensio-actif et (ou)

    un gaz propulseur ne constitue pas une autre invention.

    L'adjonction de ces véhicules et (ou) additifs sert

    simplement à faciliter l'application du produit. Il n'y

    a aucune interaction entre le(s) composé(s) et les

    véhicules ou additifs, et le mélange ne produit certai-

    nement aucun résultat nouveau et inattendu. Les reven-

    dications 5 à 11 sont donc rejetées.

 

Le demandeur estime que toutes les revendications devraient être acceptées

puisqu'elles concernent différents aspects de la même invention et que les

revendications rejetées portent sur une réalisation commerciale de l'invention.

Il ne croit pas avoir enfreint l'article 43 du Règlement, c'est-à-dire avoir

déposé un plus grand nombre de revendications qu'il n'en faut pour protéger

convenablement son invention; les décisions rendues dans les causes Baldwin

International c. Western Electric 1934 S.C.R. et Hercules c. Diamond-Shamrock

1970 Ex. C.R. 574 confirment la légitimité de ses revendications. Les revendi-

cations 5 à 11 représentent, selon lui, la forme sous laquelle son invention

sera vraisemblablement commercialisée et la principale réalisation de l'invention

telle qu'elle est exposée aux revendications 1 à 4.

 

M. Smart a exposé à l'audience, l'argument selon lequel les revendications 5 à

Il sont nécessaires au cas oû l'on découvrirait, après la délivrance du brevet,

que le composé de la revendication 1 est ancien, - qu'il a déjà été divulgué dans

quelque revue inconnue, sans aucune allusion à ses propriétés insecticides. Dans

ce cas, la revendication 5 protégerait la découverte du demandeur. Voici un

extrait de sa réponse du 25 septembre 1974 (p. 4):

 

Un demandeur ne peut jamais être sût de la nouveauté ou de

la non évidence de son produit. Il ne peut donc être sûr à

cent pour cent qu'il n'existe aucune ancienne publication,

peut-être dans une langue barbare, divulguant un ou plusieurs

des éléments revendiqués. Une telle publication pourrait, par

exemple, mentionner simplement l'un de ces éléments comme une

curiosité chimique sans faire allusion à l'utilité qu'on

revendique actuellement.

 

C'est pourquoi, avant de déposer une demande de brevet, les

demandeurs effectuent des recherches approfondies afin de

s'assurer que l'objet de leur invention est nouveau; mais il

restera toujours un doute dû au développement énorme des

connaissances techniques au cours des derniers décades,

progrès qui se traduit dans de nombreux périodiques et mono-

graphies. Le demandeur estime que tous ceux qui dépouillent

des documents scientifiques et surtout chimiques sont

conscients des difficultés que cette recherche comporte.

Les plus grands obstacles proviennent du fait que les servi-

ces d'abrégés chimiques ne signalent en général que les

composés identifiables gràce à leur structure et à leurs

propriétés physiques, p, ex., une simple liste de composés

chimiques ne suffit pas pour faire l'obiet d'un article dans

"Chemical Abstracts". Par contre, la publication d'une telle

liste nierait la nouveauté d'une invention chimique. On n'est

donc jamais sûr à cent pour cent d'avoir dépouillé tous les

documents pertinents. (nous soulignons)

 

Le demadeur estime que son cas diffère de celui de l'affaire Gilbert c.

Sandoz (supra) sur plusieurs pointa. Il déclare notamment (réponse du 25

septembre 1974, p. 3):

 

Comme la décision Sandoz concerne des médicaments, lesquels

avec les aliments, font l'objet d'un traitement particulier

dans la Loi sur les brevets, on ne peut l'appliquer à d'autres

genres d'inventions qu'avec une extréme prudence. Par ailleurs

la décision Sandoz c. Gilcross ne peut évidemment pas être

interprétée de façon a contredire plusieurs articles de la

Loi sur les brevets. Il s'ensuit donc qu'on ne peut se

reporter à cette décision pour rejeter une revendication pour

manque d'invention par rapport à une autre, car cette inter-

prétation va à l'encontre des dispositions des articles 36 et

38 de la Loi sur les brevets.

 

Il a déclare que la décision Gilbert s'inspire des décisions rendues dans les

affaires Rohm &, Hass c, le Commissaire des brevets 30 C.P.R. 113; 1959 Ex. C.R.

