DECISION DU COMMISSAIRE
EVIDENCE: Production de levure
Un procédé pour produire une levure particulière, par culture, dans un
milieu nutritif en l'absence de facteurs de croissance additionnels a été
considéré comme non brevetable par rapport aux antériorités.
DECISION FINALE: Confirmée
Cette décision a trait à une demande de révision, par le Commissaire des
brevets, de la décision finale de l'examinateur, en date du 8 novembre 1973,
concernant la demande 056,232 (classe 195-54). La demande a été déposée
le 4 juillet 1969 au nom de Jozef T. DeLey est al, et s'intitule "Procédé pour
cultiver la levure Candida Guilliermondii sur des hydrocarbures ". La
Commission d'appel des brevets a tenu une audience le 7 mai 1975 au cours de
laquelle M. R. Fuller représentait le demandeur.
Les revendications actuelles ont trait à la production d'une levure particulière
Candida guilliermondii, par culture en milieu nutritif contenant des hydrocarbures,
en l'absence de facteurs de croissance additionnels. La levure récupérée est
utile comme supplément alimentaire.
Dans sa décision finale, l'examinateur a rejeté les revendications 1 à 10
parce qu'elles ne comportent aucune matière inventive par rapport aux
antériorités suivantes:
Chemical Abstracts
Volume 66 113256u 1967
Brevets canadiens
670,301 10 septembre 1963 Cl. 195-35
788,976 2 juillet 1968 Cl. 196-64.1
Brevet américain
3,268,419 23 août 1966 Cl. 195-82
Dans cette décision, l'examinateur a déclaré natamment:
La publication Chemical Abstracts divulgue la culture de la
Candida guilliermondii en milieu aqueux contenant des hydrocarbures,
une source azotée et des sels inorganiques pour former un produit
cellulaire contenant 50 % de protéines. Les brevets cités, par
contre, montrent qu'un tel milieu peut être utilisé pour la culture
aérobie non seulement des levures Candida mais aussi pour d'autres
genres de levures et de bactéries assimilant des hydrocarbures à
l'intérieur des limites de pH et de température revendiquées par le
demandeur. En outre, l'hydrocarbure paraffinique peut varier à un
point tel qu'il peut inclure des kérosènes, des gas-oils, des fractions
de distillats moyens et de la cire minérale.
Bien que ses revendications originales n'aient pas mentionné cette
caractéristique, le demandeur prétend maintenant dans sa lettre du 27
mars 1973 que la clause ayant trait à l'absence de facteurs de croissance
additionnels dans la revendication présente n'est ni mentionnée ni
suggérée dans l'antériorité citée et que, pour cette raison, ces
revendications sont brevetables. Cependant, la divulgation de chacun des
brevets cités indique que: "la croissance des levures (ou micro-organismes)
est favorisée par l'addition au milieu de culture d'une infime proportion
d'extrait de levure ou plus généralement de vitamines du groupe B ou de
biotine". Cette déclaration n'implique pas que la présence de facteurs de
croissance soit un besoin absolument vital mais que ces substances peuvent
améliorer le taux de croissance du micro-organisme selon les conditions
choisies. Il est donc évident que l'exclusion desdits facteurs de
croissance ne représente pas en soi une amélioration brevetable par rapport
à la technique antérieure, et comme il a été mentionné ci-dessus, les
revendications ne sont pas suffisamment différentes, à d'autres points de
vue, des antériorités citées pour être brevetables.
Dans sa réponse du 7 février 1974, concernant la décision finale, le demandeur
a déclaré notamment:
...
Le demandeur voudrait souligner qu'en rejetant les revendications 1 à 10,
l'examinateur semble s'appuyer sur une combinaison de deux références ou
plus, Il appert qu'en vertu de la pratique canadienne, une telle
combinaison de références n'est permise que dans des conditions spéciales
lorsqu'il s'agit d'un rejet pour évidence. Par conséquent, lorsqu'il
s'agit de ce genre de rejet en raison de l'évidence, les références ne
peuvent être combinées que si elles ont trait au même problème et s'il
peut être affirmé qu'au moins l'une d'entre elles représente les connaissances
générales de la technique. Tel ne semble pas le cas en l'occurrence.
L'examinateur prétend aussi que la méthode pour cultiver la Candida
guilliermondii sur des hydrocarbures paraffiniques et en milieu nutritif
aqueux, en l'absence d'un facteur de croissance additionnel, ne représente
pas une amélioration brevetable par rapport aux antériorités. Le demandeur
n'est pas d'accord avec cette opinion, comme il l'a déjà dit antérieurement.
