DECISION DU COMMISSAIRE
EVIDENCE: Instrument servant à modifier les patrons de vêtements
La présente demande, portant sur un gabarit transparent comportant des échelles
graduées pour réaliser ou modifier des patrons et des vêtements, a été rejetée
faute d'avoir pu définir un instrument constituant une invention brevetable par
rapport aux antériorités citées.
Décision finale: Confirmée
La présente décision porte sur une demande de révision par le Commissaire des
brevets de la décision finale de l'examinateur, datée du 15 avril 1975, relative-
ment à la demande 130,584 (catégorie 33-2), déposée le 20 décembre 1971 par
Leona R. Impastato et intitulée "Instrument servant à modifier les patrons de
vêtements".
La demande vise un instrument servant à réaliser ou modifier des patrons et des
vêtements. Il s'agit d'un gabarit transparent comportant des échelles graduées
sur ses arêtes. Le profil de cet instrument ressemble à un "J", tel qu'illustré
dans le dessin à la page 4.
Dans sa décision finale, l'examinateur a rejeté la demande, alléguant l'absence
d'éléments brevetables par rapport aux brevets suivants:
Canada:
120,681 21 septembre 1909 Valentine
Etats-Unis
709,776 23 septembre 1902 Kelley
Il a également motivé un second rejet en affirmant que ledit instrument n'est que
la combinaison d'un certain nombre d'instruments connus, facilitant les retouches
et épargnant du temps et des manoeuvres.
Dans sa décision, l'examinateur déclare notamment:
...
Le demandeur signale un nouvel élément distinctif de son
instrument c'est-à-dire l'échelle graduée le long de
l'arête 4 et se prolongeant sur une partie de la tête de
l'instrument. Toutefois, l'invention de Kelley montre
clairement une échelle commençant au haut de la lame et se
poursuivant tout au long de l'arête A et le long d'une
partie de la tête ou du bras B.
De plus, le demandeur souligne l'importance des lignes
parallèles 7 et la façon dont elles agissent de concert avec
l'arête 2. Nous convenons que ce principe de dessin connu,
c'est-à-dire les lignes parallèles de référence en fonction
desquelles on peut tracer des lignes parallèles, ne figure
pas dans les antériorités. A noter que les lignes parallèles
7 agissent de concert avec l'arète droite 7 seulement et
que s'il s'agissait là du seul élément d'invention dudit
instrument, le demandeur ne pourrait revendiquer que cette
arète droite et les lignes parallèles sur un gabarit
transparent. Cependant, le demandeur ne faut aucune mention
dans la divulgation de la présence de lignes parallèles sur un
gabarit transparent de concert avec l'arète de droite. Bien
que cette caractéristique, de même que le trou 9, ne figure
pas dans les antériorités citées, elle ne constitue pas en
elle-même un élément brevetable et, de plus, elle n'agit pas
de concert avec d'autres éléments mineurs pour produire des
résultats inattendus. De même, la présence d'un certain nombre
de caractéristiques peu importantes, les lignes parallèles 7
et le trou 9 par exemple, ne crée pas un objet brevetable, car
individuellement ou ensemble ces éléments ne donnent pas de
résultats inattendus.
Les rejets précédents mentionnaient à la fois les brevets
Kelley et Valentine. Toutefois, comme ils ont été cités pour
les mêmes motifs, la décision finale ne mentionne que le
brevet Kelley.
Il est à noter que dans l'exposé de l'invention du demandeur
ne figurent pas certaines caractéristiques, autres que celles
susmentionnées, différant du brevet Kelley. Ces caractéristi-
ques touchent la quatrième partie de l'instrument, qui se
poursuit jusqu'à l'arrière de l'arête droite et une cinquième
partie qui est recourbée inversement, et qui s'incorpore à la
quatrième section et à l'arête, établissant un contact tangen-
tiel. Bien que nous admettions que ces parties ne figurent
pas explicitement dans les antériorités, nous déclarons qu'elles
n'ont aucune qualité brevetable, qu'elles ne s'associent pas aux
autres éléments afin de donner de nouveaux résultats et que
leur nouveauté, non leur qualité brevetable, provient tout
simplement de leur conception. La divulgation du demandeur
étaye cette opinion, car il n'y est aucunement fait mention de
l'obtention de résultats non prévus à l'aide de ces parties et il
n'est aucunement fait mention d'une utilisation particulière dans
les dessins des figures 2 à 11. La figure 2 révèle l'utilisation
de l'arête droite, alors que les figures 3 à 11 montrent l'utili-
sation de la partie courbée 4a à peu près jusqu'au point illustré
à 4b dans la figure 1. Nous affirmons donc que les caractéris-
tiques qui distinguent le présent instrument de celui du brevet
Kelley ne portent que sur des éléments de conception qui ne sont
pas brevetables.
