DECISION DU COMMISSAIRE
NON-EVIDENCE: Progrès technique brevetable
Bien qu'une antériorité ait suggéré que cela pourrait se faire, aucune
antériorité ne montre en fait une chaîne transporteuse, se déplaçant
à l'horizontale, qui remplirait les fonctions et servirait aux fins
envisagées par le présent demandeur. En soi, l'utilisation de plaques
pour prévenir l'usure n'est pas une nouveauté, il n'a cependant jamais
été question de faire servir cette plaque à la fois comme "entraînement
par friction" et comme dispositif de "glissement".
DECISION FINALE: Infirmée.
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La présente décision a trait à une demande de révision, par le Commissaire
des brevets, de la décision finale de l'examinateur rendue le 25 octobre
1973, au sujet de la demande de brevet nÀ 104 483 (classe 201-73). La
demande, déposée le 4 février 1971, aux noms de Zoltan E. Zilahy et
Anthony L. Dato, s'intitulait: "Appareil à supports en surplomb pour
palettes". Le 4 décembre 1974, la Commission d'appel entendait Messieurs
Hicks et Proulx, mandataires du demandeur.
En résumé, cette demande a trait à un transporteur fait d'une chaîne à
mailles qui pivote horizontalement sur un axe vertical pour entraîner
des palettes vers divers postes de travail successifs. Ces chaînes à
mailles sont munies de plaques de glissement qui, lorsqu'elles rencontrent
les plaques de glissement du transporteur, entraînent les palettes vers les
divers postes de travail.
Lors de l'instruction qui s'est terminée par la décision finale, les
revendications 1-9 et 11-16 ont été rejetées parce qu'elles n'ont pas
démontré une activité inventive, compte tenu des antériorités citées ci-
après et de la compétence ordinaire:
E.U. redélivrance 25 886 25 octobre 1968 Cargill
E.U. 2 819 784 14 janvier 1958 Brown, jr
L'examinateur formule ainsi sa décision finale (en partie):
...
Quant à la revendication I, nous ne voyons pas en quoi la présente
demande fait preuve d'une ingéniosité qu'on ne trouve pas déjà dans
l'antériorité de Cargill, compte tenu de celle de Brown. Cargill
rapporte qu'il aurait tout aussi bien pu utiliser un transporteur
à boucle horizontale, mais il a utilisé un entraînement à chaîne,
avec dispositif d'arrêt sur les transporteurs (voir le levier 48B
qui commande l'élément 33 fixé au transporteur ou à la palette).
Cargill et Brown prétendent qu'il est possible d'entraîner le
transporteur ou les palettes par simple friction. Il est inévitable
que le frottement de la chaîne ou de la courroie à mouvement continu
à l'endos de la palette immobile cause une certaine usure, comme
dans le cas des inventions de Cargill et de Brown. Le fait de poser
des plaques de glissement, ou tout autre élément résistant à l'usure,
n'est pas une invention en soi, mais il pourrait plutôt s'apparenter
à l'action de poser une plaque sur la semelle et le talon d'une
chaussure pour en prévenir l'usure. Poser un élément sur la surface
sujette au frottement pour en prévenir l'usure et faciliter le
glissement n'est donc pas une invention.
La revendication II, qui décrit un dispositif antibasculant, ne
dénote pas une ingéniosité qu'on ne retrouve pas dans le brevet de
Cargill où est illustré, en 27 et 27a, un dispositif qui circule
dans un rail 28, et tel que le démontrent les figures 4, 5 et 6, ce
dispositif prévient incontestablement le basculage.
Les revendications 2 à 9 et 12 à 16, qui énumèrent certaines
caractéristiques, comme le mécanisme de commande de freinage (comprenant
leviers et ressorts, et cames), les pistons des leviers de commande,
les supports latéraux de palettes, les orifices de palettes et les
pattes d'attache des palettes, n'apportent rien de nouveau, compte
tenu de la compétence ordinaire d'une personne intelligente. Ces
caractéristiques sont plutôt le fruit d'un choix personnel, d'une
conception technique élémentaire et de la compétence ordinaire.