...
Bien que les trois brevets Champagnat et al aient trait au métabolisme
de la levure sur une base de pétrole et qu'ils fournissent des descriptions
plus détaillées que la publication Chemical Abstracts, aucun de ces trois
brevets n'a trait à la culture de Candida guilliermondii sur des hydrocarbures
paraffiniques comme c'est le cas du procédé faisant l'objet de la
demande actuelle. Ces brevets ont trait principalement à la Candida
lipolytica bien que d'autres spécimens de levures Candida et d'autres
micro-organismes utilisant des hydrocarbures soient décrits. Toutefois,
les espèces de Candida actuellement revendiquées ici ne sont ni décrites
ni démontrées nulle part dans ces trois brevets.
Ce ne sont pas toutes les espèces de levures Candida qui poussent sur
des hydrocarbures, comme l'indique clairement la référence Klug et al
citée lors de l'instruction de la présente demande aux Etats-Unis. Le
brevet Klug et al dont une copie est jointe, présenta la croissance
de plus de 30 espèces de Candida et démontre que nombre de ces espèces
sont incapables d'assimiler des hydrocarbures paraffiniques. En outre,
la demande actuelle démontre dans l'exemple I (pages 6-8) que seulement
6 des 26 espèces Candida ont bien réagi sur une base de pétrole.
Etant donné que le brevet Klug et al et la demande du requérant indiquent
que les espèces Candida n'ont pas toutes la capacité d'assimiler les
hydrocarbures paraffiniques et que les brevets Champagnat et al ont trait
ont trait à des espèces Candida autres que la C. guilliermondii, l'homme
du métier ne pourrait prédire l'applicabilité des divulgations Champagnat
et al concernant la C. guilliermondii sans procéder à des essais en laboratoire.
Selon ces références, la probabilité conditionnelle du procédé du requérant
est incertaine.
De plus, les références Champagnat et al ne sont pas applicables pour une
autre raison. Dans le procédé revendiqué ici, une source utilisable de
carbone, une source utilisable d'azote (hatibuellement de l'azote ammoniacal)
et certains sels organiques sont décrits comme étant nécessaires à la
croissance de la Candida guilliermondii. Bien que les brevets Champagnat et al
mentionnent la nécessité d'une source de carbone et de sources de nutrition
inorganiques, rien n'indique qu'une source utilisable d'azote est nécessaire.
Alors que le milieu nutritif utilisé par Champagnat et al dans les exemples
de ces brevets contenait effectivement des sels azotés, Champagnat et al ont
omis de reconnaître que cette source d'azote était essentielle, étant donné
qu'aucune des revendications de ces brevets n'a trait à cette caractéristique.
Les revendications du demandeur exigent une source d'azote dans le milieu
nutritif.
Le texte de Chemical Abstracts peut se traduire ainsi:
Les caractéristiques d'isolement et de croissance de la C.
guilliermondii sur des hydrocarbures aliphatiques ont fait
l'objet de recherche. La levure a été cultivée dans le milieu
suivant: Mepasin (une fraction de kerosène) 10 ml. NH4Cl 2,
KH2PO4 4.5, M g So4 0.2 et NaCl 0.2 g dans 1 1.H2o. Deux cents
m1 de ce milieu dans un flacon de 500 ml ont été inoculés et
incubés dans une culture agitée à 30À: une levure sèche (0.7 g)
contenant environ 50 % de protéine a été obtenue en 5 heures.
La concentration optimale d'un nombre de paraffines saturées et
non saturées a été étudiée y compris C12 à C22. Le coefficient
respiratoire et le contenu de riboflavine du produit sont indiqués.
Les brevets Champagnat montrent la nécessité d'une source d'oxygène pour la
croissance des levures Candida et d'autres micro-organismes sur des hydro-
carbures, et pour maintenir le pH du milieu entre 3 et 6.
La demande porte sur la culture d'une levure, Candida Guilliermondii, la
revendication no 1 se lit ainsi:
Un procédé pour la production de levure, comprenant la culture
aérobie de la Candida guilliermondii en milieu nutritif aqueux
contenant une source d'azote et des sources nutritives inorganiques,
en présence de matières nutritives contenant un mélange d'hydrocarbures
paraffiniques comme source de carbone, et en l'absence de facteurs de
croissance additionnels, dans lequel le pH est maintenu entre quatre
et six et la température entre 15 et 30À et où la levure produite est
récupérée.