133 et le Commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst 1964 S.C.R. 49; 41 C.P.R.,

selon lesquelles un demandeur ne pourrait obtenir un second brevet pour une

composition mais pourrait la revendiquer dans la première demande, en même

temps que le composé. Il ajoutait.

 

Dans l'affaire Sandoz c. Gilcross, les deux revendications

concernant un procédé étaient dépendantes, répondant ainsi

à première vue à l'article 41(1); par conséquent, étant

donné que les premières revendications concernant le

procédé avaient été refusées, ces revendications devaient

l'étre aussi puisqu'elles ne répondaient pas à l'article

41(1) (voir entre autres C.H. Boehringer Sohn c. Bell

Craig, 25 Fox P.C. 36, Sup. Ct.)

 

Nous estimons utile d'examiner deux autres arguments du demandeur:

 

Les revendications résument brièvement les grandes lignes

de l'invention. Si, comme dans le cas présent, les

revendications concernant. le composé lui-même, les compo-

sitions et le mode d'emploi constituent simplement trois

aspects de la même invention, les revendications concernant

le mode d'emploi indiqueront évidemment au public l'emploi

qui fait l'objet d'une protection particulière. La pro-

tection manifeste des compositions et du mode d'emploi

en plus de celle du composé faciliteront aussi la documen-

tation et la recherche.

 

et

 

Avant de passer à un autre sujet, les demandeurs feront

remarquer qu'il semble illogique de leur permettre de

revendiquer une composition lorsque l'ingrédient actif est

ancien et de le leur interdire lorsque ce dernier est nouveau.

 

Nous acceptons la proposition selon laquelle un demandeur a le droit de

déposer des revendications de portée variable pour définir l'invention. Les

décisions Hercules c. Diamond Shamrock (supra) et Baldwin International c.

Western Electric (1934 S.C.R. 94) appuient cette proposition. Si l'inventeur

a déposé des revendications trop larges, il restera toujours les revendications

de portée limitée pour protéger la portée restreinte de la même invention à

laquelle il a droit. Toutefois, ce n'est pas comme s'il avait droit à des

revendications dont l'objet porterait ultérieurement sur une invention différente,

au cas où les principales revendications seraient rejetées. Les revendications

doivent définir l'invention elle-même, sans plus, conformément à l'article 36(2)

de la Loi sur les brevets. Cet article oblige l'inventeur à revendiquer

distinctement la partie qu'il réclame comme son invention. Il s'agit de savoir       

jusqu'où un demandeur peut aller en protégeant entièrement son invention sans

dépasser les limites de celle-ci en revendiquant des parties auxquelles il n'a

pas droit. Pour résumer les propos de la Cour suprême dans l'affaire B.V.D. c.

Can. Celanese (1937) S.C.R. 221 à 237, si les revendications dépassent effective-

ment les limites de l'invention, le brevet est nul. Dans l'affaire B.V.D.

(confirmée par le Conseil privé (56 R.P.C. 122), le tribunal étudiait naturel-

lement des revendications comportant un effet destructif de la nouveauté, et il

faut se montrer prudent lorsqu'on applique à une autre situation un jugement

large rendu dans ces circonstances.

 

Dans l'affaire Bergeron c. DeKermor Electric, 1927, Ex. C.R. 181 à 187, le juge

Audette a presque tranché l'affaire en déclarant:

 

Il est interdit d'apporter des modifications ou des

perfectionnements, qu'ils soient brevetables ou non, à

un appareil ou à une machine connue et de revendiquer

ensuite tout l'appareil.

 

Il a également cité et approuvé le passage suivant de Nicholas sur le droit des

brevets:

 

Si l'invention consiste en un perfectionnement (comme c'est

le cas), le breveté doit revendiquer uniquement celui-ci et

expliquer clairement et distinctement en quoi il consiste.

Il ne peut apporter de petits perfectionnements à une

machine et déclarer ensuite au grand public: "J'ai fabriqué

une machine dont le rendernent est supérieur. Voici la

machine à coudre d'un tel; je l'ai améliorée; elle est à

moi, maintenant; elle est meilleure que la sienne". Il doit

exposer clairement l'amélioration à laquelle il limitera ses

revendications. (Nous soulignons)

 

Revenons maintenant au cas qui nous intéresse; nous constatons que les mélanges

d'insecticides et de véhicules sont bien connus. Le demandeur a remplacé les

anciens insecticides par un nouveau, qui est brevetable. On pourrait invoquer

l'argument selon lequel sa revendication devrait se limiter à ce "perfectionnement"

par rapport à l'antériorité.

