DECISION DU COMMISSAIRE
Evidence: Construction immobilière
La méthode de construction d'immeubles à armature renforcée consistant à
rapprocher deux poutres parallèles afin de délimiter un espace ayant la hauteur
et la largeur d'une pièce a été rejetée. L'antériorité utilisait des poutres de
la hauteur d'une pièce avec des dalles posées entre les poutres adjacentes afin
de délimiter la pièce.
Rejet; Annulé
La présente décisiin porte sur une demande de révision par le Commissaire
des brevets de la décision finale de l'examinateur datée du 12 novembre 1974 au
sujet de la demande n o 059,591 (Catégorie 20-1). Celle-ci a été déposée le 15
août 1969 au nom de Frank Cico et concerne une invention appelée "Construction
aimobilière", Une audience a eu lieu le 12 novembre 1975 à laquelle assistaient
M. Trachimovisky et l'inventeur.
La demande porte sur la construction d'immeubles à plusieurs étages à l'aide
de longues poutres massives. Deux poutres sont placées en parallèle et très
rapprochées l'une de l'autre de façon à délimiter un espace ayant la hauteur et
la largeur fonctionnelles d'une pièce.
Dans sa décision finale, l'examinateur rejette la demande du fait qu'elle ne
présente pas d'amélioration brevetable par rapport aux références suivantes:
Brevet allemand
R 10914 15 mars 1956 Rhode
Brevets américains
2,691,291 12 octobre 1955 Henderson
3,287,865 29 novembre 1966 Lockman
Dans sa décision, l'examinateur déclare notamment:
"On estime que les différences présentées par les revendications 2, 4
et 6 à 16 par rapport à Rhode ne sont qu'accessoires et donc pas
brevetables. Par exemple, relier directement les semelles de Rhode,
pour obtenir un immeuble tel que décrit à la revendication 2, peut se
faire en supprimant simplement les dalles de Rhode (3, 4 ou 5) pour
rapprocher davantage les poutres de Rhode, ou en élargissant légèrement
les semelles de Rhode; autant d'opérations que l'on attendrait habituel-
lement d'un expert en la matière. Le simple fait de déplacer les poutres
afin d'obtenir une structure telle que définie à la revendication 4 n'est
qu'une question de choix et fait partie du métier. Pour répondre aux
allégations du demandeur, le simple fait de supprimer, d'élargir ou de
déplacer certains éléments pour remplir les mêmes fonctions que la
structure originale, ne constitue pas une invention.
Lockhman divulgue dans son brevet un immeuble tel que défini par les
revendications 1, 2, 3, 5, 6, 15 et 16. Dans sa réponse datée du 22 mai
1974, le demandeur avance que les semelles de Lockman ne sont "pas en
porte-à-faux". Ce à quoi je réponds que les semelles de Lockman constituent
des prolongements en porte-à-faux des âmes, telles que définies aux lignes
10 et 11 de la description du demandeur des prolongements des âmes, comme
s'il y avait des piliers au milieu des pièces de Lockman; l'évidence même
imposerait alors de supprimer ces piliers pour transformer les semelles de
Lockman en prolongements en porte-à-faux des âmes des poutres, comme il
est divulgué à la revendication 1.
On estime que les différences présentées par les revendications 7 à 14
par rapport à Rhode ne sont qu'accessoires et donc pas brevetables, pour
les mêmes raisons que précédemment. Dans sa lettre du 22 mai 1974, le
demandeur prétend que les colonnes relativement très espacées décrites à
1a revendication 8 constituent un progrès brevetable par rapport à Lockman;
ce à quoi je réponds qu'il est évident pour un homme de métier de placer
des colonnes sous les poutres.
Henderson divulgue dans son brevet un immeuble tel que défini aux
revendications 1, 2, 3, 5 et 6, à l'exception près qu'il ne comporte pas
"plusieurs étages". On maintient qu'il est évident de simplement multiplier
un bâtiment pour obtenir un immeuble à plusieurs étages. Dans sa réponse
du 22 mai 1974, le demandeur prétend qu'il serait de modifier la structure
de Henderson pour obtenir celle qui est divulguée à la revendication 1;
toutefois, le demandeur ne précise pas à quels éléments de la structure
de la revendication 1 correspondent ces modifications.
On estime que les différences constituées par les revendications 4 et 7
à 16 ne sont qu'accessoire.s et donc pas brevetables. Le demandeur n'a
pas répondu à ce refus précis.