La Commission doit donc déterminer si le demandeur a fait un progrès technique
brevetable.
Il est souligné que le procédé détaillé pour la culture de micro-organismes
comestibles sur des hydrocarbures, en présence d'autres matières nutritives
comme des sources d'azote, des sels minéraux, des éléments en trace, et un
certain niveau de pH et de température, est indiqué dans les brevets cités. Ces
méthodes sont applicables non seulement à la Candida et aux autres levures,
mais aussi aux moisissures et bactéries assimilant des hydrocarbures, et son
essentiellement identiques à celles du procédé du demandeur. Il est également
évident d'après les brevets mentionnés ci-dessus que les espèces Candida exigent
de l'oxygène afin d'assimiler les hydrocarbures. Nous sommes convaincus qu'il
n'y a rien d'inattendu dans la découverte que la C. guilliermondii a le même
besoin d'oxygène.
Il est noté que l'absence de facteurs de croissance additionnels, caractéristique
que le demandeur prétend maintenant inventive, n'a pas été indiquée dans les
revendications avant la modification du demandeur, en date du 27 mars 1973.
Il est déclaré dans le mémoire descriptif de chacun des brevets cités que:
"... la croissance des levures (ou micro-organismes) est favorisée par l'addition
au milieu de culture d'une infime proportion d'extrait de levure or plus
généralement de vitamines du groupe B ou de biotine." Cette déclaration n'implique
pas que la présence de facteurs de croissance soit un besoin absolument vital,
mais que ces substances peuvent améliorer le taux de croissance du micro-
organisme selon les conditions choisies.
La citation de Chemical Abstracts divulgue particulièrement un milieu
nutritif contenant du sel ammoniacal. Les brevets cités révèlent le besoin
d'une source azotée, et puisque le micro-organisme nécessite evidemment de
l'azote pour synthétiser la protéine, il est clair que cet élément doit se
trouver dans le milieu avec d'autres substances nutritives traditionnelles.
Selon nous, le procédé que le demandeur revendique n'est rien de plus que
l'utilisation du procédé traditionnel de culture des micro-organismes assimilateurs
d'hydrocarbures en général, afin de produire une levure particulière convie pour
sa capacité d'utiliser également des hydrocarbures. En dehors du fait que
Chemical Abstracts ne mentionne pas l'addition de facteurs de croissance, il
est évident que, dans les procédés des brevets cités, l'addition de ces substances
est facultative plutôt qu'obligatoire, et leur exclusion ne représente donc pas
un progrès technique brevetable.
Le demandeur affirme que sa culture aérobie est importante. Chemical Abstracts
mentionne essentiellement la même étape "... inoculé et incubé dans une culture
agitée à 30 ..."
Après étude de toutes les preuves qui nous ont été présentées, nous avons
conclu que ce que le demandeur a accompli n'est au mieux qu'une simple
vérification. Nous ne pouvons trouver là aucune preuve d'exercice d'une
faculté inventive. Il est établi en droit qu'une simple expérimentation
n'est pas assimilable à une invention. Sur ce point, nous nous en rapportons
à British Thomson-Houston c/ Charlesworth (1925) 42 R.P.C. 180, Sharp & Dohme c/
Boots Pure Drug (1927) 44 R.P.C. 367 à 402 et (1928) 45 RPC 153 à la page 172
& ff, et nous citons du 44 RPC à la page 402:
S'il appert, compte tenu des connaissances sur l'état de la
technique, que la fabrication de la substance, comme celle
décrite dans un brevet, est une question de routine, que le
chimiste peut obtenir par des moyens ordinaires ou qu, en fait,
sera obtenue en suivant les instructions des antériorités citées
dans le document, il n'y a pas objet d'invention dans le brevet,
bien que son contenu n'apparaisse pas dans les antériorités.
Nous recommandons que la demande soit rejetée.
Président adjoint
de la Commission d'appel des brevets
J.F. Hughes
Je souscris aux conclusions de la Commission d'appel des brevets et refuse
d'accorder un brevet. Le demandeur a six mois pour interjeter appel de cette
décision, aux termes de l'article 44 de la Loi sur les brevets.
Telle est ma décision
Le Commissaire des brevets
A. M. Laidlaw
Fait à Hull (Québec)
ce 24e jour de juillet 1975
Agents du demandeur
MM Smart & Biggar
70, rue Gloucester
Ottawa, Ontario