 

Dans l'affaire Dick c. Ellam's Duplicator Company (1900) 17 R.P.C. 196 à 202,

on déclare:

 

.... Je susi sûr que l'invention a une certaine valeur

et qu'elle aurait pu être brevetée si le demandeur n'avait

pas, comme la plupart des brevetés le font, déposé des

revendications trop larges par peur qu'on ne contrefasse

l'invention.

 

Dans le droit des brevets américain, ce genre d'objection se fonde sur des com-

binaisons anciennes ou "épuisées". Le paragraphe 706.03j) du U.S. Manual of

Patent Examining Procedure, et la plupart des lois américaines sur les brevets

stipulent qu'un demandeur qui a perfectionné un élément d'une combinaison qui

peut être en soi brevetable, n'a pas le droit de revendiquer le perfectionnement

de la combinaison en rapport avec des éléments anciens lorsque ceux-ci ne

remplissent aucune nouvelle fonction dans la combinaison revendiquée.

 

Les tribunaux canadiens ont eu à trancher au moins trois affaires semblables à

celle qui nous occupe actuellement; les demandeurs revendiquaient des substances

ajoutées à des supports. Dans l'affaire Rohm & Hass c. le Commissaire des

brevets 1959 Ex. C.R. 133, l'invention concernait des compositions fongicides.

 

Les revendications concernant la composition n'ont pas toutes été rejetées et

celles qui le furent l'ont été aux germes des articles 35(2), 36(2) de la Loi sur

les brevets. Le juge Cameron avait toutefois ajouté (p. 163):

 

J'estime cependant qu'on ne peut breveter une compo-

sition fongicide possédant uniquement comme ingrédient

actif un composé qui a déjà été accepté dans une autre

revendication.

 

Dans l'affaire Rohm & Haas, les revendications concernant le composé avaient déjà

été acceptées dans une demande divisionnaire, même si la citation n'établit

aucune distinction de ce genre, ni aucune limite à ces situations.

 

Dans l'affaire Le Commissaire des brevets. c. Farbwerke Hoechst 1964 S.C.R. 49,

le Commissaire a rejeté certaines revendications concernant un composé médicinal

mélangé à un véhicule. Le demandeur avait déposé neuf autres demandes concernant

le médicament fabriqué suivant neuf procédés différents. En annulant le juge-

ment de la Cour de l'Échiquier, la Cour suprême avait déclaré à la p. 53:

 

Le sophisme (des tribunaux de première instance) réside

dans le fait d'avoir conclu à la nouveauté et à

l'originalité de ce procédé de dilution. Il s'agit d'une

application injustifiable de la décision Le Commissaire

des brevets c. Ciba, selon laquelle la découverte des

propriétés valables du médicament en soi était jugée

originale.

 

Une personne a le droit de revendiquer une substance

médicinale nouvelle, utile et inventive mais non la

dilution de cette nouvelle substance une fois son usage

médical défini. La dilution et la non dilution de cette

substance ne constituent que deux aspects d'une méme

invention. Dans ce cas, l'addition d'un véhicule

inactif en vue d'augment er la masse et de faciliter le

mesurage et l'application, équivaut à une simple dilution

et non à une invention. Un brevet ne peut être accordé

pour une substance médicinale diluée si la substance

elle-même a déjâ été brevetée.

 

Ces deux décisions établissent clairement qu'on ne peut délivrer un second

brevet pour une substance mélangée à un véhicule lorsque le breveté a déjà

obtenu un brevet pour la substance elle-même (à moins peut-être, que le mélange

ne soit inventif).

 

Nous ne savons toutefois si la même objection s'applique lorsque les deux séries

de revendications figurent dans la même demande. Il semblerait que oui d'après

les décisions, mais les circonstances entourant les cas, et la mention des

"brevets distincts" ailleurs dans legs ouvrages, laissent planer certains doutes

sur ce point.