On trouve également que la revendication 1 manque de précision.
L'expression "en parallèle et très rapprochées" ne définit pas clairement
et précisément la position des semelles l'une par rapport à l'autre. On ne
sait pas exactement si les semelles sont directement ou indicrectement
reliées. Dans sa lettre du 22 mai 1974, le demandeur prétend que les sens
de cette expression est précisé dans la divulgation, d'après laquelle les
semelles sont "aboutées". Ce à quoi je réponds que la divulgation comporte
également l'expression "en parallèle et très rapprochées" pour indiquer
que les semelles ne sont pas aboutées, tel qu'indiqué à la fig. 6 de la
page 6, lignes 15 à 26. L"expression "en parallèle et très rapprochées",
qu'elle soit prise séparément ou comme décriteddans la divulgation, a
plusieurs sens et manque de précision.
Dans sa réponse du 24 janiver 1975 à la décision finale de l'examinateur, le
demandeur déclare notamment:
Dans 1e cas présent, il serait évident pour un homme de métier que les
semelles des poutres sont très rapprochées l'une de l'autre lorsque la
largeur des semelles est considérablement plus grande que le vide qui
les sépare, voir par exemple, la figure 4 de cette demande. Il est
plus qu'évident que les semelles de Rhode ne sont pas rapprochées l'une
de l'autre, contrairement à ce que prétend l'examinateur, puisque la
structure de Rhode comporte entre les semelles des dalles faisant plusieurs
dois la largeur de celles-là. En outre, il est certain que le terme
"très rapprochées" n'est pas fonctionnel, puisqu'il désigne une condition
de la structure.
Il est donc avancé respectueusement que le terme "très rapprochées" est
aussi précis que le permet l'objet, qu'il s'agit en fait d'une condition
de structure et qu'il n'est pas fonctionnel, et que les semelles de Rhode
ne sont pas rapprochées.
Passons maintenant au refus énoncé au premier paragraphe de la
page 2 de la décision: contrairement à ce que prétend l'examinateur,
le terme "très rapprochées" n'est pas appuyé par les figures 5 et 6
de la présente demande. Ces réalisations ne s'appliquent pas à
l'invention telle que revendiquée actuellement. Il est vrai que ces
réalisations ressemblent à la structure de Rhode. Toutefois, elles
ne font que montrer qu'avec l'invention du demandeur telle que
revendiquée actuellement, on peut dans certains endroits utiliser le
genre de structure de Rhode. Même si l'examinateur prétend que les
figures 5 et 6 étaient indiquées comme faisant partie des réalisations
de l'invention, cele n'empêche pas d'accepter les revendications
actuelles puisqu'il arrive parfois que les revendications d'une demande
de brevet soient limitées pendant la procédure d'examen, en raison d'une
antériorité, pour exclure de leur application une ou plusieurs réalisations
décrites dans la demande.
...
Toute la valeur du brevet de Rhode consiste à poser des dalles entre les
semelles de façon à former un couloir ayant la hauteur et la largeur
fonctionnelles d'une pièce. Tel qu'indiqué précédemment, Rhode divulgue
l'emploi de semelles étroites avec de larges dalles entre elles. De
sorte que le poids mort est énorme, à savoir le poids des dalles, sur les
joints entre les dalles et les semelles. Voilà ce que l'invention du de-
mandeur cherche à éviter. Puisque l'entière divulgation du brevet de
Rhode réside dans l'emploi de dalles entre les semelles, il serait faux
de prétendre que Rhode suggère la suppression des dalles. Pour obtenir
le résultat visé par l'invention du demandeur à partir de Rhode, il faut
non seulement fair le contraire de ce qu'il stipule, amis également rajouter
deux opérations, à savoir enlever les dalles et élargir les semelles afin
de remplir le vide qui les sépare, si l'on veut garder un couloir ayant
la hauteur et la largeur fonctionnelles d'une pièce. Or ces deux opérations
ne peuvent être correctement accomplies que si l'on a en tête l'invention
du demandeur, car elle n'est pas suggérée dans le brevet de Rhode.
