DECISION DU COMMISSAIRE
CONFORME AUX STATUTS - Article 2(d): Essai chimique utilisant une nouvelle
teinture fluorescente.
Le procédé qui consiste à appliquer une teinture fluorescente sur les dents et
les gencives pour que les tissus malades exposés à la lumière, à l'échelle
Angstrom précisée, soient visibles à l'oeil nu, est une question de fait salon
la définition donnée au mot "technique", c'est-à-dire qui produit un changement
ou un résultat physique; la fabrication et l'utilisation de ce procédé satisfont
aux conditions préalables d'une invention "utile" établies par la jurisprudence.
DECISION FINALE: Infirmée
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Cette décision porte sur une enquête de révision, per le Cosmmissaire des brevets,
de la décision finale de l'examinateur en date du 16 mai 1972 reiativement à la
demande 880,719. Cette demande a été déposée au nom de Herbert Brilliant et a
trait à "L'utilisation de teintures fluorescentes sur des matières présentes
dans la cavité buccale".
Lors de l'instruction qui s'est terminée par la décision finale, l'examinateur a
refusé les revendications 1 à 6 parce qu'elles n'étaient pas brevetables aux
termes de l'article 2(d) de la Loi sur les brevets, et les revendications 7 à 9
parce qu'elles n'étaient pas brevetables en raison de la technique antérieure:
Brevet canadien:
500,625 16 mars 1954 Alderman et al
Dans sa décision finale, l'examinateur a déclaré notamment:
Le rejet des revendications 1 à 6 est maintenu parce que
tous les procédés ne sont pas brevetables. Les méthodes
d'essais cliniques décrites dans les revendications 1 à 6
relévent du domaine de la médecine générale et plus
particulièrement des domaines de l'art dentaire et de la
chirurgie, et ne sont donc pas brevetables aux texmes de
l'article 2(d) de la Loi sur les brevets.
Le rejet des revendications 7 à 9 est maintenu parce que
le caractère brevetable de l'objet d'invention des reven-
dications 7 à 9 n'est pas différent des compositions dé-
crites par Alderman et al dans le brevet canadien 500,625
qui décrit un nettoyeur oral ou dentifrice contenant une
substance qui devient fluorescente lorsqu'elle est exposée
à une lumière contenant certains rayons ultra-violets,
par exemple 2920 à 400 unités .ANG. en milieu aqueux. La
quantité de teinture fluorescente revendiquée dans les
revendications 7 à 9 varie entre 0,00005% et 5.00% et
comprend l'éventail qui se situe entre 0.001% et 0.1% revend
diqué dans le brevet susmentionné. De plus, la gamme des
longueurs d'onde revendiquée, comprise entre 3000 et 5000
unités .ANG., englobe donc une partie des longueurs d'ond du
brevet susmentionné, c'est-à-dire 2920 à 4000 unités .ANG..
Dans sa réplique du 12 août 1972, le demandeur a déclaré notamment;
L'exsminateur a déclaré que les revendications 7 à 9
represaient celles du brevet canadien 500,625. Ces revendi-
cations ont été modifiées de manière à supprimer l'objet
d'invention inacceptable, et en particulier, la revendica-
tion 9 (l'ancienne revendication 7) a été modifiée de façon
à restreindre la limite inférieure de la teinture fluorescente,
et les autres revendications contiennent également de telles
restrictions; de plus, des modifications concernant la limite
inférieure de la fréquence des longueurs d'onde ont été
apportées à la revendication 11. Il est allégué que les
revendications modifiées définissent un objet d'invention
brevetable par rapport au brevet 500,625. Contrairement à la
présente invention, cette technique antérieure utilise un
milieu aqueux alcalin. Le volume de teinture fluorescente
dans la technique citée, comme l'a déclaré l'examinateur (voir
au haut de la page 2 de la décision officielle du 16 mai), est
de 0.001% à 0.1%. Les nouvelles revendications portant sur la
composition contiennent des restrictions relativement à la
quantité de teinture fluorescente et à la fréquence de l'expo-
sition aux ondes lumineuses, qui dépassent l'échelle mentionnée
dans le brevet Alderman cité.
Des modifications correspondantes ont été apportées à la re-
vendication 1 portant sur la méthode, et de nouvelles reven-
dications 2 et 3 portant sur la méthode et contenant des
proportions révisées ont été ajoutées.
Il est également respectueusement demandé que le rejet, par
l'examinateur, des revendications 1 à 6 soit reconsidéré. La
raison invoquée dans la décision officielle pour motiver le
rejet est la suivante: "Tous les procédés ne sont pas bre-
vetables". C'est peut-être vrai, mais le demandeur prétend
que les revendications 1 à 8 portant sur la méthode sont bre-
vetables dans le cas présent.