 

D'après Gilbert c. Sandoz (1971) (supra), il semblerait que l'objection s'applique

plus généralement et vise les revendications provenant d'un même brevet. Le

brevet en question contenait des revendications portant, les unes, sur un composé

pharmaceutique et, les autres, sur un composé "mélangé à un véhicule pharmaceuti-

que et non toxique". La Cour de l'Echiquier a jugé nulles ces dernières reven-

dications (à la page 35) pour la raison suivante:

 

... puisque qu'aucune composition pharmaceutique n'a

été inventée, sauf le thioridazine qui a fait l'objet

des revendications 1 à 9, la présence des revendica-

tions 10 et 11 ne se justifie pas.

 

Ces revendications n'ont aucune raison d'être puisque

le mélange d'une substance à un véhicule ne représente

aucune étape inventive. (Voir Le Commissaire des

brevets c. Farbwerke Hoechst, 41 C.P.R. 9, 1964, S.C.R.

49).

 

La Cour suprême (à la p. 1339) avait alors cité le paragraphe précédent et

ajouté:

 

Je suis d'accord avec la décision du juge de première

instance; il est donc inutile d'examiner les autres

raisons invoquées.

 

Il est raisonnable de conclure d'après les commentaires des tribunaux canadiens,

que les revendications concernant le céhicule ont été rejetées parce qu'elles

dépassaient les limites de l'invention et qu'elles ne définissaient pas

clairement celle-ci. Autrement dit, elles portaient sur une combinaison "épuisée".

 

Nous devrions toutefois examiner la question plus à fond. Nous avons déjà fait

allusion à l'affaire Hercules Inc. c. Diamond Shamrock. Le président de la Cour

de l'Échiquier avait alors étudié le rôle des revendications dans les brevets (à

partir de la p. 584). Il avait souligné le droit (énoncé à l'article 36(2)) des

demandeurs de déposer des revendications (au pluriel) concernant différents

aspects de l'invention et, plus précisément, leur droit de revendiquer à la fois

un procédé et une substance dans le même brevet. Il s'était référé alors à

l'article 41 (il se peut qu'il ait aussi mentionné l'article 60). Plus loin à la

page 598, M. Jackett avait déclaré au sujet du processus de revendication:

 

... on rédige d'abord une revendication concernant

l'objet exposé dans le mémoire descriptif, en utili-

sant les termes les plus généraux possibles, ensuite,

par ce qui semble être une suite infinie de modifi-

cations dans les termes de la première revendication,

l'inventeur rédige d'autres revendications exposant

l'invention de diverses maniêres en ajoutant des

facteurs restrictifs. Si la première revendication

est acceptée, il est inutile d'aller plus loin. Mais,

si un tribunal juge la première revendication nulle

parce qu'elle n'est pas originale, mettons, le deman-

deur peut néanmoins défendre une ou plusieurs des

autres revendications en déclarant que les facteurs qu'il

y a ajoutés exposent une invention réelle.

 

D'après les verdicts rendus dans les causes Société Rhône-Poulenc c. Jules

Gilbert 1966 Ex. C.R. 59 à 62-3 et 1967 S.C.R. 150, Libby-Owens-Ford Glass c.

Ford Motor Co. 1970 S.C.R. 833 à 841, et Auer Incandescent Light c. O'Brien

(1897) 5 Ex. C.R. 243 à 286-288, il est clair que les brevetés ont le droit de

déposer plusieurs sortes de revendications concernant leur invention. Par

exemple, des revendications concernant un procédé et des substances ou des

revendications concernant un procédé et un appareil peuvent définir différents

aspects de la même invention. Voici un extrait de la décision rendue dans

l'affaire Libby-Owens-Ford, supra, p. 841:

 

Le fait que le Bureau des brevets a coutume d'accepter

des revendications concernant un appareil et un procédé

ou des revendications concernant un procédé et une

substance dans un même brevet indique que, dans un cas

particulier, des revendications concernant un procédé

peuvent être considérées comme présentant des aspects

différents d'une seule invention portant soir sur un

appareil soit sur une substance. (nous soulignons)

 

Il ne s'agit donc pas de savoir si le demandeur a le droit de déposer plusieurs

sortes de revendications (il l'a), ni si la portée des revendications rejetées

est plus limitée que celle des revendications qui ont été acceptées (elle l'est).

Il s'agit plutôt de savoir jusqu'où peut aller le demandeur qui revendique son

invention et si les revendications rejetées définissent bien l'invention.