Le 11 décembre 1973, le demandeur formulait sa réponse comme suit (en
partie):
Cette invention est unique en ce qu'elle met en oeuvre un rail vertical
où circulent, en ligne droite ou en circuit comportant des courbes, les
transporteurs qui se rendent d'un poste de travail à un autre. Une
chaîne montée sur un support circule à une vitesse déterminée d'avance;
cette chaîne entraîne les plaques de glissement montées de manière que
la chaîne puisse décrire des courbes normales pour enclencher les plaques
de glissement des transporteurs qui s'arrêtent tandis que la chaîne
continue d'avancer. Il n'est pas question d'employer des plaques qui
s'useraient. Les plaques utilisées ont été trempées de manière que la
friction entre celles de la chaîne et celles des transporteurs engendre
très peu d'usure. L'entraînement par friction des plaques de glissement
de la chaîne et des transporteurs est une invention du demandeur et a
donné de très bons résultats sur rails verticaux.
L'antériorité de Brown ne peut être invoquée ici puisque, dans le cas de
cette invention, il s'agit d'une simple courroie sans fin qui ne comporte
pas la plaque de glissement qui enclenche les plaques de glissement des
palettes. La palette inventée par Brown consiste en un cadre destiné à
transporter de minces feuilles de plastique servant à la fabrication
de panneaux pour circuits. Quant à Cargill, son invention consiste en
une chaîne, un pignon et un embrayage qui forment un entraînement des
palettes une fois que le pignon est immobilisé. L'examinateur
a relevé la prétention de Cargill selon laquelle il aurait pu
recourir à l'entraînement par friction. A la ligne 61, quatrième
colonne de la demande, on lit: "Dans certains cas, par exemple,
on pourrait éliminer l'assemblage pignon et embrayage illustré
par les dessins, et placer plutôt les palettes de manière qu'une
de leurs extrémités soit entraînée par friction sur la chaîne ..."
Il ne semble pas qu'on ait donné suite à cette proposition, étant
donné qu'il était dit "on pourrait". Il nous semble qu'il a fallu
faire preuve de beaucoup d'ingéniosité, ce qui équivaut à une
invention, pour mettre au point une palette dont l'extrémité est
entraînée par friction sur la chaîne et que cette friction assure
un bon entraînement, compte tenu du fait que le dispositif doit
s'arrêter aux divers postes de travail. Cette découverte ne peut
cependant pas être invoquée dans le cas de la présente invention
puisque, dans ce cas, des plaques de glissement ont été prévues non
seulement sur la chaine, mais également sur les transporteurs. Ce
genre d'entraînement s'est avéré extrêmement satisfaisant dans le
cas des rails verticaux où les supports de palettes pouvaient être
prolongés latéralement d'un côté du rail pour supporter les palettes
en porte-à-faux. Quant aux autres transporteurs du genre de ceux
décrits dans les antériorités citées, ils ne permettaient pas
d'atteindre les éléments dont la base reposait sur la palette. En
prolongeant le support en porte-à-faux, à partir du rail vertical,
et en prévoyant de grands orifices dans la palette, on pouvait
atteindre la partie inférieure de l'élément à travailler. Cette
caractéristique est une invention du présent demandeur car nulle
part dans les antériorités trouve-t-on une palette disposée de
manière qu'on puisse travailler la partie inférieure de l'élément
qui y repose. Considérant la technique invoquée, l'attribution de
Cargill se rapporte à un transporteur simple qui dessert une
succession de postes de travail automatisés où les éléments doivent
être déposés en un endroit précis. Un dispositif sert à l'embrayage
et au débrayage d'une draine transporteuse sans fin, de manière que
les palettes soient fixées exactement au bon endroit.
Considérant la technique invoquée, l'attribution de Cargill se rapporte à
un transporteur simple qui dessert une succession de postes de travail
automatisés où les éléments doivent être placés en un endroit précis. Un
dispositif sert à l'embrayage et au débrayage d'une chaîne transporteuse sans
fin, de manière que les palettes soient fixées exactement au bon endroit.