L'examinateur estime également que les inventions qui "relèvent
du domaine de la médecine générale et plus particulièrement des
domaines de l'art dentaire et de la chirurgie" ne sont pas
brevetables. Le demandeur ne connaît aucune loi canadienne qui
interdise de telles inventions, et en tout état de cause, comme
il est clairement démontré dans la brochure ci-jointe, la méthode
de la nouvelle revendication 1 ne reléve pas du domaine "profes-
sionnel" de l'art dentaire, étant donné qu'elle est destinée aux
utilisateurs non professionnels.
Il est allégué que l'invention définie dans les revendications
1 à 8 portant sur la méthode est différente de celle de la cause
Tennessee Eastm c. le Commissaire des brevets 62 C.P.R. 117
de la Cour de l'Echiquier, Cette cause portait sur des reven-
dications relatives à une méthode de traitement du corps humain,
soit la soudure chirurgicale des tissus humains. Dans le cas
qui nous intéresse, l'invention du demandeur ne concerne pas le
traitement du corps humain.
L'invention portes sur un moyen de rendre visibles à l'oeil nu des conditions
pathologiques de points topiques du corps humain. Elle a trait plus particulièrement
à un moyen de rendre facilement visibles des tumeurs, aberrations épithéliales et
autres dans ou à proximité des surfaces externes des tissus, ainsi que les plaques,
les microcosmes, les plombages érodés, le tartre, et la carie dentaire. La
composition de la solution utilisée est aussi revendiquée. Les revendications 1
et 9 qui sont représentatives de l'invention e lisent comme suit:
Revendication 1:
Une méthode pour rendre visible à l'oeil nu la présence
d'une matiére étrangére pathogène dans la cavité buccale
d'un être huamin vivant, qui consiste à appliquer une
composition constituée essentiellement d'eau dans
laquelle sont dissous environ 0.00005% d'une teinture
fluorescente, non toxique et acceptable en pharmacie,
aux régions où la présence d'une matière étrangère
pathogène est soupçonnée et aux régions adjacentes où
cette matière étrangère est presque inexistante, et à
baigner ces deux régions d'une lumière dont la longueur
d'onde a une fréquence située entre 3000 et 5200 angstroms,
grâce à laquelle les deux régions sont parfaitement
délimitées, puisque la région contenant la matière étran-
gère devient luminescente par la réaction de la couleur
de la teinture fluorescente alors que l'autre reste en
grande partie non luminescente.
Revendication 9:
Une composition qui peut facilement être appliquée aux
diverges régions de la cavité buccale d'un être humain
vivant pour rendre visible à l'oeil nu la présence des
matières étrangères pathogènes, ladite composition étant
constituée d'eau dans laquelle sont dissous environ 0.2%
à 5.00% d'une teinture fluorescente, non toxique et
acceptable en pharmacie qui, lorsqu'elle entre en contact
avec les régions contenant une matière étrangère pathogène
et les régions adjacentes où cette matière étrangère est
presque inexistante, et que les deux régions sont baignées
d'une lumière dont la longueur d'onde a une fréquence
située entre 3000 et 5200 angstroms, délimite parfaitement
les deux régions, étant donné que la région renfermant la
matière étrangère devient luminescente par la réaction de
la couleur de la teinture fluorescente alors que l'autre
reste en grande partie non luminescente.
D'abord, la Commission fait remarquer que la décision finale se conformait aux
principes directeurs du Bureau des brevets à l'époque, relativement à la
brevetabilité des inventions concernant des méthodes d'analyse du corps humain,
par opposition aux autres procédés d'analyse appliqués à d'autres produits
naturels, ou à des produits industriels, ou à des matières utilisées dans la
fabrication de ces produits, même si le résultat final ne donne pas nécessaire-
ment un produit physique, mais plutôt de simples informations tangibles.
La question fondamentale est de savoir si l'objet d'invention figurant dans les
revendications 1 à 8 modifiées concernant le procédé constitue une "réalisation
ou procédé utile" au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets définissant
un objet d'invention brevetable, et plus particulièrement si l'objet d'invention
satisfait aux principes et critères établis par la jurisprudence sur la question.
Dans le cas de revendications portant sur des méthodes d'essai, les critères
établis d'utilité constituent habituellement le point critique lorsqu'il s'agit
de déterminer si l'objet d'invention est une invention brevetable, aux termes
de l'article 2 de la Loi sur les brevets. Dans le cas présent, il n'y a pas
lieu d'évaluer la nouveauté et la non-évidence des revendications portant sur le
procédé, étant donné qu'aucune objection n'a été faite à ce propos.