Si ces opérations étaient parfaitement normales de la part d'un homme de
métier, comme le prétend l'examinateur, pourquoi Rhode ne les a-t-il pas
prévues? En tant qu'inventeur, il avait certainement autant de compétence
qu'un homme du métier, sinon plus. Pourtant, lorsqu'il a cherché un mode
de construction d'un immeuble à plusieurs étages avec des couloirs ayant
la hauteur et la largeur fonctionnelles d'une pièce, il s'est servi de
poutres traditionnelles en "I" avec des semelles étroites et a relié ces
dernières par des dalles plusieurs fois plus larges que les semelles pour
obtenir les couloirs requis, de sorte que les raccords entre les semelles
et les joints supportaient un poids mort très important. L'invention du
demandeur n'était sûrement pas évidente pour Rhode.
L'examinateur prétend ensuite que la déplacement des poutres, tel qu'illustré
à la revendication 4, n'est qu'une question de choix et fait partie du
métier. Cette revendication précise qu'au moins sur deux étages, les poutres
sont placées dans le sens transversal les unes par rapport aux autres. Une
fois de plus, rien dans le brevet de Rhode ne suggère cette disposition.
L'antériorité de Rhode porte sur un immeuble à plusieurs étages fabriqué de poutres
en "I" ayant la hauteur d'une pièce et des semelles étroites. Ces semelles sont
reliées par des dalles qui forment des pièces de la largeur voulue
.
Le brevet de Henderson porte sur la construction de structures à partir de moulages
de ciment d'une pièce avec des murs d'extrémité en béton pour compléter l'ensemble
de la carcasse.
Le brevet de Lockman a trait à la construction d'une structure de voûte ou de
crypte à étages pour un mausolée. Elle résulte de l'assemblage d'éléments de
béton préfabriqué et moulés.
La présente demande porte sur un immeuble à plusieurs étages ayant un ensemble de
poutres massives et parallèles espacées les unes par rapport aux autres sur les
plans horizontal et vertical. Il peut s'agir de poutres en "I" dont l'âme aurait
la hauteur de la pièce et les semelles la même longueur. Lorsque deux poutres sont
placées parallèlement et abutées l'une contre l'autre, elles forment un espace ayant
une hauteur et une largeur acceptables pour une pièce.
La question est de savoir si le brevet du demandeur constitue un progrès brevetable
dans la technique.
La revendication 1 se lit comme suit:
Dans un immeuble à plusieurs étages, un ensemble de poutres massives
et allongées, étayées par endroits, espacées parallèlement sur les plans
horizontal et vertical de façon à former les étages susmentionnés; des
semelles faisant partie desdites poutres se prolongeant vers les semelles
des autres poutres auxquelles elles sont reliées, formant deux platelages
inférieur et supérieur séparés par environ la hauteur d'un étage, et l'âme
faisant également partie de chacune desdites poutres reliant les platelages
supérieur et inférieur et cloisonnant l'espace qui se trouve entre; lesdites
semelles étant des prolongements intégraux, en porte-à-faux et porteurs de
ladite âme et chacune ayant une largeur suffisante pour former un couloir
d'une hauteur et d'une largeur fonctionnelles et maintenue entre l'âme et
les semelles de deux poutres placées en parallèle et très rapprochées l'une
de l'autre.
Lords de l'audience, à l'aide d'une maquette de ses poutres, le demandeur a montré
les diverses possibilités de dispositions structurelles qui s'offraient.
La seule revendication indépendante est la première qui a été rejetée dans la décision
finale du fait qu'elle décrit la structure telle qu'elle est divulguée dans les
brevets de Rhode, de Lockman et de Henderson.
On remarque que, dans le brevet de Rhode, il emploie des poutres en "I" dont l'âme
à la hauteur d'une pièce et dont les semelles sont relativement étroites. Des
dalles sont placées entre les semelles des poutres de façon à combler le vide,
ce qui forme une pièce de la largeur voulue. La figure 3 de Rhode montre qu'il
envisageait la construction d'un immeuble à plusieurs étages à partir de cette
disposition. La revendication 1 de la présente demande exige "des semelles faisant
partie desdites poutres se prolongeant vers les semelles des autres poutres
auxquelles elles sont reliées, formant deux platelages inférieur et supérieur...
les semelles de deux poutres placées en parallèle et très rapprochées l'une de
l'autre". Le sens de l'expression "en parallèle et très rapprochées a été
contesté dans la décision, dans la réponse du demandeur ainsi qu'à l'audience.
Nous reviendrons plus tard sur cette question. Si l'on envisage les caractéristiques
et rapports énoncés à la revendication 1, on ne peut pas dire que le brevet de
Rhode divulgue des semelles "en parallèle et très rapprochées" l'une de l'autre.