L'attribution de Brown consiste en une courroie sans fin qui entraîne des
palettes servant à transporter des panneaux pour circuits électriques. La
palette est entraînée par la friction entre sa partie inférieure et la courroie
transporteuse. Des butées enclenchent les surfaces correspondantes des palettes
pour les retenir et les placer au poste de travail approprié sur le parcours de
la courroie.
La question à laquelle nous devons répondre est la suivante: les revendications
1 à 9 et 11 à 16 ont-elles démontré un progrès technique brevetable, compte tenu
de la technique invoquée. La première revendication se lit ainsi:
Un appareil convoyeur d'éléments à façonner, plusieurs palettes
qui transportent ces éléments et les déposent au poste de travail
voulu, un support dont certaines sections sont droites et d'autres
courbes, grâce auquel peuvent se déplacer les palettes, une chaîne
à mailles pivotant en plan horizontal, qui sert à entraîner les
palettes sur le support, des plaques de glissement, sur la chaîne
et sur les transporteurs, servant à l'entraînement des palettes
lorsque celles-ci doivent se déplacer, des butées d'arrêt placées
sur les transporteurs, qui serviront à arrêter la marche des
transporteurs au moment voulu tandis que les plaques de glissement
de la chaîne continueront leur parcours.
Comme nous l'avons déjà dit, cette demande a trait à un convoyeur à chaîne
sans fin dont les transporteurs entraînent des palettes vers des postes de
travail successifs. Le convoyeur à chaîne est fait de mailles horizontales
pivotant sur un axe vertical. L'entraînement se fait par la friction entre
des plaques de glissement posées sur la chaîne et d'autres posées sur les
transporteurs. Lorsqu'une palette a atteint le poste de travail désigné,
le transporteur s'y immobilise tandis que la chaîne transporteuse continue
son parcours, ayant vaincu la force de friction, et les plaques de la chaîne
glissent sur celles du transporteur.
.
Nous constatons que Brown a utilisé un convoyeur à courroie et que c'est le
poids de la palette sur la courroie qui engendre une friction suffisante
pour entraîner la palette avec la courroie. La palette reste immobilisée au
poste de travail tandis que la courroie, ayant vaincu la force de friction,
continue son parcours. Les palettes utilisées sont relativement légères
étant donné qu'elles ne transportent que des panneaux pour circuits d'appareils
de réception de télévision. La force de friction nécessaire pour entraîner
ou maintenir immobiles les palettes est donc relativement peu importante, et
l'usure de la courroie ou de la partie inférieure de la palette est également
sans importance. Il n'est pas fait état de plaques de glissement pour
"entraîner la palette ou prévenir l'usure ". Le convoyeur de Brown circule en
plan vertical tandis que l'invention du présent demandeur devrait circuler en
plan horizontal.
Pour sa part, Cargill a conçu un convoyeur à chaîne circulant en plan horizontal.
Les transporteurs sont entraînés par une chaîne au moyen d'un "embrayage" qui
consiste en un pignon d'entraînement monté sur un axe transversal à l'intérieur
du transporteur. Lorsque le transporteur s'arrête à un poste de travail, le
pignon d'entraînement "tourne librement" de sorte que la chaîne peut poursuivre
son parcours. Si l'on bloque le pignon pour empêcher la rotation, le transporteur
peut s'avancer jusqu'au prochain poste de travail. Lorsque le transporteur est
enclenché à la chaîne, le poids est porté par des rouleaux et des coulisseaux
circulant dans des rails de guidage.
Dans son mémoire descriptif, Cargill dit:
Un grand nombre de modifications pourraient être apportées tant au
niveau du convoyeur qu'à celui des palettes, des attaches et de l'embrayage.