L'article 2 de la Loi sur les brevets se lit notamment comme suit:
"Invention" signifie toute réalisation, tout procédé,
toute machine, fabrication ou composition de matières,
ainsi qu'un perfectionnement quelconque de l'un des
susdits, présentant le caractère de la nouveauté et de
l'utilité.
La Cour de l'Echiquier a rendu récemment deux décisions particulièrement
intéressantes du point de vue de l'interprétation de l'article 2 de la Loi sur
les brevets. Il s'agit de la cause J. Wyburn Lawson c. Commissaire des brevets
(1973) 62 C.P.R 101, concernant des revendications portant sur une parcelle de
terrain subdivisée d'une certaine manière, et de la cause Tennessee Eastman c.
le Commissaire des brevets (1970) 62 C.P.R. 117, concernant des revendications
portant sur une méthode de soudure chirurgicale des tissus humains.
La question de savoir si un objet d'invention est une "réalisation" ou un
"procédé" a été étudiée en cause Lawson c. le Commissaire. dans cette cause,
"réalisation", "procédé" et "méthode" ont été considérés comme synonymes et, en
tout état de cause, il a été décidé qu'une "réalisation" peut très bien comprendre
une méthode ou un procédé, en invoquant la cause Refrigerating Equipment Limited
c. Waltham Systems Incorporated 1930 Ex. C.R. 154 à 166. Et plus loin, à la
page 109, 1e juge Cattanach a déclaré:
"Une réalisation" ou opération est une action ou série
d'actions accomplies par quelque agent physique sur
quelque objet physique et produisant dans cet objet un
changement quelconque de caractère ou d'état. Elle est
abstraite parce qu'elle peut être isolée par l'esprit
comme une notion mentale. Elle est concrète parce
qu'elle consiste en l'application d'agents physiques à
des objets physiques et devient ainsi visible sous forme
d'un objet ou d'un instrument tangible.
Et à la page 110, il a déclaré:
Il est maintenant reconnu que si l'invention réside dans
les moyens et non la fin, l'inventeur a le droit d'obtenir
un brevet pour ces moyens.
Que le procédé à l'étude entre dans la définition d'une "réalisation" est une
question de fait, parce que le procédé consiste à appliquer une teinture
fluorescente sur les dents et les gencives, ce qui entraîne une modification
physique, en termes de résultat à obtenir une fois celles-ci exposées à la
lumière, à la fréquence précisée.
L'autre facteur à déterminer est de savoir si la "réalisation" dans le présent
procédé remplit la condition préalable: être une réalisation ou un procédé "utile"
aux sens de l;article2, qui peut facilement être cite pour déterminer notamment:
si l'objet d'invention est utile en tant q'"art manuel ou industriel" (par oppo-
sition aux beaux-arts dans lesquels la nouveauté tient uniquement à l'application
des connaissances professionnelles, ou de la réflexion intellectuelle ou du sens
esthétique), si l'objet d'invention est contrôlable et reproductible par les
moyens divulgués, de manière que le résultat escompté se produise inévitablement
lorsqu'ils sont utilisés et si l'objet d'invention est utile dans la pratique
courante (c'est-à-dire dans le commerce ou l'industrie) et bénéfique pour le
public.
Étant donné que l'objet d'invention du présent procédé réside dans les "moyens"
par opposition à la "fin", le demandeur devrait pouvoir obtenir un brevet, aux
termes de la définition de l'art manuel ou industriel donnée dans la cause Lawson
c. le Commissaire citée, ci-dessus. Le fait que le résultat final du présent
procédé puisse être appliqué dans le cadre du traitement d'animaux vivants est
incident; il est évident que le présent procédé n'applique aucune propriété phar-
maceutique d'une substance pour effectuer le traitement curatif ou préventif d'une
maladie. La position selon laquelle la brevetabilité devrait être refusée simple-
ment parce que le traitement d'un animal vivant est une condition essentielle â
l'utilité du produit fini ne saurait être soutenue, étant donné que cela englobe-
rait les médicaments ainsi que leurs procédés de fabrication, régis par l'article
41(1), les essais nouveaux et évidents visant à vérifier la qualité des produits
pharmaceutiques industriels, et toute autre invention destinée à une application
médicale ou chirurgicale. Ce qui précède est conforme à la décision de la C.S.C.
en cause Tennessee Eastman c. le Commissaire des brevets, en date du 19 décembre
1972 (ce qui n'a pas fait l'objet d'un rapport), (en appel de la décision de la
Cour de l'Échiquier dans cette même cause) qui dit que le procédé alors à l'étude,
consistant à appliquer une substance adhésive aux tissus humains "... relève de
toute évidence du domaine de l'application pratique" par opposition aux simples
principes scientifiques ou conceptions théoriques exlus, aux termes de l'article
28(3) de la Loi sur les brevets.