Le 15 juillet 1975, dans sa réponse à la décision finale, le demandeur déclare que:
1. les mêmes antériorités ont été citées lors de l'instruction
de la demande de brevets aux Etats-Unis, et qu'un brevet
a tout de même été délivré;
2. le profil de l'instrument diffère de tout instrument
figurant dans d'autres antériorités;
3. les antériorités ne révèlent aucune échelle graduée, ni
de lignes parallèles à l'arête droite, ni de trou servant
de centre à l'arête exacte de la partie de la tête;
4. Le présent instrument peut accomplir davantage
d'opérations que les instruments figurant dans les brevets
Valentine et Kelley;
5. l'utilisation de cet instrument permet d'épargner du
temps et des efforts.
Le demandeur déclare également (notamment):
...
Il ne semble y avoir aucun conflit entre l'examinateur et le
demandeur pour ce qui est du fait que l'instrument revendiqué
par le demandeur est différent des instruments de Kelley et
Valentine. Cependant, l'examinateur affirme que ces
différences ne constituent que de "simples différences de
conception" et par conséquent ne sont pas brevetables (page 2,
lignes 13-14 de la décision finale), et que leur nouveauté
(non pas leur brevetabilité) provient uniquement de "simples
considérations de conception" (page 3, lignes 16-17 de la
décision finale) et encore, qu'il "ne s'agit que de simples
questions de conception qui ne sont pas brevetables" (page 3,
ligne 26 de la décision finale). D'après ce qui précède,
il semble que l'examinateur considère que le demandeur devrait
faire une demande en vertu de la Loi sur les dessins industriels,
plutôt qu'en vertu de la Loi sur les brevets. En d'autres mots,
qu'il n'y a que des différences de forme et d'ornementation et
non d'utilisation entre l'instrument du demandeur et les
instruments antérieurs. Toutefois, cela va totalement à
l'encontre de la déclaration de l'examinateur au haut de la
page 2 de sa décision du 25 mars 1974, où il déclare "qu'il est
convenu que le présent instrument peut exécuter davantage
de fonctions que ne le peuvent l'instrument de traçage de
patrons de Valentine où la règle de traçage de dessins de
Kelley". L'examinateur devrait avoir plus de suite dans les
idées. L'instrument du demandeur diffère de ceux figurant
dans les antériorités et peut exécuter davantage de fonctions
qu'eux, comme il l'admet. Il est donc évident qu'il relève du
domaine de l'invention brevetable plutôt que de celui du dessin
enregistrable. Les fonctions additionnelles découlent des
caractéristiques revendiquées par le demandeur et ils ne peuvent
donc être que de "simples différences de conception".
L'antériorité Kelley porte sur un instrument de traçage de dessins. Il s'agit
d'un "instrument permettant de tracer rapidement et facilement une multiplicité de
dessins différents, qu'ils soient simples, curvilinéaires ou multilinéaires". La
figure 1 ci-dessous illustre l'invention de Kelley.
<IMG>
La revendication 1 du brevet de Kelley se lit comme suit:
Un instrument du genre décrit, comportant un corps et
un bras recourbé, l'extrémité dudit bras bifurquant, une
arête du corps étant droite, l'autre étant une courbe
variant constamment, une des arêtes du bras courbé
comportant un arc long, l'autre un arc court, ce dernier
interceptant l'arête droite du corps, essentiellement tel
que décrit.
L'antériorité Valentine porte sur un instrument de traçage de patrons de
vêtements. Cet instrument est illustré au mieux dans les figures 1 et 2
ci-dessous.
<IMGS>
La présente demande porte sur un instrument pour la réalisation ou la modification
de vêtements. L'instrument est composé d'un matériau transparent et profilé de
façon à ressembler à la lettre "J". La figure 1 de la demande, que l'on voit
ci-dessous, montre la prétendue invention.