Dans certains cas, par exemple, on pourrait éliminer l'assemblage
pignon et embrayage illustré par les dessins, et placer plutôt les
palettes de manière qu'une de leurs extrémités soit entraînée par
friction sur la chaîne, surtout dans le cas d'une boucle horizontale
où la gravité jouerait un rôle d'entraînement des palettes par tout le
circuit du convoyeur.
Il semble révélateur qu'aucune des attributions ne fait état d'un convoyeur à
chaîne évoluant en plan horizontal. Bien que Cargill prétende que son appareil
pourrait servir des deux façons, et "qu'on pourrai " utiliser son convoyeur en
plan horizontal, il ne dit pas un mot des modifications à apporter pour ce
faire. Son support comporte des rouleaux à l'entraînement, un assemblage d'embrayage
et de pignons d'engrenage au centre, et des coulisseaux à l'arrière. Ni les
modifications à apporter, ni les problèmes à résoudre pour éliminer l'embrayage et le
pignon d'engrenage, et pour les remplacer par un entraînement par friction n'ont
été décrits.
Le concept de la plaque de glissement sur chacun des deux éléments, de manière
que la friction qui résulte de leur contact devienne la force d'entraînement
du transporteur, de même que l'utilisation de plaques comme plaques d'usure pour
retenir le transporteur, ne se trouve pas dans les attributions. L'utilisation
de plaques de glissement pour prévenir l'usure n'est pas, en soi, une technique
nouvelle, tel que l'a d'ailleurs illustré l'examinateur en apportant l'exemple
de la plaque protectrice sous le talon de la chaussure; aucune des citations n'a
toutefois fait état du double rôle de la plaque, comme entraînement et comme
plaque de glissement, tel qu'envisagé par le demandeur.
Il est intéressant de prendre connaissance du raisonnement du Tribunal dans
l'arrêt Hickton's Patent Syndicate contre Patent and Machine Improvements Co.
Ltd. (1909) 26 RPC 339. A la page 348, le juge Fletcher Moulton dit:
J'ai retenu la cause de Bolton & Watt au sujet du condensateur
mais je pourrais en citer une autre. Prenons l'exemple de la
soupape de sécurité pour chaudières. La personne qui a eu l'idée
d'une soupape à contrepoids pour la chaudière afin de favoriser la
détente si la pression s'élevait trop, a fait une découverte des
plus précieuse et des plus valable. Depuis qu'il a conçu cette
idée de parer au danger d'explosion, la réalisation de cette idée
n'est plus une invention. A mon avis, l'invention réside dans l'idée
et peut résider dans la façon de réaliser cette idée; elle peut
également être une combinaison de l'idée et de la façon de la
réaliser, mais s'il y a matière inventive dans l'idée, combinée
avec la façon de réaliser cette idée, alors l'invention devrait faire
l'objet d'un brevet. (nous avons souligné).
Il est évident que l'utilité pratique d'un convoyeur circulant en plan
horizontal, et "l'entraînement par friction et dispositif de glissement "
proposés à la revendication I, ne sont ni enseignés ni suggérés dans les
antériorités citées. La Commission est donc convaincue que se retrouve,
dans la nouvelle invention décrite ici, un degré d'ingéniosité qui résulte
de la réflexion et de l'expérimentation. (Voir Crosley Radio Corporation c
Canadian General Electric Company (1936) SCR 551, à la page 556). Par
conséquent, le rejet des revendications 2 à 9 et 11 à 16 qui, directement
ou indirectement, sont subordonnées à la revendication I, doit être infirmé.
La Commission recommande donc que l'examinateur retire sa décision de rejeter
les revendications 1 à 9 et 11 à 16.
J.F. Hughes
Président adjoint
Commission d'appel des brevets
Je souscris aux constatations de la Commission d'appel des brevets et je
retire la décision finale. La demande est retournée à l'examinateur afin
que soit poursuivie l'instruction.
Telle est ma décision,
A.M. Laidlaw
le Commissaire des brevets
Fait à Hull (Québec)
le 9 janvier 1975
Mandataires du demandeur
A.E. MacRae & Co.
Case postale 806, Station "B"
Ottawa 4 (Ontario).