Dans la décision de la C.S.C. en cause Tennessee Eastman c. le Commissaire,
ci-dessus, il a été jugé que les brevets délivrés peur un traitement médical en
soi doivent être exclus en vertu de la loi sur les brevets parce que l'utilisa-
tion d'une substance médicale ne peut être revendiquée par un procédé, indépen-
damment du procédé de fabrication.En tout était de cause, les présentes reven-
dications se distinguent effectivement des revendications alors à l'étude,
puisque aucune étape de traitement médical ou chirurgical n'est énonce dans les
revendications. Il est également constaté que dans cette décision la Cour suprême
a semblé établir un parallèle entre sa décision et la dernière cause portée à son
attention soit la demande de Schering A.G. 1971 RPC 337, portant sur une méthode
contraceptive, citant la conclusion de la Cour d'appel des brevets à la page 345,
qui se lit comme suit:
Après due considération de la question, il semble que les
brevets portant sur un traitement médical au sens strict
du terme doivent être exclus en vertu de la présente loi,
les revendications qui font l'objet de la demande ne
semblent pas tomber dans cette catégorie et, d'après
l'interprétation actuelle de la loi,elles devraient, du
moins selon notre jugement, à ce stade-ci, être recevables...
(c'est le tribunal qui souligne)
I1 est également intéressant de noter que l'avantage matériel et les questions
économiques ont été mentionnés .par la citation de la demande de la National
Research Development Corporation (1961) RPC 135, dans les causes Lawson c, le
Commissaire et Tennessee c. le Commissaire (Cour de l'Echiquier), ci-dessus, qui
se lit comme suit:
Pour respecter les limites de la brevetabilité établies
dans le Statut des monopoles, un procédé doit offrir quelque
avantage matériel, c'est-à-dire qu'il doit appartenir à un
art utile par opposition aux beaux-arts(voir la demande de
la Virginia-Carolina Chemical Corporation (1958) R.P.C. 35
à la page 36) que son importance pour le pays doit se situer
dans le domaine de l'entreprise économique .., c'est nous
qui soulignons)
La Commissaire est donc convaincue que la loi, dans son état actuel ne justifie
pas l'exclusion du présent objet d'invention de la protection conférée par brevet.
L'objet d'invention relève du domaine des "arts utiles"; il s'agit d'une invention
qui est par essence, bénéfique pour le public, ainsi que reproductible et contrôla-
ble de façon à produire le résultat souhaité lorsqu'elle est mise en pratique. En
outre, elle est utile dans la pratique courante.
Compte tenu des circonstances, la Commissaire est donc convaincue que la
Commissaire ne devrait pas refuser les revendications 1 à 8 modifiées, sous
prétexte que l'objet d~invention ne satisfait pas aux exigences statutaires de
l'article 2(d) de la Loi sur les brevets, et recommande que le refus fondé aux
ce motif soit réformé.
Le second motif de rejet selon lequel la portée des revendications 7 à 9 est trop
large est fondée, bien que le demandeur ait soumis les revendications 9 à 13
modifiées dans le but de parer aux antériorités.
Le brevet cité (500,625) a trait à un agent nettoyant oral, sous forme d'un
dentifrice contenant une substance fluorescente en milieux aqueux légèrement
alcalin. La concentration exploitable divulguée de la substance fluorescente est
de 0.001 à 0.1%; de plus, le but et la fonction de la substance fluorescente
consistent à créer une illusion d'optique par laquelle les dents semblent plus
blanches.
Par contraste, la composition de la présente demande consiste uniquement en une
solution aqueuse d'une teinture fluorescente de concentration variable entre 0.2
et 5.0%. La teinture fluorescente est utilisée pour différencier les tissus et les
dents saines des tissus et dents malades, lorsque des rayons lumineux impressionnent
la teinture. Rien n'indique cependant dans le brevet précité que la solution
alcaline et aqueuse de la teinture fluorescente puisse être utilisée dans le but
recherché par le demandeur.
La Commission est donc convaincue que les revendications 9 à 13 modifiées s'écartent
de la technique antérieure citée, cependant, il conviendrait de revoir les reven-
dications 1 à 8 modifiées à la lumière de la technique antérieure citée.
Le président adjoint
Commission d'appel des brevets
J.F. Hughes
Je souscris aux conclusions de la Commission d'appel des brevets, refuse le
motif de rejet aux termes de l'article 2 de la Loi sur les brevets, et accepte
les revendications 9 à 13 comme s'écartant de la technique antérieure citée. La
demande est renvoyée à l'examinateur pour reprise de l'instruction.
Telle est ma décision.
Le Commissaire des brevets
A.M. Laidlaw
Fait à Ottawa (Ontario)
le 16 avril 1973
Agents du demandeur:
Smart & Biggar
Ottawa (Ontario)