<IMG>
La revendication 1 de la demande se lit comme suit:
Un instrument servant à réaliser ou modifier des patrons
et des vêtements se composant d'une feuille d'un
matériau transparent. Cet instrument comporte une longue
arête droite, à un bout une arête relativement courte et
perpendiculaire à l'arête droite, une arête courbée comportant
une première partie commençant à la fin de cette arête,
bifurquant graduellement sur une partie de sa longueur et
ensuite se dirigeant de nouveau vers l'arête droite; une
deuxième partie dont la courbure augmente progressivement,
passant au côté opposé de la projection de ladite arête
droite; une troisième partie située du côté opposé de la
projection de ladite arête droite et essentiellement
concentrique en fonction du centre qui est décentré compte
tenu de la projection de ladite arête droite, puis un petit
trou circulaire situé environ au centre de la courbature de
la troisième partie de ladite arête courbée; une quatrième
partie se prolongeant vers ladite arête droite et une
cinquième partie qui est inversément courbée et qui établit
un contact tangentiel avec ladite quatrième partie et ladite
arête droite; ladite arête droite, l'extrémité de ladite
arête et la première partie de ladite partie courbée formant
la lame de l'instrument et lesdites deuxième, troisième,
quatrième et cinquième parties formant la tête à l'extrémité
de ladite arête droite opposée à l'arête courte à une extré-
mité, ladite lame étant d'un côté de ladite arête droite et
ladite tête se prolongeant jusqu'au côté opposé à ladite
arête droite, ladite première partie de la courbure progressive
formant une courbe en forme de hanche, d'une longueur corres-
pondant approximativement à la longueur de ladite arête droite
et se fusionnant avec ladite deuxième partie dont la courbure
est beaucoup plus prononcée, tout en formant une emmanchure;
une échelle graduée se prolongeant le long de ladite arête
courbée s'étendant sur toute la première partie et continuant
au moins une partie de la deuxième partie au-delà du point
auquel ladite partie courbée traverse la projection de ladite
arête droite; une échelle graduée se prolongeant le long de
ladite arête droite sur essentiellement toute sa longueur; des
lignes uniformes et parallèles à ladite arête droite, lesdites
lignes partant de la partie de ladite arête courte et atteignant
presque l'extrémité de ladite lame.
Il est à noter que les revendications sont axées sur "la structure ou la forme
de l'instrument", et non sur la méthode de fabrication. Par conséquent, les
éléments de nouveauté et l'objet, s'il en est, doivent être reliés directement
à l'idée même d'un instrument en une seule pièce pour réaliser des modifications
à des vêtements. Il est reconnu d'ailleurs qu'une nouvelle idée ou un nouveau
moyen pour mettre une idée en pratique, ou la combinaison des deux, peuvent
faire l'objet d'une invention.
D'autre part, certaines idées générales ou certains souhaits ne peuvent faire
l'objet d'un brevet. Par exemple, l'automatisation, un arrangement ordonné d'un
travail ou l'augmentation du rendement. A notre avis, l'idée de combiner un
certain nombre d'instruments en un seul tombe normalement dans le domaine des
idées générales non brevetables. Dans le cas célèbre de la machine à saucisse
(William c. Nye, 7 R.P.C. 62), il a été décidé que le fait de regrouper en une
machine ce qui se faisait auparavant par deux n'était pas brevetable. De la même
façon, dans Carter c. Leyson, 19 R.P.C. 473, il a été décidé qu'une douille à
queue en une seule pièce ne pouvait faire l'objet d'une invention alors qu'il
était possible de les fabriquer séparément. Dans un cas plus récent,
Cascelloid Limited c. Milex Star Engineering Company Ltd (1953) 70 R.P.C. 28,
des yeux de poupées fabriqués en une seule pièce n'ont pu faire l'objet d'une
invention, en dépit du fait que la revendication comportait des restrictions quant
aux matériaux (plastique) et au mode de fabrication (injection), les deux
comportant des avantages.
Pour étayer davantage ce point, voici la déclaration de Farwell J, dans Doctors
c. Warshawer & Son Ltd. (1934) 51 R.P.C. 385, page 391: "Ce qui est déclaré,
c'est le fait de fabriquer en une seule pièce la penture et le montant rainuré
avait un caractère inventif; afin d'étayer ce point, l'on affirme que personne
n'y avait pensé avant le défendeur.... A mon avis, il ne s'agit que d'une
combinaison d'instruments parfaitement connus et non d'une combinaison requérant
une capacité inventive quelconque." Dans Newsum c. Mann, 7 R.P.C. 307, il a été
décidé que les revendications ne pirtaient que sur le regroupement de choses
bien connues qui ne pouvaient faire l'objet d'un brevet.
Le demandeur souligne que l'antériorité ne mentionne pas d'échelle graduée.