Rien n'indique que Rhode avait l'intention de construire sa structure avec les
semelles de poutre placées parallèlement et abutées l'une contre l'autre.
L'antériorité Lockman porte sur la construction d'un mausaolée composé de structures
de voûtes à étages résultant de l'assemblage d'éléments de béton préfabriqués
et moulés. Ce brevet présente un avantage par rapport à l'antériorité dont la
méthode consistait à couler du béton sur place pour chaque étage. Il fallait donc
construire des coffrages et attendre que le béton sèche avant de passer à l'étage
suivant. Toutefois, Lockman ne s'intéresse pas à un immeuble de plusieurs étages
présentant des pièces de hauteurs et largeurs fonctionnelles. On perçoit également
une autre différence du fait de la condition de "porte-à-faux" énoncée à la revendi-
cation 1. Lockman se sert d'une paroi à l'extrémité de la poutre, faisant partie
intégrante de l'âme et de la semelle, de sorte que cette dernière n'est pas vraiment
"en porte-à-faux" au sens où on l'entend ordinairement.
L'antériorité Henderson montre une partie d'immeuble en béton à un étage conçu comme
une unité, ou en deux moitiés, et encadrée de murs de béton précoulés. La version
de Henderson à plusieurs étages se fait par l'assemblage de deux segments de béton
placés l'un contre l'autre avec des murs extérieurs pour fermer la structure. Il
faudrait des modifications importantes pour obtenir, à partir de cette antériorité,
la structure décrite à la revendication 1.
Le demandeur a conçu une méthode permettant de construire une structure à
plusieurs étages qui n'a jamais été envisagée dans les antériorités. Grâce
à cette méthode, la demandeur peut assembler ses unités et obtenir la structure
plus vite que d'après les autres méthodes, puisqu'il n'y aurait pas à monter
d'échafaudage pour tenir les unités. Tandis que l'antériorité Rhode exigerait
une quantité importante de contreventements ou d'échafaudages pour maintenir la
dalle en place avant de la fixer aux semelles adjacentes.
Autre caractéristique du procédé de demandeur, la suppression du poids mort aux
joints des semelles, due à la position en porte-à-faux qui fait assumer la force
des semelles par les âmes des poutres. Par contre, avec la méthode de Rhode, les
dalles sont maintenues en place à coté des semelles grâce à des moyens de fixation,
d'où la contrainte subie par les joints qui doivent supporter le "poids mort".
Passons maintenant à la condition de disposition "en parallèle et très rapprochées"
énoncée à la revendication 1. A l'audience, le demandeur assure que cette expression
était aussi précise qu l'objet le "permet". Si l'on se fie aux définitions du
Petit Robert, "parallèle" signifie "qui (...) ne se recontre pas" et "rapproché",
"proche". On a remarqué qu'à la page 6, ligne 4 de la divulgation, il est indiqué
que "les poutres 2-2 de cette taille sont placées bout-à-bout, en position collatérale
et parallèle l'une par rapport à l'autre, tel que décrit à la figure 4", et plus
loin, à la page 9, ligne 2, "le coulis placé entre les éléments aboutés tels les
semelles 6-6 de la fig. 4". Puisque le terme "abouté" est employé dans la divulgation
pour rendre avec précision le sens voulu, nous ne voyons pas pourquoi il ne pourrait
être employé dans la revendication. A notre avis, l'expression "en parallèle et
très rapprochées" devrait être remplacé par "aboutées parallèlement l'une à l'autre".
Pour finir, la Commission est d'avis que la demande renferme suffisamment d'invention
pour que le Commissaire ne refuse pas l'octroi d'un brevet (voir Crossley Radio
Corporation c. Canadian General Electric, 1936 S.C.R. 551 à 556).
Par conséquent, la Commission recommande que le rejet de la demande soit annulé
et que l'examen se poursuive si la revendication 1 est modifiée conformément aux
indications précédentes. En outre, certaines revendications dépendantes devront
être modifiées, pour veiller à ce que la condition "bout-à-bout, en position
collatérale " ne prête pas à confusion. Ainsi, la revendication 2 devra être
supprimée.
Le Président de la
Commission d'appel des brevets
G. Asher
Je suis d'accord avec les conslusions de la Commission et retire ma décision
finale. La demande est renvoyée au demandeur pour reprise de l'examen.
Le Commissaire des brevets par intérim
J.A. Brown
Fait à HULL (Québec)
12 24e jour de décembre 1975