 

Nous ne partageons pas les craintes du demandeur à l'endroit des risques que

présente une "curiosité chimique" pour ses droits. Pour antérioriser une inven-

tion, une divulgation antérieure doit répondre à des exigences très strictes et

si l'utilité d'un composé chimique mentionné dans quelque "publication inconnue",

n'a jamais été démontrée, nous doutons que cette mention puisse annuler des re-

vendications ultérieures. Dans l'affaire Scragg c. Leesona 1964 Ex. C.R. 649 à

725, il est écrit:

 

Une publication antérieure ne peut antérioriser une

invention lors d'une poursuite en contrefaçon ou d'une

invalidation, à moins que la situation ne corresponde

clairement aux conditions précisées dans les jugements

qui font jurisprudence. Les critères fondamentaux

peuvent être exposés brièvement. Les renseignements

sur l'invention en question qui figurent dans la pu-

blication antérieure doivent, pour des besoins prati-

ques, correspondre à cieux qui figurent dans le brevet

de l'invention et permettre à un homme du métier de

percevoir, de comprendre et d'appliquer l'invention à

l'aide d'eux seuls. Il ne suffit pas de démontrer que

ces renseignements auraient pu être utilisés afin de

produire le résultat de l'invention en question; il

faut avoir rédigé un mode d'emploi clair. Il ne

suffit pas non plus de montrer que la publication

antérieure contenait des suggestions lesquelles,

ajoutées à d'autres, laissaient prévoir l'invention

en question ou certaines de ses étapes les plus

importantes, ni qu'elle contenait l'essentiel de

l'invention c'est-à-dire le fond de l'affaire. Pour

qu'une publication constitue une antériorité, il

faut démontrer qu'elle a divulgué toute l'invention,

notamment qu'elle a indiqué au grand public comment

la mettre en pratique, de telle façon que plus personne

ne peut la revendiquer comme sienne. En rendant le

jugement du Judicial Committee du Privy Council, dans

l'affaire Pope Appliance Corporation c. Spanish River

Pulp and Paper Mills Ltd., le vicomte Dunedin avait

déclaré qu'une publication antérieure ne constitue

pas une antériorité à moins que l'on puisse démontrer

qu'une personne aux prises avec le problème résolu

dans le brevet et n'étant pas au courant de ce dernier,

a déclaré, en prenant connaissance de cette publication:

"Voilà ce que je cherchais ". De présumées inventions

qui n'ont jamais été réalisées ou sont impraticables

ne peuvent non plus antérioriser une invention.

 

Par ailleurs, dans l'affaire Lovell c. Beatty (1966) 23 F.P.C. 112 à 137 à 140,

le juge Thorson, après avoir étudié plusieurs jugements canadiens et britanniques

faisant jurisprudence, confirma le principe selon lequel une publication

antérieure doit divulguer "toute l'invention - c'est-à-dire toutes les données

nécessaires au public pour la mise en pratique de l'invention", pour être

considérée comme une antériorité. Dans Gerrard Wire c. Cary 1926 Ex. C.R. 170 à

178, on avait déclaré que l'utilité était indispensable à l'invention et qu'un

inventeur ne pouvait invoquer une antériorité sans cet élément.

 

Le demandeur a invoqué la récente affaire Burton-Parsons c. Hewlett Packard (1975)

17 C.P.R. (2e) 97, où la Cour suprême du Canada a jugé valables des revendi-

cations concernant une composition, revendications dont toutes les parties étaient

anciennes. Dans ce cas toutefois, les parties n'étaient pas inventives en elles-

mêmes, seule la combinaison de ces parties produisait le résultat souhaité.

 

Après avoir étudié tous les arguments du demandeur, nous sommes convaincus que

les revendications 5 à 11 sont inacceptables; nous recommandons par conséquent

leur rejet.

 

Le président

de la Commission d'appel des brevets

 

Gordon Asher

 

Je souscris aux recommandations de la Commission d'appel des brevets et

rejette les revendications 5 à 11 inclusivement. Le demandeur dispose d'une

période de six mois pour supprimer ces revendications ou pour en appeler de

la présente décision en vertu des dispositions de l'article 44 de la Loi sur

les brevets.

 

Le Commissaire des brevets

 

J.H.A. Gariépy

 

Daté à Hull (Québec)

ce 25e jour de juin 1976

 

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