Toutefois, on peut lire à la colonne 2 de la ligne 28 de la divulgation de
l'invention de Kelley: "Des graduations peuvent être dessinées sur l'un ou les
deux côtés de la règle."
Le demandeur souligne également l'importance des lignes parallèles 7 et de leur
rôle en liaison avec l'arête droite 2. Bien qu'elles soient quelque peu
différentes, l'antériorité Kelley montre les arêtes parallèles A2 et A5.
D'ature part, le demandeur déclare qu'il n'est aucunement fait mention dans les
antériorités d'un trou correspondant au trou no 9 de la présente demande. Cependant,
on soutient que ce trou 9 a un objet très connu, c'est-à-dire fournir un centre
autour duquel on peut tracer un cercle ou une partie de cercle. La divulgation
à la colonne 2 de la ligne 38 de Kelley se lit: "En raison de la disposition
particulières des arêtes droites et courbées formant des parties considérables
de cercles, il est possible de réaliser des dessins et patrons fort divers."
De plus, la présente divulgation souligne tout simplement la présence d'un trou
9, sans montrer son objet au sein d'une combinaison brevetable.
Le demandeur allègue que la configuration de son instrument diffère de celle de
tout autre instrument revendiqué dans les antériorités. Bien que cette allégation
puisse être vraie, nous ne devons pas oublier que les articles de configuration
particulière ne peuvent faire l'objet d'un brevet que lorsque la configuration a
une fonction ou un but qui produit des résultats nouveaux et utiles revêtant un
caractère inventif. Les instruments des antériorités que montrent les brevets
Kelley et Valentine ressemblent à bien des égards à l'instrument du demandeur.
Toutefois, contrairement aux allégations du demandeur, l'on ne peut attribuer des
utilisations vraiment nouvelles à l'une ou à l'ensemble des différences de
configuration existant entre l'instrument du demandeur et ceux des antériorités.
En d'autres mots, au sens du droit des brevets, aucun résultat nouveau ou utile ne
découle de la combinaison des instruments des antériorités, car chacune des
parties du présent instrument essentiellement les mêmes fonctions et le même but
qu'un instrument antérieur distinct connu du demandeur.
Nous convenons que la combinaison de divers instruments en un seul en facilite
l'utilisation. Toutefois, en règle générale, cette facilité accrue d'utilisation
découle d'idées ne possédant pas d'élément brevetable. A cette fin, nous nous
en référons au juge Luxmoore dans Drysdale and Sydney Smith & Blyth Limited c.
Davey Paxmon F, Company (1939), 55 R.P.C. 95 à la page 113: "Afin de pallier à
l'absence d'un objet d'invention, le demandeur a mis en relief un certain nombre
d'avantages qui, selon lui, découlaient de l'utilisation de l'instrument.
Cependant, si l'application d'une idée ne requiert aucune ingéniosité, alors
quels que soient les avantages pratiques qui en découlent, la demande sera
rejetée pour défaut "d'objet brevetable".
Les remarques de la Cour dans Lowe Martin Co. Ltd. c. Office Manufacturing Co.
Ltd. (1930) Ex. C.R. 181 sont également pertinentes: "Le simple fait de
pousser plus avant l'idée originale, de modifier la configuration ou les
dimensions, ou de faire une même chose à l'aide de sensiblement les mêmes
méthodes tout en obtenant de meilleurs résultats ne justifient pas la délivrance
d'un brevet" (page 187, ligne 9), et "nous devons toujours tenir compte des
droits du grand public et éviter d'accorder des monopoles pour des instruments
simples que toute personne connaissant le domaine pourrait concevoir".
Nous sommes convaincus que la demande ne porte pas sur un progrès technique
brevetable. Le demandeur obtient un résultat en empruntant sensiblement les
mêmes moyens consignés dans les antériorités, tout en ne modifiant que la confi-
gur-tion de l'instrument.
Nous recommandons de maintenir la décision de rejet de la demande.
Le président adjoint
Commission d'appel des brevets
J.F. Hughes
Je suis d'accord avec les conclusions de la Commission d'appel des brevets et
refuse de délivrer un brevet pour cette demande. Conformément à l'article 44
de la Loi sur les brevets, le demandeur a six mois pour interjeter appel de la
présente décision.
Le commissaire des brevets
J.H.A. Gariépy
Daté à Hull (Québec)
le 26e four d'avril 1976
Agent du demandeur
Smart & Biggar
C.P. 2999
Succursale D
Ottawa (Ontario)